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MÉMOIRES AUTHENTIQUES
DU
MARECHAL DE RICHELIEU
MAÇON. PROTAT FRERES. IMPRIMEURS.
. HF. B
MÉMOIRES AUTHENTIQUES
DU
MARÉCHAL DE RICHELIEU
(1725-1757)
D APRES LE MANXSCRIT ORIGINAL
POUR LA SOCIÉTÉ DE l'hISTOIRE DE FRANCE
A. DE BOISLISLE
MEMBRE DE l'INSTITCT
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^
A PARIS
SOCIÉTÉ DE L'HISTOIRE DE FRANCE
46, RUE JACOB
MDCCCCXVIII
383
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EXTRAIT DU RÈGLEMENT.
Art. 14. — Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et
choisit les personnes les plus capables d'en préparer et d'en
suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire
responsable, chargé den surveiller l'exécution.
Le nom de l'éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société
sans l'autorisation du Conseil, et s'il n'est accompagné d'une
déclaration du Commissaire responsable portant que le travail
lui a paru mériter d'être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que Védition
des Mémoires authentiques du Maréchal de Richelieu.
préparée par M. A. de Boislisle, lui a -paru digne d'être
'publiée par la Société de l'Histoire de France.
Fait à Paris, le ["février 1918.
Signé : L. DELAVAUD.
Certifié :
Le Secrétaire de la Société de l'Histoire de France.
R. DELACHENAL.
AVANT-PROPOS
Le manuscrit des fragments de Mémoires^ qui
font r objet du présent volume a été copié en 1868
dans les archives des héritiers du maréchal de
Richelieu. M. A. de Boislisle eut dès lors V inten-
tion de les publier. Il comptait en faire le premier
élément d. un ensemble de publications historiques
tirées des papiers du maréchal., et il voulait y
joindre une étude complète sur la vie si diverse de
leur auteur. Pour réaliser ce projet^ il se mit à
réunir les matériaux nécessaires ; mais, après la
guerre de 1870, d'autres préoccupations vinrent,
sinon l'en détourner complètement, du moins
absorber pour des œuvres nouvelles la majeure
partie de son activité. Faut-il citer la Correspon-
dance des contrôleurs généraux des finances avec
les intendants des provinces (1874-1897), le Mémoire
sur la généralité de Paris (1881), e^ surtout l'édition
des Mémoires de Saint-Simon, dont le premier
volume est de 1879. Néanmoins il n oublia ni
1. On trouvera sur ce manuscrit les renseignements néces-
saires dans les pages lxxxii et suivantes de l'Introduction qui
suit.
AVANT-PROPOS.
nabandonna jamais son projet d'édition des
Mémoires authentiques du maréchal de Richeheu,
et il ne cessait de recueillir les éléments du travail.
Dans les dernières années de sa vie, il reprit en
mains cette œuvre de sa jeunesse ; l'annotation fut
complétée par les soins de son dévoué collabora-
teur Pierre de Bro tonne, et V introduction, écrite
dès 1873, fut revisée. En outre, poursuivant tou-
jours son idée d'une étude d' ensemble sur la vie
du maréchal, il commença à écrire V histoire de
ses premières années. La mort ne lui laissa le temps
d'en rédiger quun fragment trop bref pour être
autre chose que le témoin de son intention persis-
tante.
En examinant cette copie des Mémoires, il nous
sembla quelle était prête pour l'impression ;
que l'annotation, sans être aussi complète qiCon
aurait pu le désirer, étant donné les nombreux
travaux sur le règne de Louis XV qu' ont vu paraître
les vingt dernières années, était suffisante ; que
l'introduction pouvait être imprimée presque sans
modifications. I\ous avons pensé qu'Userait regret-
table de laisser inutilisé et inconnu un texte
curieux et important , d'une authenticité indiscu-
table, dont on ne connaissait que des passages
défigurés par les maquillages déloyaux de Soula-
vie et d'autres écrivains de sa sorte. Le conseil de
la Société de l'histoire de France a bien voulu
partager cette opinion et consentir à éditer cette
œuvre posthume dans la collection de ses publica-
tions ; qu'il trouve ici l'expression de notre grati-
tude.
AVANT-PROPOS.
Mais nos remerciements uont surtout à M. L.
Delai'aud, qui, assumant avec son habituel dévoue-
ment la tâche ingrate de commissaire respon-
sable, a en maintes occasions mis au service des
éditeurs, pour le plus grand profit de V œuvre, sa
compétence particulière et sa bienveillante coopé-
ration.
Jean de Boislisle. Léon Lecestre
[introduction
I.
SOULAVIE ET SES PUBLICATIONS HISTORIQUES.
Lavènemeut de Louis XVL l'essor donné aux idées nou-
velles et le patronage quelles trouvaient jusque sur les marches
du trône favorisèrent l'apparition d'un certain nombre d'ou-
vrages historiques, ou soi-disant tels, inspirés par cet esprit de
réaction qui avait inondé la France de pamphlets et de diatribes
du vivant même de Louis XV. Parmi ces auteurs féconds.
l'un de ceux qui s'acquirent et qui ont conservé jusque dans
notre temps la plus étonnante notoriété, est lal)bé Soulavie,
l'auteur des Mémoires du maréchal de Richelieu et de tant
dautres livres qui intéressent directement notre sujet.
Jean-Louis Soulavie. dit Giraud de Soulavie, né le 8 juillet
1752 à Largentière, en Vivarais, fils aîné dun petit procureur ' ,
avait pris les ordres sacrés dans le diocèse de Niraes ; puis il
était devenu vicaire à Antraigues, curé à Sevent, et vicaire
1. « L'an mil sept-cent-cinquante-deux et ce neufvième juillet,
je soussigné, curé, ay solennellement baptisé Jean-Louis Soulavie!
né hyer, fils de S-- Jean Soulavie, procureur, et de demoiselle
Anne Faure, mariés, habitans de cette ville de Largentière ; son
parain a été Louis Sauzède, m<= cordonnier ; sa maraine a été
Anne Pugnère. Présent S-" François Deleuze, garde de S. A. S.
Monseigneur le prince de Bombes, et Jean Tressaud. —Signé:
Soulavie, Sauzède, Deleuze, Tressaud, et Defrance. curé. »
(Registres paroissiaux de Largentière).
II INTRODUCTION .
général de lévéché de Chàlons. De très bonne heure il s'était
voué aux travaux littéraires, écrivant dès 1774 une Histoire du
cardinal de Viviers \ puis, dans un genre différent, VHistoire
naturelle de la France méridionale, ouvrage où, plus tard, il
revendiquait Ihonneur d'avoir proposé de substituer aux divi-
sions gothiques du royaume par diocèses, généralités, ou gou-
vernements, un autre système de départements, basé sur le
cours et le nom des fleuves. Les ouvrages scientifiques de Fabbé
Soulavie eurent du succès"^ et lui valurent, de 1783 à 1786, les
1. Voici la nomenclature, par ordre de dates, des premiers
ouvrages que fit paraître Soulavie : l» Histoire de Jean d'Alonzier
Allarmet de Brognie, cardinal de Viviers, Paris, 1774, in-r^.
Publié à un très petit nombre d'exemplaires. — 2" Histoire naturelle
de la France méridionale, Paris, 1780 à 1784, 8 vol. in-8". Plu-
sieurs morceaux de cet ouvrage ont été publiés à part : on y trouve
même le discours intitulé : Des mœurs et de leur influence sur la
prospérité et la décadence des empires, que Soulavie ne put pronon-
cer à l'ouverture des États du Languedoc en 1784. — 3" OEuvres du
chevalier Hamilton, avec des commentaires sur les... volcans...,
Paris, 1781, in-8. — 4° Éléments d'histoire naturelle, ou les classes
naturelles des minéraux. A Pétersbourg, de l'imprimerie impériale
de l'Académie des sciences (dont Soulavie fut nommé correspon-
dant le 13 mars 1786). Un vol. in-4", avec figures. — 5° Tableatix
des anciens Grecs et Romains et des nations contemporaines, où l'on
trouve le cérémonial, la vie privée..., avec des fig"ures coloriées...
Paris, Musier, 1785, deux cahiers in-4. Non achevé. — Parurent
aussi eu brochure : Réflexions inipartiales sur les progrès de l'art
en France, et Traité de la composition et de l'étude de l'histoire, —
qui peu après furent insérés dans les Mémoires de Richelieu. (Article
de M. Mazon dans l'Écho de l'Ardéche, 2 avril 1870.)
2. Dès 1779, Soulavie fit des lectures à l'Académie des sciences,
et M. d'Archiac, dans son Introduction à l'étude de la paléontologie
stratigraphique, t.I*''. p. 348 et suiv., a rendu justice à la sagacité
et au discernement qui signalaient ces travaux. C'est, dit-il, une
des gloires méconnues de la France. Il avait tout découvert trente
ans avant Cuvier, comme origine des fossiles et détermination
des époques de la nature par l'étude des couches du globe et de
leurs formations successives. Ce qui n'empêchait pas Buffon, sai-
INTRODUCTION. III
titres d'associé de presque toutes les Académies de province, et
de membre correspondant de TAcadémie des Inscriptions et
de celles de Hesse-Cassel et de Saint-Pétersbourg.
Ce fut vers 1775 ou 1778, lui-même le raconte \ que le goût
des travaux historiques se caractérisa chez Soulavie, et qu'il
commença à étudier le règne de Louis XV, avec l'intention de
combler la lacune qu'un ministre de la maison du roi avait pro-
duite en supprimant rou\Tage officiel de Duclos.
Sans cesser de remplir ses fonctions ecclésiastiques, et sans
rompre non plus ses relations avec le Languedoc, il alla cher-
cher à Paris les documents dont il avait besoin pour baser un
travail entrepris très consciencieusement, il faut le reconnaître.
Ses titres et sa position lui procurèrent partout un accès facile.
Reçu dans le salon des économistes les plus haut placés, tels
que Turgot et Condorcet. ou lié avec les étrangers les plus
illustres, comme Franklin, il eut entrée non seulement aux
dépôts ministériels des Affaires étrangères etde la Guerre, mais
aussi dans les archives particulières de certaines familles où se
conservaient les papiers de plusieurs générations de ministres
et qui s'ouvraient pour les historiens avec une facilité dont nous
n'avons guère l'idée^. Les premières maisons qui lui firent cet
sissant quelques erreurs de détail, de s'écrier que « ce jeune vicaire
n'était qu'un écolier, qui écrivait d'un ton de maître. » MM. Mali-
nowski et Mazon nous font connaître dans le plus intéressant
détail cette première phase, si pure et si honorable, des travaux
de Soulavie, ses pérégrinations, ses relations avec les plus illustres
savants, etc. {Echo de ÏArdèchc, avril 1870.)
1. Dans la préface du tome lY des Mémoires de Richelieu.
2. C'est lui-même qui le raconte dans l'Histoire de la décadence
de la monarchie française, t. 1", p. 81. Il fréquenta tous les salons
« philosophiques >>, se lia avec « des hommes remarquables dans
le clergé et le gouvernement » et étudia de près les « écrivains
remuants. » En effet, M^^e d'Abrantés dit l'avoir vu, dés 1775,
impatronisé dans plusieurs salons, et reçu comme un jeune homme
if INTRODtCTlON.
accueil furent celles du duc de Luynes et de M. de Choiseul ;
on lui communiqua encore les papiers du maréchal de Villars * ..
ceux de M. de Breteuil. l'introducteur des ambassadeurs, les
Mémoires de Saint-Simon et ceux de Dangeau, la correspon-
dance de Madame, les Mémoires du duc de Luynes, et en un
mot, cet ensemble de précieux matériaux que nous nous van-
tons de posséder aujourd'hui, un siècle après Soulavie. Enfin,
le maréchal de Richelieu, qui, retiré de la cour, cherchait une
consolation et comme un reflet de sa jeunesse dans les souve-
nirs du temps passé, ouvrit à l'abbé, avec sa libéralité accoutu-
mée, la bibliothèque précieuse et les portefeuilles où il avait
entassé depuis plus de soixante ans les reliques dune si longue
carrière 2.
d'esprit et d'avenir, à côté des membres de T Académie ou des plus
illustres magistrats. M™^ d'Abrantés prétend, ailleurs, que Nai>o-
léon 1^^ faisait le plus grand cas des Mémoires sur le règne de
Louis XVI, une des plus mauvaises actions, on le verra, de Soula-
vie.
1. Ils étaient venus aux Vogué par une sœur du maréchal et
furent livrés à Anquetil, qui en tira quatre petits volumes de
Mémoires (1784), puis déposés à la bibliothèque des Génovéfains,
d'où les retira, en janvier 1792. le comte de Grimoard, pour
les remettre à M. de Sérent. héritier de la comtesse do Vezins,
arrière-nièce de Villars. Ils sont arrivés de nos jours aux mains
de M. le marquis de Vogué, qui en a publié le texte intégral de
1884 à 1904 pour notre Société. En 1734 il y avait eu une publi-
cation partielle en un volume ; les tomes U et III, parus en 1736,
sont apocryphes.
2. Soulavie n'était pas le premier à y pénétrer. Dés 1758, le
Père Griffet avait emprunté à cette bibliothèque, qu"il qualifie de
« vrai trésor » des pièces d'une importance exceptionnelle pour
son Histoire de Louis III I (Préface, vm et ix), malgré le prélè-
vement fait en 1705 des papiers du cardinal au profit du dépôt des
Atlaires étrangères.
Marmontel (Mémoires, p. 380 à 383) raconte également que pour
remplir dignement ses fonctions d'historiographe, il s'adressa aux
INTRODUCTION. V
Débordé, et comme grisé par cette abondance de richesses,
Soulavie céda à un entraînement fatal, qui lui fit oublier son
point de départ et son but primitif. Dès lors, l'idée dun travail
unique, complet et sérieux, est abandonnée ; aux préoccupa-
tions de lérudit succèdent les procédés du spéculateur ; nous
assistons aux débuts de cette officine où Soulavie, caché sous le
nom de l'éditeur Buisson, va gaspiller, prostituer les trésors
confiés à ses mains infidèles.
En 1781, dans le tome I" du recueil de la Place qui a le titre
de Piècfs intéressantes et peu conmns pour servir à l' histoire.
puis en 1784. dans le tome W, paraissent deux séries d'anecdotes
et de morceaux détachés, sous cette rubrique singulière :
Extrait du mémorial ou du Recueil d'anecdotes de M. Duc. . .
S. P. de l'A. F. et H. de F. L'éditeur anonyme ne peut être
que Soulavie et l'assemblage infonne qu'il ofl're au public, c'est
une première divulgation des Mémoires de Saint-Simon. Mais
dans quel état se présente l'immortd chef-d'œuvre ^
Soulavie lui-même a raconté, dans la préface des Mémoires
personnages les plus considérables de la cour de Louis XV. « Je
fus moi-même étonné, dit-il. de la confiance qu'ils me marquèrent.
Le comte de Maillebois me livra tous les papiers de son père et
les siens. Le marquis deCastries m'ouvrît son cabinet, où étaient
les Mémoires du maréchal de Belle-Isle : le comte de Broglio
m'initia dans les mystères de ses négociations secrètes ; le maré-
chal de Contades me traça de sa main le plan de sa campagne et
le désastre de Minden. J'avais besoin des confidences du maré-
chal de Richelieu ; mais j'étais en disgrâce auprès de lui, comme
tous les gens de lettres de l'Académie. Le hasard fit ma paix. . .
Ses portefeuilles furent a ma disposition. »
1. Devenus, comme l'a dit Sainte-Beuve, « des espèces de pii-
sonniers d'État », les Mémoires n'étaient que très rarement
communiqués. Voltaire, Duclos et Marmontel avaient seuls pu
s'en servir.
M™^ du Deffand aussi les avait lus. vers 1770 ; Anqueiil venait
d'utiliser les extraits faits par l'abbé de Voisenon.
VI INTRODUCTION.
de Richelieu*, les péripéties successives de cet enfantement. Il
fallait lutter contre une censure ombrageuse, et ce ne fut que
de concession en concession, d'édition en édition, qu'on permit
de prononcer le nom de l'auteur des Mémoires. Quant aux
Mémoires eux-mêmes, est-il nécessaire de compter combien de
mutilations déshonorantes ils subirent successivement ? En
1784, ce ne sont que quelques anecdotes décousues, triées parmi
les moins dangereuses. En 1786, il y a progrès ; le nouveau
volume porte même un titre assez hardi : La Galerie de Van-
cienne cour, mais le nom de Saint-Simon reste proscrit ^. C'est
seulement en 1788 qu'il paraît enfin, ce nom ; mais avec quelles
précautions ! Le censeur, à qui Soulavie a présenté sept volumes
cette fois, s'est adjoint quatre seigneurs de la cour, et les sept
volumes sont réduits à trois ; il y a presque de l'ironie à inti-
tuler ces derniers lambeaux : Mémoires de Saint-Simon ou
l'Observateur véridique sur le règne de Louis XIV '. Quoique
ce soient toujours des anecdotes sans liaison, sans suite, et
souvent sans exactitude, le publicestmis en appétit par la saveur
nouvelle qui s'y révèle, et les journaux payés par le libraire
1. T. I, p. 63. — Il faut ajouter ici que le biographe de Soulavie,
M. Mazon (Écho de VArdèche, 2 avril 1870), conteste à son auteur
la paternité des éditions antérieures à 1791. M. Mazon s'appuie
sur le passage que je viens de citer de la Préface des Mémoires de
Richelieu et sur l'avis publié en tête du Saint-Simon de 1791.
2. Le Catalogue imprimé de la Bibliothèque Impériale ne cite
pas le volume de 1785 parmi les éditions des Mémoires de Saint-
Simon.
3. La marquise de Créquy avait écrit à Sénac de Meilhan, le
7 février 1787 : « Les Mémoires de Saint-Simon sont entre les
mains d'un censeur : de six volumes, on en fera à peine trois, et
cest encore assez. » Le 25 septembre 1788, elle dit : « Les Mémoires
paroissent, mais très mutilés, si j'en juge par ce que j'ai vu, en
trois tapons verts, et il y en avoit six. »
Tandis que Soulavie préparait son édition de \ Observateur véri-
INTRODUCTION. VII
Buisson lui font un succès ^ Puis le mouvement des idées
finit par l'emporter sur la censure, et, en 1789, délivré de cette
entrave, « un nouvel é^iiteur ». toujours Soulavie. « complète
entièrement » le texte, en donnant quatre volumes de supplé-
ment, « qui ne sont pas tout à fait aussi amusants, mais qui
peuvent être utiles aux historiens. » Cette rapsodie est telle-
ment indigne, qu'on ose à peine la citer aujourd'hui ; elle pro-
duisit, dans ce temps-là, un grand effet sur l'opinion publique,
si l'onen croit le Journalde Paris ^. Lesesprits, devenus avides
de pénétrer dans les coulisses de l'histoire, firent dès lors bonne
justice des phrases brillantes du Siècle de Louis MV et des
splendeurs que le peuple avaient payées si cher.
Pour ne point revenir plus tard sur ce sujet, disons tout de
suite qu'une cinquième édition, ou plut<Jt une cinquième trans-
formation des Mémoires fut produite au milieu de l'année 1791 .
« On a publié à différentes reprises, dit le Journal de Paris ^,
dique, Anquetil écrivait les lignes qui suivent, dans la préface de
son livre Louis IIV,sa cour et le Régent, qui ne parut qu'en 1789 :
«Les Mémoires de Saint-Simon commencent à devenir communs.
On en a tiré et on en tire journellement des copies. Il pourroit
arriver que quelque libraire, voyant cet empressement, les fit
imprimer. On en a même déjà donné des morceaux dans des
recueils dont ces fragments font le princiqal mérite. C'est donc
le moment de faire paraître un ouvrage (son Louis XIV) où ou
trouvera tout ce que ces Mémoires renferment de curieux et d'in-
téressant. »
1. Yoy. Journal de Paris, 2 octobre 1788, p. 1181. — Peu aupa-
ravant, Buisson avait été poursuivi pour avoir édité, en contrefa-
çon et sans autorisation aucune, l'ouvrage du comte de Mirabeau
sur la Réforme politique des Juifs ; il n'avait pu se justifier. Voy.
le même Journal, 1788, p. 935 et 965.
2. Année 1789, p. 704. Le Mercure de France publia aussi un
article, le 12 septembre 1789. p. 34 et suiv. ; mais on n'y trouve
que des extraits des Mémoires, sans un mot sur l'éditeur ni l'édi-
tion.
3. Supplément au n° du 23 mai 1791.
VIII INTRODUCTION.
sept volumes d'anecdotes et d'extraits, sans liaison ni ordre de
dates, des Mémoires de Saint-Simon, que des censeurs sévères
avaient mutilés ; la liberté permet enfin l'entière publication de
ces précieux Mémoires, et l'on a tout lieu de penser quils
seront accueillis avec empressement. » Cette fois, « l'entière
publication » des Œuvres complètes de Louis de Saint-Simon
ne formait pas moins de treize volumes : six pour les Mémoires
d'Etat et militaires du règne de Louis XIV ; deux pour les
Mémoires de la minorité de Louis XV ; quatre de Mémoires
pour servira l'histoire des hommes illustres du temps, et enfin,
un volume de Mémoires du droit public delà France, avec une
suite de pièces curieuses extraites du portefeuille de l'auteur * .
Cette édition, qui fut plus tard, vers 1818, refondue dans un
meilleur ordre, et mise en six volumes, ne fut remplacée quen
1829 par la publication des Mémoires entiers, dans leur forme
originelle et authentique -.
En dehors de ce labeur littéraire, Soulavie venait de faire son
entrée dans la carrière politique. Dès 1784, il avait préparé,
pour l'ouverture de la session des États du Languedoc, un
1 . Ce n'est plus chez Buisson que se fait cette publication, mais
chez Treuttel, à Strasbourg, et à Paris, chez Onfroy, rue Saint-
Yictor, n° H. — Le Journal de Paris du 4 juin 1792 en rendit
compte très tardivement. Il dit que cette édition ne présente rien
de nouveau en dehors des sept volumes déjà publiés, que les
Mémoires sur le droit public, « ouvrage d'un aristocrate accompli»,
une classification des matières, et enfin la valeur d'up tiers de
cliaque volume en notes et additions tirées d'autres Mémoires,
(luelques-unes curieuses et instructives, et d'autres de pur rem-
plissage.
?. Tout cet historique a été retracé par M. Armand Baschet,
dans le Duc de Saint-Simon, son cabinet, etc., p. 265 et suiv.
M. Baschet croit que Soulavie n'eut pas communication du
manuscrit original de Saint-Simon, mais seulement des extraits
pris officiellement, de 1760 à 1775, par l'abbé de Voisenon.
INTRODUCTION. IX
discours Des Mœurs et de leur influence sur la prospérité et la
décadence des empires, dont le sujet et le titre trahissaient un
penchant pour les idées nouvelles ; mais, n'ayant pu obtenir une
approbation préalable, il se contenta d'en faire une brochure,
qui fut insérée plus tard dans son Histoire naturelle *. Cet
échec n'empêcha pas d'ailleurs qu'il n'obtînt des États une
mission importante. Conjointement avec un nommé Malherbe,
il fut chargé de continuer l'histoire du Languedoc, que les Béné-
dictins avaient conduite jusqu'à l'année 1643. Les deux liisto-
riographes commencèrent leur travail, mais la Révolution
devait bientôt le suspendre, et il n'en est resté d'autre trace que
deux décrets qui leur accordent le remboursement des dépenses
extraordinaires faites à ce sujet de 1789 à 1792 ^.
On était arrivé à la réunion des État? généraux : l'abbé
Soulavie se rendit à l'assemblée électorale du clergé, mais il
« se refusa d'y dire un seul mot, parce qu'elle ne fut libre
qu'une heure seulement ». C'est lui-même qui le dit dans une
lettre curieuse au président de l'Assemblée nationale, en
date du 3 mai 1789, et par laquelle nous connaissons plus d'un
fait intéressant pour sa biographie '.
Outre cette mise au jour des Mémoires de Saint-Simon dont
il serait injuste de nier l'importance, Soulavie produisit dans le
courant de l'année 1789, sous le couvert de l'anonyme, deux
ouvrages d'actualité, pour lesquels il eut, dit-on, la collabora-
tion d'un de ses principaux protecteurs, le duc de Luyues :
1. Voy. Mémoires de Louis XVI, t. VI, p. 226.
2. Décrets du 14 septembre 1792 et du 22 prairial an II.
3. C'est également dans cette lettre qu'il propose d'établir à
Versailles, pendant les États, un dépôt d'ouvrages sur les affaires
nationales, destiné surtout aux curés ignorants. Cette collection
devrait contenir environ deux mille volumes, que Soulavie dit
avoir presque tous, sur le droit public, sur l'histoire de la révo-
lution, sur le règne de Louis XV. sur les finances, etc.
X INTRODUCTION.
Y Histoire, le cérémonial et les droits des Etats généraux*,
immédiatement suivi de YHistoire de la convocation des
États généraux de 1189. Le caractère sérieux de ces deux
livres, l'authenticité des documents et l'honorabilité du colla-
borateur de Soulavie ne font que rendre plus étonnante la
publication que labbé fit, quelques mois plus tard, de prétendus
Mémoires de M. le duc de Choiseul ^.
Ce nouveau livre, soi-disant imprimé à Chanteloup par les
soins de l'ancien ministre, fut annoncé, vers la fin de l'année
1789, en de tels termes que la famille du duc de Choiseul dut
réclamer contre une publication qu'elle regardait comme la
suite d'une infidéhté punissable ^. Nous nous contenterons de
l'indiquer comme l'origine de cette série d'ouvrages apocryphes
\ . Cet ouvrage parut chez Buisson, sous le nom du Duc de***
Un article très favorable fut inséré dans le Mercure de France du
12 décembre 1789. p. 43 et suiv.
2. Toutes les bibliographies, celle de Quérard entre autres,
attribuent la paternité de ces Mémoires à Soulavie. Il est du reste
impossible d'amasser plus de noirceurs, plus d'accusations capi-
tales que Soulavie n'en a mises au compte de M. de Choiseul,
dans ses autres livres.
3. D'après les titres des pièces annoncées dans le Prospectus,
la famille jugea que quelques-unes pouvaient être de M. de
Choiseul. mais n'avaient point été destinées à voir le jour, et que
tout le reste lui était absolument étranger. — La Harpe qui fai-
sait les articles de critique littéraire dans le Mercure, s'associa
hautement à ces justes protestations {Mercure du 9 janvier 1790,
p. 62). Voir dans laiîem/e historique, 1884, t. XXV, p. 113, l'article
d'E. Flammermont, les Papiers de Soulavie, et Em. Bourgeois,
Une nouvelle édition des Mémoires de Choiseul (ibidem, 1905,
t. LXXXVIII, p. 83). Tous deux contestent à Soulavie la publica-
tion des Mémoires de Choiseul en 1790, recueil qui semble composé
de pièces authentiques. Mais Soulavie avait préparé la publication
de ces pièces et d'autres moins sûres ; ce recueil, en deux tomes,
appartiendrait aujourd'hui à MM. Pion et Nourrit, et a servi à la
publication de M. Calmette en 1905.
INTRODUCTION. XI
et mensongers qui vont former désormais le bagage historique
de Soulavie ; la protestation de la famille de Choiseul ne fut
que le prélude d'une polémique analogue qui s'engagea peu
après au sujet des Mémoires du maréchal de Richelieu * .
Soulavie avait été admis dans la bibliothèque de M. de
Richelieu vers 1782 ; nous avons déjà dit quel accueil il y
avait trouvé ; les documents qu'on lui communiqua avec la
plus complète libéralité lui inspirèrent Vidée, soit d'en faire une
publication spéciale, soit d'écouler, sous le couvert d'une per-
sonnahté aussi célèbre que celle du maréchal, les matériaux
précieux qu'il était à même de recueiUir depuis son arrivée
à Paris. Ce fut en 1785 qu'il commença la rédaction 2. c'est-
à-dire peu après qu'il eut livré les premiers fragments des
Mémoires de Saint-Simon, mémoires dont il se servit presque
uniquement pour faire un premier volume.
En 1788, la mort du maréchal ayant changé la situation,
Soulavie jugea à propos de prendre rang pour la publication
dont il avait arrêté le plan et commencé la première partie,
sans savoir bien au juste où la suite le mènerait. Il adressa
une longue lettre au rédacteur du Mercure ^, pour s'inscrire
contre « une personne de nom inconnu, qui venoit de se pré-
senter à quelques libraires et de leur offrir une Vie du maré-
chal de Richelieu. » Cet auteur inconnu était-il Linguet, qui
publia un article nécrologique dans les Annales politiques, où
l'éditeur qui publia l'année suivante la correspondance du
maréchal avec Paris Duverney ^ ou enfin l'auteur qui devait
1. Voyez un historique et une analyse de ces Mémoires dans les
Petites notes ardéchoises de M. Mazon, p. 131 et suiv.
2. Voy. Mémoires, t. I, p. 28.
3. N» du 29 novembre 1788, p. 195.
4. Cette correspondance, publiée, comme on le sait, parle géné-
ral de Grimoard, fut éditée chez Buisson.
XII INTRODUCTION.
donner plus tard sa Vie privée ? Faut-il encore ne voir là qu'un
des procédés familiers à Soulavie ? Quoi qu'il en soit, la lettre
fort longue, et dont le contenu reparut plus tard dans la pré-
face du tome IV des Mémoires, racontait comment l'abbé avait
eu, durant trois ans, communication pleine et entière des trente
portefeuilles dans lesquels le maréchal conservait tous les
documents relatifs à ses ambassades, à ses commissions, aux
guerres d'Italie et d'Allemagne, aux affaires publiques ; elle
annonçait que ces documents seraient la base d'une étude
authentique et d'une histoire fidèle, comme la France n'en avait
pas encore sur le règne de Louis XV, et qu'en outre, un ami
intime du maréchal publierait sa Vie privée, où le défunt l'avait
toujours sollicité de faire entrer les documents ou les épisodes
d'un genre moins sérieux. Chemin faisant, on réfutait une
partie des faits que M. L*** (Linguet) venait de publier sur la
jeunesse de M. de Richelieu. A l'appui de cette rectification,
toute apologétique, on invoquait lautorité des Mémoires de
M. de Villars, et on produisait même, en originaux, trois
billets ou lettres de M""* de Maintenon au père et à la belle-
mère du futur maréchal ^ La lettre était signée : « S... G...,
auteur des Mémoires de M. de Richelieu, composés d'après des
^Mémoires de guerres, d'ambassades, de négociations, et autres
que feu M. le maréchal m'avoit confiés. »
Un an plus tard, à la fin de 1789, une annonce nouvelle,
insérée dans les Annales 'politiques et littéraires, attira l'atten-
tion des héritiers du maréchal, et valut au Journal de Paris ~
la note suivante :
« Le duc de Richelieu a vu. avec la plus grande surprise,
1. Ces trois pièces, dont le texte est donné dans les Mémoires
ou dans la Vie privée, ne sont plus dans les archives du duc de
Richelieu, et on ignore ce qu'elles sont devenues.
2. Second semestre 1789, p. 1699.
I>TRODLCTIO>. Xlil
qu on alloit faire paroitre des Mémoires contenant la vie de son
père, comme ayant été écrits soiis ses yeux, et que dans ce
prospectus on présente son père comme un intrigant, puisqu'on
annonce qu'on rapportera ses intrigues pendant la régence, ses
galanteries et celles des princesses qu'il a eu l'art de charmer ;
enfin quil existe des chroniques scandaleuses et politiques de la
régence et du règne de Louis XV, composées par le maréchal
de Richelieu, dont on a tiré une partie des faits rapportés dans
'ces Mémoires. Le duc de Richelieu sempresse de prévenir le
public qu'il est à sa connoissance que l'auteur de ces Mémoires
a eu, du vivant de son père, communication de quelques
manuscrits de sa bibliothèque ; que lui-même lui en a confié
quelques-uns qui lui ont été rendus : que cette petite partie de
matériaux ne peut former une histoire complète, et qu'il n'a,
ainsi que personne de sa famille, aucune connoissance des
chroniques scandaleuses et pohtiques. Le duc de Richeheu a
remis entre les mains d'une personne pour qui M. le maréchal
de Richelieu avoit de l'estime et de l'amitié, et en laquelle le
duc de Richelieu a toute confiance, les correspondances poli-
tiques et particulières de son père et la totahté de ses manu-
scrits. Ces pièces rassemblées pourront servir seules à la com-
piosition des Mémoires authentiques dont on s'occupe. Le duc
de Richeheu croit devoir à son père de prévenir le public contre
la publication d'un ouvrage qui sembleroit avoué de lui, et qui
peut contenir des faits hasardés ou défavorables à sa mémoire.
« >Signé : Le Duc de Richelieu. »
La réponse de Soulavie parut dans le même Journal de
Paris, supplément du 13 janvier 1790 :
« Messieurs,
« Comme le pubhc pourroit croire qu'il n'existe des Mémoires
du Maréchal de Richelieu que ceux qu'on compose sous les
XIV INTRODUCTION.
auspices de M. le Duc de Richelieu, qui les annonce dans votre
Journal, permettez-moi d'indiquer les sources doù j'ai tirés
ceux que jai annoncés chez Buisson, rue Hautefeuille, et de
répondre aux reproches de M. le Duc.
« J'ai l'honneur d'être, etc.
« Monsieur le Duc.
« En publiant les Mémoires de M. le Maréchal votre père,
jaurois été bien satisfait d'obtenir votre aveu ; mais, lors même
que vous le refusez d'une manière aussi publique, permettez-
moi dobserver qu'il est toujours vrai que j'ai écrit ceux annon-
cés chez Buisson sous les yeux de M. votre père et dans sa
bibliothèque, où j'ai travaillé, aidé quelquefois de cinq copistes
connus, pendant trois ans.
« Ainsi, s'il vous est permis de remettre ce qui vous reste
des papiers de M. le Maréchal à M. l'intendant de ***. pour
composer ses Mémoires, vous ne pouvez lui remettre, ni l'ou-
vrage fait sous ses yeux, ni les faits qu'il m'a dictés, ni ses
Mémoires particuliers et secrets, intitulés Chronique scanda-
leuse et politique; qu'il avoit confiés en original à un de ses
amis, et qui, de votre aveu, ne vous sont point connus ; ni les
manuscrits de son catalogue que j'ai fait acheter en partie dans
sa vente, ni les Mémoires des seigneurs ses contemporains, que
j'ai consultés. D'ailleurs, toujours fière, inexorable même,
l'histoire ne doit connoitreni famille ni enfants. M. le Maréchal
lui-même avoit désiré qu'ils fussent imprimés eu Angleterre,
et il avoit permis qu'ils fussent composés avec cette hberté dont
on jouit à Londres cent ans après les événements ; mais,
comme j'en ai le pouvoir et le droit en France ; comme, depuis
l'accident arrivé à la Bastille, le temps d'écrire l'histoire est
commencé, et que, depuis le jour de la mort de M. le Maréchal
votre père, il m'est permis de publier 1rs faits qu'il m'a fait
IxNTRODUCïlOiN. XV
counoilre, souffrez que j'en jouisse dans ma partie. Des flatteurs
académiciens, des historiographes pensionnés, nous ont assez
longtemps inondés de compUments, de contes, d'éloges et d'his-
toires flatteuses ; l'âge de ces bagatelles est passé en France, et
je me déshonorerois si je n'exposois dans les Mémoires de M.
le Maréchal les faits qu'il ma fait connoitre, et surtout les
outrages que le Visiriat avoit faits a la Majesté de la Nation
ET DE NOS Souverains.
« J'ai Ihonneur d'être, etc.
« L'Auteur des Mémoires du Maréchal de Richelieu. »
Ainsi l'œuvre prochaine prenait les proportions dune entre-
prise patriotique et les allures d'un manifeste ! On peut s'en
étonner aujourd'hui ; mais, en 1790, c'était sérieux, et, lorsque
parurent les quatre premiers volumes des Mémoires, la presse
fit fête au livre et à l'auteui". « Il n'y a point de tableau dans
l'histoire plus propre à dégoûter de toutes les grandeurs
humaines ! » s'écrie le Journal de Paris, qui dévoile l'anonyme.
« Ces Mémoires sont-ils véritablement du maréchal de Richelieu ?
C'est la question qu'on entend répéter sans cesse depuis la
publication de cet ouvrage. On y peut répondre affirmativement
et négativement à la fois. Le maréchal de Richelieu conservoit
dans ses portefeuilles de nombreux matériaux pour l'histoire
des évènemens dont il a été témoin, souvent très actif, pendant
soixante-dix années. Ilsconsistoienten renseignements et anec-
dotes écrits de sa main, et en une infinité de lettres, pièces
originales et autres manuscrits de toute espèce. Les Mémoires
qu'on vient de publier ont été rédigés en grande partie d'après
ces matériaux vraiment précieux ; mais, quoiqu'on l'y fasse
parler à la première personne, ce n'est pas lui qui les a rédigés.
(On sait qu'une telle besogne ne lui convenoit d'aucune façon}.
C'est M. l'abbé Giraud de Soulavie. qui a employé trois ans
XVI INtRODlICTlON.
daus sa bibliotlieque a faire le choix de tout ce qu'il a jugé
utile à cette entreprise. Il assure que le maréchal a exigé que
Touvrage portât son nom, et a voulu paroitre y prendre la
parole. « comme si, dit le rédacteur, il eût raconté lui-même
« les événements. — Il venoit, poursuit-il, dans sa biblio-
« thèque pendant mes travaux : il m'aidoit dans la recherche
« et le choix des matériaux ; il lioit les faits ; il me montroit
« leur dépendance ; il ajoutoit des anecdotes ; il faisoit des por-
« traits, et parloit des illustres morts comme s'ils eussent été
« vivants et en place ' . »
La rédaction du Moniteur fit aussi une réclame aux quatre
volumes ; ils sont longuement- analysés dans trois articles des
26 mai, 4 juin et 16 juin 1790 ; on reproduisait certaines pièces,
les plus fausses, mais les plus propres à exciter la curiosité d'un
public passionné. Cependant, quelque critique se mêlait à cette
approbation 2. Non point que l'authenticité des récits fut mise
un instant en doute, mais on reprochait à Soulavie de faire
débiter parle maréchal une suite décousue de passages emprun-
tés à toutes sortes de mémoires, et d'avoir mis si peu d'ordre
dans cet ensemble disparate, que la suite des faits, comme la
vraisemblance, disparaissait sous des détails parfaitement
étrangers au caractère du prétendu auteur, ou sous des disser-
tations et des prédictions faites à l'aise, un siècle après les
événements.
Du reste, Soulavie lui-même traitait ces questions dans une
préface qu'il est bon de signaler. Le premier volume des
t. Journal de Paris, \" semestro, 1790, p. 562. — Cette réclame
pompeuse se termine par une tirade de deux colonnes sur la
vieillesse de Louis XIV et de M«<= de Maintenon.
2. Il en est de même dans les articles consacrés aux Mémoires
par le Mercure, 17 et 24 avril 1790, p. 113, 135, 156. Le style en
particulier est jugé trop hâtif; mais : historia quoquo modo scripta
placet.
INTRODUCTION. XVll
Mémoires n'était précédé que d'une Dédicace au Peuple fran-
çais, et d'une longue et curieuse dissertation sur la Composi-
tion de Vhistoirc et des mémoires historiques ; mais la véritable
préface, celle que l'auteur disait être « nécessaire à l'intelli-
gence de son ouvrage », se trouvait en tête du quatrième
volume. C'est, ainsi qu'on peut facilement le constater, un
fascicule ajouté après l'impression, pour reproduire les princi-
paux arguments déjà présentés dans le Mercure ou dans les
colonnes du Journal de Paris. Soulavie y raconte comment il
fut introduit chez le maréchal de Richelieu, en qualité d'histo-
rien du règne de Louis XV ; comment le maréchal lui dit qu'on
ne pouvait écrire une histoire complète sans avoir consulté ses
portefeuilles, et, durant trois années, lui fit ouvrir avec la
plus grande libéralité sa bibliothèque. Plocques, qui était chargé
de ces manuscrits depuis vingt-cinq ans, assistait l'abbé dans
son travail, outre plusieurs copistes autorisés à transcrire une
partie des pièces. Jusqu'à son dernier jour, le maréchal sembla
s'intéresser vivement à l'ouvrage que promettait Soulavie ; il
lui rendait fréquemment visite dans la bibliothèque et lui
transmettait, en longues conversations, les souvenirs dont son
grand âge n'altérait encore ni le piquant ni la vivacité. Quant
an but, au plan et au ton du livre qui devait sortir de cette
collaboration, s'il faut en croire notre préface, tout cela avait
été scrupuleusement concerté entre Soulavie et son hôte.
« Je lui dis un jour qu'on ne croirait jamais a l'authenticité
de ces Mémoires, quand on compareroit ses principes person-
nels à ceux de ses Mémoires ; que mon but étoit de dévoiler
les déprédations ministérielles, les bassesses et l'avidité des
courtisans, l'indolence du feu Pioi, les ravages des intendants, la
mobilité du ministère, l'impudence des commissions, l'admi-
nistration et les travaux des conseillers d'état, des maîtres des
requêtes, et de tous ces ministres en sous-ordre qui faisoient
b
XVIII INTRODUCTION.
le malheur de la France. Je lui dis que l'histoire, approfondie
avec de tels principes, pourroit être utile, et que toutes ces
images contrasteroient singulièrement avec ce qu'on pensoit de
ses principes.
« M. le Maréchal me répondit qu'il avoit été lié toute sa vie
avec un grand écrivain qui avoit bien maltraité son grand-oncle.
Ce qu'il ajouta des ministres, des intendants, des maîtres des
requêtes, me parut si beau, si vrai, si piquant, que je me
trouvai encouragé, et je m'engageai à intituler l'ouvrage :
Mémoires DU Maréchal de Richelieu. « Parlez, me disoit-il,
« à la première personne, comme dans les Mémoires du
« maréchal de V'Ulars ; voyez comme il raconte naïvement, et
« dans le même ton, ses fautes et ses exploits. Il faudroit
« écrire de cette sorte. J'entends qu'il soit parlé de moi avec
« cette liberté dont on jouit à Londres cent ans après les évé-
« nements. »
Une seule restriction fut faite, et par Soulavie lui-même. Il
refusa de traiter les anecdotes galantes et tout ce qui ne tenait
pas aux affaires publiques ; ce fut M. de la B***, ancien cour-
tisan, ami intime du maréchal, qui se chargea d'écrire la Vie
privée.
Les faits ainsi établis, tels à peu près qu'ils avaient été pré-
sentés dès 1788, dans le Mercure, il fallait pourtant indiquer la
véritable origine des matériaux de ses quatre premiers volumes,
puisque la plus grande partie des faits quils contenaient
s'étaient passés bien avant M. de Richelieu, ou en dehors de
son action. Soulavie est donc amené à énumérer, comme pièces
à l'appui, tous les précieux Mémoires qu'il avait trouvés dans
les archives de certaines familles attachées depuis longtemps à
la cour ou mêlées aux affaires publiques : le Journal de Dangeau ;
les Mémoires du duc de Luynes, ou ceux de Saint-Simon ; les
manuscrits du président d'Ormesson et des frères Paris ; les
INTRODUCTION. XIX
recueils de M. de Meynières ou de M. de Brunville ; les
Mémoires du président Hénault, de M. de Breteuil ; enfin,
beaucoup de correspondances dont l'authenticité ne saurait être
suspectée. Mais, à côté de ces autorités excellentes, Soulavie
cite encore des pièces dont nous devons, jusqu'à nouvel ordre,
contester la valeur ou l'existence, mélange qui suffit pour jus-
tifier la condamnation de son œuvre. Dans cette seconde caté-
gorie il faut ranger les Mémoires de Massillon, soi-disant
écrits par le prélat et pour le roi Louis XV ; les Mémoires de
Maurcpas et le Recueil de pièces originales et d'anecdotes de son
premier ministère, en cinquante volumes, de 1715 à 1742, —
dont les archives des Maurepas n'ont gardé aucune trace et
dont la correspondance particulière du ministre ne parle point ;
enfin, deux manuscrits qu'il intitule :
I. Chronique scandaleuse et politique de la Régence et du règne
de Louis XV, par M. le Maréchal de Richelieu.
« La première partie, depuis 1715 jusqu'à la fin delà Régence,
est écrite de la main de M. le Maréchal, avec mille ratures de
sa main, qui prouvent qu'il est véritablement l'auteur de cet
ouvrage. »
IL Seconde partie, depuis le commencement du Ministère de
M. le Duc, jusqu'à la fin de celui de M. de Choiseul.
« C'est un recueil d'anecdotes ; c'est le récit de la cause
secrète de divers événements L'ouvrage est diffus, mal écrit,
mais curieux et piquant. Il semble avoir été fait pour amuser
le feu Roi dans sa vieillesse. Il est très différent d'un cahier que
M. le Maréchal eut l'honneur de remettre à Louis X"VI, et que
cet auguste monarque peut avoir encore dans sa bibliothèque. »
On verra ailleurs ce qu'étaient en réalité ces deux chroniques
et le cahier cité dans les dernières lignes de la note. Actuelle-
ment, il nous suffît d'indiquer le caractère de cette préface,
spécimen assez exact de l'ouvrage et de l'esprit dans lequel il
XX INTRODUCTION.
était écrit. Car ce fut à la même époque que Soulavie commença
à prendre rang parmi les révolutionnaires les plus exaltés. Ses
opinions pouvaient dater d'avant 1789 ; mais elles avaient fait
beaucoup de progrès depuis les temps où il écrivait son discours
sur VInfluence des mœurs et collaborait avec le duc de Luynes.
Lié intimement avec les membres les plus violents de la
Montagne (il se vanta plus tard d'avoir suggéré l'idée de la
république à Collotd'Herbois), il fut des premiers membres du
clergé à faire une adhésion solennelle aux principes nouveaux
et compta parmi les fondateurs de la Société des Amis de la
Constitution (les Jacobins). En juillet 1790, il donnait au
Moniteur deux articles violents, l'un contre le Roi, à qui il
contestait le droit de paix et de guerre ; l'autre contre le clergé,
en inventant sur le compte de labbé de Citeaux une odieuse
histoire de séquestration '. Quelques mois plus tard, il rompait
résolument avec les doctrines et les vœux ecclésiastiques, en
rédigeant et présentant à l'Assemblée nationale sa soumission
et celle de huit autres prêtres de Saint-Sulpice ^., puis en
faisant bénir parl'évêque Fauchetson union avec M"" Maynaud
(qu'il épousa trois autres fois). La Nation devait bientôt le
récompenser de tant d'apostasies.
Quatre mois après l'apparition des volumes de Soulavie, le
Journal de Paris ^, devenu l'organe ordinaire dune curieuse
concurrence, annonça que M. Sénac, maître des requêtes, ancien
intendant de Hainaut, établi à Londres , allait publier par souscrip-
tion des « Mémoires sur la vie du maréchal duc de Richelieu,
pour servir à l'histoire du xviii* siècle ; avec cette épigraphe :
Cum tempus posccret, laboriosus, patiens, liberalis, splendidus,
affabilis, blandus, temponbus callidissime interveniens ,
1. Moniteur, 1" et 4 juillet 1790.
?. Il l'inséra dans les Mémoires de Maurepas, t. Il, p. 206.
3. Supplément au n° du l'^ septembre 1790.
INTRODUCTION. XXI
amore, quoad licitum est, odiosa rrmlta délicate jocoseque
fecit '. »
Indiqué déjà dans la correspondance qui s'était échangée, en
1789, entre le duc de Richelieu et Soulavie, et présenté sous
les auspices de l'héritier du maréchal, ce nouveau livre se
recommandait du nom de l'auteur, qu'une publication récente,
d'un genre tout analogue, avait fait apprécier généralement.
Voici le prospectus qui suivait Tannonce.
« Les Mémoires qu'on donne au public ont été composés
d'après des lettres originales et des pièces authentiques confiées
à l'auteur par M. le duc de Richelieu, et contiennent tout ce
que la vie du maréchal de Richelieu oflre d'intéressant, etc. On
le présente dans des circonstances éclatantes de sa carrière poli-
tique, miUtaire, et dans les moments où la faveur l'a initié dans
la confidence des secrets mouvements de la cour et Ta mis à
portée de connaître les ressorts les plus déliés des intrigues, etc.
Des lettres particuUères remplissent les intervalles où il n'est
point en scène ; ces lettres et différens traits de ces Mémoires
servent à faire connoitre l'esprit et les mœurs d'un siècle, qui
sera peut-être, pour les temps les plus reculés, l'époque la
plus mémorable, etc. La vie d'un homme célèbre n'intéresse
souvent que ceux qui ont suivi la même carrière et n'olTre rien
qui puisse être instructif pour le philosophe et Thorame du
monde.
« Le Maréchal de RicheUeu est intéressant dans tous les
rapports ; il a vécu sous trois règnes, et sa vie. liée à la plu-
part des événemens de son temps, devient dans plusieurs
époques une histoire générale. L'homme de guerre y trouvera
des faits importants sur la plupart des campagnes, pendant la
durée d'un long règne. Le politique y verra des négociations et
des détails curieux sur deux cours et sur l'état de l'Europe à
\. Cornélius Nepos, sur Alcibiade.
XXII INTRODUCTION.
différentes époques. Le courtisan y découvrira les résolutions
qui ont déterminé les révolutions de la cour, le secret des
cabales ; enfin, les femmes liront avec intérêt différentes cir-
constances de la vie d'un homme que les agréments de la figure
et de l'esprit, sa manière séduisante et sa politesse ont rendu
longtemps cher à leur sexe, etc. Courtisan habile, homme
aimable dans la société, défenseur de Gênes, général, poh'tique,
ami constant de l'homme le plus célèbre de son siècle pour les
talents de l'esprit, — tels sont les traits qui caractérisent
Richelieu, que ses agréments, sa valeur, son esprit ont fait
justement nommer TAlcibiade françois. »
Lettre de M. le Duc de Richelieu
à M. Sénac.
« J'ai lu, Monsieur, la Préface des Mémoires de mon père,
que vous avez bien voulu me communiquer, et je vous en fais
mes remerciements. Vous ne devez pas être inquiet de ce que
quelques morceaux épars et isolés, tirés de ses portefeuilles
seront peut-être imprimés. Ils ne pourront jamais faire un
corps d'histoire et ne présenteront aucune liaison. Ces pièces
sont également entre vos mains, et vous avez toutes les dépêches,
tous les Mémoires de la main de mon père et toutes les lettres
originales. Enfin, Monsieur, on sait quelle est ma confiance en
vous, et celle de mon père l'avoit devancée. D'ailleurs, c'est le
style de l'écrivain, c'est l'enchaînement quil donnera aux choses,
la manière de présenter les faits, de peindre les personnages,
qui contribuera beaucoup au succès de l'ouvrage. Celui des
Mémoires d'Anne de Gonzague * est pour vous, comme pour
\. Les Mémoires d'Anne de Gonzague, composés par Sénac et
publiés en 1786, donnèrent lieu à beaucoup de discussions, et
I?<TRODUCTION . XXIII
moi, un excellent présage. Je vous en fais mes remerciements
et vous prie de ne pas douter du parfait attachement avec lequel
j'ai rhonneur d'être, etc.
" Le duc de Richelieu. »
Outre cette lettre et celle qui a été reproduite plus haut. p. xii,
nous avons, d'autre part, retrouvé la preuve que le hibliothé-
caire de M. de Richelieu avait, du mois de mars 1789 au mois
de septembre, envoyé successivement à M. Sénac tous les car-
tons qui contenaient les papiers du maréchal. Mais, bien peu de
temps après cette communication, qui. d'ailleurs, s'était faite
avec trop de rapidité pour qu'elle pût être fructueuse, l'ancien
intendant de Hainaut avait pris le parti d'émigrer en
Angleterre : soit que cet éloignement et les circonstances
qui survinrent l'empêchassent de mener à bonne fin le travail,
soit, comme l'annonça plus tard le Journal de Paris *, que la
souscription, ouverte à la fois à Paris, à Bordeaux, Lyon.
Marseille, Rouen, Strasbourg, Maëstricht et Londres, n'eût
pas produit un résultat satisfaisant, l'auteur, qui s'était
engagé à livrer l'ouvrage complet, en neuf volumes, le 15 mars
1791, donna avis, le 21 avril, que les souscriptions seraient
remboursées et la publication remise à un autre temps. On sait
la vie aventureuse que M. Sénac, comme tous ses compagnons
d'émigration, mena depuis lors ; d'Angleterre il passa en
Allemagne, de là en Russie, et il oublia complètement les
l'auteur, en tête de la seconde édition de 1789, avait répondu à
une partie principale des objections, non pas en cherchant à
prouver l'authenticité des Mémoires, mais au contraire en démon-
trant que leur mérite unique et réel était de ne rien renfermer
qui ne fût scrupuleusement exact et qui n'eût pu être écrit ou dit
par la princesse palatine (Voy. Journal de Paris, 1789, p. 527).
1. Supplément au 21 avril 1791.
XXIV INTRODUCTION.
Mémoires, dont il n'est resté d'autres traces que le prospec-
tus ^
Ainsi échoua cette tentative de concurrence où l'histoire pou-
vait gagner tout autant qu'elle était assurée de perdre entre les
mains de Soulavie. Celui-ci, du reste, ne semble point s'en être
inquiété autrement que pour mêler à ses réclames de librairie
quelques allusions politiques contre l'éditeur qu'on lui opposait;
la tentative de Sénac, ancienne créature du duc de Choiseul,
ne pouvait être qu'une manœuvre de l'Autriche -.
Au commencement du mois de décembre 1790, et sur le ton
que comportaient les circonstances, le Journal de Paris et le
Moniteur ' firent paraître l'annonce suivante :
« Collectioîi des Mémoires historiques relatifs au règne de
Louis XV, savoir : de Duclos, de Massillon, du Président
Hénault, Maurepas, d'Aiguillon, Torcy, d'Argenson, etc., etc.
1. On verra plus loin que les papiers de Sénac et les dossiers
Richelieu qu'il avait conservés revinrent en France sous l'Empire.
2. On trouve dans les Mémoires, t. VII, p. 189-190, cette note :
« La cour de Vienne, mieux connue, semble se tenir, en fé-
vrier {192, époque de l'envoi à l'impression de ce chapitre, en état
d'observation avec ses soixante mille hommes. Ce parti est très
actif et très pénétrant : il a des serviteurs zélés en France, et très
spirituels. C'est la crainte de la manifestation de ses allures, dont
le feu maréchal de Richelieu avoit conservé toutes les anecdotes,
qui suscita M. Sénac de Meilhan, la créature de Choiseul, pour
opposer aux mémoires que nous publions l'ouvrage qu'il méditoit
pour en empêcher la publication. Il a retiré son prospectus. Le
public a refusé de souscrire pour cet ouvrage de M. de Sénac,
parce qu'il attendoit de lui sans doute, non pas les Mémoires du
maréchal de Richelieu, mais les Mémoires de la maison d'Autriche.
M. Sénac est homme d'esprit ; il connoît à fond ce qui s'est passé
à l'hôtel de Choiseul pour la maison d'Autriche ; il fut employé
contre le duc d'Aiguillon ; mais, comme il est intéressé à traves-
tir l'histoire, et qu'elle ne peut être écrite par un intendant, aucun
parti, pas même celui de la cour, n'a paru curieux de ses Mémoires. »
3. Journal de Paris, suppl. du 5 décembre. — Moniteur, n» du
7 décembre.
INTRODUCTION. XXV
« Il paroît de cette collection sept livraisons, savoir : trois des
pièces curieuses du portefeuille du Maréchal de Richelieu,
deux de sa vie privée, le commencement des Mémoires du
Ministère du duc d'Aiguillon, le commencement des Mémoires
de Duclos, secrétaire perpétuel de l'Académie Françoise, qui a
laissé une histoire de Louis XV jusqu'en 1770. L'auteur des
Mémoires du maréchal de Richelieu, qui est Téditeur de ceux
de Duclos ^ y a ajouté des préfaces, des notes, des anecdotes
surtout fort curieuses et nécessaires à l'intelligence de Duclos,
qui commence à la mort de Louis XIV et finit en 1770 sans
lacunes ; ce qui doit prévenir le public contre toutes éditions
mutilées, capables de décevoir le public, comme dans les pré-
tendus Mémoires de Saint-Simon, publiés en sept volumes avec
mille lacunes, et que l'un de nous va publier en treize volumes,
chez Treutell. Les éditeurs de la Collection historique invitent
les curieux à vérifier leurs manuscrits originaux aux bureaux,
ruedeCondé La totalité formera vingt-cinq volumes, publiés
périodiquement, et dans l'espace de deux ans, afin de faciliter
l'acquisition et la lecture d'un ouvrage où Ion voit l'ancien
gouvernement préparer, par ses fautes ou ses folies, la révo-
lution de 1789
« Les Mémoires du premier ministère du comte de Maurepas
ont été écrits à Bourges sous ses yeux, par Salé, son commis
de confiance.
« CeuxdeMassillon. ouvrage classique dune beauté achevée,
ont été composés à la demande de Louis XV, curieux de
connoitre les événements de sa minorité.
« Ceux du Président Hénault, dans le goût des précédents,
développent les intrigues secrètes du ministère et de la magis-
trature.
1. J.-L. Soulavie, curé de Savent, est nommé en toutes lettres
dans l'annonce des 7« et 8* livraisons. (Suppl. du 31 décembre
1790).
XXVI INTRODUCTION.
« Dans les Mémoires du duc d'Aiguillon est un portrait bien
vrai de la Gourde France, à la mort du Roi et à Tavènementde
Louis XVI.
« Les Mémoires de Louis XV ont été composés sur ses
propres correspondances, sur des pièces qu'il avoit choisies et
sur les lettres des ministres, des favorites et des courtisans,
mais surtout sur les notes périodiques que la police envoyoit
au feu Roi, qui en fit dresser des journaux fort singuliers et
très piquants par leurs anecdotes. »
A deux exceptions près, la Vie privée du maréchal de
Richelieu et un fascicule de Lettres du cardinal et de M"^^ de
Tencin, dont nous parlerons en leur lieu ', Soulavie doit être
considéré comme le seul éditeur, on pourrait dire le seul auteur,
de cette collection, qui s'éleva rapidement au chiffre de vingt-un
volumes, et dont les nombreuses éditions durent êtred'un beau
profit 2. On sait ce qu'ils valaient comme authenticité, et
jusqu'à quel point nous devons accorder à Soulavie la recon-
naissance qu'il prétendait mériter pourtant de volumes publiés
avec « tant de peines, de soins et de frais ^ ». Les Mémoires
dît ministère du duc d'Aiguillon sont apocryphes, et il n'est
guère probable que la rédaction en ait été faite, comme le pré-
1. Encore ce fascicule est-il souvent attriliué à Soulavie,
notamment par le Catalogue de la Bibl. nat. (II, 325).
2. En 1790, la séparation paraît s'être faiteentre l'éditeur Buisson
et Soulavie. Celui-ci fait paraître la suite des Mémoires rue deCondé,
n" 7, tandis que Buisson fait les publications de ses concurrents :
Mémoires deDuclos, Vie privée, etc. Mais en 1792, Buisson semble
avoir repris la suite des affaires du bureau de la rue de Condé.
C'est lui qui publie les troisièmes éditions des Mémoires de
M. d'Aiguillon et de ceux de Maurcpas,
3. Préface des Pièces inédites. — « A part les Mémoires de
MM. de Ségur, de Besenval et de Marmontel, c'est à moi, dit
Soulavie, qu'on doit tout ce que les hommes d'État du xvm« siècle
ont laissé de souvenirs. »
INTRODUCTION. XXVII
tend Soulavie, par Mirabeau et sur les pièces fournies par le
maréchal de Richelieu '. Apocryphes aussi les Mémoires de
M. de Maurepas ^, qui eurent, ainsi queceuxde M. d'Aiguillon,
i. L'article que le Journal de Paris du 6 août 1792 consacre à
ces Mémoires n'est pas favorable. Ce livre, dit-il, contient des
pièces importantes et des particularités que M. d'Aiguillon seul
a pu faire connaître ; mais c'est « un ouvrage de parti », comme
les Mémoires du duc de Ohoiseul, et l'on voit clairement que l'au-
teur y a constamment un seul but, celui d'écraser la personnalité
de ce dernier ministre sous les accusations les plus invraisem-
blables, au profit de M. d'Aiguillon. « En lisant ces Mémoires,
(ceu.x de M. de Choiseul et ceux de M. d'Aiguillon), l'on sent
qu'on ne pourroit juger ces deux rivaux que sur le témoignage
motivé d'un homme impartial et instruit qui auroit suivi leurs
intrigues et leurs opérations sans y participer. » — La Harpe
avait rendu compte de cette publication dans le Mercure du 28 avril
précédent, et, quoiqu'il se déclarât indifterent à la personnalité
de Soulavie, il laissait voir tant de partialité contre M. de Choiseul,
qu'un ami de ce ministre releva ces tendances dans le Journal de
Paris (suppl. du 18 mai 1792, n° 71), réfutant, entre autres asser-
tions, celle qui attribuait le traité de Vienne à M. de Choiseul.
La Harpe avait étudié spécialement cette question et publié, peu
de mois auparavant, dans le Mercure, un article sur ce traité,
œuvre de M"^ de Pompadour et de Bernis. Le critique avait tout
au moins le tort de proclamer son désintéressement à l'égard de
M. de Choiseul, après avoir été son protégé et avoir même reconnu
ses bontés dans plusieurs dédicaces. La Harpe répondit (n° 73,
supplément) que, loin de se joindre aux accusations calomnieuses
dont M. de Choiseul avait été l'objet, il s'était empressé, à l'appa-
rition des Mémoires de Choiseul, de rendre justice aux mérites du
ministre, et que la famille lui en avait transmis ses remercie-
ments par l'abbé Barthélémy.
2. Voici dans quels termes la Harpe, dans le Mercure du 23 juin
1792, p. 89, apprécie ces prétendus Mémoires : « îl n'est pas à
craindre que l'on conteste au comte de Maurepas ses Mémoires :
ils sont écrits avec une telle négligence et en si mauvais langage,
qu'il n'y a personne qui ait pu les faire. . . » — Dans trois autres
articles (30 juin, 7 et i4 juillet), tout en admettant l'origine et en
faisant ressortir l'importance de l'ouvrage, il le traite avec sévé-
rité de « bigarrure grotesque » : quant à l'auteur, il le qualifie
XXVIIl INTRODUCTION.
trois éditions en deux ans. Apocryphes encore les Mémoires de
M'^^ de Pompadour (en l'an X}, soi-disant sortis du portefeuille
de la maréchale d'Estrées, et récemment réimprimés. Si les
Mémoires de Duclos étaient authentiques, il fut prouvé, immé-
diatement après l'annonce des premières livraisons, et par un
d' « abbé renégat qui crache sur la religion, .. .obscur et inepte
compilateur, qui ne peut rien être dans les lettres. » — En réa-
lité, rien de plus vide et de plus pitoyable que ces Mémoires ; tout
y est de seconde main et fort douteux, sauf quelques pièces sans
importance soustraites aux archives administratives du ministre.
Quant aux anecdotes qu'il contient, elles proviennent presque toutes
d'un manuscrit composé vers 1732 et signalé parMonmerqué, qui le
possédait dans sa bibliothèque. — Comme pour les précédentes
publications de Soulavie, les démentis ne tardèrent pas. Le 4 août
1792, le Mercure français reçut la lettre qui suit, publiée dans le
numéro du 31 août, p. 84 : « Étant assurée, Monsieur, que feu
M. de Maurepas n'a jamais écrit aucun mémoire des événements
qui se sont passés pendant son ministère, et qu'il n'a recueilli ni
fait recueillir aucune note par ses secrétaires, ce que les personnes
qui vivaient habituellement avec lui certifieraient comme moi, je
désavoue les Mémoires qui paraissent sous son nom, comme ne
lui appartenant point. Je vous prie, etc. La Vrillière de Maurepas. »
— Suivant son habitude, Soulavie se défendit insolemment :
« Réponse du propriétaire des Mémoires de Maurepas à i)/™^ de
Maurepas, sur sa réclamation insérée dans h n" 36 du Mercure
Français, 1792. La maison de Choiseul a désavoué, il y a trois ans,
les Mémoires que le duc de Choiseul avait lui-même fait imprimer
à Chanteloup. Le feu duc de Richelieu désavouait aussi les
Mémoires qui portent le nom de son père (après avoir fourni lui-
même une partie des matériaux) ; c'est qu'il voulait en faire com-
poser à sa manière et dans son sens. Quel fut l'effet de ces désa-
veux ? Ils excitèrent la curiosité du public.
« Il était de même dans l'ordre que M™« de Maurepas désavouât
ceux de son mari, écrits durant son exil par Salé, son secrétaire
et son ami. Je réponds à ce désaveu en déposant chez le citoyen
Buisson, libraire, rue Hautefeuille, n" 20, le tome P'' du manu-
s crit original dont il s'agit ; je déclare que je le tiens de M. de
Laborde, du Carrousel, et que je l'ai conféré avec un autre
manuscrit. Les rois et les grands n'aiment pas qu'on dise la
INTRODUCTION. XXIX
éditeur concurrent, que Soulavie en altérait complètement le
texte. Ce fut l'objet d'une polémique ', dans laquelle « lillustre
curé de Sevent » se défendit fort mal de l'accusation de « bri-
vérité ; leur intérêt est de n'en montrer que ce qu'ils veulent,
comme ils le veulent et quand ils le veulent : le temps des hon-
teuses révélations est arrivé.
« Nous profitons de cette occasion pour assurer que nous n'avons
rien ajouté ni retranché aux Mémoires de Massillon, et Aiguillon, de
Duclos, etc., publiés chez Buisson. Nous en avons remis un exem-
plaire à la Bibliothèque Nationale, à Paris, rue de Richelieu, avec
un fragment du manuscrit original à côté de l'imprimé, pour
prouver l'authenticité de ces précieux matériaux, qui ont contri-
bué à l'avilissement de la Royauté et de l'Aristocratie. J.-L.
Soulavie, éditeur des Mémoires de Maiirepas. » {Mercure français,
"27 octobre 1792, p. 107). — La 3« édition fut ainsi annoncée dans
le numéro du Journal de Paris du 18 juin 1792 :« plus
correcte que les précédentes, où les pièces du temps étaient défi-
gurées de la manière la plus étrange on l'a augmenté d'un
quatrième volume qui doit paraître sous peu de jours et que ceux
qui ont les premières éditions pourront acquérir séparément
Ce qu'on a toujours reproché au comte de Maurepas est la légè-
reté dont il faisoit profession au milieu des plus graves affaires.
On imagine aisément qu'il n'a pas mis plus d'importance à ses
Mémoires, qui ne concernent que ses premiers temps et qui ont
été rédigés par M. Salé son secrétaire. Ce sont moins des mémoires
en règle que des notes rédigées sans scrupule et sans soin. Il faut
donc les lire avec précaution. >♦
1. 'Voy. Journal de Paris, 9 décembre 1790 ; Mercure de France,
i\ et 25 décembre, et un article inséré à la fin de la première
édition de la Vie Privée. — Chamfort (article du H décembre)
avait affirmé l'authenticité des deux volumes de Mémoires secrets
de Duclos parus chez Buisson, et Buisson lui-même avait sommé
Soulavie de déposer son manuscrit chez un notaire pour l'y comparer
avec le manuscrit corrigé et annoté par Duclos. Les éditeurs de la
Collection des Mémoires répliquèrent que leur première livraison était
parue depuis le .30 novembre et leur manuscrit déposé depuis quatre
mois aux bureaux de la rue de Condé ; ils indiquaient en même
temps des lacunes considérables dans l'édition de Buisson, « qui
n'est que lambeaux. . . Nous ne répondrons pas aux injures que
XXX INTRODUCTION.
gandage littéraire » qu'on lui jeta à la face. Il ne put terminer
la publication *.
Quant aux Mémoires de la minorité de Louis XV, par J.-B.
Massillon, évêque de Clermont, — qui parurent en 1792 ^, ils
n'étaient écrits que pour faire de l'illustre prélat un des précur-
seurs et des facteurs de la Révolution. Alors même que leur
fausseté ne serait pas prouvée, les notes dont Soulavie les a
agrémentés (quelques-unes sont curieuses) suffiraient pour
trahir l'auteur ^. Marie-Joseph de Chénier {Tableau delà litté-
rature française depuis 1189, p. 192) a montré à quel point le
délit était flagrant. Mais, ajoutait-il, « ce qui est regrettable,
c'est qu'un public aussi nombreux n'y regarde pas de si près,
Buisson se permet contre M. Soulavie, l'un de nous ; il nous
sufQt d'avoir prouvé au public l'authenticité de notre manuscrit ».
— Le concurrentde Soulavie était Sautereau de Marsy ; son édition
est estimée : \e Journal de Paris en fit l'annonce, le 14 juin 1791,
sous le titre de Mémoires secrets sur les règnes de Louis XIV et de
Louis XV, par feu M. Duclos. — M. le Mandon {De la valeur des
mémoires secrets de Duclos, 1(S72) a prouvé que, à part les digres-
sions philosophiques et vingt i)ages du récit, ces prétendus
Mémoires ne sont que la transcription de Saint-Simon, de même
que Y Histoire de Louis XI n'est qu'un emprunt aux portefeuilles de
l'abbé Legrand. — En même temps que les Mémoires secrets,
paraissent les Caractères et anecdotes de la Cour de Suède ; et en
janvier 1791, Buisson publia les OEnvres de Law (l^"" in-8°) que
Barbier et les autres bibliographes attribuent au général de
Sénovert.
1. En 1810, il réclamait encore les cinq dernières livraisons
qu'il avait emportées à Genève, lorsqu'il y avait été nommé rési-
dent, et qui avaient été enlevées lors de la saisie de ses effets.
2. Voy. l'article du Journal de Paris, 13 juin 1792 : ce livre est
« un des plus précieux qui aient paru depuis quelques années sous
le titre de Mémoires..., en le lisant, on croit à son authenticité». —
Le Mercure, 2 juin, p. 21-36, feint d'accepter l'authenticité, et part
de là pour sabrer l'éditeur et sa préface.
3. Voir particuli'rement, dans les Remarques préliminaires de
ce livre, un passage sur les Bibliothèques.
INTRODUCTION. XXXI
et que les simples se laissent iromper. Tous les jours, les pré-
tendus Mémoires de Massillon sont cités avec complaisance, et
dans les journaux et même dans les livres ^ Ainsi, des faits
hasardés, des opinions plus hasardées encore se fortifient d'une
autorité qui n'existe pas ; et si, faute de réclamations suffi-
santes, l'ouvrage est une fois admis comme authentique, il finit
par compromettre le nom même dont on a dérobé l'appui. La
gloire des grands écrivains fait une partie essentielle de la gloire
nationale, et doit être défendue contre toute espèce d'outrages.
Les calomnies volontaires et dire€tes ne sauraient leur nuire :
beaucoup d'exemples le démontrent. C'est sans le vouloir, mais
plus sûrement, qu'un entrepreneur les calomnie, en leur Impu-
tant ses ouvrages -. »
Concurremment avec cette collection, grâce à une activité de
production qu'on devrait admirer, si elle avait réellement ser\i
la cause de l'histoire, Soulavie reprit son travail des Mémoires
de Richelieu. Un cinquième volume fut annoncé par \e Moniteur,
le 14 janvier 1791, et par le Journal, le 23 du même mois ^ ;
1. AinsiÉd. Fournier (L'Esprit dans l'histoire, t. II, p. 302)accep-
tait encore l'authenticité des Mémoires.
2. Ailleurs (p. 198) : « Les Mémoires du duc de Choiseul, ceux
du duc d'Aiguillon, ceux du comte de Maurepas, sont des spécu-
lations de librairie, plutôt que des monuments historiques ; ils
n'ont rien d'intéressant que leur titre, et rien n'y mérite l'atten-
tion, si ce n'est quelques lettres, quelques pièces déjà connues
depuis longtemps. — D'après une note de Soulavie {Mémoires de
Richelieu, t. IX, p. 357 à 359), Cliénier, ce « poetereau journaliste,
cette espèce d'académicien ><, aurait publié dans un journal de
1792 l'article que nous venons de citer et qui fut plus tard repro-
duit dans le Tableau de la littérature.
3. Comme ce volume est introuvable il est bon de reproduire
l'annonce insérée au Journal de Paris, v3 janvier 1791, supplé-
ment, p. ix: « Suite des nxémoires du maréchal de Richelieu, écrits
sous ses yeux parJ.-L. Soulavie. — A Pari-, rue de Condé, n° 7, et
franc de port dans tout le royaume, en remettant aux directeurs
XXXII INTRODUCTION.
dix jours après ce dernier avis, la même feuille enregistrait
l'apparition d'une Vie privée du maréchal de Richelieu, non
point la Vie que devaient donner les éditeurs de la Collection
des Mémoires historiques, mais celle qu'un auteur rival, plus
prompt et plus avisé, publiait chez Buisson, l'ancien éditeur de
Soulavie * . Aussitôt celui-ci protesta ; les termes de sa récla-
mation, adressée soi-disant au duc de Richelieu le 25 janvier,
mais publiée seulement par le Moniteur, le 20 février, c'est-à-
dire seize jours après la mort du duc, et en toute sécurité,
doivent être étudiés avec attention. Voici ce texte :
« Monsieur,
« A la mort de M. votre père, je vous offris généreusement
tout ce que j'avais de lui. Au lieu d'accepter, vous désirâtes
que je continuasse mon ouvrage ; vous m'appelâtes de Caen
pour le hâter ; et parce qu'il s'y trouvait, disiez-vous, des véri-
de la poste 5 livres pour les quatre livraisons du 5« volume (de
400 pages), avec l'adresse bien écrite et la lettre d'avis aftVanchie.
On est assuré par là de l'édition originale, et de recevoir gratis,
en s'adressant au bureau, les sept chapitres avec les cartes que
les contrefacteurs ont enlevées de nos Mémoires, ce qui leur per-
met de les vendre à vil prix dans les provinces. » Ce volume est
introuvable, disons-nous ; et pourtant il est certain qu'il a existé,
puisque, dans le tome VI«, qui ne parut qu'en 1793, avec la fin
des Mémoires, Soulavie lui-même fait un renvoi aux pages 103,
108, etc., de \ai première (dition du tome V«, et que ce renvoi ne
concorde pas avec le seul tome "V' que nous ayons, qui est daté
de 1792. Voy. tome VI, p. 53.
1. Vie privée du maréchal de Richelieu, contenant ses amours et
intrigues, et tout ce qui a rapport aux divers rôles qu'a joués cet
homme célèbre pendant plus de 80 ans. — 3 vol. in-S", formant
1400 pages, imprimées sur caractères de M. Didot. A Paris, chez
Buisson, libraire, rue Hautefeuille, n" 20 {Journal de Paris,
3 février 1791, p. 140). — Le Moniteur (15 mars, 3 et 23 avril
1791) donna trois très longs articles, qui ne renferment d'ailleurs
aucune allusion à l'auteur du livre, ou à l'origine des documents.
I>TR0DLCT10.\. XXXlil
tés fort déplaisantes a la cour, vous publiâtes dans les papiers
publics que vous en aviez chargé M. Sénac, sans vous arrêter
par l'idée qu'on recherche fort les mémoires désavoués, et quon
na jamais aimé les histoires de commande. Il parait à présent,
Monsieur, une prétendue Vie de ^I. votre père, en trois volumes,
chez M. Buisson, libraire ; la vérité y est bien étrangement
déflgurée ; les lecteurs avouent déjà que ce nest qu'un plagiat
désordonné de mes quatre volumes, rempli jusqu'en 1788 d'anec-
dotes souvent fausses, et fournies par quelques valets bien
mécontents. J y trouve. Monsieur. «tY't- mes apostilles, les lettres
originales que je vous ai rendues, en retirant un récépissé en
1789, et qui ne devraient pas s'y trouver ; car, tenant ces pièces
de M. le maréchal, vous les ayant offertes, et engagé par vous
à continuer mes travaux, vous avez sanctionné ma propriété.
Et parce que le pubhc, à cause de votre désaveu, à cause de
M. Sénac, à cause de cette Vie privée., peut être trompé, et
quil n'entre point dans mes principes de le tromper, mais,
dans mes devoirs d'historien de dévoiler ceux qui le trompent,
je me vois obligé, après tous les égards respectueux que jai
eus pour vous, de publier deux de vos lettres, en attendant les
autres. Vous dites dans une : « Vous pouvez aller, .Alonsieur,
quand il vous plaira, a la bibliothèque pour continuer votre
travail ; vous y trouverez mou secrétaire qui vous donnera
communication de ce que vous désirez. Je ne doute pas qu'il
ne sorte de votre plume des choses intéressantes, etc. « —Vous
dites dans une autre, lorsque je vous demandais des détails sur
les affaires étrangères : « Si .AI. Montmorin me parle de vos tia-
vaux. je me ferai un devoir de rendre justice à la vérité, puisque
j'ai appris que vous aviez eu effectivement connaissance des
manuscrits de mon père, etc. >> — Au reste, malgré M. Sénac,
malgré sa Vie privée, malgré l'avidité de la librairie, je publierai
bientôt et en totalité, sous le même titre de Mémoires de
XXXIV INTRODUCTION .
Richelieu, l'histoire scandaleuse d'un gouveraement que ses
excès et ses folies ont conduit à la révolution de 1789, avec les
pièces justificatives en tête de tout ce qu'on a fait pour en
empêcher la publication. Je ne sais pas écrire l'histoire autre-
ment. Enfin, Monsieur, vous m'opposez M. Sénac, comme un
inconnu a opposé aux Mémoires de Duclos, qu'on vend rue de
Condé, n** 7, deux volumes de brouillon ou des fragments de
Duclos, édition anonyme et si désordonnée que le libraire est
réduit à pnjner complet le livre même où M. Duclos affecte de
citer, page 140, tome 2, des articles délicats que l'éditeur ano-
nyme en a enlevés. »
Pour ce qui concerne les documents publiés dans la Vie
privée, on a déjà vu Soulavie lui-même en raconter la destina-
tion spéciale et la prise de possession par B. de la Borde. Si la
mort du duc de Richelieu et l'absence de M. de Chinon son fils,
n'étaient venues à point nommé pour laisser le champ libre à
toutes les allégations les plus fantaisistes, Soulavie eût-il osé
oublier ces détails et attribuer la paternité du nouveau livre à
M. Sénac, qu'il savait chargé d'un travail tout différent, et qui
d'ailleurs, nous l'avons déjà dit, ne fit jamais paraître qu'un
prospectus ? Nous aurons lieu ailleurs d'étudier l'origine et la
composition de la Vie privée ; mais ici il fallait relever au pas-
sage cet épisode de la publication des J/éwoirc^, et constater une
fois de plus quels moyens Soulavie employait pour rendre un
semblant d'authenticité à son ouvrage, et pour s'assurer de par
lui-même le monopole de la vérité.
Avant que la fin des Mémoires de Richelieu * fût livrée au
1. Avant de terminer la publication des Mémoires de Richelieu,
Buisson fit une réédition dans lo format in-12, de la Vie privée,
avec des corrections et des augmentations. L'ouvrage avait eu
« une vogue prodigieuse » et l'honneur de plusieurs contrefaçons.
Une de ces contrefaçons, imprimée à Liège en 1790, mais annon-
INTRODUCTION. XXXV
public, les événements de 1792 ' s'étaient écoulés. Ce fut
seulement au mois de janvier 1793, que Soulavie donna les
derniers volumes, et cette date doit être précisément constatée
parce qu'elle permet d établir comment il se procura certains
documents relatifs à Louis XV et à son ministère secret, qui
cée par le Journal de Paris comme seconde édition, avait amené
une protestation indignée de Soulavie et de son ex-propriétaire
Buisson (Supplément au Journal, 12 juin 1792). Le Journal de
Pans, qui n'en avait pas plus parlé, en 1791, que de l'édition des
Mémoires de Saint-Simon, rendit compte de cette seconde édition
dans le numéro du 8 juin 1792. L'article voit avec faveur que les
auteurs aient rendu justice au maréchal dans tout ce qu'il avait
fait de louable, avec une impartialité que n'ont pu altérer les
instructions particulières mises entre leurs mains. Il est plus
difficile, ajoute le critique, de prouver s'ils ont dit vrai sur le
chapitre des amours, mais du moins il paraît évident que leurs
renseignements sont très précis et très exacts sur les trente der-
nières années de la vie du maréchal. Après avoir signalé certain."?
passages importants, tels que le récit de la liaison avec M°'« de
Châteauroux, du siège de Port-Mahon. de l'affaire de M"-*- de
Saint-Tincent, l'article ajoute :
« Ce qu'il y a peut-être de plus précieux dans cette Vie privée,
ce sont les pièces justificatives placées à la fin de chaque volume
et dont personne ne conteste l'authenticité. Elles consistent dans
les lettres du maréchal de Richelieu, de Louis XY, de M™e de
Châteauroux, de M°>e de Pompadour, de MM-»" de Laura^ruais
de Tencin et du Châtelet, etc. n ^
1. S'il faut en croire Soulavie {Mémoires de Louis XVI. t. YI). il
aurait joué un certain rôle dans ces événements. C'est ainsi que
son compatriote Chambonas, le ministre des affaires étrangères.
aurait voulu se servir de lui pour gagner à prix dor Brissot et
suspendre l'exécution du plan de déchéance ; l'ex-abbé refusa, et
ce fut Lacroix qui conclut l'affaire. SouIa^•ie prétend encore avoir
presque forcé Collot d'Herbois, au refus de plusieurs autres dépu-
tes, a réclamer la république, cette idée lui aurait été suggérée
par une conversation avec M. de Montmorin. un jour que ce
ministre était traduit devant le comité de surveillance aux Feuil-
lants, où l'abbé continuait le dépouillement des papiers d'État. —
— Il est à peine besoin de rappeler que les faits ne se passèrent
point du tout comme le raconte Soulavie : sur la séance où la
XX.\ VJ JMKODLCTIO.N .
forment les chapitres xxii et xxiv du tome IX. La divulga-
tion des papiers de ce ministère secret, que maintenant on
connaît à fond grâce au précieux travail de M. Boutaric, mais
dont l'existence et l'action avaient toujours été dissimulées soi-
gneusement, cette divulgation, si informe qu'elle fût, ne pou-
vait passer inaperçue, et Soulavie fut accusé d'avoir acquis ces
papiers à la suite du sac des Tuileries. Voici comment il sen
défendait, beaucoup plus tard, en 1809 ' :
« La publication de ces Mémoires originaux (Duclos,
Massillon, !Maurepas, Saint-Simon. Pompadour, d'Aiguillon)
et celle des Mémoires de Richelieu a pris dans les papiers publics
de 1789 et 1790, et surtout dans le Moniteur du 7 décembre
1790, des dates certaines auxquelles je suis forcé d'avoir
recours. D'un autre côté, les Mémoires de Richelieu citent les
documents de la correspondance secrète de Louis XV, comme
pièces justificatives d'où proviennent diverses anecdotes relatées
dans cet ouvrage. Je constate donc que ces papiers étoient
notoirement ma propriété dans le temps que je composois les
ouvrages où ils sont cités. Et, me croyant obligé de me présen-
ter irréprochable sur la possession des papiers du secret du roi
et des mémoires historiques de son règne dont je réclame le
l'etour, je cite toutes les dates authentiques qui constatent la
jouissance paisible de mes collections historiques et diploma-
tiques en 1789 et 1790. Je détruis, par les journaux de 1790,
les diffamations des journaux de l'an III, qui répandoient que ces
documents provenoient des dévastations du 10 août. Je démontre
({ue mes études historiques dans les papiers de Louis XVÏ
n'ont pu me procurer en 1792 des documents politiques et
historiques, cités, possédés ou publiés en 1790 »
royauté fut abolie (ou ne parla pas de République), il faut voir le
récit d'Edmond Biré, Journal d'un bourgeois de Paris fendant la
Terreur, p. 20.
1 . Serond Mémoire à l'Empereur.
I.NTRODLCTIO.N. XXXVll
La démonstration de Soulavie pèche en ce premier point :
que les volumes de 1789-90 dont il invoque le témoignage ne
contiennent et ne peuvent contenir la moindre allusion au
ministère secret installé sous l'inspirationde M'"* de Chàteauroux
et du duc de Richelieu, vers 1743. Si. au contraire, le tome IX
des Mémoires contient deux chapitres sur ce ministère, c'est que
le volume a été rédigé, ainsi que le tome VIII, après le 18 août
1792 ; que l'achevé d'imprimer est daté du 18 décembre 179?.
et que toute cette dernière partie de l'ouvrage parut seulement
à la fin de janvier 1793 '. Mais du reste Soulavie lui-même
ne songea alors quà faire bruit de la communication qu'il avai!
obtenue ^ du Comité de surveillance. Il annonra, dans le même
1 . Il convient d'observer qu'on trouve deux éditions des tomes V
a Vni, l'une datée de 1792, l'autre de 1793, avec la mt-me fin
d'impression pour l'une et pour l'autre : 18 décembre 1792. Entre
les volumes de 1792 et ceux de 1793, il n'y a, outre la date, d'autre
diflFérence que le titre. Le tome V, déjà imprimé en 1791, est qua-
lifié, en 92 : « seconde édition », et en 93 : •< seconde édition,
avec des corrections considérables et des augmentations. » — Le
tome Yin de 1792 porte en tète un prospectus : « Dernière livrai-
son des Mémoires du maréchal de Richelieu », que Soulavie ter-
mine en énumérant tous les Mémoires authentiques, mais ceux-là
seulement, dont il s'est servi : Torcy, Luynes, Breteuil, Asfeld,
Dangeau ; lettres de MM™«* de Chàteauroux, de Tencin, d'Egmont.
et de Maintenon ; de MM. de Yillars, Silly, d'Armenonville,
d'Argenson, Belle-Isle, Polignac, Bernis, et des envoyés secrets
de la cour de France à Rome, Vienne, Madrid, Londres et Turin.
Dans les deux semblants d'édition que nous venons de signaler,
le tome IX porte la même date de 1793 et le même « achevé
d'imprimer ». Quant à l'époque de la rédaction, ou du remanie-
ment du texte (car il ne faut pas oublier que le fond de l'ouvrage
est toujours un travail préparé beaucoup plus anciennement et
accru par des additions successives), elle est prouvée par certaines
citations telles que : M. de Machardt « vivant en juillet 1792 ».
(T. VUI. p. 27.Û.)
2. Sous la forme d'une conversation avec Chabot, son ami
d'enfance. Soulavie a raconté dans la préface des Mémoires de
XXXVIII INTRODUCTION.
tome IX (p. 437 et 438), qu'il avait en main les papiers saisis
dans le cabinet du roi, et qu'il s'occuperait sans retard de
l'impression des Mémoires du règne de Louis XVI ; il répéta
encore la même chose dans la préface des Mémoires, lorsqu'ils
Louis XVI, comment il parvint à obtenir communication des papiers
secrets remis au comité de surveillance par les vainqueurs du
10 août 1792. Fauchet, Rovère et Bazire y consentaient déjà.
Mais Chabot craignait que son collègue renégat ne fit « comme
ce membre du comité pleurant comme une bête sur une lettre
d'Elisabeth à son frère Capet ». Cependant il se fia au patriotisme
du « bonhomme •», et le comité laissa Soulavie copier, analyser
et faire des extraits, mais à condition qu'il mettrait à la fin du
t. IX des Mémoires de Richelieu, alors en cours d'impression,
un erratum justifiant la qualité d'/ui?nifïp homme donnée par lui à
Louis XVI.
Soulavie put continuer son travail non seulement au Comité,
mais aux Tuileries même et à Versailles. En 1793, il fut chargé,
avec Verninac, comme commissaires du pouvoir exécutif, de faire
des recherches au château de Versailles, « pour des travaux rela-
tifs aux missions diplomatiques qui leur étaient confiées », et ce
furent eux qui, assistés des administrateurs du département de
Seine-et-Oise, découvrirent et transmirent à la Convention les
trois Livres rouges qui contenaient l'enregistrement des dépenses
secrètes de Louis XV et de Louis XVI.
On sait qu'une partie seulement du dernier de ces trois volumes
avait été publiée antérieurement par l'Assemblée nationale. Les
premières feuilles, relatives au règne de Louis XV, avaient été
dissimulées par Necker, et les deux volumes qui se rapportaient
aux années 1750 et suivantes, furent découverts dans le courant
du mois de lévrier, et Soulavie en donna avis le 24 mars suivant,
dans le Journal de Paris (p. 358). Veut-on un échantillon du style
patriotique qu'il aimait à déployer en ces occasions ? « Ils revien-
dront, dit-il en terminant, les âges de docilité publique, malgré
Pitt, malgré le Vatican, malgré les inquisiteurs espagnols, mal-
gré même la politique autrichienne ; mais ils reviendront au
profit de la république, et nous verrons en France les beaux siècles
des Suisses et des Américains. Encore peut-être quelques revers,
encore quelques combats contre la royauté, contre l'hypocrisie
sacerdotale, contre l'esprit et les mœurs aristocratiques, contre
INTRODUCTION. XXXIX
parurent, en 1801 ^ On sait aussi qu'il composa, « en partie sur
les papiers du roi apportés, après le 10 août, au comité de sur-
veillance » une Histoire de la Révolution française, depuis la
seconde assemblée des notables jusqu'en Van IX, qui est restée
manuscrite. Au cours du même Mémoire à l'Empereur que
nous avons déjà cité, il nous apprend qu'il fut aidé dans ses
découvertes et ses acquisitions par certains savants de l'Aca-
démie des Inscriptions, dont il avait été membre correspondant,
Joly, Capperonnier, Van-Praet, Araeilhon, etc., qui eurent
l'honneur de soustraire au vandalisme révolutionnaire une
partie des monuments précieux de notre histoire publique ou
privée.
Ainsi, malgré ces dénégations datées d'un temps où les cir-
constances avaient changé et où le jacobin de 1793 était devenu
l'ambition personnelle, contre les restes enfin de nos anciennes
mœurs monarchiques. Quand le vice sera exterminé, la Répu-
blique et ses vertus seront la récompense de nos combats. »
Soulavie fut probablement chargé par la Convention de publier
immédiatement les trois registres : du moins il est le premier
signataire, et bien certainement le rédacteur du discours placé en
tète du volume.
1. Voici des faits relatés par Soulavie lui-même {Second inémoire,
p. 5), qui ne peuvent s'appliquer qu'aux papiers en question.
« J'adressai, dit-il, au conseil exécutif provisoire, après le 10 août,
le résultat de la doctrine du ministère secret sur chaque puissance
européenne, applicable à ce moment-là ; — au comité de salut
public, le même travail, avec le plan de l'organisation d"une cor-
respondance secrète, pour l'opposer aux projets de Pilnitz, que
ce comité demanda ; — au chef d'une grande puissance, par
ordre particulier d'un comité, et par la voie du président d'une
académie qui avoit des communications immédiates avec lui,
l'avis que, le jour de sa déclaration de guerre à la France, on
répondroit par la publication des dépêches diplomatiques relatives
aux trois époques importantes de son règne. Le premier rapport
au Comité de salut public fut imprimé à un très petit nombre
d'exemplaires, sous le titre de : Tableau des alliances naturelles et
convenables à la république de France dans les conjonctures actuelles.
M, INTRODUCTION.
inipérialislo et solliciteur, il nest pas douteux que ses relations
avec les principaux membres du gouvernement révolutionnaire
lui permirent d'accaparer pour son usage personnel une partie
des papiers pillés aux Tuileries et d'en utiliser quelques docu-
ments pour les M'-moires de Richelieu, qu'il terminait à la même
époque, ou pour les publications qui suivirent '. Quant à avoir
acquis ces archives, antérieurement à la Révolution, des
« officiers du prince de Conti ». le chef du ministère secret,
ceci est inadmissible, et il ne paraît pas plus probable, partout
ce que Ton connaît des papiers du maréchal de Richelieu, que
Soulavie y ait pu trouver aucune trace de la politique secrète
dont ce duc avait été le premier instigateur.
La publication des Mémoires du maréchal de Richelieu ne se
termina donc que dans les derniers jours du mois de décembre
1792. Non seulement le cinquième volume, dont nous avons
indiqué la pubhcation au commencement de l'année 1791. cor-
rigé et remanié, reparut avec les quatre volumes suivants ; mais
même la première partie de louvrage, celle qui datait de 1790.
en raison « d'un épuisement prématuré de la première édition ».
fut rééditée aussi, ce qui permit à lauteurde faire droit à la
plus juste des réclamations et de « mettre à Taise sa propre
philosophie et son patriotisme révolutionnaire », en retirant la
parole au maréchal et supprimant le caractère d'autobiographie
qui, selon lui. avait été stipulé jadis -. Au milieu de lengoue-
1. C'est de la même façon que les Mémoires diplomatiques du
comte de Broglie, trouvés dans le cabinet même du roi. virent le
jour.
2. Voy. Moniteur, i" février, et Journal de Paris, i{ mars 1793.
— L'article de ce dernier journal, assez insignifiant, bien que fort
louangeur pour Soulavie, fut suivi de plusieurs extraits pris parmi
les anecdotes ou les chapitres à sensation. Voy. p. 365, 370, 629
et 630. Dans le numéro du 6 juin 1793, p. 629, Soulavie y est qualifié
ministre de la république en Danemark, ce qui ajoute à l'impor-
tance de ses points de vue politiques contre le système « autri-
INTRODUCTION. XLl
ment dont un pareil ouvrage pouvait alors être 1 objet, il s'était
trouvé une plume honnête pour flétrir publiquement, au nom
des Richelieu, des Choiseul ou des Maurepas. le? procédés
historiques, ridicules et odieux deSoulavie. Celui-ci. en substi-
tuant la troisième personne à la première, ne pouvait prétendre
que l'amendement fût suffisant ; mais "il s'écria dans un bel
accès d'indignation : « Je consens qu'on déchire les frontis-
pices de mon livi'e et qu'on ôte le titre de Mémoires de Richelieu :
il restera malgré eux celui de Mcmoires d'un honnête homme.
Et que m'importp qu'un plat académicien dise que l'auteur de
cet ouvrage n'a ni goût, ni connoissances. ni jugement, ni style.
si son livre est du goût des amis de la vérité, et si les amateurs
de l'histoire ont épuisé les éditions des quatre premiers volumes
imprimés à Paris, à Liège, à Maëstricht. à Lyon et à
Bordeaux '... » Tl est vrai que le succès ne fit point défaut aux
chien ». Cet article doit f'tre de Soiilavie lui-même; mais au
moins il n'pst plus question ni de Mémoires ni d'authenticité.
Peu après, le 4 juillet 179-3. il fît insérer dans le journal I'px-
trait de son Histoire inédite de la Révolution, relatif à l'exécution
du roi. C'est là qu'après avoir montré la fin tragique des différents
rois, il s'écrie : « Si ce tableau effrayant ne peut désarmer
Cobourg. Dumouriez, d'Orléans fils, etc., etc., etc., qu'ils
apiirochent : il y a en France dix millions de Jacobins dont
Brutus est le patron. Les royalistes aiment les têtes couronnées ;
eh bien ! tous les mois, ils en auront une nouvelle qui fera l'objet
de leur culte (p. 74-5). — Cette apologie du régicide est intitulée :
« J.-l.. Soulavie aux puissances étrangères belligérante? contre
nous ; aux grands de l'armée de la Tendée ; aux armées contre-
révolutionnaires et royalistes et à tous les républicains hypocrites
amateurs de la royauté. « — L'article de Castera sur les cinq der-
niers volumes des Mémoires de Richelieu, dans le Mercure français
(il juin 1703, p. 81 et 82l, ne dit rien : c'est une tirade contre le
régime déchu, suivi d'une épigramme faite à la mort du maréchal,
et qui ne gagnerait pas à être reproduite.
1. Mémoires, t. IX. p. .359. — Item. p. 503 et 504, et dernière :
'< En terminant ces Mémoires, je proteste que j'ai été sans cesse
XLII INTRODUCTION.
Mémoires de Richelieu, ni à leur auteur ; mais il est douteux
aussi que ce succès-là puisse jamais passer pour un brevet
d'honnêteté.
En juillet 1793, Buisson publia deux nouveaux volumes, à
la publication desquels Soulavie ne saurait avoir été étranger :
« Politique de tous les cabinets de V Europe pendant les règnes
de Louis XV et de Louis XVI, contenant : des pièces authen-
tiques sur la correspondance secrète du comte de Broglie, un
ouvrage dirigé par lui et exécuté par M. Favier, plusieurs
mémoires du comte de Vergennes, ministre des affaires étran-
gères, et de M. Turgot; manuscrits trouvés dans le cabinet de
Louis XVL »
C'est, dit l'annonce [Journal de Paris, p. 790), la première
preuve authentique de cette organisation secrète à la tête de
laquelle brillaient M. de Broglie, et surtout Favier, « Ihomme
de l'Europe le plus versé dans les affaires politiques, etc. ». La
partie principale de l'ouvrage est précisément le grand mémoire
dressé par Favier en 1773, et les éditeurs le donnent comme
propre à régénérer la politique française *.
conduit par l'amour de la vérité. Ce qui me permet d'assurer que
je ne me suis pas trompé, c'est que les historiens des âges futurs
trouveront, dans les Mémoires encore manuscrits qui viennent de
nous être communiqués pendant l'impression de ceux-ci, les
mêmes vues, la même manière de juger les événements et les
personnes. »
1. Selon Barbier, cette publication fut faite par l'avocat
Roussel (Pierre-Joseph-Alexis), d'Épinal, qui imprima aussi en
1802, le curieux récit d'une visite faite au château des Tuileries,
après le 10 août 1792 (le Château des Tuileries) ; et donna enfin, un
peu plus tard, sous des pseudonymes ou des anagrammes trans-
parents, la correspondance secrète de plusieurs grands person-
nages de la cour de Louis XVL Roussel s'était procuré tous ces
documents en qualité de secrétaire de la commission chargée de
trier les papiers de l'Armoire de fer et autres ; lorsque, sous
l'Empire ou peu avant, la police lui fit subir une détention arbi-
INTRODUCTION. XLIIl
On a déjà dit que Soulavie était entré très avant dans le
mouvement révolutionnaire ; ses liaisons, son apostasie, son
mariage civil, et ses déclamations historiques lui valurent une
récompense : au mois de juillet 1793. le gouvernement répu-
blicain renvoya en qualité de chargé d'affaires à Genève ' ; il
n'y resta pas longtemps : dès le mois de novembre, Chaumette
le dénonçait aux Jacobins et demandait sou rappel - ; et le
6 décembre, Robespierre décréta sa révocation et ordonna son
traire pour avoir annoncé trop bruyamment les Mémoires de
Louis XVI de son ancien collègue Soulavie, on trouva en sa pos-
session une malle pleine de lettres qui venaient des Tuileries ou
de Versailles. (Voy. Saint-Edme, Biographie de la police.)
Mentionnons encore quatre volumes parus chez Buisson à
la fin du 1" semestre 1793, sous le titre de .Youveau siècle de
Louis XIV, ou poésies-anecdotes du règne et de la cour de ce prince,
recueil de poésies et surtout de chansons du temps avec des
notes historiques {Journal de Paris, p. 734|. L'auteur de cette com-
pilation, puisée sans doute dans le chansonnier Maurepas, était,
selon Barbier, Sautereau de Marsy, l'éditeur des Mémoires de
Duclos ; Sautereau était aussi avec Gorancez le principal rédac-
teur de la partie littéraire du. Journal de Paris et publiait en même
temps cet Almanach des Muses qu'on voit se maintenir au plus
fort de la terreur.
1. Moniteur, 8 juillet et 5 août 1793. Soulavie retrouva à Genève
son compatriote l'ex-jésuite Barruel qui le traite fort mal dans
ses Mémoires pour servir à t histoire du jacobinisme, U, 11"2 : « Il
était réservé à Clavière et ensuite à Robespierre de prendre part
à toutes intrigues à Genève, et d'envoyer l'apostat Soulavie les
couronner par les proscriptions, l'exil et par tous les moyens de
la philosophie passée du château de Ferney à l'antre des Jacobins.
2. Séance du 18 brumaire : « Chaumette dénonce notre agent
de Suisse, l'abbé Soulavie ; il demande son rappel et désire que
la Société mette à son grand ordre du jour s'il est convenable que
la Nation française entretienne près des autres puissances des
ambassadeurs. >' (Moniteur du 12 novembre 1793). — La cause de
la dénonciation était le concours apporté par Soulavie à la fuite
de son compatriote Gamon, décrété d'accusation comme parti-
san des Girondins.
XLIV INTRODUCTION.
arrestation. Mais Barère, qui appréciait la possibilité de trouver
un asile auprès de Soulavie, sut empêcher le départ de son
successeur Rivais. D'ailleurs Soulavie s'était hâté d'envoyer à
Robespierre une longue et emphatique justification, qui n'était
qu'une apologie du dictateur, et à laquelle il avait joint une
magnifique truite destinée à la table de « l'incorruptible ». Cette
pièce, tombée après thermidor, entre les mains des vain-
queurs, devait décider la chute de Soulavie ; momentanément,
il lui dut son poste, qu'il garda jusqu'en août 1794. Pendant
ce temps, tout en correspondant ^ avec ses amis de France, il
publia plusieurs brochures politiques sur létat de la Suisse.
Mais, après le 9 thermidor, il partagea le sort de ses amis.
Un membre de la Convention l'accuse de « ne point se conduire
dans sa mission avec la dignité qui devait caractériser le député
1. Il écrivait au président de la Convention (Arch. nat., F
4385) : « Citoyen président, A la requête de la famille de Marat
domiciliée k Genève, j'ai l'honneur de présenter à la Convention
des actes et une lettre remis en cette légation relativement à la
mort de ce représentant du peuple français. J'ajouterai, citoyen
Président, que les bons patriotes genevois se sont écriés en
apprenant cette cruelle mort : On voit maintenant de quel côté
étaient les désorganisatevrs, les assassins, les ennemis de la Répu-
blique et les agents des Autrichiens et des Anglais. — Vous appren-
drez avec plaisir, citoyen président, que l'assemblée nationale
genevoise continue ses travaux constitutionnels dans les prin-
cipes de l'égalité et de la liberté, et que, si l'ancienne aristocratie
de ce pays persécuta jadis Jean Jacques Rousseau, le peuple vic-
torieux a établi maintenant à son honneur des fêtes annuelles. —
Recevez, citoyen président, mon adhésion à la Constitution, en
qualité de citoyen français et ma promesse de la faire aimer et de
la défendre jusqu'à mon dernier soupir. — Soulavie, résident de la
République une et indivisible près celle de Genève. A Genève, le
19 juillet 1793, l'an 2" de la République. » — Une autre lettre aux
représentants du peuple à Commune-Affranchie, prouve qu'il avait
pour tous les Marat une affection particulière. (Catalogue des
autographes de M. B. Fillon. série IV. pièce 77.)
INTRODUCTION. XLV
d un peuple libre, et sur le rapport que fournit le Comité de
Salut public, la révocation fut prononcée '. Arrêté à Genève, le
3^ jour complémentaire de lan II. et transféré immédiatement
à Paris, Soulavie se vit incarcérer dans la prison qu'habitaient
déjà les anciens représentants du peuple. Aussitôt après son
départ, les clubs insurgés de Genève se portèrent sur sa
demeurée! la pillèrent -. Il perdit là les papiers qui lui servaient
à la continuation de ses travaux historiques : « Une partie des
archives du ministère secret de Louis XV : les six dernières
livraisons des Mémoires de Dv.clos. dont il avait publié la
première avant sou départ pour Genève : la première composi-
tion inédite des Mémoires de Louis XM : la première compo-
sition de ceux de la Révolution, vendus en 1792 au libraire
Buisson, par lui rétrocédés en 1794, et revendus depuis à une
autre société ^. »
Après une prison assez longue *, Soulavie fut rendu a la
liberté, guéri pour toujours du goût de la politique active. Son
nom flgura pourtant, le 19 brumaire, sur une des listes de
déportation ; mais le Premier consul s'opposa à Texécution de
larrété. D'ailleurs, ce n'était plus le révolutionnaire ardent,
1. Moniteur du 7 fructidor iî4 août 1794).
2. Soulavie a raconté « l'insurrection » et la « fusillade » du
club genevois dans plusieurs factums datés de ventôse an m.
3. Premier Mémoire à l'Empereur, passim. — Plus tard, Soulavie
obtint du gouvernement genevois une promesse de satisfaction ;
mais les réclamations du Directoire n'eurent point d'autre succès,
et ce fut sur de nouveaux frais que Soulavie adressa à l'Empe-
reur, en 1810, les deux Mémoires dont nous avons déjà cité plu-
sieurs passages. Ces pièces, extrêmement rares, nous ont été
communiquées par M. Rathery. Le second Mémoire a été publié
en 1870 par M. Mazon, dans l'Écho de l'Ardéche : voy. ci-après,
p. L, note 1.
4. Il n'en sortit qu'en 1796, et intenta à Treilhard, qui l'avait
fait arrêter, un procès en dommages-intérêts. "Laffaire fut arrêtée
par décret du Directoire.
XLVI INTRODUCTION.
que nous avons connu, et qui, au nom de « la cause du genre
humain » , avait applaudi, sinon participé, à tant d'excès. Revenu,
en politique comme en religion, de toutes ses erreurs, il se
rallia complètement, dès le commencement du siècle, à l'empire
prochain, et profita du séjour de Pie VII en France ^ pour
obtenir l'absolution de son apostasie et rentrer dans la vie
régulière.
Nous devons regretter, pour notre part, que. continuant ses
travaux historiques, il nait pas également abjuré les procédés
qui caractérisent son œuvre. Tout au contraire.
L'un des livres les plus apocrv-phes qui soient sortis de sa
plume est sans contredit celui qu'il vendit, en 1799. comme
Mémoires de Barthélémy, rédigés à Sinamary par lex-directeur.
Cette nouvelle spéculation de librairie réussit comme les précé-
dentes, mais sans que cette audace dont Soulavie avait pris
l'habitude, ait pu jamais donner le change aux lecteurs ^.
1. Ce fut le P. BaiTuel qui poussa Soulavie à demander labso-
lution du Pape et la confirmation de son mariage. Il remit à
l'ancien jésuite, le 20 février 181.3, cette déclaration qui fut plus
tard communiquée aux rédacteurs de la Biographie universelle :
" Monsieur, voulant vivre et mourir dans le sein de l'Église
catholique, apostolique et romaine, je vous prie de constater, par
l'insertion de ma présente déclaration dans vos ouvrages, mon
repentir d'avoir publié dans les miens des erreurs contre la reli-
gion. Je les condamne. N'est-il pas notoire que les malheurs de
notre patrie et les crimes de la Révolution proviennent de l'oubli
de la religion ? Quel est donc le chrétien qui ne gémisse des
erreurs de cette nature, quand il en voit les résultats ? »
2. Dans la préface de son ouvrage suivant, les Mémoires de
Louis XVI (1801), Soulavie dit, à propos des Mémoires de Barthé-
lémy : « Cet ouvrage, publié pendant la détention de Barthélémy,
dans l'intention d'adoucir un traitement arbitraire et cruel,
ordonné par des tyrans, a pani, en France, trois jours avant le
retour de Bonaparte de l'Egypte. Uauteur ii avoue pas quelques
altérations qui ont eu lieu dans le manuscrit, en sonabsence, pendant
l'impression. » — Quérard dit qu'il y eut un supplément en 1800.
INTRODUCTIO>' . XL Vil
Puis vinrent les Mémoires historiques et politiques du règne
de Louis XVI, qu'il promettait depuis le 10 août 1792, et qui
parurent en Tannée 1801 '.
L'empereur Napoléon I", dit-on, faisait grand cas des
Mémoires de Louis XVI ; ils furent pourtant, dès 1802, Tobjet
d'une réfutation, trop emphatique peut-être, sous son titre de :
Les illustres victimes vengées des injustices de leurs contempo-
rains, et réfutation des paradoxes de M. Soulavie ^, mais où
l'indignation n'exclut pas la justesse des condamnations. Depuis
ce temps-là, les connaissances historiques du pubhc ont fait
un progrès trop général, pour qu'il soit nécessaire de revenir
sur cette œuvre de calomnie, dédaignée et rejetée de tous.
Il y avait longtemps que le nom de M"= de Pompadour
figurait parmi les enseignes affichées à la porte de lofficine de
Soulavie. En l'an X, il fit donc paraître un volume de Mémoires
historiques et anecdotes de la cour de France pendant la faveur
de lamarquise de Pompadour, mémoires sortis, disait l'éditeur,
« des portefeuilles de M™^ la maréchale d"*** 'd'Estrées': ^ »
Plutôt erotique que galant, ce livre ne contient, pour ainsi
dire, pas un mot qui ne se retrouve dans les mémoires publiés
antérieurement par Soulavie. Quant à la partie historique, elle
se compose uniquement de deux pièces : le testament de la
marquise, et une étude sur les gravures qu'elle se plaisait à
exécuter, avec une reproduction des principaux sujets.
Il faut pourtant signaler, dans ces Mémoires, la note où
Soulavie répondait aux accusations déjà anciennes que
M. Bertin. l'ancien secrétaire du duc de Choiseul. Laharpe.
1. Paris, 6 vol. in-S".
•2. Les bibliographes attribuent ce livre à M. Montigny.
.3. Ailleurs {Mémoires de Richelieu, t. I, p. 33), Soulavie avait
prétendu que ces Mémoires avaient été données par la marquise
de Pompadour elle-même à M. de Richelieu.
XLVIll INTRODUCTION-
Lacretelle et Mersan avaient formulées contre lui en plus d'une
occasion *. Je n'ai fait autre chose, dit notre historien, que
reproduire au sujet de M. de Choiseul les dires de Mercier, de
Mirabeau, de Laffrey, de M. d'Aiguillon, du maréchal de
Richelieu, des Noëls de la cour, etc.; etc., et je n'ai jamais cer-
tifié que la chose dut être vraie. « Du reste, ajoute-t-il, les
articles publiés par Mersan, Lacretelle, Laharpe et Bertin, au
lieu d"avoir nui à la distribution des Méruoires de Louis XVI,
ont excité la curiosité, multiplié les acquéreurs, et accéléré la
traduction allemande et langlaise. C'est l'effet nécessaire des
poursuites littéraires du genre de celles que ces Mémoires ont
essuyées. »
On attribue à Soulavie un ouvrage qui parut aussi en 1803 ^ :
Histoire de la décadence de la monarchie française et des i^ro-
c/iès de Vautorité royale à Copenhague, Madrid depuis
l'époque où Louis XIV fut surnommé k Grand, jusqu'à la mort
de Louis XVI (3 vol. in-8°) ; pour faire suite au : Tableau d^
la décadence de la monarchie française (un vol. in-4'* avec
figures et tableaux).
Ce fut eu 1809 seulement que parut la dernière publication
sur laquelle nous ayons à nous arrêter, les Pièces inédites sur
les règnes de Louis XIY et de Louis XV, qui sembleraient, au
premier abord, devoir être comprises dans la liste des ouvrages
justement suspects, et qui renferment cependant une portion de
documents importants dont l'authenticité peut être aujourd'hui
encore vérifiée. On voit d'ailleurs, par tout ce que nous avons
1. Notammeut dans le Journal des Débats.
2. « C'est, dit M. Mazon, l'œuvre la plus remarquable de Sou-
lavie : étude large et puissante, où abondent l'érudition, les vues
élevées, les pensées profondes ; malheureusement le défaut de
concision, les incorrections et la trivialité du style sont aussi cho-
quants que dans les autres productions de l'auteur. » {Petites
notes ardéchoises p. 153 et suiv.).
INTRODICTION. XLIX
dit jusqu'ici, qu'une grande partie des pièces dont Soulavie
a noyé le texte dans les faussetés et les erreurs volontaires
de son récit, méritent une confiance réelle. Il en est ainsi des
lettres de Louis XIV et de celles du maréchal de Villars, qui,
selon Soulavie, lui avaient été communiquées par MM. de
Vogiié ^ La correspondance de Villars avec le ministre
Chamillart est actuellement conservée au Dépôt de la guerre,
et, en confrontant avec les originaux le texte donné dans les
Pièces inédites, on constate qu'il pèche seulement par quelques
omissions ou inexactitudes 2. Nous n'en dirons pas autant de
la Chronique scandaleuse qui forme le second volume de cet
ouvrage, et qui serait, dit lauteur, un fragment de la Vie pri-
vée du maréchal de Richelieu.
Soulavie, on l'a déjà vu. s'était rallié de bonne heure à la
cause impériale ' ; deux Mémoires adressés par lui à l'Empereur,
en janvier 1810, renferment en effet l'expression d'un complet
dévouement et ne se ressentent guère des opinions qui, quinze
1. Dans les Mémoires de Richelieu, en 1792 (tome V, p. 324,
note), Soulavie avait dit ceci : « Villars a laissé les manuscrits de
ses ouvrages à la maison de Castries et à celle de Vogué. Le feu
marquis de Vogiié, lieutenant-général, en a communiqué les ori-
ginaux à l'auteiu" de ces Mémoires, de même que six volumes
grand in-folio de correspondances fort précieuses. »
2. Ainsi, la lettre du 7 juin 1703 n'est pas du 7, mais du 17, et
la dernière page a été omise tout entière par Soulavie (Dépôt de
la guerre, vol. 1676, n° 123i. Les deux lettres du 8 septembre
1703 et du 14 novembre 1704 sont conservées sous les cotes : vol.
1677, n° 2, et vol. 1797, n» 170 ; etc.
3. M. Marc Vernolt, dans le Monde illustré, n° du 30 avril 1870,
a publié le programme d'une société qui se forma, en 1804, sous
la direction de : « M. l'abbé de Soulavie ex-ministre plénipoten-
tiaire », et qui proposa à l'Empereur d'entreprendre une série
d'embellissements de sa bonne ville de Paris, parmi lesquels figu-
rait la réunion de l'île Saint-Louis à l'Ile Louviers par un pont
d'une seule arche.
d
t INTRODUCTION.
OU vingt ans auparavant, l'avaient jeté au plus épais de la
cohue révolutionnaire. Ces deux pièces ont été complètement
inconnues des biographes et des bibliographes ; la seconde seule
a été, en partie, publiée dans un journal de province *. La
première a trait au pillage et à la dispersion des papiers laissés
par Soulavie à Genève, en 1794, réclamés vainement par le
Directoire ou par l'administration française ; l'autre renferme
l'historique et la description des papiers du ministère secret
dont nous avons parlé plus haut, et de toutes les collections
qui y avaient été jointes, ou que Soulavie y avait ajoutées,
depuis que ces papiers étaient tombés en sa possession.
C'était, outre quelques manuscrits à lui, une partie minime
de ses collections et de la correspondance secrète que les clubs
genevois avaient enlevée et dont il poursuivait la restitution
depuis plus de quinze ans ^.
1. Par M. Mazon, qui adonné, dans l'Écho de VArdédie, 15, 19,
24, 26 mars et 2 avril 1870, une série d'articles sur les collections
de son compatriote et la nomenclature de ses ouvrages M. Mazon a
eu connaissance du second Mémoire, si rare que les bibliothèques
ne le possèdent point, par M™" de Susini, fille de Soulavie, et il
en a reproduit une partie. Les articles ont été réunis d'abord en
1871 sous le titre de Petites notes ardéchoises. Puis le même érudit
a publié en 1893 an deux volumes in-8° une Histoire de Soulavie,
très documentée. Dans le second volume, M. Mazon a consacré
trois chapitres très importants à la bibliothèque de Soulavie, à
ses papiers et collections, enfin à l'examen des ouvrages histo-
riques qu'il a publiés. Nous en avons parlé ci-dessus à diverses
reprises. »
2. Ces requêtes eurent cependant un résultat auquel Soulavie
était loin de s'attendre : le gouvernement impérial, dont il avait
attiré l'attention sur ses papiers, fit saisir par la police, en 18J1,
tous ceux qui parurent avoir de l'intérêt. Baudard, chef de
bureau aux Archives du ministère des Affaires étrangères, fut
chargé de les examiner ; il en réclama la plus grande partie pour
le département ; et plus d'un an après, ils furent livrés au comte
d'Hauterive, qui en donna, les 23 mars et 5 mai 1813, deux reçus
INTRODUCTION. LI
Les deux Mémoires ne paraissent pas avoir été mieux accueil-
lis que ne l'avaient été les réclamations précédentes ; mais
Soulavie revint à la charge, et, cette fois, il proposa au gou-
vernement impérial d'acquérir toutes ses collections diploma-
tiques, auxquelles les circonstances semblaient donner un prix
considérable * . Il offrit même à l'Empereur la portion de ses
recueils qui avait trait aux anciens projets de descente en
Angleterre. Au milieu de cette négociation, la mort surprit
Soulavie. Agé de soixante-deux ans, il succomba à Paris le
11 mars 1813.
Par son testament il avait légué à l'Empereur les documents
dont nous venons de parler en dernier lieu, et le legs fut
accepté ; mais pour le reste des papiers du ministère secret, le
duc de Bassano, ministre des affaires étrangères, qui avait été,
sous la République, le collègue en diplomatie du défunt, fit
intervenir les droits tout puissants de l'administration, et
réclama la totalité du fonds, quarante et un volumes in-folio
et douze volumes in-quarto, mémoires et dépêches de Favier,
de M. d'Argenson, ou [de Tercier, correspondance originale du
comte de Broglieavec le roi Louis X"V, mémoires diplomatiques,
etc. '. Une ordonnance du tribunal de la Seine prescrivit, con-
formément à cette réclamation, la remise, qui fut effectuée le
2 avril 1813. Ajoutons que M. de Bassano avait promis aux
héritiers de Soulavie une indemnité de vingt mille francs ; mais
(Arch. nat., F 6572). Cf. Flammermont, les Papiers de Soulavie
aux Affaires étrangères, dans la Revue historique, mai-jmn 1884,
p. 107.
1. Il avait fait des démarches pour que l'Académie des Inscrip-
tions, dont il avait été jadis le correspondant, vérifiât l'authenti-
cité et la valeur des papiers ; mais on ne donna pas suite à cette
requête .
2. La description de ce fonds est donnée par Soulavie dans son
Second Mémoire à l'Empereur.
LU INTRODUCTION.
le gouvernement impéiial neut pas le temps de s'acquitter, et
celui de la Restauration réduisit la somme à quatre mille '.
Quant aux autres collections que laissait Soulavie, voici ce
que l'on sait de leur sort. La bibliothèque de trois mille volumes
fut immédiatement mise à l'encan et dispersée par la veuve.
En août 1815, une nouvelle suite de sept cent vingt-sept numé-
ros concernant l'histoire de France, surtout l'époque de la
Révolution, se vendit en bloc, au prix de douze cents francs ;
une partie de ce lot est arrivée à M. Deschiens ; le reste s'est
perdu. ^ . - ^.-
La collection d'estampes historiques ou de dessms relatifs
à l'histoire de France, commencée par les agents du mmistere
secret, et continuée jusque sous l'Empire par Soulavie ne
comprenait pas moins décent cinquante-deux volumes m-folio,
avec des tables manuscrites^. Elle fut acquise, en 1818, au
prix de dix-huit mille francs, par le prince Eugène de
Beauharnais, et portée au palais de Leuchtenberg, à Munich, ou
elle est tout entière.
On vendit à part une collection de sept cent quarante-cinq
pièces originales, chartes, autographes, etc. C'est sans doute
celle que M. Feuillet de Couches a acquise, et dont il parle en
ces termes : « Beaucoup d'autographes, surtout du temps de
Louis XV et de Louis XVI, fruits de ses relations ou bien
épaves révolutionnaires, étaient réunies dans les mams de
Soulavie, et j'en ai acquis de sa veuve les derniers débris . »
1. L'amas énorme des papiers provenant de la saisie de 1811
et de celle de 1813 nous est mal connu : les deux reçus dont nous
avons pa lé plus haut sont sommaires, et l'inventaire détaille
qu" ait fait Baudard du produit de la saisie faite après la mort
de Soulavie ne se retrouve plus (Flammermont, loco citato).
9 Yov la description dans le Second Mémoire.
3 II est permis de croire, d'après quelques indices, que cette
collection renfermait une quantité de pièces provenant des
archTves du maréchal de Richelieu, ou bien des cabinets des
Tuileries et de Versailles.
INTRODUCTION. LUI
Enfin, Soulavie devait laisser de nombreux ouvrages manu-
scrits ; mais, à une exception près, on ignore ce qu'ils sont
devenus, et on n'en connaît que les titres, par la liste donnée
dans la Préface des Mémoires de Louis XVI ^
Si longue que puisse sembler cette étude préliminaire, nous
croyons qu'elle était indispensable pour caractériser l'esprit,
les tendances et les procédés delauteur dont nous allons main-
tenant analyser l'œuvre principale. Avant d'aborder ce point,
il convient encore d'ajouter que, en dehors de la politique et de
tout ce qui s'y rattache, les biographes s'accordent pour louer la
vie privéede Soulavie. bon père de famille, ami serviable, honnête
citoyen. Relevé de son abjuration par le pape Pie VIT, il tint
encore à se réconcilier, peu de temps avant sa mort, avecl'Eglise,
dont il avait outragé si profondément les lois, et il mourut,
dit-on, dans de grands sentiments de piété '.
Sa fécondité littéraire lui avait procuré une belle fortune, qui
s'était accrue par des spéculations de terrains ; l'héritage, en
1. Dans une lettre du '25 janvier 1809, Soulavie proposait au
libraire Bertrand la publication de ses œuvres complètes (Catal.
Charavay, 9 décembre 1875, n° 323).
2. Il est certain, comme le prouve M. Mazon, que Soulavie,
dans ses derniers ouvrages, chercha volontiers l'occasion de faire
amende honorable à la religion, et même à l'ultramontanisme,
aux dépens des philosophes du xvm« siècle ou des économistes.
Pour lui Bonaparte personnifiait l'esprit nouveau de conservation
et de rétablissement, et l'avènement du régime impérial précipita
ce retour vers les croyances du jeune âge. Pendant les derniers
mois de son existence, il ne s'occupa que de soulager sa conscience
et finit par faire une confession générale de dix-sept heures, en
cinq jours consécutifs. H reçut deux fois le viatique, et décéda
«avec calme, après avoir montré constamment pendant cinquante-
deux jours la foi la plus vive et les vertus qui constituent le chré-
tien mourant. )> Ce fut en présence de son frère, l'abbé Soulavie le
cadet, et entre les mains de son ancien rival de 1782, l'abbé
Barruel, que Soulavie fit sa réconciliation avec Dieu [Mazon,
p. 164).
LIV INTRODUCTION.
raison du quadruple mariage qu'il avait contracté avec
M"*Maynaud, futToccasion d'un procès curieux, que M. Dupin
plaida en 1824.
M""* Soulavie se remaria, après un court veuvage, avec un
ingénieur nommé Brunel. Elle n'avait eu qu'une fille, M"** de
Susini.
II.
SOULAVIE ET LES MEMOIRES DU MARECHAL DE RICHELIEU
Les Mémoires du maréchal de Richelieu sont, dans le bagage
pseudo-historique de Soulavie, l'œuvre la plus connue, la plus
citée ; quoique personne n'ait jamais osé leur décerner publi-
quement un brevet d'authenticité et de valeur, il est certain
qu'on retrouve des traces de leur influence dans tous les livres
qui ont été écrits, depuis la Révolution, sur le xviii* siècle, et,
si certains critiques contemporains ont tenté de réagir contre
une faveur aussi mal placée, il semblerait, comme l'a dit Soulavie
lui-même, qu'ils n'aient fait que soutenir le succès et la vogue
du livre. Fait assez ordinaire d'ailleurs : le roman historique
n'est plus de notre temps, mais nous en avons connu au moins
une variété, et nous savons par expérience quel crédit ces livres
peuvent avoir devant les masses. Il n'est point à la portée du
premier venu d'aborder le métier d'arrangeur ou de fabricateur
de documents historiques. « Quelques-unes des qualités du
poète dramatique ou du romancier sont de rigueur dans ce genre
littéraire : il importe de se mettre à la place des personnages
qu'on fait parler, de connaître le temps où ils ont vécu, mieux
encore le temps où l'on vit soi-même, car ce n'est point du
passé qu'on se préoccupe, ni de la vérité historique ; c'est aux
INTRODUCTION. LV
contemporains que l'on veut plaire, afin de les duper '. » Les
noms illustres sous le couvert desquels se faufile l'erreur en
augmentent le danger en ajoutant au succès, et, lorsque cette
erreur est patronnée par des Voltaire ou des la Beaumelle, des
Saint-Réal, des Vertot, des Michelet, il est bien explicable que
tant de générations successives aient si longtemps admis un
mensonge habile et savant comme étant l'histoire et la vérité.
Aujourd'hui l'histoire et la vérité sont deux compagnes insé-
parables, et le public qui lit n'admet plus le roman historique
que comme un jeu, amusant parfois, mais indigne de tout crédit.
Cestune erreur interdite à toulécrivain sérieux, une faute dont
il serait impossible de se relever, un délit public pour lequel
on n'accorde plus de circonstances atténuantes.
Si, depuis des Courtilz de Sandras, qu'on peut regarder
comme le créateur, habile et fécond, de ce genre funeste, l'école
a eu tant d'adeptes, et si ses produits se sont tellement multi-
pliés, maintenant que la lumière se fait presque complète, que
les sources fermées autrefois s'ouvrent presque partout et
donnent passage à tant de vérités nouvelles et imprévues, c'est
un devoir de combattre sans relâche ces tendances dangereuses,
de miner un à un ces ouvrages avancés de l'erreur, et de mon-
trer à la foule intelligente, avide de connaître, étudiants, lec-
teurs ou amateurs, de quel côté ils peuvent trouver la vérité et
sa philosophie.
Gardons-nous cependant d'un autre danger, celui de la
réaction. Un maître l'a dit très excellemment et ses paroles
méritent d'être citées :
« Notre siècle, un peu revenu depuis quelque temps du goût
des révolutions en politique, a reporté cette passion assez inno-
cemment dans l'histoire littéraire : il n'aime rien tant en ce
1. M, Geffroy, sur la Beaumelle.
LVI INTRODUCTION.
genre que de défaire et de refaire, de détruire ou de créer ; il a
un goût décidé pour déterrer ou réhabiliter des inconnus de la
veille, et pour renverser de grands noms, des noms consacrés.
Parce qu'on a réussi dans quelques exemples notables à ce jeu
d'élévation et de rabaissement, voilà qu'il prend à chacun les
idées et les fantaisies les plus singulières à propos des person-
nages célèbres du passé : ceux-ci, on se contente de les dimi-
nuer, de les amoindrir ; ceux-là, on veut les dégrader à tout
prix, les abîmer et les abattre ; quelques autres, au contraire,
en petit nombre, on n'est occupé qu'à les grandir et à les transfi-
gurer, c'est-à-dire encore à défigurer leur caractère. A la
moindre découverte d'un papier, d'un document nouveau, on se
récrie, on est transporté : il semble que jusqu'ici on n'y avait
rien entendu et que c'est d'à présent que la lumière se fait . Au
lieu d'introduire, en l'interprétant, le renseignement nouveau,
de le combiner avec les anciens et de rectifier les erreurs, s'il y a
lieu, de réparer ou de combler les lacunes, on aime mieux jeter
à bas et reprendre à neuf dès la base la statue ou le monument. . .
Je crois cette méthode fort hasardée et injuste pour le
passé... Dans la plupart des cas, à mon sens, il y a mieux à
faire : c'est de profiter de l'accroissement de connaissance et des
nouvelles lumières en chaque chose, sans mettre à néant ce qui
nous a été transmis de longue main et qui a ses raisons de sub-
sister, ses racines cachées et qu'on ne sait plus bien toujours... Si
votre nouveauté vient me faire brèche dans la tradition et me
trouer la muraille, la faire sauter par place, j'examine, je fais
la part de la nécessité, de la vérité neuve : et quand vous croyez
avoir tout gagné et n'avoir plus qu'à raser le reste, holà ! j'ai
rebâti une nouvelle muraille derrière la première, et je tâche
que cette seconde soit plus solide et inattaquable ' . »
1. Sainte-Beuve, sur Catinat. Nouveaux lundis, t. VIII,
p. 389,
INTRODUCTION. LVII
On connaît déjà, par la première partie de cette préface, dans
quelles conditions Soulavie composa et fit paraître, de 1790 à
1793, les Mémoires du maréchal de Richelieu, sous quelles
enseignes il les présenta au public, et l'accueil favorable que,
grâce aux circonstances, ils obtinrent presque généralement. Il
serait donc superflu de refaire le procès quant au fond du
livre, et d'énumérer à nouveau les sources où Soulavie avait
puisé ses matériaux hétérogènes, bien avant de connaître le
maréchal de Richelieu et ses papiers ; les seuls points sur les-
quels nous ayons besoin d'insister maintenant sont ceux-ci :
le rôle secondaire et même insignifiant, concédé au héros dont
on prenait le nom, pour servir d'enseigne et de réclame, l'ori-
gine ou la valeur des documents dont la présence était destinée
à rehausser par quelques semblants d'authenticité un récit
fabriqué en dehors de ces documents, puis adapté tel quel au
titre définitif. En suivant pas à pas chaque volume, nous aurons
l'avantage de faire ressortir les divers changements que
Soulavie fut obligé de faire à ses procédés primitifs, et ce sera
la démonstration la plus naturelle du système de faussetés sur
lequel reposait tout son travail.
C'est à peine si le duc de Richelieu paraît en scène dans les
trois premiers volumes des Mémoires ; la raison fort naturelle
de cette invisibilité presque complète est que le jeune duc
n'avait pu prendre une part importante aux événements de la
fin du règne de Louis XIV ou à ceux de la Régence, ni en
conserver le souvenir ou la trace dans ses papiers particuliers.
Mais néanmoins Soulavie voulait utiliser les matériaux qu'il
avait réunis de partout, puisant tour à tour dans les Mémoires de
Saint-Simon, dans \e Journal de Dangeau \ ou dans les pré-
1. Dangeau est cité textuellement au sujet de la mort du Dau-
phin en 17H (t. I, p. 162 et 163.) — Rappelons, à ce propos, que
Voltaire avait eu plus anciennement connaissance du manuscrit
LVIII INTRODUCTION.
tendus Mémoires de M. de Maurepas * , plus loin transcrivant
d'après les Mémoires de M. de Breteuil, introducteur des ambas-
sadeurs, le récit de la réception du fameux Riza-beg - ;
empruntant aux précieuses archives du duc de Luynes les
Mémoires de son père, ou les pièces les plus importantes d'une
correspondance de Coibert avec Louis XIV ^ ;puis, présentant
au lecteur les Mémoires de M°^^ de Pompadour, que la marquise
elle-même avait, dit-il, donnés à M. de Richelieu ; citant, mais
de Dangeau, par le président Hénault, qui aidait M. de Luynes à
continuer le Journal ; qu'il s'en était servi pour l'Essai sur les
mœurs et pour le Siècle de Louis XIV ; que même en 1770, il avait
publié, « avec des notes intéressantes », des fragments du Journal,
sous le titre de Journal de la cour de Louis XIV ; et que cependant
il n'avait jamais prononcé le nom de Dangeau que pour tourner
son Journal en ridicule ou bien en nier l'authenticité. Après
Voltaire, M"«« de Sartory et de Genlis, puis Lémontey ont donné
successivement quelques fragments de ces précieux Mémoires ;
mais c'est seulement en 1843 que M. Feuillet de Couches proposa
de publier dans la Collection des documents inédits le texte entier
du Journal, avec les notes de Saint-Simon, tel que nous le possé-
dons aujourd'hui. Ce projet ne fut pas alors suivi d'exécution ;
mais il fut réalisé une dizaine d'années plus tard par la maison
Firmin Didot.
î. Voy. Mémoires de Richelieu, t. I, p. 164. — Ces mémoires
manuscrits de M. de Maurepas ont été, dit-il, « rédigés dans son
exil. Ils ressentent trop bien leur auteur, et ne sont curieux que
pour diverses anecdotes qu'on ne trouve que là, et pour quelques
pièces de vers satiriques ou plaisants, attachés à des anecdotes
scandaleuses. » — Dans la préface du tome IV, il en parle sur un
autre ton (p. xi et xii).
2. T. I, p. 186. — Des extraits de ces Mémoires, dont le manu-
scrit est à la bibliothèque de l'Arsenal, ont été donnés dans le
Magasin de librairie, tome I.
3. T. I, chap. XII, p. 275 à 309. — Ces pièces, dont les origi-
naux existent aux archives de Dampierre, et qui sont des plus
curieuses, ont été plus complètement publiées par M. P. Clément,
dans les Lettres de Coibert. — Sur les Mémoires du duc de Luynes,
voy. t. V, p. 17-20.
INTRODUCTION. LIX
à sa façon, les Mémoires, plus authentiques, de Villars * ou
de la Fare ^ ; fouillant dans la correspondance de Madame,
duchesse d'Orléans, dans les papiers de la Bastille, ou même
dans les archives des Affaires étrangères (sur ce terrain il a
devancé Lémontey) ; mais répétant toujours des maximes telles
que celle-ci : « Un auteur de Mémoires historiques doit être
d'une exactitude si sévère, que c'est en lui un vrai crime de
renforcer ou d'affoiblir les couleurs, de taire des vérités impor-
tantes ou de les altérer, de prendre le ton moqueur et de se
permettre les satires ^. »
Quant à M. de Richelieu, disons-nous, il ne sert que très
incidemment de prétexte à certains chapitres dont l'impudence
est caractéristique. Faut-il en citer quelques-uns : ceux de la
duchesse de Bourgogne, du Masque de fer, de la conspiration
de Cellamare, du duc d'Orléans ?
Après avoir indiqué, sans trop de rélicences, la nature de la
liaison qu'il suppose avoir existé entre la duchesse de Bourgogne
et le jeune duc, son filleul ^ Soulavie juge bon d'ajouter à ses
premiers dires par une note insérée à la fin du volume *, et là,
il fait renouveler par le maréchal lui-même un demi-aveu de
son bonheur précoce et de la première et la plus illustre de ses
conquêtes ®. Bien qu'un moderne rééditeur des Mémoires et de
1. T. V, p. 324, note.
2. T. II, p. 254.
3. T. I, p. 30.
4. T. I, p. 17 et 18.
5. Ibidem, p. 317.
6. Cette conversation rétrospective aurait eu lieu, dit Soulavie,
au cours de l'impression du volume. Pour ce qui est de la date,
la chose serait possible, puisque l'on voit, par diverses notes
(p. 219, 252, 296) et par la préface, que ce volume ne fut achevé
qu'à la fin de 1789 ; mais comment admettre que, si près du der-
nier jour, -le maréchal se fût trouvé d'humeur à livrer ces sou-
venirs intimes et à noircir, pour le plaisir du lecteur, la mémoire
LX INTRODUCTION.
la Vie privée ait reproduit, comme des documents neufs et pré-
cis, les allégations de Soulavie, est-il besoin aujourd'hui de
faire justice de ces contes, où son goût pour les récits obscènes
et son besoin de calomnie se donnaient libre carrière ?
Enhardi par la facilité qu'il trouvait à mettre ce récit au compte
de M. de Richelieu, Soulavie ne craignit pas d'emprunter aux
pamphlétaires certains détails des chapitres intitulés : De Vam-
bition du Régent et de son parti : considération sur les vues
qii'on lui a attribuées, et Eclaircissements ultérieurs sur le
chapitre précédent, par l'auteur des Mémoires du maréchal de
Richelieu ^ Philippe d'Orléans visant à la couronne de France
et méditant avec ses familiers les voies et moyens pour arriver
au but ! Bien qu'elle ne fût pas nouvelle, cette imputation était
si calomnieuse que Soulavie dut l'envelopper dans mille réti-
cences, arrachant ou rendant tour à tour un prétendu aveu à
M. de Richelieu, commentant une lettre écrite en 1725 au
cardinal de Polignac et conservée, dit-il, « dans le troisième
portefeuille des pièces relatives à l'ambassade de Vienne ^. » Il
est bien inutile, encore une fois, de faire remarquer que cette
lettre, à supposer qu'elle ait existé, ne dit point ce que Soulavie
veut y trouver, et, s'il reste quelque chose de ces accusations
dont l'histoire n'a guère à se préoccuper, c'est au compte de
Soulavie qu'il faut les porter, et non à celui de M. de Richelieu.
Voici maintenant une question sur laquelle la curiosité
pubhque, longtemps surexcitée et tenue en haleine, s'est abattue
d'une princesse généralement estimée ? Puisque nous donnons
dans le présent volume les Mémoires que M. de Richelieu dictait et
écrivait lui-même, on verra si leur ton a le moindre rapport avec
celui que lui prête son historien.
1. T. m, p. 344 à 360.
2. T. III, p. 349. — On possède, outre les minutes de cette
correspondance, le registre à secret où M. de Richelieu la faisait
mettre au net, et la lettre du 22 décembre 1725 ne s'y trouve
point.
INTRODUCTION. LXI
de nouveau il y a quelques années. Soulavie a consacré un
fort long chapitre au Masque de fer ^ Passe encore s'il se fût
simplement permis de rapprocher les textes des diflerents histo-
riens ou chroniqueurs qui avaient parlé du mystérieux prison-
nier, depuis les Mémoires secrets de la cour de Perse jusqu'à
Voltaire, Fréron et Linguet, ou au Journal de Paris ; mais on
sait comment il fait revenir à cette occasion le nom de M. de
Richelieu, que le lecteur des Mémoires avait pu oublier depuis
longtemps ; c'est pour produire les lettres amoureuses de
M"^ de Valois et le prétendu mémoire arraché au Régent par
une complaisance incestueuse ; c'est aussi pour faire endosser
au duc la responsabilité du récit romanesque de Voltaire.
Aujourd'hui que nous savons, à peu près, à quoi nous en
tenir sur l'importance bien secondaire du prisonnier de M. de
Saint-Mars, on voit que c'est encore là une des inventions cri-
minelles de Soulavie. Mais en 1790, le public n'avait point
à sa disposition des documents aussi précis, il était même
disposé à accueillir tout ce qu'on voudrait lui présenter^ ; et
cependant ce chapitre du Masque de fer fut un de ceux que les
critiques relevèrent le plus vivement '. Par un procédé habituel
aux auteurs de son espèce, Soulavie justifia plus tard ses
mensonges en les répétant dans la préface qu'il mit dans son
VP volume "* (écrit après la prise de la Bastille), et en protes-
1. T. m, ch. IX, p. 71-113.
2. Le journal les Loisirs d'un patriote français avait tout récem-
ment, le 13 août 1789, annoncé qu'une carte mystérieuse, por-
tant cette indication ; « Fouquet arrivant des îles Sainte-Margue-
rite avec un masque de fer », s'était trouvée dans les papiers de
la Bastille.
3. Toutefois Ghamfort, en rendant compte de l'ouvrage nouveau
dans le Mercure, signala triomphalement cet éclaircissement d'un
mystère à la mode.
4. Nouvelles considérations sur Vhomme au masque de fer. Cet
article a plus de cinquante pages.
LXII INTRODUCTION.
tant que les pièces dont nous parlons étaient encore entre ses
mains, quïl en avait fait constater l'authenticité par un révo-
lutionnaire et par un royaliste ; maintenant par conséquent que
le prisonnier était un frère jumeau de Louis XIV, supprimé
par l'odieuse raison d'État. Ce n'est pas, bien entendu, cette
version que nous voulons reprocher à Soulavie, puisqu'il
l'empruntait à Voltaire, mais bien la supposition des docu-
ments sur lesquels il osait l'appuyer ' .
Il serait trop long de suivre ainsi, chapitre par chapitre, la
fabrication des Mémoires et d'en démontrer la fausseté flagrante.
Aussi nous nous contenterons de signaler encore, au tome troi-
sième', la note qui a pour objet de justifier l'insertion dans les
prétendus Papiers de M. de Richelieu du mémoire du cardinal
Dubois sur les États généraux (publié en 1788], et nous arri-
verons immédiatement au passage où Soulavie fait enfin appa-
raître ce qu'il appelle les Mémoires de M. le Maréchal '. Voici
les paroles qu'il met dans la bouche de son.prète-nom :
« A ma mort, on pourra peut-être découvrir des Mémoires
que j'ai écrits autrefois ; c'est l'histoire scandaleuse de tous
les plaisirs de la cour, c'est le détail des intrigues politiques,
c'est le récit des événements de ce temps-là et des négociations
dans les cours étrangères. Je me ressouviens d'avoir écrit
contre le duc d'Orléans, d'avoir conservé l'histoire des orgies
de ce prince et de ses filles surtout ; j'ai rapporté le détail de
ses parties de plaisir ; il faudroit peut-être désavouer le scan-
dale. Voltaire travailla à ces Mémoires secrets avec moi, et
le roi Louis XV, qui aimoit d'entendre raconter ces anecdotes
plaisantes, en conserva longtemps un exemplaire. Vous pren-
1. M. Marius Topin, dans son livre sur l'Homme au masque de
fer (p. 12 et suiv.)
2. T. m, p. 219.
3. T.UI, p. 351.
INTRODUCTION. LXIIl
drez de cet ouvrage ce qu'il y aura de bon, s'il vous parvenoit ;
vous laisserez le reste. »
Et Soulavie ajoute : « Cet ouvrage effectivement existe encore
aujourd'hui, et non seulement les orgies, les anecdotes scanda-
leuses, sont des faits trop vrais ; mais je dois ajouter qu'à la
mort de M. le Maréchal, les pièces justificatives m'ont été
communiquées par diverses personnes. Je déclare d'en avoir
extrait ce que l'histoire ne permet pas de taire, etc. »
Le but de Soulavie, en s'inscrivant comme premier et seul
dépositaire dun manuscrit dont nous nions l'origine et l'exis-
tence réelle, était de répondre à l'annonce que M. Sénac de
Meilhan avait récemment insérée dans les journaux et de con-
damner par avance tout ce qui pourrait sortir de la plume de
l'ancien intendant de Hainaut, devenu son concurrent * . « Vous
annoncez des Mémoires, dit-il ; moi je vous donne la preuve que
ces Mémoires sont à moi, que M. de Richelieu a dicté lui-même
la plupart des faits que je raconte sous son nom ; et tout ce que
que vous pouvez avoir obtenu de son fils se réduit à quelques
pièces sans importance. »
Mais on connaît cette « Chronique scandaleuse » dont il est ici
question, puisque Soulavie en a lui-même publié plus tard une
partie ^. Le titre n'exagère point la valeur du morceau. Quant
au fond du récit, c'est la reproduction presque textuelle des
Mémoires de 1790, et Soulavie n'y a guère ajouté que des traits
de la lubricité la plus relevée. Seulement, par un scrupule plai-
sant, il se refuse, dit-il ^, à livrer la seconde partie, et il pro-
1. Voy. plus haut, p. xx et suivantes.
2. Pièces inédites sur les règnes de Louis XIV et de Louis XV, t. II.
Chronique scandaleuse de la cour de Philippe duc d'Orléans,
composée en 1721, par le duc de Richelieu, à sa sortie de la Bas-
tille
3. Pièces inédites, t. H, p. 371, note.
LXIV INTRODUCTION.
met même de la détruire, pour le repos des personnages qui y
figurent. Première et seconde partie ne pouvaient être qu'apo-
cryphes l'une et l'autre, et le mépris public a fait justice de la
Chronique scandaleuse.
C'est seulement dans le tome IV des Mémoires que Soulavie,
revenant, comme malgré lui, à l'histoire, aborde le récit de
l'ambassade en Autriche qui fut le début du duc de Richelieu
dans la carrière pohtique ^ Pour la première fois, il est visible
que le texte s'appuie sur des documents authentiques '. Citons,
parmi les pièces les plus importantes : les secondes instructions
envoyées au duc le 28 mars et le 13 mai 1725 ; la curieuse
correspondance de M. de Silly, qui rendait religieusement
compte à son ami de toutes les intrigues de la cour ^. Pour la
4. T. IV, p. 54. — A peine a-t-il annoncé l'ambassade de M. de
Richelieu, qu'il quitte ce sujet pour retourner à la lutte de Monsieur
le Duc et du cardinal de Fleury ; puis, deux cents pages
plus loin (t. IV, 2* partie, p. 68 à 126), entre deux chapitres
d'anecdotes sur la cour et le ministère, vient une longue disser-
tation sur les instructions que le jeune ambassadeur emportait à
Vienne. Tels sont, d'un bout à l'autre du livre, le décousu et le
sans-gêne qui en sont le moindre défaut.
2. M. de Richelieu conserva avec soin, pour son usage ou pour
celui du ministère, tout ce qui concernait cette mission, dont il
était très fier. Outre toutes les dépèches et les minutes de ses
réponses, autographes pour la plupart, qui subsistent encore, il
fit transcrire le tout, en trois volumes in-folio, dont le premier a
seul été conservé. Toutefois Soulavie parle de « vingt cartons » où
le maréchal aurait recueilli les pièces relatives aux affaires de
l'Europe du temps qu'il était à Vienne, et ces vingt cartons ne
paraissent pas avoir jamais existé dans la bibliothèque de M. de
Richelieu. La vérification de cette partie des Mémoires est donc
très facile à faire. C'est précisément dans cette même partie que
M. Barrière, en réduisant les neuf volumes de Soulavie, a pratiqué
les plus larges amputations.
.3. Soulavie a amplement utilisé cette correspondance, dont le
ton était tout à fait en harmonie avec le reste de sou récit. C'est
INTRODUCTION. LXV
correspondance du cardinal de Polignac. que l'auteur appelle
« un beau génie » . les moyens de vérification nous manquent ;
elle nexiste plus dans les papiers de lambassade. et. même en
supposant quelle soit réellement adressée à M. de Richelieu,
on peut croire que Soulavie Ta tirée des archives des Affaires
étrangères, ou des papiers particuliers du cardinal, puisqu'on
y trouve à la fois les lettres de M. de Richelieu, les réponses
du caixiinal. et la correspondance de celui-ci avec le ministre des
affaires étrangères. Certaines lettres du cardinal de Fleun- et
celles de M™*" de Prye, qui sont imprimées soit dans les
Mémoires, soit dans la Vie privée ^ ont également disparu des
portefeuilles du maréchal ; mais leur authenticité peut s'affir-
mer, en rapprochant le texte de celui des pièces analogues qui
nous sont restées. Enfin, on va voir que Soulavie eutconnais-
d'ailleurs une figure curieuse que celle de Silly. Il s'appelait de
son nom Yipart, et, de petit gentilhomme normand, il avait su
devenir fort vite brigadier, puis lieutenant général, porté à la fois
par son mérite réel, par son adresse et par le hasard. Saint-Simon
qui en a fait le sujet d'une Addition à Dangeau (X. 1 11) I est encore
revenu sur lui dans ses Mémoires (éditions des Grands écrivains,
tome XII, p. 189 et suiv.). A la mort du Roi, Silly, tout en fai-
sant figure sans être d'aucun Conseil, s'occupa de s'enrichir en
pénétrant à la suite de Lassay dans la maison de Condé où Law
versait tant de millions. Devenu en même temps favori de second
ordre, il « attrapa » un cordon à la promotion de 172-4, puis une
place de conseiller d'État d'épée, et prit sur M. de Morville aux
Affaires étrangères une telle influence qu'il allait obtenir l'am-
bassade de Madrid, sans la chute de Monsieur le Duc. Il ne put,
malgré ses efforts, rentrer en faveur sous Fleun,', et après un
dernier dégoût plaisamment raconté par Saint-Simon, il se retira
chez lui, où peu après on le retrouva noyé dans un fossé, sans
qu'on ait pu savoir si c'était accident ou suicide. C'était, au dire
de M™« de Staal, dont il était courtisan assidu, un esprit et un
cœur peu estimables.
1. L'auteur de la Vie privée a eu communication des mêmes
documents que Soulavie, et, comme Soulavie, il a sans doute
conservé une partie des pièces mises entre ses mains.
e
LXVI INTRODUCTION.
sance d'un récit dicté par le maréchal lui-même, sous forme de
Mémoires, et qu'il put l'utiliser, sinon dans le tome IV dont il
est ici question, du moins pour le volume suivant, où il trouva
un prétexte quelconque pour revenir sur l'ambassade de
Vienne.
Le tome IV finissait par une suite de dissertations vides,
lourdes, fatigantes et fausses sur l'état du clergé en 1732. Là
s'arrêta la première partie de la publication, on pourrait dire la
première manière de l'auteur, puisqu'il donna les cinq derniers
volumes en 1792, et même réédita les premiers, sous une
forme entièrement différente, concession bien médiocre à de
justes critiques.
Rédigé en 1790, livré au public dans les premiers jours de
l'année 1791, puis réédité en 1792 avec la première et la der-
nière partie des Mémoires, le cinquième volume témoigne, par
le désordre des matières, quil a été l'objet d'un remaniement,
pour y faire entrer après coup des documents dont Soulavie
n'avait pas eu connaissance en 1789. Ces documents sont à peu
près authentiques ; ils proviennent très certainement des
archives du maréchal de Richelieu ; toutefois Soulavie leur a
fait subir quelques altérations. La pièce qui nous intéresse le
plus directement est le fragment relatif à l'ambassade de
Vienne * , et c'est sans doute à cause de son authenticité que
l'auteur des Mémoires, après avoir consacré un demi-volume à
l'étude d'événements ou de personnages plus récents, s'avisa de
revenir à un épisode plus ancien de la vie du maréchal, qu'il
semblait avoir épuisé dans le tome IV. Mais, en comparant
1. T. V, chap. XXXI, p. 215-229. — « Voici, dit Soulavie,
comment le duc de Richelieu raconte le détail de ses négociations,
dans un mémoire qu'il a composé dans une extrême vieillesse.
Ce mémoire renferme des erreurs de dates et de faits ; mais il a le
mérite d'être la récapitulation de la vie politique du maréchal de
Richelieu, »
J
INTRODUCTION. LXVII
cette pièce avec les textes originaux ' que nous donnons plus
loin, on verra que, selon sa constante habitude, Soulavie a
ajouté une foule de détails incidents, à côté d'un certain nombre
de phrases conservées plus fidèlement ^. Ces détails, du reste,
ainsi qu'une notable partie de ceux qui forment le chapitre
suivant, il les empruntait aux papiers diplomatiques que le
maréchal de Richelieu avait rapportés de son ambassade '.
Mais, jetés au hasard, dans le milieu d'un volume qui ne
renferme que des dissertations sur la politique générale de
l'Europe, les deux chapitres dont nous venons de parler
perdent tout le mérite de leur authenticité, sans d'ailleurs faire
connaître autre chose que des détails presque futiles sur la
mission importante qui fut le début politique de M. de
Richelieu ^
Ce qui vient d'être dit du tome V, est exactement applicable
aux quatre volumes qui terminèrent, en 1792-1793, la publi-
cation des Mémoires de Richelieu : même confusion des époques
et des matières, même mélange informe de détails authen-
tiques et d'amphfications diplomatiques. Ainsi qu'il en a été
pour l'ambassade de Vienne, l'histoire de la faveur de M"»" de
Mailly et de Châteauroux apparaît alternativement dans un
volume on dans l'autre ^, encadrée entre un nouveau chapitre
1 . II y a deux rédactions différentes de cette première partie
des Mémoires, et on les trouvera plus loin à la suite l'une de
l'autre.
2. Il est curieux de constater que ce premier fragment est pré-
cisément une des pièces que M. Barrière n'a pas conservées.
3. Cf. les lettres citées dans le chap. xxxii avec les docu-
ments que nous donnons sur les mêmes faits.
4. Les trois pièces qui terminent le volume, p. 363, 367 et 402,
et que Soulavie dit avoir extraites des portefeuilles du maréchal,
semblent être en effet du nombre de celles qui ont disparu de ces
portefeuilles.
5. T. YI, p. 53-136 ; t. VII, p. 1-84.
LXVIII INTRODUCTIOiN.
de l'Homme au masque de fer, une excursion dans la Vie
privée de M. de Richelieu, ou un tableau de la politique euro-
péenne, qui mène le lecteur jusqu'à la révolution de Gènes et
l'année 1747 ^ pour le faire revenir plus loin à la campagne de
1744 et au célèbre voyage de Metz. Dans les différentes parties
de ce récit entrecoupé, le Journal du duc de Luynes sert
de guide à Soulavie, qui le commente à sa façon 2. Quant aux
papiers précieux que M. de Richelieu avait conservés, comme
directeur principal de presque toutes ces intrigues ; quant aux
correspondances complètes qui existent encore, il est évident
que Soulavie les connaissait, il est même probable qu'il avait
compté s'en servir ' ; mais c'est tout au plus s'il peut citer une
note du roi Louis XV *, et une seule lettre de M"^ de Châ-
teauroux à M. de Richelieu ^, lettre qui avait déjà été publiée,
dès 1790, dans la Vie privée *, et c'est précisément la seule dont
l'authenticité puisse être contestée. En un mot, cet épisode si
important,, se trouve ici défiguré, le sens pohtique en est éga-
1. Cette partie des Mémoires semble avoir été faite d'après les
pièces conservées au dépôt des Affaires étrangères.
2. Cf. t. VI, p. 99, la description du départ de M. de Richelieu et
de sa voiture de voyage, avec celle que donne M. de Luynes, à la
date du 13 décembre 1742 (t. IV, p. 299). Le récit du départ du
Roi, en 1744 (t. Vil, p. 7 et suiv.) est textuellement copié sur le
Journal, tandis que les épisodes du séjour à Metz sont constam-
ment travestis (t. \ïl, p. 30 et suiv.)
3. T. VI, p. 71, note, il annonce, comme preuve de la partici-
pation que Richelieu avait à l'affaire Châteauroux, un n° l*"" de
Pièces justificatives qui ne se retrouvent nullement à la fin du
volume.
4. T. VI, p. 155.
5. T. VII, p. 50.
6. T. m, p. 335. — De même, le fragment de lettre reproduit
dans les Mémoires, t. VII, p. 113, comme lettre de M. de Tencin,
n'est qu'un passage altéré et inintelligible pris dans la Correspon-
dance de M™« de Tencin, Vie privée, t. II, p. 435.
INTRODUCTION. LXIX
lement altéré, et on ne peut voir là qu'un effet des procédés
ordinaires et de la mauvaise foi de Soulavle, puisqu'il avait sous
les yeux les documents de la Vie privée publiée dès 1790 et
rééditée en 1792. documents authentiques, extraits des archives
de M. de Richelieu, où Soulavie avait pu jadis en prendre con-
naissance. Quel embarras davoir laissé prendre les devants à
un ancien collaborateur, devenu un concurrent sérieux ! Main-
tenant que les trois volumes de la Vie privée ont livré au public
la meilleure partie des dépouilles récoltées avant 1788, et que
le public est initié à l'antagonisme des deux ennemis, Soulavie
ne sera plus qu'un plagiaire s'il reproduit pour son compte ces
documents qu'il avait à l'avance présentés comme sa propriété
personnelle et exclusive. Tout au plus lui restera-t-il, dans les
épisodes oii la Vie privée a laissé des lacunes, la faculté d'inter-
caler les pièces négligées par son devancier ^ .
Le tome VIII des Mémoires fait successivement passer devant
les yeux du lecteur la cour de Lorraine, la cour de France et
la querelle des pairs, conduits par Richelieu, contre les princes
légitimés, puis le Roi et son entourage, le Dauphin et les deux
Dauphines. le jésuitisme et M™* de Pompadour, à propos de
laquelle Soulavie résume presque tout ce qui a été dit depuis
lors, vTai ou faux, y compris le théâtre des petits cabinets.
Quant à M. de Richelieu, il eu est à peine question dans ces
1. C'est ainsi que Soulavie reproduit (t. Vil. p. 136-140) le
récit de la bataille de Fontenoy, d'après le mémoire présenté en
1813 au Roi par M. de Richelieu, le récit des Mémoires authen-
tiques qu'on trouvera plus loin, n° YI. A propos du Dauphin et
des deux Dauphines (t. YII, p. 133), Soulavie transcrit un frag-
ment de la lettre écrite par le Roi à Richelieu, et reproduite
dans la Vie privée. Ailleurs encore it. VUI, p. 289), à côté d'ime
autre lettre du Roi empruntée à la Vie privée, il reproduit une note
du prince dont il met, dit-il, l'original à la disposition du public,
chez l'éditeur Buisson.
LXX INTRODUCTION.
premiers chapitres et dans ceux qui sont relatifs au ministère
de M. de Machault et à la lutte du clergé contre Tédit du ving-
tième. Passant aux affaires du Parlement, Soulavie commence
à utiliser des séries nouvelles de documents originaux, les
papiers du président de Meynières, ceux du président Rolland,
ceux du ministère secret. Il dit aussi avoir consulté les corres-
pondances secrètes du maréchal, chargé de négocier la paix
entre le Roi et la magistrature, et ajoute modestement : « M. de
Voltaire savoit tout cela ; mais le temps décrire l'histoire
n'étoit pas arrivé ^ ». Et en effet, quelques pages plus loin ^,
il cite des documents relatifs à ces négociations, une lettre de
Louis XV, etc. ; cest à la Vie privée ^ qu'il a emprunté ces
quelques pièces, bien supérieures comme valeur à tout ce qui
précède ou aux dialogues entre le président de Meynières et
M"' de Pompadour qui terminent le volume.
L'œuvre approchait de sa fin, et quels que fussent l'audace
et le cynisme du contrefacteur, il était moralement impossible
que le remords ne vint pas tourmenter cet homme qui avait
pu, en des temps meilleurs, connaître l'histoire vraie et appré-
cier la valeur des documents authentiques. Des voix autorisées
et respectées le rappelaient, depuis trois ans, à la conscience de
son indignité : il répond par la plus singuUère apostrophe à
tous les « corrupteurs de l'opinion pubUque, plats académi-
ciens » et autres, qui préfèrent les insignifiantes narrations de
l'abbé Millot aux Mémoires de Richelieu, ce fruit savoureux du
nouveau régime. Soit ! ce n'est pas l'histoire, ce ne sont pas
les Mémoires du maréchal, et son héros primitif ne figure dans
1. Mémoires, t. Vin, p. 273, note.
2. Ibid., p. 284, 289 et 293.
3. Vie privée, t. III, p. 328. — Plus loin (p. 298), il prétend que
le Roi avait remis entre les mains du maréchal les papiers qui
prouvaient la trahison du premier président de Maupeou.
INTRODUCTION. LXXI
le livre que comme le plus ordinaire des courtisans. « Le titre
de Mémoires de Richelieu invitoit à lire cet ouvrage, et permet-
toit aux inquisiteurs d'Espagne, de Rome, de Turin et de
Pétersbourg de le laisser parvenir jusque dans des contrées
asservies à leurs opinions religieuses ou politiques. » Mais les
neuf volumes n'en sont pas moins Ihistoire vraie., puisée aux
sources les plus pures. Et le plaisant de cette protestation, où
Tineptie le dispute à l'outrecuidance, c'est que Soulavie prend
de préférence à témoin les Mémoires apocnphes de tout genre
dont il vient récemment d'inonder le public ! Cette manière de
se justifier a trouvé des imitateurs à d'autres époques ;
peut-être réussissait-elle mieux en l'an de grâce 1792. On se
sent humilié de ce voisinage scandaleux pour les Mémoires du
duc de Luynes *, dont l'ancien hôte de Dampierre invoque
complaisamment l'autorité ; mais au moins n'est-on pas obligé
de le croire lorsqu'il proteste que presque toutes ses anecdotes
des « petits appartements « lui ont été transmises par les sur-
vivants de l'ancienne cour et par des gens aussi honorables que
le cardinal de Lujiies. C'est à grandpeine que le lecteur, ainsi
ballotté entre l'histoire et l'imposture, arrivera aux documents
plus importants qui terminent ce dernier volume ^ : le mémoire
du Dauphin contre les parlements, l'histoire de ce ministère
secret dont l'auteur a dit un mot dans le volume précédent et
qui lui a fourni, dit-il, une partie de ses anecdotes ^, etc. Les
papiers du maréchal de Richelieu sont représentés ici par sa
1. Dans le t. V, p. 17, il avait déjà parlé des manuscrits de
M. de Luynes et reconnu l'importance. la sincérité, la minutie du
JournaL mais sans avouer qu'il lui avait fait les seuls emprunts
presque dont on puisse le féliciter.
2. T. IX, p. 40T-412. Soulavie dit le reproduire d'après l'origi-
nal, qui est aujourd'hui conservé aux Archives nationales : voy.
le Musée des Archives nationales, p. 601. n° 990.
3. T. IX, p, 391, 397, 419.
LXXII I>TRODUCTION.
correspondance avec le grand Frédéric, à propos de la capitu-
lation de Closter-Seven, par les deux mémoires justificatifs du
maréchal et par quatre lettres de M. de Stainville *. Ces pièces
sont bien connues, et leur authenticité n'est pas douteuse ;
mais nous verrons que Soulavie, un peu plus loin, est en
complet désaccord avec les souvenirs du maréchal lui-même,
lorsqu'il l'accuse d'avoir organisé dans les moindres détails la
présentation de M"'' du Barry, destinée à renverser M. de
Choiseul ^.
Les Mémoires, achevés d'imprimer le 18 décembre 1792,
eurent un grand débit ; l'époque était favorable pour un homme
tel que Soulavie, et il sut en tirer parti. Toutefois les critiques
ne manquèrent point. Je ne parle pas seulement de la rectifica-
tion que deux commissaires de la Convention le forcèrent à
insérer dans sa seconde édition, au nom du diocèse de Sens et
de l'archevêque qu'il avait injustement attaqué, mais des pro-
testations que la littérature et l'histoire eurent, une fois de plus,
le courage de faire entendre contre l'ami et la créature des
Jacobins. L'histoire a été vengée. Soulavie, par le concours
des plus heureuses circonstances, avait rencontré une mine
inépuisable dans ces archives et ces recueils de tout genre que
le dix-huitième siècle avait fait éclore partout. Un écrivain
consciencieux n'eût pas manqué, dans ce butin, de faire la part
de l'esprit de parti et du libertinage historique : le biographe
du maréchal de Richelieu, alliant résolument le vrai et le faux,
cherchant de préférence l'imposture et le scandale, la diffama-
1. On doit signaler comme un spécimen de la perfidie des
inventions de Soulavie la note de la page 240, où il met en scène
l'infante de Parme et fait accuser, par une personne de probité,
M. de Choiseul d'avoir 5upprw!e cette princesse. C'est d'ailleurs le
prélude d'une suite de chapitres violents dirigés spécialement
contre le ministre.
2. T. IX, p. 404.
I
INTRODUCTION. LXXIII
tion et la calomnie, a fait un livre que la curiosité peut encore
rechercher comme on recherche, ou à peu près, les Chroniques
de l'Œil-de-Bœuf. Mais combien de ses lecteurs ignorent et
ignoreront toujours que ce même Soulavie a été. en réalité, le
premier éditeur, le divulgateur de Saint-Simon, de Dangeau,
de Luynes, du président Hénault, en un mot de la fleur des
Mémoires où nous cherchons chaque jour la physionomie si
complexe et si variable des derniers temps de la monarchie !
Cette obscurité où se dérobent les seuls titres que Soulavie eût
pu faire valoir à notre reconnaissance, est à la fois la consé-
quence et le châtiment de son système historique.
III.
LA « VIE PRIVÉE DU MARÉCHAL DE RICHELIEU ».
Peut-être semblera-t-il singulier de chercher des pièces
authentiques dans un livre encore plus suspect que les Mémoires,
dans la Vie privée du maréchal de Richelieu ; ce ne sera pour-
tant que justice de reconnaître une réelle valeur historique à
cette publication, dont nous avons vu la concurrence avec celle
de labbé Soulavie.
I/auteur était .Tean-Benjamin de Laborde. premier valet de
chambre et favori de Louis XV, devenu fermier général à la
mort de son maître, sans renoncer à son double goût pour la
musique et les belles-lettres. Son intimité avec le maréchal qui
lui laissait la libre disposition de ses papiers et qui même lui
en donna une partie, est attestée soit par diverses pubUcations,
notamment celle de la Correspondance du cardinal et de M'^^de
LXXIV INTRODUCTION.
Tencin avec M. de Richelieu (1790, 2 vol. in-8)^ soit par le
témoignage de Soulavie lui-même, qui avait été son compa-
gnon de travail, presque son collaborateur, avant de devenir
son rival et de dénigrer ses productions. Cependant Barbier et
Quérard attribuent la rédaction des deux premiers volumes de
la Vie privée à Faur, ancien secrétaire du duc de Fronsac, et
croient que le troisième volume, uniquement consacré aux
aventures galantes, est de son invention 2. A ce compte, Laborde
n'aurait été que le compilateur ou l'éditeur. Quoi qu'il en soit,
voici comment la Vie privée elle-même établit l'origine des
documents authentiques qui font le prix du livre et la valeur
respective de tous les travaux entrepris ou exécutés sur le
même sujet.
« Depuis longtemps, on prioit le maréchal de dicter quelques
détails sur sa vie et de permettre qu'on les rédigeât sous ses
yeux ; plusieurs personnes s'ofTroient à tenir la plume ; mais
c'étoient toujours de nouvelles difficultés de sa part. Il a con-
fié des matériaux à plusieurs particuliers, qui en ont fait peu
d'usage. Toutes les recherches faites dans ses papiers ont eu
très peu de suite, parce que le maréchal n'en mettoit à rien.
A dire la vérité, ses papiers furent dispersés, et ce fut à qui en
réuniroit le plus ; mais nous assurons le public que nous sommes
seuls possesseurs des manuscrits connus du maréchal. »
Parmi les aspirants à ce poste d'historiographe, le maréchal,
continue la Vie privée, avait distingué l'abbé de Voisenon, celui
que Voltaire appelait l'évêque de Montrouge. « Un jour, lui
« disait-il, je me confesserai à vous, et je vous permets de
« révéler ma confession. Vous l'écrirez, petit abbé, et mes
1. En 1806, on publia neuf autres lettres.
2. Faur avait fait des comédies, des opéras ou des mélodrames,
soit en vers, soit en prose.
INTRODUCTION. LXXV
« péchés, embellis du charme de votre style, deviendront
« agréables au public. » — Labbé accepta cet emploi avec
plaisir, et se rendit plusieurs fois chez M. de Richelieu, qui,
toujours occupé de choses différentes, négligea de tenir sa pro-
messe ^ »
Venu après Voisenon, mais plus habile que lui, B. de Laborde
se fit communiquer les pièces mêmes, en conserva une partie
entre ses mains ^, et continua, après la mort du maréchal, à
jouir de ses entrées dans la bibliothèque. Ce fut ainsi qu'il put
faire paraître en 1790, dans la collection des Mémoires histo-
riques, un fascicule de 104 pages contenant un certain nombre
de lettres du cardinal de Tencin et de sa sœur au duc de
Richelieu, au maréchal deNoailles, au Roi, etc. ; lettres authen-
tiques qui existent encore aujourd'hui dans les papiers de
Richelieu, mais dont la publication reste incomplète puisqu'elle
s'arrête brusquement au milieu d'une lettre du 20 juillet 1743,
et que les originaux vont jusqu'à l'année 1757 ^. Une autre
partie du dossier devait trouver place dans la Vie privée.
Ce nouveau travail semble réellement avoir eu pour but de
rétablir la vérité trop odieusement altérée dans les premiers
volumes des Mémoires que Soulavie venait de faire paraître à
cette époque. Soulavie seul put voir dans cette publication une
concurrence de librairie ; elle lui était d'autant plus sensible
que son éditeur ordinaire, Buisson, la prenait sous son patro-
1. Vie privée, t. Il, p. 401.
2. Soulavie, dans ses Pièces inédites, dit que quatre lettres écrites
par Louis XV entre 1732 et 1734, ont été données en original par
le maréchal à M. de Laborde, et que celui-ci lui a communiqué
les copies dont il se sert.
3. Le volume devait avoir 400 pages. Suivant l'avis imprimé
sur le faux titre, il « étoit imprimé depuis longtemps : des circon-
stances, et la demande des souscripteurs, ont exigé de donner la
collection sur un format ordinaire, »
LXXVI INTRODUCTION.
nage. Mais pourquoi les auteurs de la Vie privée jugèrent-ils à
propos de présenter leur livre sous le couvert d'une espèce de
légende? Le maréchal, disent-ils, avait, dans les derniers temps
de sa vie, confié à un ami, M. de***, ses recueils d'anecdotes
galantes, de lettres, de manuscrits, pour faire connaître plus
tard « ses folies ». M. de*** mourut quelque temps avant le
maréchal, et ses héritiers, de bonne ou de mauvaise foi, ven-
dirent au plus offrant les papiers qui n'avaient été confiés qu'en
dépôt ; la trace en était déjà perdue, quand l'éditeur (en 1790)
rencontra leur détenteur dans une société où l'on parlait du
livre à la mode, les Mémoires du maréchal. Cet homme, dont
le nom ne nous est pas donné, s'offrit obligeamment à commu-
niquer ce qu'il possédait, dans l'espérance qu'on restituerait
les faits trop souvent altérés et les détails dont Soulavie était si
mal instruit. Il finit même par abandonner la propriété des
originaux aux amis du maréchal, qui s'associèrent pour en
exécuter la publication. Une première édition parut tout aussi-
tôt, en 1791, chez Buisson ' dans le format in-S" ; une seconde,
1. Voyezle Journalde Paris, 13 août 1791 qui contient l'énumé-
ration détaillée des livraisons parues chez Buisson du 8 septembre
1790 au 10 juin 1791. — Des extraits de la Vie privée avaient été
donnés dans le Mercure des 2, 9 et 16 avril, accompagnés d'articles
de C. . . [Chamfort] . Il commence par rappeler l'engouement qui avait
accueilli les quatre volumes de Soulavie, et qui venait de ce que
ces volumes contenaient tout autre chose que les Mémoires de
Richelieu, et surtout des hors d'œuvre absolument opposés à
l'esprit et aux principes du maréchal. « Ce ridicule fut senti, mais
pardonné en laveur de l'intention, le texte du sermon plaisait, et
on fit grâce à l'inconvenance de le faire prêcher par M. de Richelieu.»
Au contraire, la Vie privée ne donne que ce qu'elle avait promis.
Partout, C. . . affecte de croire qu'elle est écrite par Richelieu lui-
même, pour mieux insister sur « les côtés immoraux, sur les
opprobres et les horreurs » auxquels 1789 avait mis fin (p. 26 et
suivantes). C. . . termine en faisant ressortir la valeur des pièces
mises en appendice (p. 100).
INTRODUCTION. LXXVII
de format in-12, fut mise au jour Tannée suivante, avec de
larges retouches, des additions, etc. \
La Vie privée représente bien plus fidèlement le maréchal
que ne le font les Mémoires, où il est à peine question de lui.
Pourquoi faut-il que le mélange d'obscénités fort inutiles, fort
superflues, et que l'allure de roman licencieux aft'ectée par cer-
taines parties de ces trois volumes leur aient fait une si triste
réputation et aient, par une juste conséquence, enlevé toute
autorité aux documents placés en pièces justificatives ? Quoique
beaucoup de ces derniers aient été dispersés en sortant des
mains des éditeurs, on peut retrouver un certain nombre des
originaux, et la confrontation avec les textes de la Vie privée,
de même que lexamen critique des autres pièces, ne permettent
pas de mettre en doute leur authenticité et leur exactitude.
Récit ou roman à part, il faut considérer comme pièces histo-
riques les lettres de M"^ d'Averne, où Ton voit Voltaire
jouer un si singulier rôle, et empiéter, pour l'amour de son
jeune patron, sur le domaine de Mercure ; le pis est que l'affaire
serait aujourd'hui du ressort de la cour dassises. Historiques
aussi et non moins authentiques les lettres de la fameuse
duchesse de***, de M"^ de Charolais 2, de la marquise de Villeroy
et de M""^ de Goësbriand. El par suite, l'authenticité indubi-
table des lettres de la duchesse de*** nous force à ranger parmi
les faits historiques et réels la triste aventure de M"*^ Michelin
et de son amie, avec tous les épisodes, ou presque tous, qui
forment le fond galant de la Vie privée. Dans la liste des
maîtresses que nos auteurs énumèrent si complaisamment,
non sans en passer un bon nombre et des meilleures, M*"^ de
1. Voyez le Mercure des 21 avril et 5 mai.
2. Sur le mariage prétendu du duc de Richelieu avec cette prin-
cesse (juillet 1720), voir le Journal de Math. Marais, t. !=■•, p. 324
et s., 350, 361, 363, 403.
LXXVIII INTRODUCTION.
Parabère ne pouvait manquer de tenir sa place, et ils nous
révèlent que le Régent et Richelieu eurent des droits égaux à
réclamer la paternité d'un enfant qui naquit après la mort du
Régent. On trouve, dans un catalogued'autographes * , une lettre
de cette favorite au jeune Richelieu, qui prouve en effet le plus
fol amour. On peut chercher encore un autre contrôle dans la
Correspondance de Madame ^.
Dans un ordre d'idées plus sérieux, il faut signaler l'extrait
d'un mémoire sur le mariage de Louis XV, remis au duc de
Richelieu par M"* de Gontaut ; les lettres relatives à l'ambas-
sade de Vienne, celles de l'évêque de Fréjus et la description de
l'entrée solennelle de l'ambassadeur, qui sont conformes, ainsi
que cet incident des Mémoires de Soulavie, aux papiers diplo-
matiques parvenus jusqu'à nous. Dans le second volume, la
scène de Metz est racontée de la même façon et avec les mêmes
expressions que par M. de Richelieu lui-même, dans ses
Mémoires authentiques ; la note du duc, apostillée parle Roi, à
propos de la mission en Saxe, le discours au sénat de Gènes, la
lettre du cardinal de Fleury sur le premier séjour du duc en
Languedoc ^, les extraits de la correspondance du président de
Gascq et de M. Niquet avec le maréchal, la note du Roi au
sujet des distinctions que la maison de Lorraine se fit accorder
lorsque le Dauphin épousa l'archiduchesse Marie-Antoinette,
la réplique de la noblesse française, le mémoire si remarquable
donné au Roi par M. de Richelieu pour prévenir le retour des
1. Catalogue li***, n" 441, avril 1844.
2. Recueil Brunet, voy. t. I", p. 221, l'histoire si plaisante des
bijoux, et p. 301, le récit de cette entrevue que le jeune duc et
son ami, le chevalier de Guémené, réussirent à se procurer avec
deux jeunes duchesses dans un couvent des environs de Paris.
3. Ici (t. II, p. 131) la Vie privée se trompe de date en ratta-
chant cette lettre à la session de États de 1748-49, puisque le
cardinal était mort en 1743.
INTRODUCTION. LXXIX
dragonnades, — toutes ces pièces capitales ont été empruntées
aux dossiers du maréchal. Leur authenticité ne doit-elle pas
entraîner celle des pièces voisines, alors même qu'on n'en
connaît point précisément l'origine, comme ces trois lettres de
Voltaire au maréchal ' qui cependant n'ont point été repro-
duites dans sa Correspondance générale ?
Le morceau principal du troisième volume de la Vie privée a
eu les honneurs de la reproduction : Fr. Barrière, après avoir
intercalé dans son texte de Soulavie « tous les faits intéressants
et neufs » des deux premiers volumes, a fait un appendice spé-
cial pour les « Détails des premières aventures de M. le maré-
chal de Richelieu, faits et écrits par lui-même, pendant son
séjour au Languedoc, à M"*" la marquise de M***, etc. »
Barrière ajoute : « Ce très curieux et fort original morceau
passe, avec assez de vraisemblance, pour être écrit, sinon de la
main, du moins sous la dictée du duc de Richelieu. Il règne
dans le récit de ces désordres, qu'on pourrait signaler par un
mot plus sévère, un air d'aisance, un amour-propre d'auteur,
et surtout une perversité de bon ton, qui ne pouvaient appar-
tenir à nul autre qu'au maréchal. »
Nous n'avons aucune raison pour confirmer cette apprécia-
tion, ni pour la combattre ; mais les bibliographes modernes
attribuent à Faur toute l'invention du morceau dont il s'agit.
Quoique le public le connaisse beaucoup mieux que les parties
plus sérieuses de la Vie privée, il n'intéresse aucunement
l'histoire ; laissons-le donc aux romanciers ou aux dramaturges,
si tant est que leurs prédécesseurs n'aient pas fait table rase.
Mais ce dernier volume se termine par une série de pièces
plus intéressantes les unes que les autres. Là se trouvent des
lettres de Louis XV si reconnaissables à leur style lourd, même
1. Elles sont datées : Lyon, 29 novembre ; Monrion, 26 mai
1757, et le 2 décembre 1775.
LXXX INTRODUCTION.
lorsqu'il veut badiner, et à un usage fatigant des réticences, des
sous-entendus et des termes de convention. On y sent bien la
défiance générale, le mépris, et d'autre part lindolence, la passi-
vité impardonnable qui feront à jamais la honte dun prince
mieux doué pour mener la vie d'un libertin de second ordre
que pour occuper le trône de France durant une des plus diffi-
ciles périodes de notre histoire ! Ce ton-là, il s'en sert aussi
bien en écrivant à ses ministres ou à ses agents politiques que
pour causer avec ses meilleurs favoris, ses maîtresses ou sa
famille. Il n'y a qu'un point sur lequel il se livre volontiers,
c'est la plaisanterie grivoise mais lourde ; avec M. de Richelieu,
il se trouve tout à l'aise, et les idées hbertines semblent par-
fois secouer l'engourdissement où le plonge la seule idée d'une
séance du Conseil et d'une affaire d'État. Certaines des lettres
données par la Vk privée sont des pièces capitales ; mais, pour
connaître le personnage, il faut lire cette épître du 4 janvier
1747 *, où il entretient M. de Richelieu de sa future belle-fdle,
la seconde Dauphiue. Impossible d'outrager plus complètement
les convenances les plus élémentaires, celle que respecte avant
tout le père de famille, et que le royal libertin prend, au con-
traire, pour texte de ses grossières plaisanteries. Tout autre est la
lettre datée du 11 juillet 175.3, ou celle du 4 avril 1771. Louis X'V
s'y exprime hardiment, franchement, une fois n'est pas cou-
tume ! sur les parlements et leur opposition. Il se montre
presque roi ; on l'accepterait tyran pour le voir sortir d'une
torpeur si honteuse ; mais il ne trouvera aucun accent généreux
pour blâmer le vaincu de Rosbach ou demander une revanche !
Parmi les autres pièces Justificatives qui composent cet
appendice, se trouve la correspondance du maréchal avec M. de
Paulmy et M. de Bernis, ministres de la guerre et des affaires
1. Vie privée, t. U, p. 348.
INTRODUCTION. LXXXl
étrangères, à propos des opérations qui amenèrent la capitula-
tion de Closter-Seven. Il est proi^able que ces documents ont
été copiés soit sur les originaux conservés dans chaque minis-
tère, soit sur les minutes. Enfm viennent les pièces relatives
aux difficultés que le maréchal éprouva en 1774 pour conser-
ver son cher gouvernement de Guyenne, et à son remplace-
ment par le Heu tenant-général, qui était le duc de Xoailles-
Mouchy. son neveu par alliance. La lettre du maréchal au Roi
est fort curieuse, et quelques détails de celles de M. de Xoailles
sont intéressants en ce qui concerne l'installation de vrai sou-
verain que M. de Richelieu sétait faite à Bordeaux.
La Vie privée n"a pas le seul mérite de renfermer des textes
précieux ou de rétablir une biographie authentique : ce hvre
diffère tout aussi essentiellement de celui de Soulavie par un
ton d'impartialité et de respectabihté, que naltère jamais une
tentation de polémique ou de scandale. Dans les affaires déli-
cates, comme celle de M""' de Saint- Vincent, les auteurs ne
cherchent la réhabilitation que preuves en mains, et il est bien
rare qu'ils ne concordent pas alors avec les récits du maréchal ' .
Un dernier mot. On a justement ridicuhsé chez Soulavie sa
manie de faire débiter à son soi-disant héros des prophéties
rétrospectives. Mais la Vie privée a réellement prophétisé ^ en
prédisant au jeune comte de Chinon. au futur ministre de
Louis XVIII, les vertus du citojen et du sage ^.
1. Ils ne sont pourtant pas d'accord avec lui quand ils font
entendre (t. U, p. 272 et s.) qu'il avait connu longtemps d'avance
M™« du Barry.
2. Vie privée, t. II, p. 424, note.
3. Mentionnons encore, avant de finir, deux publications, à
prétentions plus ou moins biographiques, sur le héros des
Mémoires et de la Vie privée : l'une vendue chez Barba, comme
étant du chevalier de Rulhières sous le titre d'Anecdotes sur
Richelieu, et dont le Mercure du 17 mars 1792, trop indulgent de
f
LXXXII INTRODUCTIOÎI.
IV
LES PAPIERS DU MARECHAL DE RICHELIEU
ET LE MANUSCRIT DES MÉMOIRES AUTHENTIQUES.
Il était peu de chartriers aussi riches en pièces historiques
que la bibliothèque du maréchal de Richelieu, et peu aussi
qui fussent plus propres à exciter la convoitise. Aussi avons-
nous vu que le maréchal, et après lui son héritier, furent assié-
gés, circonvenus, et souvent dépouillés par différents hommes
de lettres. En dernier lieu, Sénac de Meilhan avait obtenu
communication de presque tous les dossiers qui pouvaient
servir à écrire de vrais Mémoires, lorsque mourut à Paris, le
4 février 1791, le fils du maréchal, l'ancien duc de Fronsac,
Louis-Sophie-Antoine, duc de Richelieu. Au lieu de rendre ce
dépôt à la succession, Sénac le laissa chez lui en se retirant à
l'étranger, et le reste des papiers, par suite de l'émigration du
nouveau duc de Richelieu, Armand-Emmanuel- Sophie-
Septimanie, anciennement connu sous le titre de comte de
Chinon, furent saisis et séquestrés en l'an II. L'inventaire,
daté du 11 frimaire, comprend, (outre les anciens titres de la
moitié, disait que les Anecdotes pouvaient être authentiques,
mais mal écrites et encore plus mal imprimées. — L'autre, de
quarante ans plus récente, par laMotte-Langon, esten six volumes,
sous le titre : Mémoires historiques et anecdotiques sur le maréchal
de Richelieu. Accueillis par l'indifférence la plus complète, ces
volumes renferment pourtant des morceaux intéressants et authen-
tiques, mais dont le tort est d'être empruntés à Saint-Simon, à la
Vie privée, etc. — Enfin M. de Lescure a publié en 1869 en quatre
volumes in-12 des Nouveaux mémoires du maréchal de Richelieu,
pastiche romanesque sans valeur historique, dont les sources
principales sont aussi les publications de Soulavie, la Vie privée
et les Mémoires, authentiques ou non, des contemporains.
J
INTRODUCTION. LXXXIII
famille et les papiers de la succession du cardinal de Richelieu,
ainsi que les titres de la Sorbonne et du Palais-Royal), cin-
quante-huit cartons en forme de livres, contenant des lettres,
mémoires et notes relatifs à différentes affaires politiques trai-
tées du temps du cardinal, — plusieurs gros volumes ou liasses
de comptes et états de l'Épargne, — onze cartons de lettres
missives, papiers de procédure et pièces diverses, — et enfin
un « buste en bronze et cuivre, adapté sur un piédestal de
marbre tourné, représentant le ci-devant cardinal. »
Le dossier joint à cet inventaire * nous fournit encore d'autres
renseignements instructifs. On y voit par exemple que les titres
féodaux et nobiliaires furent réunis par les commissaires char-
gés du triage, pour être détruits par le feu ^ ; au contraire, les
« manuscrits historiques », rangés sous la rubrique Arts et
sciences, furent conservés soigneusement ; on peut juger de
leur importance par l'énoncé de quelques cotes '. Quant aux
1. Arch. Nationales, série T 184, papiers Richelieu.
2. Titres de noblesse, féodalité, dignités : « 1° Un grand livre
in-folio, relié en maroquin rouge, et qui contient toute la généa-
logie de la maison de France depuis Hugues Capet jusqu'à
Louis Xni, avec la peinture des armoiries de chaque branche et
génération ; 2° une grosse liasse de parchemins et de titres anciens
et nouveaux, purement relatifs à la noblesse et à la féodalité, et
que nous avons réunis, pour être brûlés conformément à l'arrêté
du département. »
3. Cote 89. Sept liasses de lettres originales écrites au cardinal
de 1621 à 1628. — Cotes 90 et 91. Neuf liasses item de 1629 à
1638. — Cote 92. Deux liasses de lettres écrites à différentes
époques, et notamment par le duc et la duchesse de Savoie, l'am-
bassadeur de Savoie, Gaston de France, la reine-mère, etc. —
Cote 93. Quatre liasses item : 1° Procès de M. de Chalais, conte-
nant des lettres, et, entre autres, celles du maréchal d'Ornano ;
2° lettres de M. de Montbazon et de Henri de Rohan ; 3" 16 lettres
de M™« de Chevreuse ; 4° lettres au cardinal et autres personnes
de la Cour. — Cote 94. Quatre liasses relatives à l'affaire du
chevalier de Jars et de M. de Châteauneuf. La 3« comprend les
LXXXIV INTRODUCTION.
papiers qui se trouvaient chez Sénac de Meilhan, on les mit
également sous les scellés ; mais ils ne furent inventoriés qu'en
l'an VII. par les membres du Bureau du triage des titres et
les commissaires du Bureau des domaines. « Nous avons vu.
dit le procès-verbal du 4 frimaire, que la majeure partie de ces
papiers consistoit en une correspondance militaire ou politique
entre le ci-devant maréchal de Richelieu, les ministres, généraux,
ambassadeurs et inférieurs, embrassant le temps de ses ambas-
sades, des guerres d'Italie et d'Hanovre, de son gouvernement
de Languedoc, tous papiers par faUemenl inutiles aujourd'hui/,
que nous avons néanmoins laissé au Bureau du triage des titres
pour satisfaire en cela à l'arrêté du Directoire exécutif du sept
messidor de l'an deux sigiié : Blondet. Jourdain. M.-E.
DE ViLLiERS *. » Les commissaires ayant mis à part et envoyé
au Bureau des archives des Domaines nationaux onze cartons
où ils avaient entassé les titres de la famille Sénac de Meilhan
ainsi que « beaucoup de papiers d'intendance sans utilité quel-
conque », et laissé au Bureau du triage, avec les papiers du
maréchal, « quelques pièces intéressantes dans la partie histo-
rique et diplomatique, comme étant de son attribution » , il est
lettres de M. de Ghâteauneuf en 1632, et la 4* les lettres de M"»«de
Ghevreuse à Ghâteauneuf. (Gf. la Préface de V Histoire de Louis Ilfl,
pour laquelle le P. Griffet eut communication de ces documents).
— Gotes95 et 96. Huit liasses de lettres et pièces relatives au traité
conclu à Bade entre l'Empire et la France le 7 septembre 1714. —
Cote 97. Six petites liasses de lettres écrites au maréchal de
Richelieu, « avec l'indication de leur couverture écrite de sa propre
main « : 1° du cardinal de Tencin ; 2° de M. de Mirepoi.x, comman-
dant à Nice : 3° de M. d'Argenson ; 4° du marquis d'Ahumada ;
5° de l'ambassadeur de France en Espagne ; 6" de l'infante. Plus
une lettre en chiflres, avec traduction, de M. de Duras, en date
du 30 avril 1753. — Gote 98. Deux fortes liasses de papiers rela-
tifs à l'ambassade du maréchal à Vienne, 1725-1728; etc.
1. Procès-verbal original ; Arch. Xat., M 714.
J
INTRODUCTION. LXXXV
étonnant que cette portion du butin ne soit pas allée rejoindre
les papiers du maréchal dont ils faisaient partie intégrante. Dès
lan IV. les cohéritières du duc de Richelieu^ obtinrent la
remise dune partie des titres confisqués après le départ de leur
frère. Celui-ci. établi en Russie, fit un voyage à Paris, après
la paix de 1801. pour régler les dettes de son père et de son
aïeul ; on sait qu'alors il abandonna aux créanciers tous ses
droits, sans rien conserver de l'héritage immense du cardinal
de Richelieu, et, réduit à une indigence qui devait plus tard
faire un de ses titres de gloire, il regagna Odessa, au commen-
cement de 1803. Son attention s'était portée sur les papiers
du maréchal : le 21 prairial an XI, il avait obtenu la restitution
immédiate de tous les titres et documents autres que ceux qui
constituaient la propriété des bois et forêts ; en 1804. son man-
dataire reçut effectivement cinquante-trois dossiers ou cotes.
sur les cent que comprenait l'inventaire de 1791, et dans ce lot
figuraient ceux des papiers du cardinal de Richelieu et du maré-
chal dont rénumération a été donnée plus haut'. Mais cette
rentrée en possession n'était point complète, et les Archives
nationales, héritières du Bureau du triage, détenaient encore
une grande partie des papiers de famille, que les deux sœurs
du duc de Richelieu réclamèrent après la mort de leur illustre
frère. Les Archives rendirent, en 1827, les pièces relatives à
la fortune territoriale, avec l'exception ordinaire des « titres
relatifs à des biens entachés de féodalité', » et conservèrent un
1. Annande-Marie-Antoinette du Plessis de Richelieu, mariée
à Louis-Pierre-Marie-Paulin-Hippolyte-Dieudonné, marquis de
Montcalm-Gozon. maréchal de camp, et Simplicie-Gabrielle-
Armande, mariée à Antoine-Pierre-Joseph Chapelle, marquis de
Jumilhac, lieutenant général.
"2. Yoy. ci-dessus, p. Lxxxni, note 3. On rendit les cotes 12
à 17. 44, 48. 54 à 59, 61 à 65, 66 à 8T. 89 à 100 et dernière.
.3. Ces titres, en très petit nombre, sont conservés dans le car-
ton T 184.
LXXXVI INTRODUCTION.
certain nombre de documents historiques qui, séparés antérieu-
rement de l'ensemble, furent peut-être oubliés et restèrent dans
diverses séries, où ils sont encore ^
Les papiers saisis chez Sénac de Meilhan furent-ils compris
dans ces restitutions successives, ou furent-ils l'objet d'une
remise particuhère aux ayants droit de l'ancien intendant de
Hainaut ? II serait difficile de fixer ce point, puisque la saisie
n'avait pas été accompagnée d'un inventaire suffisant. Ce qui
est plus certain, c'est que plusieurs des dossiers qui avaient été
communiqués à Sénac, à diverses reprises, entre le 17 mars et
le 7 septembre 1789 ^, ne semblent pas être jamais revenus à
leur place légitime, et de là viennent les curieux documents qui
sont entrés soit dans les cabinets d'amateurs, soit dans le
commerce^. Il paraît qu'après la mort de Sénac de Meilhan, un
abbé Kinsingen rapporta de Vienne à Paris une partie des por-
tefeuilles qui étaient restés entre ses mains ; ils passèrent
ensuite aux Laborde, et des Laborde à M. Lecouteulx de Can-
teleu ; sous la Restauration, celui-ci en céda la majeure partie
au duc de Richelieu d'alors "*. D'autres arrivèrent dans le
1. On peut signaler les registres KK 1369 à 1372, qui contiennent
la correspondance originale de M. de Richelieu avec M. d'Argenson,
le maréchal de Belle-Isle, M. de Puyzieulx, M. Bertellet et
diversitaliens,pendant sa mission à Gènes en 1747-48: et KK 1394,
copie de sa correspondance diplomatique pendant son ambassade
à Vienne en 1725-1726. Les registres KK 4215-1216, qui viennent
aussi de ses archives, renferment la correspondance adressée de
1635 à 1640 au cardinal de Richelieu par divers personnages et
agents royaux du midi de la France.
2. Il y a encore, chez les héritiers du maréchal, un bordereau
complet des dossiers communiqués, avec les dates précises.
3. Les catalogues de vente Etienne Charavay des 20 mai 1874
et 22 avril 1882 mentionnent un lot de soixante-neuf lettres adres^
sées à Richelieu par ses maîtresses.
4. Après avoir été successivement transférés, par Sénac de
Meilhan, en Angleterre, en Autriche et en Russie, les papiers
I
INTRODUCTION. LXXXVII
cabinet de M. Feuillet de Conches. Enfin le célèbre collection-
neur Leber avait hérité d'un lot qui avait dû rester à Paris chez
SénacdeMeilhan. Celot. des plus curieux, sinon des plus impor-
tants, est aujourd'hui conservé à la bibliothèque de Rouen, et
quelques-unes des lettres qu'il comprend ont été publiées de
notre temps ^
On voit donc, par tout ce qui précède, que les papiers du
furent, paraît-il, acquis par M. de Laborde de Méréville, qui les
vendit à M. Le Couteulx de Canteleu. sénateur, qui avait déjà
entrepris d'en faire le dépouillement et de mettre en relief leur
valeur historique et biographique, lorsque la menace d'un pillage
le força à les transporter pêle-mêle d'Auteuil, où il habitait, dans
sa propriété de Normandie. Sous la Restauration, le duc de
Richelieu apprenant leur existence, les réclama à l'amiable, et
M. Le Couteulx, alors pair de France, s'empressa de promettre
une réintégration complète à mesure que l'ordre se rétablirait
dans ce fouillis. En retour, il ne demandait que l'appui du ministre;
mais celui-ci insista pour rembourser le prix d'acquisition. La
lettre de M. Le Couteulx et celle du duc ont passé plus tard dans
la vente d'une partie des pièces qui, pour quelque cause indéter-
minée, restèrent entre les mains du détenteur, Sur la lettre de
M. de Richelieu, une annotation de M. Le Couteulx, peu intelli-
gible du reste, nous apprend que « les mémoires de famille furent
réservés a M. de Richelieu et faisaient l'objet d'un écrit qui
devait se confondre avec les ouvrages de M. Sénac de Meilhan. »
Ce qui est plus clair et plus certain, c'est que le ministre avait
commencé par réclamer et, sans doute, mettre à la disposition du
Roi, la correspondance de Louis XY, de M'^^ de Gharolais. de la
princesse de Modène, etc., qu'on devait préserver de toute publi-
cité. Il est étonnant que les mêmes précautions n'aient pas été
prises pour ces paquets de lettres galantes qui n'ont presque rien
à faire avec l'histoire et dont la dispersion aux enchères a été le
fait des héritiers du détenteur.
1. Voy. le Catalogue des livres imprimés, manuscrits , for-
mant la bihîiothèqiie de M. Leber, 18.39 : X" 5815. Lettres galantes
autographes : 1° du duc de Richelieu ; 2° de plusieurs maîtresses de
ce duc, notamment de M™« de la Popelinière ; 3« de M™*^ de Prie,
de Parabère. d'Averne. maîtresses du Régent, et de quelques
LXXXVIII INTRODUCTION.
maréchal de Richelieu, depuis le règne de Louis XVI jusqu'à
nos jours, n'ont cessé de subir des dilapidations regrettables. Il
n'est que trop facile de constater des lacunes, sinon de les expli-
quer, dans le fonds même de ces archives qui est revenu aux
mains des héritiers et des représentants actuels du dernier
ministre. Celui-ci en avait peut-être laissé une partie en Russie;
c'est là peut-être qu'il faudrait chercher ceux des documents
diplomatiques et politiques du cardinal, saisis en 1791, et
restitués en 1806, Il en donna également quelques pièces à des
amateurs ou àdespersonnagesde haut rang i,et il ne paraît pas
s'être occupé de remettre dans le reste des collections l'ordre qui
avait déjà disparu au temps du maréchal. Quoi qu'il'en soit,
et malgré tant de réductions, ces archives sont encore des plus
précieuses et présentent des séries d'une valeur incontestable.
Nous ne saurions trop manifester notre gratitude aux descen-
dants du maréchal pour la haute libéralité qui nous en a livré
les clefs.
Au milieu de ces richesses et de ces correspondances inesti-
mables, la première idée ne pouvait être que de chercher une
autres dames de la cour, etc. (Portefeuille maroquin rouge à
clef). — N" 5816. Lettres autographes secrètes et galantes de la
duchesse de Ghâteauroux et de Louis XV au duc de Richelieu,
etc. (Portef. maroquin rouge à clef.) — n° 5817. Lettre auto-
graphe de la marquise de Pompadour au maréchal de Fitz-James,
du 21 juillet 1756, etc. Ces numéros du Catalogue Leber forment
maintenant les nis. 3334-3336 de la bibliothèque de Rouen. Les
deux premiers articles avaient été indiqués dans Y Aperçu d'une
bibliothèque curieuse formée par un amateur pour un travailleur ,
publié par le Bulletin du Bibliophile, année 1836, n° 6 de la
2« série. Quelques lettres de M^« de la Popelinière à M. de
Richelieu étaient aussi arrivées aux mains du baron J. Pichon.
1. Dès 181 4, les archives du château d'Epoisses avaient fourni
une lettre deM°« de Maintenon adressée au duc de Richelieu, qui
fut publiée par Gh. Millevoye dans ses Lettres inédites de ;¥•»« de
Sévigné. 4« partie.
INTRODUCTION. LXXXIX
réponse à la question si souvent posée : Est-il vrai que le
maréchal de Richelieu ait écrit ou dicté ses Mémoires, et ce
document est-il pour quelque chose dans les œuvres apo-
cryphes publiées sous le couvert d'un nom si célèbre ? C'est
aussi ce que nous avons fait, et la description du manuscrit
dont nous allons parler maintenant, fournira la réponse
demandée.
Un fort cahier, de format grand in-quarto, contenant cent
soixante-quatorze pages écrites, séparées de place en place par
quelques feuillets blancs qui semblent indiquer l'intention de
réunir après coup les divers épisodes par des liaisons et des
transitions, tel est le corps des Mémoires, ou plutôt des frag-
ments autobiographiques qui composent le volume que nous
offrons aujourd'hui au public. Le texte a été écrit sous la dictée
du maréchal, qui se désigne généralement à la troisième per-
sonne et ne parle à la première que rarement, par distraction.
La grande ignorance ou l'ouïe fort mauvaise du secrétaire se
trabissent à chaque ligne : presque tous les noms propres sont
défigurés ; la plupart des phrases pèchent tellement par la
syntaxe et l'orthographe, que le sens en est parfois difficile à
saisir. Les répétitions fréquentes des mêmes mots, parfois des
mêmes choses, alourdissent le récit et fatiguent le lecteur. Tout
montre que cest l'œuvre d'un vieillard dont l'esprit n'a plus
toute sa vigueur première. En outre la rédaction primitive est
surchargée, presque à chaque page, dans les marges ou les
interlignes, par des additions et des corrections de l'écriture
incorrecte et parfois tremblée du maréchal. Ces fréquentes
annotations prouvent quil s'occupa lui-même à plusieurs
reprises de reviser sa dictée ; mais, si elles complètent le récit,
elles n'aident pas à sa clarté ni à sa correction. Enfin, dans
les derniers temps de sa vie, il a ajouté à la suite du manuscrit,
demeuré inachevé, quatre pages autographes résumant quelques-
XC INTRODUCTION.
uns des incidents les plus curieux de sa longue existence. Un
peu plus tard encore, et d'une main singulièrement affaiblie,
il a inscrit en marge de la première page du cahier ces mots :
« Ce mémoire doit appartenir à M™* la M*'* de Richelieu a qui
je lai doné. »
C'est ici l'occasion de dire quelques mots de cette écriture et
de cette orthographe dont les contemporains, les biographes ou
les contrefacteurs du maréchal lui ont fait un crime irrémissible.
L'écriture est réellement mauvaise ; elle ne fait pas honneur au
calligraphe qui mit la première plume dans la main du jeune
Richelieu, Assez lâchée, tantôt écrasée, et tantôt à peine esquis-
sée, elle est essentiellement journalière, et les difficultés du
déchiffrement augmentent avec l'âge de l'écrivain, après avoir
grandement varié selon les circonstances. L'expression de
Voltaire (lettre du 5 juin 1744) est assez exacte : « Il est vrai que
vous écrivez comme un chat ; mais aussi je me flatte que vous
commandez les armées comme le maréchal de Villars ; car, eu
vérité, votre écriture ressemble à la sienne, et cela va tous les
jours en embellissant ; bientôt je ne pourrai plus vous déchif-
frer. » On peut vérifier sur pièce la vérité de ces dires, d'après
les spécimens donnés dans le Musée des Archives nationales,
n"^ 965 et 1006, ou d'après les autographes qui passent de temps
en temps en vente. Mais, même aux plus mauvais moments,
cette écriture n'a rien qui surprenne, rien qui dépasse l'incorrec-
tion presque générale chez les grands seigneurs de la cour de
Louis XV.
On en peut dire autant de l'orthographe. Linguet, dans un
article nécrologique sur le maréchal {Annales politiques, année
1788, p. 117), lui reprochant de s'être laisser agréger, à l'âge
de vingt-quatre ans, à la « coterie académique », disait qu'il
n'avait aucune idée de l'orthographe, qu'il écrivait comme l'ar-
tisan le plus grossier, etc. Et Chamfort, dans son compte-
i
INTRODUCTION. XCI
rendu de la Vie privée [Mercure, 2 avril 1791, p. 36) : « Tous
ceux qui ont vu des lettres particulières de M. de Richelieu
savent que cet homme, si brillant dans la société, écrivait
comme un de ces hommes, si méprisés par lui, que des cir-
constances ont privés des premiers éléments de l'éducation. »
L'auteur delà Vie privée a reproduit ^ d'après le texte original,
plusieurs fragments du discours de réception à l'Académie. Or,
les fautes ne sont ni bien nombreuses, ni bien grossières,
même pour un académicien du xviii* siècle. Beaucoup ne sont
que des archaïsmes conservés du règne de Louis XIV et tolérés
ou même adoptés par les premières éditions du Dictionnaire
de r Académie. Mais le défaut empira avec l'âge, et il faut
reconnaître que, dans les dernières années, la décadence de
récriture et de l'orthographe se complique encore par une inat-
tention qui se traduit en lettres passées, en mots omis ou ina-
chevés, en phrases incomplètes.
Le travail de révision dont nous avons parlé plus haut,
exécuté sans doute par M. de Richelieu à bâtons rompus et à
une époque où son âge extrêmement avancé ne lui laissait plus
toute la lucidité désirable, n'a fait souvent qu'embarrasser un
récit qui manquait déjà de suite et de clarté. S'il a l'avantage
d'assurer l'authenticité de ces fragments, il ajoute singulière-
ment à l'incorrection et à l'obscurité du récit. Malgré ce défaut,
nous avons pensé que, le respect scrupuleux des textes devant
être pour un éditeur une règle absolue, il ne convenait pas de
modifier en aucune façon le style embrouillé et obscur du
maréchal. Quelquefois seulement nous avons jugé indispensable
de léclairer par une note explicative ou par l'addition, très rare
et entre crochets, d'un mot évidemment oublié ou indispensable
pour la clarté de la phrase.
i. Tome I", p. 171
XCIl INTRODUCTION.
Dans la présente publication, on aura donc pour la première
fois un texte parfaitement authentique des fragments de
Mémoires du maréchal. Mais il faut qu'on se persuade bien
que ce n'est là qu'une ébauche : les Mémoires eux-mêmes
sont encore à écrire. Nous ne dirons pas, pour faire valoir notre
manuscrit, que nul ne les eût mieux dictés que le maréchal
lui-même ^ Grand écrivassier, grand raconteur, surtout lorsqu'il
jouissait d'une oisiveté relative, l'incroyable légèreté qui faisait
le fond de son caractère ne comportait jamais un récit de
longue haleine. Ce qui est vrai, ce qu'on pourra constater ici,
c'est que les souvenirs, chez ce vieillard éternellement jeune,
étaient très abondants, très vivaces, presque toujours nets et
précis ; mais seul un habile metteur en scène, comme Sénac
de Meilhan, un grand seigneur d'esprit, comme le prince de
Ligne, ou quelqu'un de ces contemporains dont les types
étincelants se détachent sur le fond si divers de la dernière
société française, eussent pu dégager d'un récit embarrassé et
rudimentaire ces Mémoires que le lecteur croit toujours tenir
et qu'il n'aura jamais. La mine est là et riche à souhait ; mais
les ouvriers ont disparu qui eussent été capables de tirer de sa
gangue le précieux métal.
Il est possible de déterminer à peu près l'époque à laquelle
ces souvenirs furent dictés par le maréchal, et le motif qui
lui fit faire ce retour sur certains incidents de la première par-
tie de son existence. Lui-même nous en donne l'explication
dans un mémoire qu'il fit présenter par M. de Vergennes au
roi Louis XVI, en 1783. Il s'agissait alors d'obtenir une pen-
sion supplémentaire pour M"' de Richelieu (M"" de Lavaux^
qui ne pouvait espérer aucune part dans la fortune de son mari,
entièrement composée de biens substitués. Ce mémoire existe
1. Lescure, dans la Préface de ses Nouveouw mémoires du
maréchal de Richelieu, dont il a été parlé ci-dessus, p. lxxxi,
note 3.
INTRODUCTION. XCIII
encore : i° k l'état de brouillon dans les papiers du maréchal ;
2" en copie incomplète, écrite de la main d'un secrétaire, dans le
carton K 14.3. n° 9. aux Archives nationales. Il a dû être dicté
par le maréchal, et Ton rencontre en plusieurs endroits du
brouillon des corrections autographes. Mais, pour passer sous
les yeux du Roi, il fut sans doute revisé avec soin par un
secrétaire. Nécessairement, le maréchal ne pouvait s"y hvrer
en toute expansion au fil de ses souvenirs, ni surtout aborder
quelques-uns des événements qui avaient le plus influé sur
ses destinées. Il se borna à y retracer les services quïl avait
rendus à Vienne, en Languedoc, à Fontenoy. a Gênes, à
Minorque et en Hanovre. Ce fut le point de départ d'un autre
travail, celui que nous pubhons aujourd'hui, que le maréchal
entreprit entre 1783 et l'époque de sa mort, et que sans doute il
eût fini par développer plus amplement, si le temps ne lui avait
fait défaut.
Les prétendues instances de Soulavie ou de ses rivaux furent-
elles pour quelque chose dans la rédaction des souvenirs du
maréchal ? La légèreté du vieillard, que ces chasseurs de scan-
dales se disputaient pour en faire leur héros, permet de croire
qu'il put céder à des incitations d'aussi bas étage. D'ailleurs,
on a la preuve que notre manuscrit fut communiqué à
l'auteur des Mémoires apocryphes S et à celui de la Vie privée:
mais l'un et l'autre, surtout Soulavie qui les connut seulement
pendant l'impression de son ouvrage, ne purent en extraire que
des fragments fort courts, sans avoir le temps ou la permission
d'en prendre une copie intégrale. Plus récemment. Durozoir
en eut communication lorsqu'il écrivit l'article du maréchal de
Richelieu dans la Biographie universelle ^, et voici ce qu'il en
disait : « La famille du maréchal possède des Mémoires qui
1. Voy. les Mémoires, t. IX, p. 503 et cote dernière.
2. Ed. 1824, t. XXXVm. p. 53,
XCIV INTRODUCTION.
sont très volumineux. Ils sont écrits en partie de sa main, en
partie sous sa dictée, mais corrigés entièrement par lui-même.
Leur publication serait la meilleure réponse aux mensonges de
Soulavie. » Malgré les inexactitudes que renferment ces lignes,
le manuscrit qu'on va lire, sans être « très volumineux » , est
certainement celui dont voulait parler lauteur de l'article. En
mettant à nu les « mensonges de Soulavie », sa publication
sera aussi, croyons-nous, une juste satisfaction donnée aux
intentions du maréchal et aux légitimes réclamations de l'histoire.
TABLE DE L'INTRODUCTION
Pages.
I. Soula-sie et ses publications historiques i
II. Soulavie et les Mémoires du maréchal de Richelieu. liv
ni . La « Vie privée du maréchal de Richelieu • lxxiii
IV. Les Papiers du maréchal de Richelieu et le manu-
scrit des Mémoires authentiques lxxxii
MÉMOIRES AUTHENTIQUES
DU
MARÉCHAL DE RICHELIEU
I.
LE DUC DE RICHELIEU
AMBASSADEUR A VIENNE '
(1725-1728).
Le mariage du feu Roi ' avoit été arrêté avec la
fille du roi d'Espagne ; ni l'un ni l'autre n'étant
encore dans l'âge nubile, il avoit été convenu que
l'infante achèveroit son éducation en France, pour
qu'elle pût être plus agréable au Roi son mari. Des
circonstances particulières et une petite maladie de
S. M. causèrent l'effroi de sa perte, que l'on pou-
voit craindre à tous moments ; d'autres circonstances
encore firent prendre la résolution de marier le Roi
1. Pour ce premier fragment nous donnons d'abord le texte
du manuscrit des Mémoires ; mais, comme il est assez succinct,
nous le faisons suivre de celui du .Mémoire que le maréchal
adressa en 1783 à Louis XVI sur divers événements de sa
carrière, qui est plus complet et plus détaillé.
2. Louis XV. Nous rappelons que le maréchal écrit après
1783. ^
i
2 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
et de renvoyer l'infante, ce qui mit le roi et la reine
d'Espagne dans la plus grande colère. Aussi son-
gèrent-ils dès lors à la vengeance qu'ils en pourroient
prendre et à marier leur second fils avec l'archidu-
chesse héritière de tous les états de l'Empereur. Le
roi d'Espagne envoya pour amhassadeur à Vienne
M. de Ripperda, favori de la reine [d'Espagne], avec
ordre de tenter la réussite de ce projet de mariage,
avec le secours des trésors du Pérou pour tâcher de
gagner les ministres, barrer la cour de France en
toutes occasions, et même les faire naître, s'il étoit
possible.
Ce fut dans cette circonstance que M. le duc de
Richelieu venoit d'arriver à Vienne ^ Il y fut reçu
fort honnêtement 2, mais avec une réserve et une
méfiance qui alloient au delà de ce que l'on peut
imaginer, et avec la possibilité d'avoir un esclandre
1. La correspondance relative à son ambassade est au Dépôt
des Affaires étrangères : Autriche, Corresp. polit., vol. 146-158
et supplément 9, et Mém. et doc, vol. 7, 19 et 20. Sur ses
négociations, on trouvera des renseignements dans les ouvrages
suivants : comte de Bâillon, Lord Walpole à la cour de France,
écrit d'après les documents de l'ambassadeur anglais ; G.
Syveton, Une cour et un ai>enturier au XV IIP siècle (1896),
d'après les archives de Vienne, ouvrage très important pour
l'ambassade de Ripperda, ainsi que le suivant : La arnbajada
del baron de Ripperda a Vicna, par Rodriguez Villa, dans le
Bulletin de l'Académie royale d'histoire de Madrid, 1897 ; A.
Baudrillart, Philippe V et la cour de France, t. III ; les tomes IV
et V des Mémoires de Villars, publiés par le marquis de Vogue ;
Jean Dureng, Le duc de Bourbon et V Angleterre, 1911, etc.
2. Villars l'avait recommandé chaudement au prince Eugène
(M" de Vogiié, Villars d'après sa correspondance, t. II, p. 156-
157).
J
1725-28 AMBASSADE A VIENNE 3
OU une bataille avec l'ambassadeur d'Espagne pour
la préséance, qu'il avoit ordre de sa cour de sou-
tenir à quelque prix que ce fût ^
M. le duc de Richelieu alloit quelquefois aux
assemblées ; dans les commencements surtout, per-
sonne n'auroit été lui dire un mot à l'oreille. On
peut aisément concevoir l'embarras de sa situation,
et principalement celui où il devoit être pour rem-
plir sa mission, qui étoit de connaître les véritables
vues de la cour de Vienne-, qui, de son côté, étoit
embarrassée de la révocation d'un octroi que
l'Empereur avoit donné pour faire un établissement
de commerce à Ostende ^ et que les Anglois et les
Hollandois vouloient absolument qu'il révoquât,
quelque injuste que cela fût. Les Anglois sentoient
1. Ici il y a un paragraphe effacé par le maréchal : « Tout
cela mit une gêne et une amertume dans sa vie qu'il est aisé de
concevoir. Il navoit de société intime à Vienne que le ministre
d'Angleterre et celui de Savoie, quelquefois le nonce, dont il
connoissoit l'honnêteté et la justesse de vues. » Une seconde
addition autographe semble également avoir été effacée par le
maréchal : « Il falloit n'avoir pas l'air de craindre de rencon-
trer l'ambassadeur, et il falloit craindre bien davantage »
2. Soulavie a publié [Mémoires, t. IV, p. 112 et 117) une
partie des instructions que M. de Richelieu emportait à Vienne.
Elles ont été reproduites intégralement par Albert Sorel, Recueil
des instructions données aux ambassadeurs de France : Autriche,
p. 199-235.
3. Cet octroi avait été accordé à une compagnie de négo-
ciants fondée par un breton, le capitaine Hollet de la Merveille,
de Saint-jNIalo, qui avait voyagé en Arabie en 1709-1710 et qui
publia une relation (anonyme) de ce voyage en 1715. Voy.
Lémontey, Ms^o/rerfe la Régence, t. II, p. 226, et M. Huisman,
LaRelgique commerciale sous F empereur Charles VI: la compa-
gnie d' Ostende, 1902.
4 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
qu'ils avoient grand besoin de la France ; mais ils
vouloient que les François pussent croire avoir
encore davantage besoin d'eux pour conserver la
paix, qu'ils s'efforçoient de persuader que l'Empereur
vouloit rompre en disputant son octroi.
La cour de France et l'Empereur, qui étoient
alors inférieurs en forces maritimes aux Anglois,
pouvoient, plus qu'eux, craindre la guerre, et ces
motifs assujettissoient à des ménagements difficiles
à exprimer.
Dans une position favorable, M. le duc de
Richelieu étoil pour ainsi dire soumis aux ministres
d'Angleterre et de Savoie. Le nonce Grimaldi, dont
la vertu et l'excessive dévotion assuroient encore
davantage la vérité des discours, fut le premier à
qui M. le duc de Richelieu marqua quelques doutes
sur les intentions de la cour de Vienne, et qui
commença à éclairer l'ambassadeur de France sur
les personnes qui y avoient le plus de crédit. M. le
duc de Richelieu en profita. L'hiver, dans le temps
des courses de traîneaux qui eurent lieu, on lui pro-
posa d'y prendre part ; il l'accepta et y parut,
comme cela étoit nécessaire, avec la plus grande
magnificence. Il sentoit d'autant mieux l'avantage
qu'il en pouvoit tirer pour sa mission, qu'il n'en
auroit peut-être pu trouver de plus sûrs que celui
d'avoir dans ces courses différentes dames, que le
hasard donne à mener seules, et avec lesquelles,
dans ces moments de partie de plaisir, la politique
de la conversation est moins gênée. M. le duc de
Richelieu eut lieu en effet, par ce moyen, de multi-
plier ses connoissances et de former des liaisons qui
1725-28 \MBASS\DE 11 VIENNE ■">
pouvoient remplir l'objet d'avoir celle de la cour ' .
Enfin, il fut assez heureux pour deviner juste, et,
combinant ce que lui avoit dit le nonce Grimaldi
avec ce qu'il apprenoit d'ailleurs, il crut pouvoir
discerner par lui-même que les Anglois et les
Savoyards vouloient le conduire. Il imagina entrevoir
que l'Empereur étoit bien éloigné de vouloir la guerre,
qu'il ne songeoit qu'à assurer sa succession pleine
et entière au mari de sa fille *, et qu'il étoit humilié et
outré de l'audace avec laquelle on vouloit lui faire
révoquer une chose aussi juste que l'établissement
d'une compagnie de commerce à Ostende. M. le duc
de Richelieu crut voir aussi qu'il y avoit deux partis
dans le conseil de l'Empereur ^ ; celui des Espagnols
et Italiens, et ces derniers y étoient les plus favo-
risés de l'Empereur, et que celui des Allemands
n'étoit pas fâché de la contradiction que l'Empereur
éprouvoit, parce que le parti du conseil qui étoit
pour les Allemands, n avoit pas été consulté '* et
1. Le cardinal de Polignac, dans une lettre à l'abbé de
Rothelin du 4 septembre 1 727, rapporte que les succès mondains
de M. de Richelieu à Vienne furent attribués à la magie [Docu-
ments dliistoire, par l'abbé Griselle, t. II, p. 273 ; voyez ci-
après, p. 30).
2. L'archiduchesse Marie-Thérèse, qui devait épouser en
1736 le duc François de Lorraine.
3. Le conseil des affaires était composé du prince Eugène,
du marquis de Perlas et des comtes de Sinzendorf et de
Stahrenberg. On ne leur adjoignait que pour les questions
d'administration intérieure le comte de Windischgrâtz, président
du conseil aulique, et le comte de Schônborn, vice-chancelier.
4. En marge est écrit de la main du maréchal : « le marquis
de Perlas, ministre du conseil d'Espagne, dont l'Empereur
avoit été déclaré roi pendant la guerre que l'on appelle de la
6 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
n'avoit pas approuvé cet octroi, de façon qu'ils
étoient fort embarrassés pour faire sortir de là
l'Empereur avec honneur. Tous pensoient qu'il n'y
auroit point de certitude que la succession de
l'Empereur fût suffisamment assurée ; mais les moyens
étoient fort combattus de toutes parts. Pendant ce
temps-là, M. de Ripperda, avec l'argent du Pérou,
tâchoit de se faire des créatures ; et d'ailleurs tous
les cadets des grandes maisons d'Espagne qui avoient
suivi le parti de l'Empereur, et qui étoient fort dési-
reux de retourner dans leur patrie, comme il arriva
par la suite, souhoitoient fort que l'Empereur se liât
intimement avec l'Espagne, et ils y concouroient
autant qu'il étoit possible, surtout pour le projet
de faire épouser l'héritière de l'Empire à un fils du
roi d'Espagne, et d'éviter à quelque prix que ce
fût la guerre, que l'Empereur craignoit, bien loin
de la désirer, comme on l'avoit persuadé à la cour
de France. Le degré de connoissance que M. le duc
de Richelieu prenoit à la cour, se rapportoit si fort
avec ce que disoit M. le nonce Grimaldi, qui étoit
un saint, et qui désiroit la paix de la chrétienté,
mais avec le courage et les sentiments d'un homme
de naissance et de lumière, et avec les lumières que
M. le duc de Richelieu avoit d'ailleurs, qu'il crut
devoir en faire part à M. l'évêque de Fréjus, depuis
cardinal de Fleury, qui lui répondit qu'il souhaitoit
que cette paix pût se faire, mais qu'il craignoit fort
que l'on ne cherchât à abuser M. le duc de Richelieu,
Succession, et qu'à ce titre les nationaux avoient la préférence
dans le cœur de l'Empereur. »
1725-28 AMBASSADE A VIE>'>'E 7
ce qui étoit aisé à croire dans un homme de son
âge et avec son peu d'expérience encore dans les
affaires. M. le duc de Richelieu le craignoit lui-
même, et cela ne faisoitque lui donner plus d'atten-
tion pour ne rien dire légèrement.
Cependant, le caractère et l'état du nonce lui
donnoient quelque confiance et le faisoient aller plus
avant pour éclairer ce qu'il savoit d'ailleurs. Il écrivit
de nouveau à sa cour, et enfin, après avoir beau-
coup insisté réitérativement, on permit à M. le duc
de Richelieu de dire au nonce que, si l'Empereur
avait d'aussi bonnes intentions que celles qu'il disoit
pour la paix, il n'avoit qu'à les lui confier par écrit,
parce que lui-même, duc de Richelieu, ne pouvoit
s'en tenir à des discours vagues, qui ne menoient à
rien et auxquels il ne pouvoit exiger que l'on se
fiât. M. le nonce, avec l'air de contentement le plus
grand, lui demanda s'il les rece\Toit ; quand M. le
duc de Richelieu lui eut répondu oui, il parut comblé
de joie. Le nonce réalisa bientôt ses promesses, et
M. le duc de Richelieu en envoya l'effet à sa cour,
avec le plaisir qu'on peut aisément comprendre
qu'il devoit avoir. Ce fut un projet de paix, des pré-
liminaires, comme tous ceux des plus grandes négo-
ciations, sujets à beaucoup d'interprétations et exph-
cations et à plusieurs réponses et répliques, qui se
passèrent toujours dans le plus grand secret, jusqu'au
moment où ils acquirent un degré de vraisemblance
de bon sens, que la cour de France en fit part aux
Anglois, dont le ministre et celui de Savoie à Vienne
furent dans une colère que l'on ne sauroit exprimer
de voir cette négociation terminée sous leurs yeux
8 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
sans s'en être aperçus, le ministre anglois, con-
sommé dans les négociations et croyant connoître et
avoir la plus grande influence à la cour de Vienne,
et celui de Savoie, le plus fin et le plus délié de son
pays-
Cependant les préliminaires du traité ne tardèrent
pas à être signés à Vienne, où le duc de Bournon-
ville, ambassadeur d'Espagne, signa avec M. le duc
de Richelieu, et tout le fond des affaires d'Europe
fut renvové à un congrès général tenu à Soissons,
comme la ville la plus proche de Compiègne, mai-
son royale de France. L'ascendant que les Anglais
avoient alors passa à la cour de France, où le comte
de Sinzendorf, ministre d'état de l'Empereur, vint
pour assister au congrès, et, en arrivant, il demanda
le gendre qui conviendroit le mieux au Roi, de la
part de l'Empereur ^ . Dans ce moment-là, S. M. donna
à M. le dilc de Richelieu le cordon bleu -.
1. C'est-k-dire, il demanda, de la part de l'Empereur, quel
gendre celui-ci pourrait choisir pour lui donner sa fille, qui
conviendrait le mieux au roi de France.
2. Le Roi lui annonça lui-même cette faveur, le 3 janvier
1718 : « Mon cousin. Les services importants que vous m'avez
rendus dans l'ambassade extraordinaire près de mon frère
l'Empereur me sont si agréables, que j'ai estimé ne pouvoir
vous en marquer d'une manière plus distinguée ma satisfaction
qu'en vous nommant chevalier de mes ordres de Saint-Michel
et du Saint-Esprit dans le chapitre que j'ai tenu le premier de
ce mois, où vous avez été unanimement élu. J'ai bien voulu
aussi vous dispenser de ce qui peut vous manquer de l'âge de
trente-cinq ans requis par les statuts. Et, me promettant que
ces preuves de ma satisfaction vous engageront à me continuer
vos services avec le même zèle que vous avez fait paroître
jusqu'à présent, je prie Dieu, etc. » — Le 4 avril 1728, en
1725-28 AMBASSADE A VIENNE 9
Le Roi désiroil beaucoup que M. l'évêque de
Fréjus fût cardinal avant les promotions que le Pape
en devoit faire ; mais il y manquoit le consentement
de l'Empereur, qui n'avoit pas voulu encore l'accor-
der. M. le duc de Richelieu avoit promis qu'il l'au-
roit à la fin de septembre, par des raisons de cour
qu'il savoit ; il eut le plaisir de l'envoyer effectivement,
comme il l'avoit dit, et de recevoir une lettre de la
cour, par laquelle on lui mandoit que Ton voyoit
bien que la cour de Vienne ne vouloit point l'accor-
der, et que le Roi ne vouloit plus que cela fût
demandé ; qu'enfin il falloit n'en plus parler.
Lorsque M. le duc de Richelieu reçut cette lettre,
son valet de chambre étoit déjà parti pour Rome,
et le cardinal de Polignac, qui y étoit chargé des
affaires de France avec le plus grand crédit, obtint
du Pape, le lendemain de l'arrivée du courrier, un
consistoire, et fit à M. le duc de Richelieu la galan-
terie de renvoyer son même valet de chambre, qui
avoit apporté la nouvelle que le chapeau étoit accordé,
à M. l'évêque de Fréjus, qui parut y être fort sen-
sible ^ .
annonçant à son ambassadeur que lord Waldegrave partait pour
porter à Vienne les ratifications, et en le félicitant de nouveau
du « grand ouvrage » auquel M. de Pùchelieu venait de tra-
vailler si heureusement, le Roi lui envoya des lettres de congé,
et, par faveur exceptionnelle, lui permit de porter le cordon
bleu sans avoir été reçu.
1. Cf. Soulavie, t. IV, 2™^ partie, p. 154 à 163. — Il parle
peu clairement de cet épisode, disant seulement que l'évêque
de Fréjus avait fait nommer M. de Richelieu pour avoir un
appui auprès de l'Empereur, tandis que le cardinal de Polignac
travaillait à Rome, et que l'affaire fut enlevée à Vienne par la
10 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
comtesse Bathyani, le duc « s'étant comporté avec elle en con-
séquence. » Puis, il cite, sans doute d'après les Archives des
affaires étrangères, la lettre de remerciements que le nouveau
cardinal écrivit à M. de Polignac, et il dit qu'il y en eut une
« à peu près semblable » pour M. de Richelieu. Celle-ci est
datée du 21 septembre 1726 ; nous la reproduisons d'après
l'autographe, à la fin duquel la signature A. H. a, commencée
par inadvertance, est raturée et remplacée par la nouvelle for-
mule : le Cardinal de Fleury. « Non seulement. Monsieur, c'est
vous qui avez obtenu le consentement de l'Empereur, mais
c'est encore par votre courrier envoyé à Rome que j'ai appris la
la première nouvelle de ma promotion au cardinalat, et tout
concourt à vous [faire] regarder comme celui à qui je dois
cette nouvelle dignité. Je vous en fais donc encore mes très
humbles remerciements, et vous supplie d'être persuadé de ma
parfaite reconnoissance Le Roi est instruit de la manière
pleine de zèle et de sagesse avec laquelle vous avez exécuté ses
ordres, et M. de Morville vous le marque de sa part. J'espère
qu'il voudra bien vous en donner dans les suites des preuves
plus solides, et, pour moi, Monsieur, je serai toujours tout
disposé à vous donner de mon côté celles de ma reconnoissance
et de mon parfait attachement. » On trouvera la lettre du Roi,
ci-après, p. 32.
J bis.
AMBASSADE A VIENNE
(1725-1728).
{Texte du Mémoire présenté au roi Louis XVI
en 1783^).
Au milieu des frivolités et des dissipations de la
jeunesse du duc de Richelieu, sur laquelle on a tâché
de trouver occasion d'avoir à lui faire bien des
reproches, il y a eu aussi bien des gens qui étoient
persuadés qu'elles n'avoient pas détruit des qualités
capables de traiter des affaires sérieuses et impor-
1. Ainsi que nous l'avons expliqué ci-dessus, p. 1, note 1,
nous reproduisons pour ce premier épisode le commencement
du Mémoire de 1783, dont le texte est plus complet que celui
des Mémoires authentiques ; il n'y a d'ailleurs d'autre différence
entre les deux récits que celle d'une première rédaction à une
seconde. Il existe encore dans les papiers du maréchal la
minute autographe d'une lettre qu'il écrivit à Louis XVI et qui
montre quelle fut l'idée déterminante de tout ce travail rétro-
spectif. En voici le début : « Sire, j'ai malheureusement trop
de raisons de croire que, depuis le commencement de votre
règne, et même quelques années auparavant, mon nom ne
vous est parvenu qu'accompagné de tout ce qui pouvoit décrier
ma personne, sans qu'aucun défenseur ait pensé à dévoiler ces
mensonges. Je n'ai plus à chercher des défenseurs : la fin de
ma vie est trop prochaine pour chercher des détails et des
preuves même des faussetés que l'on a pu présenter à Votre
Majesté ; je pense seulement à remettre sous vos yeux un petit
12 MEMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
tantes * ; ils en avoient bien des exemples à citer.
On le choisit en effet, à l'âge de vingt-huit ans,
pour être ambassadeur à Vienne. Il n'avoit fait pour
cela aucune démarche directe ni indirecte - ; il ne
pensoitmême pas que l'on pût avoir des vues sur lui
pour aucun objet avantageux. Il seroit en état d'en
donner la preuve ; mais, comme ce mémoire ne doit
contenir que des faits, on laissera les anecdotes, si
sérieuses qu'elles puissent être, pour ceux qui les
aiment.
nombre de faits, si connus et si aisés à prouver qu'il y aura
peu de gens qui osent les nier et qui réussissent même à les
affoiblir ouïes défigurer.
« Le premier service que j'ai été à portée de rendre fut
dans l'ambassade à Vienne, à laquelle je fus nommé à vingt-
huit ans. Je doutois de mes forces pour laccepter, et ce fut
M. le cardinal de Fleury qui m y détermina, et qui n'a cessé,
pendant que j'ai été absent, de me donner conseil et courage
pendant les circonstances singulières où je me trouvai peu de
temps après ma nomination... » En comparant les pages qu'on
va lire avec celles qu'ont publiées sur le même épisode Soulavie
et l'auteur de la Vie privée, on peut constater que l'un et
l'autre avaient sous les yeux le texte du Mémoire de 1783.
Soulavie s est en outre servi de la volumineuse correspondance
conservée dans la bibliothèque du maréchal ; mais, bien que ce
fonds existe encore dans sa presque totalité, on est étonné de
n'y plus retrouver précisément les pièces employées par lui en
1790.
1. D'autres étaient d'un avis contraire et il y eut plus d'un
trait lancé contre « l'ambassadeur Fanfarinet, plus propre à
lamour qu'à la politique. » [Mémoires de Mathieu Marais, III,
p. 107.)
2. On prétendit que sa nomination était due à l'influence de
la marquise de Prye, maîtresse du duc de Bourbon, alors pre-
mier ministre. La lettre qu'on trouvera plus loin, p. .S3, montre
qu'il était en relations fort amicales avec elle.
i
1725-28 AMBASSADE A VIE>>E 13
Dans ce moment, l'ambassade de Vienne devint
plus importante que jamais, par la réunion de tous
les intérêts de l'Europe, dont elle devint le centre.
Le mariage du feu Roi devoit se faire avec l'infante,
fille du roi d'Espagne, qui avoit été envoyée en
France pour y attendre qu'elle eût l'âge requis pour
la célébration ; mais les changements survenus à la
cour de France et diverses circonstances, étrangères
à l'objet de ce mémoire et trop longues à y détailler,
décidèrent le renvoi de 1 infante en Espagne, et l'on
s'occupa de faire un autre mariage.
Le roi d'Espagne, qui fut outré, résolut d'en mar-
quer sa colère dans toutes les occasions et de la
porter au plus haut degré.
L'Empereur avoit. peu de temps avant, accordé
un octroi à une compagnie de négociants pour faire
le commerce et s'établir à Ostende '. Les Anglois et
les Hollandois voyant aussi près d'eux cet établisse-
ment appartenant à un prince aussi puissant, crurent
qu il pourroit être funeste à leur commerce, et
cherchèrent dans l'interprétation d'anciens traités
des prétextes pour s'opposer à celui-ci. Ils deman-
dèrent la révocation de cet octroi, et la France, qui
croyoit que la paix qu'elle vouloit maintenir dureroit
tant qu'elle seroit unie aux puissances maritimes, se
joignit aux Anglois et Hollandois pour solliciter cette
révocation.
Ce fut dans ces circonstances très épineuses que
le duc de Richelieu fut nommé ambassadeur à
Vienne. A peine y fut-il arrivé, qu'il y vint un
1. Voyez ci-dessus, p. .3.
14 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
ambassadeur du roi d'Espagne ^ proposer à l'Empereur
un traité d'alliance et le mariage d'un de ses fils avec
l'archiduchesse.
La première démarche de l'ambassadeur d'Espagne
fut d'afficher la prétention de la préséance, qu'il
avoit ordre, disoil-il, de ne pas céder à l'ambassa-
deur de France ; mais, comme le duc de Richelieu
en eut en même temps de son côté qui portoient de
ne la lui laisser prendre en aucune occasion, ce fut
pour lui un premier embarras, dont on peut conce-
voir toutes les difficultés.
On comptoit plus de vingt mille Espagnols qui
s'étoient établis à Vienne, lorsque l'Empereur s'y
retira et renonça au royaume d'Espagne. Ils regar-
dèrent bientôt la cause de la préséance comme la leur,
et tâchèrent de la favoriser autant qu'ils le pouvoient
auprès de l'Empereur, dont le cœur étoit pour eux
en toute occasion. Cependant, sa sagesse et sa modé-
ration écartèrent l'événement qui étoit à craindre
alors ; mais il écouta néanmoins les propositions que
l'ambassadeur du roi d'Espagne lui avoit faites rela-
tivement à un traité, même au mariage de l'archi-
duchesse avec un de ses fils. Ce projet de mariage
conduisoit d'ailleurs tous les seigneurs espagnols
qui avoient suivi l'Empereur à espérer de retourner
dans leur pays, qu'ils aimoient mieux que l'Allemagne,
et la négociation alla jusqu'à engager l'Empereur à
permettre à l'Impératrice d'écrire une lettre à la
reine d'Espagne, par laquelle, sans promettre abso-
lument le mariage proposé, elle se procura une
i. Le duc de Ripperda : ci-dessus, p. 2.
1725-28 AMBASSADE A VIENNE 15
réponse qui clouiioit les plus grandes espérances
pour le succès. Il est aisé de concevoir que, dans cet
état, l'ambassadeur d'Espagne avoit une confiance
et une faveur qui entrainoient toute la cour devienne
aux dépens de l'ambassadeur de France.
Le moment de l'entrée du duc de Richelieu arriva ' :
c'étoit celui où il ne pouvoitplus éluder la préséance.
Dans ce temps-là, les ambassadeurs suivoient l'Em-
pereur toutes les fois qu'il alloit à l'église, et aussitôt
ils se plaeoient dans un banc près de lui, où ils sié-
geoient suivant leur rang.
Le jour vint enfin que cette cérémonie devoit
décider la question, et jusques-là l'ambassadeur
d'Espagne conserva toute sa sécurité, avec le ton le
plus assuré ; mais, à six heures du soir, la veille de
ce jour décisif, et au plus grand étonnement de
tout le monde, il prit congé de l'Empereur et partit
subitement. Ce fut seulement à sept heures qu'un
commandeur de Malte allemand, qui avoit toujours
fait amitié au duc de Richelieu, vint lui dire à
l'oreille cette nouvelle.
On apprit quelque temps après que l'Empereur
avoit dit à l'ambassadeur d'Espagne qu'il ne souffîn-
roit pas qu'il y eût à sa cour une dispute et un
scandale pareil à celui dont il vient d'être parlé, et
que, s'il étoit forcé de juger, il ne pourroit se dis-
penser de prononcer en faveur de la France, puisque
l'aîné de sa maison, roi d'Espagne, avoit déclaré à la
1. Les splendeurs de cette cérémonie ont été exactement
décrites par Soulavie, d'après le rapport que le duc de
Richelieu envoya à M. de Morville.
16 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
face de l'Europe que jamais il ne disputeroit la pré-
séance *.
Cette digression pourra paroître un peu longue ;
mais elle n'est pas indifférente pour donner une idée
juste de l'état et de la situation de l'ambassadeur de
France : elle démontre d'ailleurs la prudente circon-
spection à laquelle il étoit assujetti dans tous les
moments de la journée. On comprendra plus aisé-
ment en France qu'ailleurs l'effet que dut produire
le départ subit de l'ambassadeur d'Espagne, tant à
la cour qu'à la ville, de même que les préjugés
répandus dans toutes les sociétés et les moyens de
pénétrer les véritables intentions de l'Empereur et
de ses ministres, surtout d'après la frivolité des pré-
férences des gens que la faveur attire à la cour, et
1. On ne trouve, dans la correspondance de M. de Richelieu
avec le Roi et avec M. de Morville, aucune mention de la scène
plaisante entre le duc et M. de Ripperda que certains historiens
se sont transmise les uns aux autres. Les deux plénipoten-
tiaires ne se trouvèrent qu'une seule fois face à face, et voici
dans quelles circonstances : « Je rencontrai avant-hier M. de
Ripperda deux fois dans les rues. Nous étions tous les deux
sur le même côté du pavé. Je restai dans la place où j'étois,
et son postillon, après avoir hésité un moment, se détourna
et prit l'autre côté du pavé, avec des révérences très polies
dans chaque carrosse... Il est vrai que, dans cette ville, il
n'y a point d'avantage marqué pour le haut du pavé ; mais
cependant ce petit événement ne laissa pas de donner à penser
que M. de Ripperda n'a pas autant d'envie de chercher chicane
qu'il avoit paru le vouloir persuader. » En effet, ce diplomate
matamore ne parlait de rien moins que d'une bataille rangée
dans les rues de Vienne ; pour éviter ce scandale, chacun s'était
efforcé d'interposer ses bons offices, et ce fut au milieu de
ces négociations compliquées que M. de Ripperda partit subi-
tement, presque secrètement.
i
1725-28 AMBASSADE A VIENNE 17
dont jouissoit l'ambassadeur d'Espagne au détriment
de celui de France ' .
Le nonce qui se trouvoit à Vienne étoit un Grimaldi.
Il avoit marqué beaucoup d'amitié et de prévenance
1. Le Conseil des dépêches avait été tenu au courant des
menées de Ripperda et des incidents qui pouvaient surgir
[yillars, p. 314, 315, 325, 359) ; aussi le succès du duc fut
l'objet d'une dépêche très louangeuse du ministre, qui est sor-
tie, comme plusieurs autres pièces de même provenance, des
archives de Richelieu, mais que M. de Bâillon [Lord Walpole,^.
368-371) a publiée d'après une communication de M. le marquis
deBiencourt. L'ancien évêqucde Fréjus écrit, de Fontainebleau,
le 29 août 1725 : « Je n'ai jamais appréhendé. Monsieur, de
reproches sur votre compte, et j'ai toujours été persuadé que
vous rempliriez parfaitement le poste important que le Coi vous
a confié ; mais je vous avoue que je n'eusse pourtant pas cru
que vous vous fussiez trouvé tout d'un coup égal aux plus
habiles qui ont vieilli dans les négociations. Je ne puis vous
dire à quel point M. le Duc et M. de Morville sont contents de
la conduite également sage et haute que vous avez tenue au
sujet de la compétence dont le duc de Ripperda vous faisoit
menacer, peut-être en vue de vous intimider plutôt que de vous
disputer quelque chose. Quel qu'ait été son motif. Monsieur,
vous avez soutenu parfaitement la dignité de votre cour
avec les ministres de l'Empereur, et vous avez justifié ce
que vous m'aviez fait l'honneur de me mander, qu'il n'est pas
impossible de se faire craindre à Vienne. On travaille habile-
ment à vous donner de nouvelles armes pour augmenter cette
peur, et il faut espérer qu'on pourra rendre bientôt la fureur
de la reine d'Espagne inutile. Vous vous y prenez de façon à
mériter plutôt des éloges que des conseils ; mais, s'il y avoit
pourtant quelques avis à vous donner, je prends trop d'intérêt.
Monsieur, à ce qui vous regarde, pour négliger aucune des
choses dont il seroit bon de vous avertir... C'est avoir tout
gagné que de vous être fait connoître homme ferme et haut,
quand il en a été question, parce qu'on ne pourra vous accuser
de foiblesse, quand vous vous rendrez plus facile sur des
2
18 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
au duc de Richelieu ; il lui avoit dit que sa maison
étoit de longue main attachée à la France, et c'étoit
beaucoup dire pour un Italien. Il continua de faire
au duc de Richelieu le même accueil. C'étoit un
homme de la plus exacte dévotion, mais sans pédan-
terie : il ne mangeoit jamais ni chair ni poisson, et
vivoit seulement de légumes, de lait et de chocolat,
sous prétexte que son estomac ne pouvoit souffrir
d'autres aliments. Cependant, il faisoit faire la meil-
leure chère possible chez lui et donnoit souvent de
très grands repas. Il avoit une représentation très
magnifique et très convenable ; il étoit pour lui de
la plus grande régularité et austérité, et très indul-
gent pour les autres. Fort prévenu pour la cour de
Rome et pour l'influence qu'elle doit avoir partout,
choses moins importantes... Au reste, vous devez être content
de toutes les relations qui nous viennent sur votre compte par
les étrangers, qui sont toutes infiniment à votre avantage, et
vous avez déjà fait en deux mois ce qui est le plus essentiel
pour un ministre, qui est d'avoir établi votre réputation. Ne
croyez pas que je veuille vous gâter, car rien ne seroit si dan-
gereux que de vous donner trop de confiance ; mais j'ai assez
bonne opinion de vous pour croire qu'en vous encourageant,
vous n'en serez pas moins circonspect et sage dans toutes vos
démarches. J ai une vraie joie de vous voir si bien commencer. ..
— P. S. On vient de lire au Conseil vos dépêches en entier, et
elles y ont été généralement approuvées ; vous y faites le por-
trait dli marquis de Brùck d'une manière à faire croire que
Tacite vous l'avoit dicté. Il est en vérité de main de maître,
qui réfléchit sur les hommes et qui en peint le caractère jusqu'à
la dernière précision. »
Une autre lettre de félicitations du cardinal, datée du
26 octobre suivant, a passé dans la vente du marquis de
Biencourt (Sotheby et C'% 5 mars 1883, n° 137).
1725-28 AMBASSADE A VIENNE lî*
il pensoit qu'elle devoit porter toute son attention
à maintenir la paix entre les princes chrétiens, pour
être le rempart contre l'hérésie. Le duc de Richelieu
fut bien content de trouver quelqu'un d'aussi impor-
tant pour remplir les vues qu'il avoit de bien
connoître la cour de Vienne, où le nonce étoit aimé
et respecté de l'Empereur et de tous ses ministres.
Il possédoit encore des talents pour la société, malgré
sa dévotion. Le duc de Richelieu sentit l'importance
de s'attacher un pareil homme : aussi ne manqua-
t-il point de lui donner toutes sortes de marques
d'amitié et de prévenance dans toutes les occasions.
Le nonce y répondit toujours avec un air de fran-
chise qui lui étoit naturel. Le duc n'eut pas de peine
à avoir de lui les connoissances les plus véritables
de l'Empereur et de ses ministres ; ce qui né cadroit
pas tout à fait avec ce que lui avoient dit les
ministres d'Angleterre, de Savoie et de Hollande,
les seuls auxquels il eût pu parler.
Après le départ de l'ambassadeur d'Espagne, il y
eut moins d'inconvénient à bien recevoir le duc de
Richelieu. Comme il avoit déjà acquis des connois-
sances avec les plus familiers de l'Empereur et de
l'Impératrice, parmi lesquels il s'en trouvoit d'aussi
légers qu'on en voit partout, il étoit en état de com-
parer, d'éclaircir et de juger. Il profita des occasions
de s'introduire qui se présentoienl alors en foule, et
saisit aussi celles que lui offrirent les bals et les
courses de traîneaux, où il parut avec la plus grande
magnificence. Il fut bientôt dans les plus étroites
liaisons avec les meilleures compagnies. L'usage,
dans les courses de traîneaux, étoit que les hommes
20 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
tirassent au sort dans un chapeau, où l'on mettoit
tous les billets portant le nom de chaque dame. Le
maître ou la maîtresse de la maison présentoit le
chapeau aux hommes pour tirer le billet de la dame
qu'ils dévoient conduire. Il s'étoit tacitement établi
que ceux chez qui la fête se donnoit demandoient
au duc de Richelieu quelle dame il seroit bien aise
de mener : on lui en donnoit d'avance le billet, qu'il
avoit soin de tenir dans sa main en la portant dans
le chapeau, pour avoir l'air de le tirer au sort comme
les autres. Il avoit par ce moyen l'avantage de causer
avec la dame qu'il menoit tant que duroit la course
et sans être interrompu, souvent même pendant
toute la soirée et le souper, où il se plaçoit à côté
d'elle, ainsi que l'usage en étoit établi. Ceci peut
faire voir le degré de prévenance qu'on cherchoit à
lui marquer.
Le duc de Richelieu se trouva bientôt à portée de
connoître la cour de Vienne beaucoup mieux que
bien des gens qui y étoient depuis longtemps, par
l'assemblage et la combinaison de tout ce qu'il réu-
nissoit, et il peut hasarder d'en rendre bon compte
ici. Il crut discerner par lui-même que les Anglois
et les Savoyards vouloient le conduire, et s'imagina
entrevoir que l'Empereur étoit bien éloigné de dési-
rer la guerre ; qu'il ne songeoit qu'à assurer sa suc-
cession pleine et entière au mari de sa fille, et qu'il
étoit humilié et outré de l'audace avec laquelle on
vouloit lui faire révoquer une chose aussi juste que
l'établissement d'une compagnie de commerce à
Ostende. M. de Richelieu découvrit aussi qu'il y
avoit deux partis dans le Conseil : celui des Espa-
1725-28 AMBASSADE \ VIENNE 21
gnols et Italiens, qui, à titre de nationaux, avoient
la préférence dans le cœur de l'Empereur, et celui
des Allemands, qui n'étoit pas fâché de voir l'Em-
pereur attaqué sur un sujet pour lequel ils n'avoient
pas été consultés. Tous étoient fort embarrassés
pour faire sortir de là l'Empereur avec honneur, et
pour assurer sa succession ; mais ils ne s'entendoient
pas sur les moyens.
Cependant le duc de Richelieu faisoit part quel-
quefois au nonce de ce que ce prélat ne savoit point ;
le nonce faisoit de même, et cela le conduisit enfin
à parler au duc de Richelieu de la conciliation qui
étoit si fort à désirer, pour prévenir la guerre funeste
dont on étoit menacé. Le duc de Richelieu rendit
compte alors à M. l'évéque de Fréjus, depuis cardi-
nal de Fleury, de tout ce qu'il savoit des sentiments
de l'Empereur et de son Conseil. La première fois
qu'on lui répondit fut pour lui marquer qu'il étoit
bien à désirer que les choses fussent telles qu'il
disoit, mais qu'à la cour de France on étoit bien
éloigné de s'en flatter '. Le duc ne discontinua pas
1. On ne manquait même aucune occasion de désavouer la
conduite de M. de Richelieu, et lord Walpole fut trompé,
comme les autres, à cette manœuvre. Dans une dépêche con-
fidentielle du 28 septembre 1726, où il fait un détail très
curieux du nouveau ministère composé par le cardinal de Fleury,
il dit, au sujet de M. de Richelieu : « Les préventions de M. de
Saint-Saphorin l'agent anglais à Vienne; contre le duc de
Richelieu ont été trop loin, en faisant supposer que la cour de
Vienne et celle de Versailles étaient d'accord sur la question
de la compagnie d'Ostende, et que la France serait disposée à
transiger. J'ai eu hier, à ce sujet, une conférence avec les
ministres français, et ils m'ont affirmé que M. de Richelieu ne
22 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
de suivre un objet aussi important, d'autant plus
qu'il savoit des détails fort intimes et secrets, appuyés
de faits, et le ton d'assurance qu'il y mit donna
quelque confiance au cardinal de Fleury '. Enfin,
celui-ci lui répondit que, s'il ne se Irompoit pas, il
falloit que l'Empereur fît des propositions qui pussent
convenir à tout le monde. Le duc de Richelieu dit
cela au nonce à peu près de la même façon, et lui
ajouta : « Si je vous dis qu'on écoutera et recevra
les propositions que l'Empereur pourra faire, m'en
procurerez-vous ? » Le nonce lui répondit : « Oui !
je suis sûr d'en avoir de l'Empereur, et je vous
leur en avait pas écrit un mot et que toutes les fautes que cet
ambassadeur avait pu commettre à Vienne lui étaient person-
nelles, sans avoir eu d'autre mobile que sa vanité et son incon-
séquence, sans qu'il n'y eût ni ordre, ni connivence de la part
du gouvernement d'ici. J'ai communiqué au cardinal la plupart
des lettres de M. de Saint-Saphorin sur le duc de Richelieu : il
m'a démontré que, ce dernier ne lui ayant pas rendu le moindre
compte de ses négociations particulières avec les ministres
impériaux, on n'avait pu lui envoyer d'ici ni encouragement,
ni approbation. On s'arrangera donc pour le rappeler, mais
sans lui donner aucune marque de mécontentement, ce qui est
tout à fait dans le caractère du cardinal. Il vaut peut-être mieux
qu'il en soit ainsi et, selon moi, M. de Saint-Saphorin doit
conserver jusqu'à nouvel ordre, vis-à-vis du duc, les formes de
l'amitié et de la confiance, » [Lord Walpole, p. 254, 255.)
Puisque le duc ne fut pas rappelé, et que, quelques mois
plus tard, il termina à la plus grande satisfaction du cardinal
la négociation que la cour de Versailles désavouait d'abord si
formellement, on peut lui faire honneur de ce succès, dû tout
entier à son initiative et à son habileté.
1. Cf. une lettre confidentielle de Fleury, 30 octobre 1726,
dont M. Kervyn de Lettenhove a publié un fragment [Collec-
tions du baron de Stassart, p. 72).
M
1725-28 AMBASSADE A VIENNE 23
^éponds en honneur et conscience que je vous les
aurai, si vous m'assurez qu'elles seront reçues. » Le
duc envoya à sa cour un courrier, et le cardinal de
Fleury lui répondit qu'il pourroit recevoir ce qu'on
luidonneroit par écrit. Quand il donna cette réponse
au nonce, il le vit aussi aise qu'il l'étoit lui-même,
et le nonce lui promit de lui donner bientôt les
propositions de l'Empereur. Fort peu de jours après,
il apporta des préliminaires, qu'il lui remit en pleu-
rant de joie. Ils les lurent et relurent ensemble, et
ils trouvèrent qu'il y avoit peu de choses à dire,
mais quelques explications à faire.
Le duc de Richelieu envoya très promptement ces
articles à sa cour ' ; on les garda un peu plus long-
temps ; cependant le cardinal de Fleury, qui vit que
cela étoit sérieux, en fut bien satisfait. Il y eut
1. « Le l^"" de l'année 1727, on a lu au' Conseil une dépêche
du duc de Richelieu, qui apprenoit que le nonce du pape à
Vienne l'avant fort pressé d'entrer dans quelqu'un des expé-
dients que proposoient les ministres de l'Empereur, il avoit
consenti à une conversation, mais en présence de l'envoyé de
Hollande, afin d'éviter les soupçons que pourroient prendre
les Etats Généraux et l'Angleterre que la France voulût s'ac-
commoder sans eux. Après quelques réflexions sur la complai-
sance de l'Empereur, qui, malgré l'inutilité de ses premières
avances, consentoit, pour n'avoir rien à se 'reprocher, à en faire
de nouvelles, le nonce dit que, puisque le commerce d'Ostende
étoit la cause de la guerre, l'Empereur consentoit de le sus-
pendre ad tempus. C'étoit, comme l'on dit, mettre l'Angleterre
et la Hollande au pied du mur. J'ai dit que cette proposition
méritoit d'être accueillie : rependant il a été résolu d'attendre,
avant que de l'accepter, ce que les Hollandois répondront, tant
on craint de marquer d'autres désirs que ceux de l'Angleterre,
lesquels tendent fort à la guerre. » [Villars d après sa corres-
pondance, t. n, p. 330).
24 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
encore une allée et venue au plus, et enfin, au grand
étonnement de tout le monde, on signa ces préli-
minaires fameux ^ qui décidèrent totalement l'Empe-
reur à se livrer à la France et à faire le congrès, qui
se tînt dans la ville la plus proche et la plus
commode. On pria le cardinal de choisir, et ce fut
Soissons.
De tous ceux qui furent les plus étonnés, ce fut
Saint-Saphorin ^, ministre d'Angleterre, qui avoit
passé sa vie dans les négociations et s'y croyoit, avec
raison, le plus habile, et le marquis de Breil, ministre
du roi de Sardaigne, qui étoit l'homme de confiance
de ce prince et le plus fin, et qui croyoit déjà joindre
la plus grande partie du Milanois aux états de son
1. Ils furent signés d'abord à Paris, puis à Vienne, le 14 juin
1727, par le duc de Bournonville, ambassadeur d'Espagne, et
M. de Richelieu. Voyez ci-après, p. 25 et suivantes, diverses
lettres à cette occasion.
2. « Il paroissoit que les Hollandois étoient peines de ce que
le duc de Richelieu avoit écouté les propositiens du nonce :
cependant comme ce n'avoit été qu'en présence de leur ministre
à Vienne, ils ne pouvoient douter de nos bonnes intentions.
Mais ces propositions aux deux miiiistres, arrivées en Angleterre,
déplurent fort ; et le comte de Broglie envoya une lettre du
duc de NcAvcastle, qui fut lue au conseil du 26, par laquelle il
paroissoit que le ministre d Angleterre étoit très fâché que le
duc de Richelieu eût écouté aucune proposition sans la commu-
niquer au comte de Saint-Saphorin, ministre d'Angleterre
auprès de l'Empereur : et ils demandèrent que si les Espagnols
aUaquoient Gibraltar, la France attaquât l'Espagne avec ses
principales forces. Cette idée, la même que celle des Hollandois,
marque bien le dessein d'engager la France contre l'Espagne,
sans songer que la France a des ennemis plus dangereux du
côté du Rhin et de la Meuse. » [Villars, d'après sa correspon-
dance, p. 331).
1725-28 AMBASSADE A VIE>>E 25
maître. Ce dernier ministre en fut malade ; il ne pou-
voit depuis voir sans frémir le due de Richelieu, et
il le fuyoit. quand il le rencontroit. Un jour, le duc
de Richelieu lui demanda s il pouvoit lui reprocher
qu'il lui eût jamais dit un fait qui fut faux ni commis
aucun mensonge ; il lui répondit : « Non î » et qu'il
avoit fait sa charge. j Le ministre hollandois fut au
contraire fort content.
Tout ce qui vient d'être dit pourra paroître trop
plein de détails frivoles ; mais, quand on fera ré-
flexion à l'objet de ce mémoire, si intéressant pour
l'auteur, on les lui pardonnera, et on conviendra
qu'il faut bien connoître la situation des principales
puissances de FEurope, dans le moment d'une
grande révolution si importante. Cela donnera
d'ailleurs une idée du ressort qui l'a produite, et
que presque tout le monde auroit peine à connoître.
APPENDICE
I
A propos de la signature des préliminaires à Paris (ci-
dessus, p. 24, note 1), le cardinal de Fleury écrivoit au duc
de Richelieu le 4 juin 1727 : «^ Vous rue pardonnerez bien,
Monsieur, d'avoir répondu si laconiquement à la dernière
lettre dont vous m'avez honoré, du 22^ du passé, et vous
ne douiez pas que je n'aie été très occupé depuis huit
jours. Nous voilà, comme vous dites, dans le fort de la
crise de l'Europe ; mais par vos soins nous sommes déjà
26 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
bien avancés, et il ne tiendra plus qu'à l'Espagne que le
grand ouvrage de la paix ne soit perfectionné, s'il ne peut
être encore tout à fait consommé. On a donné par malheur
au roi et à la reine des espérances prochaines de la prise
de Gibraltar, que je ne crois fondées que dans l'imagination
du comte de Casteras ; mais enfin, comme on aime à la
flatter, la reine croit déjà voir cette importante place hors
des mains des Anglois, qu'elle hait comme des crapauds
et déteste comme les ennemis de l'Eglise et du genre
humain. Je crains donc que cette espérance, toute frivole
quelle est, ne l'engage à prolonger le temps de la signature,
et que celle que nous avons faite ici ne devienne inutile ;
car il est bien certain que l'Empereur ne se séparera pas
de l'Espagne. Nous en serons bientôt éclaircis ; cependant
vous voyez que ces Anglois, qu'on nous reprochoit de nous
gouverner et qu'on accusoit de vouloir la guerre à quelque
prix que ce fût, se sont rendus dociles et ont fait ce que
nous avons voulu : ils ont trouvé bon que nous ne déclaras-
sions point la guerre, quoiqu'ils fussent en droit de l'exi-
ger de nous ; ils ne l'ont pas déclarée eux-mêmes, et ont
signé les préliminaires sans restriction. Ma première vue
avoit été d'abord de renvoyer la signature à Vienne, mais
la crainte de quelque nouvel incident, qui pouvoit venir de
Londres, nous a porté à croire qu'il valoit beaucoup mieux
dès à cette heure fixer l'acceptation des articles prélimi-
naires. Nous avons appréhendé aussi que l'Espagne ne mît
quelque nouvel empêchement à la conclusion de cette
grande affaire, ou du moins ne voulût l'allonger par des
difficultés, ce qui ne seroit guère moins fâcheux dans les
conjonctures présentes qu'un refus de signer ; au lieu que,
quand elle verra les principales parties d'accord, elle sera
plus portée apparemment à y donner son consentement.
Voilà, Monsieur, les raisons qui nous ont obligé à signer
ici, et que je suis persuadé devoir être approuvées par
l'Empereur.
I
1725-28 AMBASSADE A VIENNE 27
« La plainte de quelques-uns du Conseil sur ce que vous
donniez peu d'instructions des démarches de la cour impé-
riale, ne doit point vous inquiéter, et n'a fait aucune
impression fâcheuse contre vous. Il y a des temps où on
voudroit savoir à chaque instant ce qui se passe, et il est
naturel de le désher. On avoit eu des nouvelles de la
marche de quelques troupes dans l'Empire avant qu'on
l'eût appris par vous, et c est ce qui donna occasion à cette
plainte. Mais je puis vous assurer qu'on est infiniment con-
tent de vous, et de la manière dont vous vous êtes conduit
dans toute cette affaire. On a connu la vérité de ce que
vous aviez toujours mandé, du désir sincère que l'Empe-
reur avoit de la paix, et on a vu que vous ne vous étiez
pas trompé. Il ne tiendra pas à moi que le Roi ne vous
donne des marques au plus tôt de sa satisfaction, et je vous
supplie d'être persuadé, Monsieur, de mon inviolable
attachement. «(Ca^a/o^i^e 6'/m/-a^'«î/,30janvier 1882,n*'70).
Le 30 juin, le Roi complimenta son ambassadeur en ces
termes : « Mon cousin, vous m'avez donné des preuves distin-
guées de votre zèle et de votre habileté dans la conduite
que vous avez tenue pour déterminer l'Empereur et ses
ministres à consentir aux conditions que je vous avois
chargé de leur proposer comme le seul moyen de prévenir
une guerre qui devenoit inévitable ; mais vous ne pouviez
m'envoyer de nouvelle plus agréable que celle que le cour-
rier Banières m'a rapportée de votre part, avec votre lettre
du 14® de ce mois, et je vois avec toute la satisfaction
possible que vous êtes parvenu à engager le duc de
Bournonville à signer de la part du roi d'Espagne les mêmes
articles qui avoient été signés en mon nom et de la part
du roi de la Grande-Bretagne et de la république de
Hollande, à Paris, le 31" mai, avec le baron de Fonseca,
ministre de l'Empereur. Le désir que j'avois d'établir ce
premier fondement de ma réconciliation avec le roi
28 MÉMOIRES DE RICHELIEt: 1725-28
d'Espagne me fait remarquer encore davantage toutes les
circonstances de la bonne conduite que vous avez tenue en
cette occasion, et j'ai le plaisir de voir que vous avez su
allier la fermeté nécessaire sur les points qui pouvoient
intéresser le bien de mon service et la dignité de ma cou-
ronne, avec les ménagements convenables pour assurer par
la signature du ministre d'Espagne à Vienne la conclusion
de l'ouvrage important que j'avois confié à vos soins. Je
vous renouvelle encore avec plaisir les assurances de toute
la satisfaction que j'ai de vos services en une occasion aussi
importante, et je suis bien aise d'avoir éprouvé par moi-
même que votre capacité pour les grandes afifaires répond
parfaitement à l'illustre nom que vous portez et à l'idée
que j'avois conçue de vos talents. »
Le congrès de Soissons fut l'objet d'une cruelle décep-
tion pour M. de Richelieu, qui avait compté y prendre la
place réservée au premier ministre. Dans sa dépêche auto-
graphe du 9 août 1727, le cardinal de Fleury s'explique
comme il suit sur les plaintes que le duc avait probable-
ment fait entendre : « Quand j'ai eu l'honneur de vous
mander le scrupule que vous eussiez peut-être pu avoir de
vous trouver au-dessous de moi au congrès, c'étoit moins
par rapport à votre manière de penser que je le disois,
que par rapport à quelques-uns de MM. les ducs, que
j'appellerois volontiers rigoristes, et qui poussent un peu
loin leurs prétentions. Je sais qu'ils ne vont pas jusqu'à
demander une parfaite égalité ; mais ils auroient dit du
moins que vous ne deviez pas chercher vous-même ou
consentir à vous dégrader.
« Je vous rends mille grâces, Monsieur, de vous être
expliqué si naturellement avec moi et avec une si parfaite
confiance. J'avois déjà assez entrevu vos dispositions pour
n'avoir pas été surpris en les apprenant plus nettement, et
je savois que vous n'aviez pas un grand goût pour le con-
1725-28 AMBASSADE A VIENNE 29
grès ; mais je croyois que vous ne seriez pas indifl'érent à
l'ambassade d'Espagne. Je vous servirai selon votre incli-
nation, et, quand il sera question de nommer les plénipo-
tentiaires, j'aurai soin de dire que vous n'aviez ni demandé
ni refusé d'être du nombre ; que je vous ai fait pressen-
tir là-dessus, et qu'en répondant que vous étiez prêt à ser-
vir le Roi partout où il jugeroit à propos de vous
employer, votre mauvaise santé ne laissoit pas de vous
faire quelque peine. J ai déjà dit par avance qu'il ne tien-
droit qu'à vous d'être nommé plénipotentiaire, mais que
cependant S. M. ne vous forceroil pas à l'accepter, pour
peu que votre santé ne vous le permît pas.
« A l'égard de l'ambassade d'Espagne, j'ai cru devoir
dire au Roi que vous y seriez plus propre que personne,
et je vous ai mis sur la liste des sujets que j'ai envoyée à
Madrid, en marquant que vous ne l'aviez pas demandé
et que je ne savois pas si vous vous portiez assez bien pour
l'accepter. Je crois que je suis entré dans votre esprit, et
c'a été au moins mon intention.
« Pour ce qui est de l'envie que vous auriez d'avoir une
charge à la cour ou un gouvernement de province, vous
êtes certainement, comme on dit, du bois pour y prétendre
légitimement, et, si l'occasion s'en présente, je vous pro-
mets d'en parler fortement au Roi ; mais je ne vous cache-
rai pas que, dans l'un de ces deux cas, vous ne laisserez
pas d'y trouver des obstacles, quoique en petit nombre à
la vérité ; mais en général, je vous assure, Monsieur, que
je vous rendrai très sincèrement les services qui dépen-
dront de moi.
« >ion-seulement je ne trouve point mauvais le naturel
avec lequel vous m'avez fait l'honneur de me dire vos
sentiments, mais je m'en tiens honoré et vous en remer-
cie »
30 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
II
Dans ce mémoire succinct, M. de Richelieu ne pouvait
faire mention du singulier épisode de ces accusations
de sorcellerie répandues par ses ennemis et colportées dans
les feuilles satiriques [Mémoires de Duclos,p.626). Soulavie
[Mémoires, t. V, p. 230 et suiv.) a reproduit deux lettres
du duc à M. de Chavigny, une lettre écrite de Rome par
le cardinal de Polignac et une autre écrite de Paris par
M. de Silly. Voici, d'autre part, le billet autographe que
le cardinal de Fieury écrivit, le 9 août 1727, à l'ambassa-
deur : « M. de Morville vous a écrit sur une nouvelle que
des gens mal intentionnés ont fait courir sur votre compte,
et qui a causé un grand chagrin à tous vos amis. Je suis
bien éloigné de vous soupçonner d'une aussi horrible
action, et si extravagante en même temps ; mais je me
figure que la réclamation que vous fîtes du moine aura
donné lieu à vouloir vous y mêler. Quoique je vous en
croie fort innocent, il est pourtant nécessaire que vous vous
justifiiez d'une si noire accusation, et que vous laviez
jusqu'à la moindre ombre de soupçon. » Le maréchal
manda à Morville qu'il avait cru devoir réclamer ce moine,
parce qu'il était l'agent de Bonneval, son parent, mais
qu'il l'avait abandonné, sachant mieux ce que c'était
[Villars, p. 342). Le cardinal, satisfait, écrivit à la date du
2 septembre : « Je ne vous parle plus de la noire et
afireuse calomnie qu'on avoit voulu vous imputer, et elle
n'a trouvé créance que dans l'esprit de gens mal intention-
nés et accoutumés à vouloir croire tout ce qui est de plus
méchant et de plus extravagant. »
Enfin, M. de Richelieu, le 13 septembre, écrivait ce qui
suit à son ami Silly :
« Quant à l'histoire qui a couru sur moi, elle a donné
1725-28 AMBASSADE A VIENNE 31
beau jeu à la broderie que mes ennemis y ont faite ; mais
je vous avoue que je la méprise beaucoup, et il me paroît
qu'elle est bientôt tombée dans le mépris qu'elle mérite et
où se trouvent ces sortes d'histoires quand elles sont fausses,
et, en un mot, cela est si fou et si faux, que je vous avoue
que je n'y puis faire aucune sincère attention, surtout le
cardinal sachant sûrement le peu de vérité qu'il y a, et ce
qui y a donné lieu que je ne pouvois pas éviter. Enfin, on
pourra me croire impie, mais non pas d'une façon aussi
ridicule, et ceux qui liront mes dépêches et qui voudront
sans partialité examiner ma conduite auront peine aussi à
me croire sans jugement. Ce sera de tels gens qui me
jugeront dans les affaires principales, et les autres, je crois,
seront forcés de souscrire à leur jugement.
('. Vous ne me marquez pas que M. le comte du Luc s'est
distingué dans la distribution des relations de mon affaire
et montroit des lettres de Rousseau, qui croyoit lui faire
l'équivalent d'une ballade en tâchant de dénigrer son succes-
seur, et une autre d'une vieille iemme de ce pays-ci avec
laquelle je suis brouillé, parce que ces vieilles vouloient
que je leur donnasse souvent à dîner, ce que je n'ai jamais
voulu faire une seule fois, et enfin, poussé d'impatience,
je répondis une fois à quelqu'un qui m'en parloit, qu'un
ambassadeur ne devoit connoître que les gens aimables et
les'gens utiles, et que, ces vieilles n'étant dans aucun de ces
deux cas, et devant peut-être mourir avant mon départ, je
ne voulois pas qu'elles m'ennuyassent. Or, M. le comte de
Luc, qui n'avoit rien à faire par ici qu'à écouter des sor-
nettes et dire des polissonneries, avoit ses raisons pour
ménager ces vieilles femmes, avec quelques-unes desquelles
il a conservé commerce, et ils se sont trouvés unis pour
me dauber. Mais, comme les vieux chiens n'ont plus de
dents, leur morsure ne fait pas grand mal. . . »
32 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
III
Louis XV, très satisfait de la conduite de M. de Richelieu
dans l'affaire du chapeau du cardinal de Fleury, lui écrivit
le 21 septembre 1726 :
« Mon Cousin, vous ne pouviez me donner une marque
plus sensible de votre zèle et de votre empressement à
faire réussir les affaires que je confie à vos soins, qu'en
sollicitant comme vous avez fait le consentement de
l'Empereur pour la promotion de l'ancien évèque de Fréjus
à la dignité de cardinal. J'ai vu avec un extrême plaisir,
par la lettre que vous m'avez écrite le 3 de ce mois, l'effet
des instances que vous aviez faites de ma part pour obtenir
ce consentement, et les précautions que vous avez prises pour
faire en sorte que le Pape en fût informé promptement,
afin que S. S. ne pût différer plus longtemps de m'accorder
une grâce que je désirois avec tant d'ardeur, et ces pré-
cautions ont eu un tel succès que j'ai appris aujourd'hui
par le même courrier que vous avez dépêché de Vienne à
Rome et que le cardinal de Polignac m'a renvoyé de Rome,
que l'onzième de ce mois S. S. avoit promu dans son con-
sistoire l'ancien évêque de Fréjus au cardinalat. Ainsi,
vous pouvez juger de la joie que je ressens de voir cette
affaire terminée aussi heureusement, et, comme je suis bien
aise de témoigner à l'Empereur toute ma gratitude du con-
sentement qu'il a bien voulu donner à l'anticipation de
cette promotion, je lui écris la lettre ci-jointe pour le lui mar-
quer, et vous devez, en la lui remettant, l'assurer qu'il peut
compter de trouver toujours de ma part la même bonne
volonté à entrer dans tout ce qu'il pourra désirer sur les
choses qui l'intéressent personnellement. Mais je suis bien
aise de vous marquer aussi que je suis très satisfait du
zèle que vous avez (ait paroître en cette occasion pour
172Ô-2S \MBASSADtLK A VIEi\>E 33
l'exécution des ordres que je vous avois donnés, et que,
comme vous ne pouviez me rendre un service plus agréable
que de conduire promptement cette affaire à une heureuse
conclusion, mon intention est de vous donner des marques
de l'approbation qu'a méritée de moi la conduite que vous
avez tenue depuis le commencement de votre ambassade. »
IV
Tandis quil ctail à Vienne, le duc de Richelieu ne
négligeait pas ses relations à la cour de France. La lettre
suivante qu'il écrivait à M"'^ de Prye, la toute-puissanle
maîtresse du duc de Bourbon, alors premier ministre,
montrera sur quel pied de familiarité il se trouvait avec
elle. >"ous conservons l'orthographe de rori»inal.
« A Viemie, ce 17 octobre 1725.
« J'ai reçu, Madame, l'extrait du journal de la tour de
Babel que vous m'avés fait l'honeur de m'envoyer, et come
je suis un peu plus pris que vous et que d'ailleurs cette
cour ci y ressemble beaucoup, j'i répond dans le même
stile, parmi lesquels il y en a qui m'étoient fort incognus ;
mais, come en ce pays ci on aime mieux dire des sotises que
de demeurer cour, je me conforme à l'usage du pays, et
vous vérés dans le galimatias que j'ai l'honeur de vous
envoyer un modèle des conversations de ce pays-ci. Ce que
vous me faites l'honeur de me mander de celles du pays
que vous habites, où vous prétendes que vous avés entendu
dire un peu de bien de moy, me fait assurément grand
plaisir, et il y a des aprobationsqui flate bien mon amour-
propre de toutes façons, et assurément la vostre est à la
teste ; car je vous assure, Madame, qu'il n'y a rien de si
sincère et qu'il n'y aura rien de si fidel et de si solide que
les sentiments, j'ose dire, de l'amitié, de l'atachement et
34 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
du respect que j'aurai toute ma vie pour vous ; l'inclina-
tion les a formés, la raison les justifie ; ainsi il n'y en a
point, je vous jure, sur qui vous déviés tant comter. J'ay
apris avec bien de la joye les merveilleux changements de
votre cour et la satisfaction où tout le royaume est de
notre reine : cela en doit être une grande pour ceux qui
ont contribué à nous la faire avoir, et si les suites
répondent, come il y a tout lieu de s'en flater, à d'aussi
heureux comencements, la cour deviendra bien aimable,
la tranquilité du royaume bien afermie par des dauphins, et
les frondeurs bien confondus. Le roy a passé toutes espé-
rances et achevé le bonheur de la reine par ses bons pro-
cédés et ses prouesses : cela est encor plus agréable pour
ceux qui, étant obligé de le représenter, pouroient, sur ce
chapitre là, l'imiter mieux que d'autres; je crois pouvoir
m'en flater et avoir de quoi faire taire de la bone façon
les jaloux de ma gloire et convaincre ceux qui voudroient
douter que je peut dignement représenter un tel maître ;
mais ce seroit domages de prodiguer des exploits aussi
royaux aux hautes germanique, qui ne méritent pas tant
de soin. D'ailleurs, je croi que cela ne doit pas passer les
sujets du roy ; si cependant on trouve à propos dans le
conseil que de lems en tems je fasse voir ce que peuvent
les François et qu'ils ne sont pas dans l'état misérable où
l'on vouloit les décrier en Europe, cela me sera fort facil ;
mais je vous assure que cela étonera beaucoup en ce pays,
où l'on n'est point accoutumé à pareille chose, ce que j'ai
vu par l'étonemenl où toutes les dames ont été en aprenant
ces particularités que je n'ai laissé ignorer à aucune.
« Je vous assure, ^ladame, que je conte asséssur la soli-
dité des bontés dont vous voulés bien m'assurer et sur les
ofres que vous daignés me faire, pour m'adresser librement
à vous si j'avois quelques choses à désirer à la cour ; mais
la satisfaction oii l'on me Ilale qu'on est de moy, les bontés
1
1725-28 AMBASSADEUR A VIENNE 35
dont M. le Duc veut bien m'assurer, comble touts mes
veux, et mes désirs ne vont point au delà. J'avois désiré, en
partant, fort vivement, d'estre chevalier de l'ordre ; je
l'aurois désiré davantacre, si j'avois vu la nécessité dont
cela étoil dans ce pays et la surprise désagréable où l'on a
été de ne me le point v oir ; mais je ne pense plus qu'à
tâcher de bien venir aranger les afaires importantes qu'il
y a ici et revenir avec cette satisfaction, si je suis assés
heureux d'y parvenir, de mériter l'aprobation du roy, les
bontés de M. le Duc ; et si je puis joindre à cela vos
bonnes grâces et l'espérance de pouvoir avoir toujours en
vous une amie solide, je vous assure que tous mes veux
seront comblés. Mais, en ce pays, l'enuy me gagnent ; je
travaille come un chien, et la fatigue accable ma santé,
qui n est pas encore bien forte ; la filosophie me tient à la
gorge, qui me fait désirer de la tranquilité et pouvoir venir
jouir de la douce société de mes citoyens et citoyenes,
après estre sorti de la réputation frivole dont je m'étois
enfariné. Quand je serai arrivé là, que je serai heureux,
surtout si vous estes bien persuadée de l'atachement et du
respect avec lequel je serai tant que je vivrai,
Madame,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
Le duc de Richelieu.
« Je vous demande bien pardon de tout mon grifonage,
mais j'ai reçu votre lettre hier, il faut faire partir mon
Courier, et c'est une chose pénible à un ambassadeur que
d'expédier un courier : j'ai voulu vous répondre par lui et
j'ai mieux aimé vous doner un peu de peine à déchifrer
tout cela que d'atendre plus longtens par la poste une mau-
vaise réponse.
« M. le marquis de Breill, ministre du roy de Sardaigne,
me charge de vous assurer de mille respects de sa part et
36 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1725-28
de vous demander si vous vous ressouvenés de lui : il vous
respecte et vous honore beaucoup, et prétend que vous
l'aimiés un peu quand vous étiés à Turin, mais qu'il a bien
peur que vous ne rayés oublié. » (Bibliothèque nationale,
ms. Français 22798, fol. 1).
Peu de mois après, Monsieur le Duc était remplacé par
le cardinal de Fleury, et M""® de Prye partageait la disgrâce
de son amant.
II
GOMMANDEArKNT EN L\NGUEDOC:.
(1738).
M. le duc de Richelieu, revenu à Paris, se présenta
à la cour, dans le rang des courtisans. On pensa
pour lui et il songea lui-même à quelque ambassade ;
mais plus il resta à Paris, plus il sentit que la vie
qu'il y menoit étoit plus désagréable que celle d'être
en ambassade. Il sonç^ea donc à en avoir une ou un
gouvernement, et M. le cardinal deFleury lui donna
toute sorte d'espérances pour l'un ou pour l'autre.
Dans ces circonstances-là, M. le maréchal d'Estrées,
vice-amiral et en même temps lieutenant général de
Bretagne, gouverneur du pays Nantois et comman-
dant de la province, où il alloit tous les deux ans
tenir les États, vint à mourir'. Sa place en Bretagne
plaisoit infiniment à M. le duc de Richelieu, qui la
demanda, et M. le cardinal de Fleury lui dit que le
Roi ria] lui donnoit, mais de n'en rien dire jusqu'à
ce qu'il l'eût appris à M™® la comtesse de Toulouse,
mère de M. le duc de Penlhièvre, [qui étoit] encore
enfant et qui avoit eu le gouvernement de Bretagne
à la mort de son père. Malheureusement. M™* la
comtesse de Toulouse en parla à M"" de Charolois,
1. Le 28 décembre 1737; il était doyen des maréchaux de
France,
38 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1738
quiétoit brouillée depuis quelques années avec M. de
Richelieu ^ et le perséculoit avec acharnement, et
celle-ci lui persuada- que, si elle soufFroit que M. le
duc de Richelieu eût ladite place, il travailleroit à
dégrader son fils de son autorité et à le réduire à
rien dans son gouvernement, qui ne seroit plus qu'un
fantôme, de sorte que M. le cardinal de Fleur\ , qui
avoit dit à M. le duc de Richelieu que le Roi lui
donnoit ladite place et qu'il le prioit seulement d'en
garder le secret pendant quelques jours, se renferma
chez lui pour une très légère incommodité qu'il eût,
et reçut une fois seulement M. le duc de Richelieu
avec plusieurs personnes qu'il voyoit, et parut dans
un embarras si grand, que M. de Richelieu en fut
effrayé, et n'osa pas. dans ce monde, en chercher
une explication aussi subite. Il sortit donc avec tout
le monde, pour ne pas importuner dans le moment
M. le cardinal Fleury, qui étoit doux et aimable et
tâchoit de satisfaire autant qu'il pouvoit tous ceux
qu'il aimoit et avec lesquels il étoit en société. Il
avoit cessé, il est vrai, de donner à M. le duc de
Richelieu toute marque d'amitié ; mais il parloit
souvent de sa reconnoissance pour la manière dont
[le duc] l'avoit servi en lui faisant donner son cha-
peau de cardinal. M. de Richelieu ne fut pas long-
temps à voir qu'il s'étoit élevé contre lui quelque
chose qu'il ne pouvoit comprendre. Il revint chez
M. le cardinal le lendemain pour le voir, et le valet
1. Après avoir été trop bien avec lui.
2. Tout le commencement de cette phrase est tellement
embrouillé, que nous sommes obligés d'établir un texte com-
préhensible.
1738 COMMANDEMENT EN LANGUEDOC 39
de chambre lui dit qu'il ne recevoit personne que
pour des affaires pressées de l'État, et que les
médecins lui avoient défendu de recevoir des visites.
T.e lendemain, on dit même chose à M. de Richelieu ;
mais, comme il attendit plus longtemps, il vit entrer
des seigneurs de la cour, qui n'avoient point à par-
ler au cardinal des affaires de l'État. Il passa dans la
chambre de son secrétaire', y écrivit une lettre,
pour lui marquer combien son esprit et son cœur
étoient alarmés de ce qu il avoit lieu de craindre.
M. le cardinal ne lui répondit point par écrit, mais
lui fît dire par son valet de chambre, qu'il lui deman-
doit en grâce de ne point se fâcher ni s'alarmer, et
d'être bien sûr de son amitié. Cela parut fort
honnête à M. de Richelieu, mais point rassurant pour
la place de Bretagne. Il alla le soir chez M™* de
Mazarin, ou étoit M™* de Saint-Florentin, femme du
ministre et belle-fille de M'"^ de Mazarin. >PMe Saint-
Florentin lui dit qu'elle le cherchoit et avoit envoyé
savoir où il étoit, ayant à lui parler de la part du
cardinal de Fleury ; mais que, comme elle le voyoit
trop fâché ce soir, elle ne vouloit lui rien dire et le
prioit de venir le lendemain matin chez elle. Enfin,
quelques instances qu'il fit. elle résista, et elle lui dit
seulement qu'il devoit compter sur l'amitié du cardi-
nal, qui étoit fort en peine de savoir s'il étoit fâché
et disoit que, si M. de Richelieu étoit raisonnable,
il auroit de quoi se défâcher. Comme M. de Richelieu
1. Il en avait trois : Dupan, de Mongias et Gérard, ce der-
nier chargé de la feuille des bénéfices {Mémoires de Luynes,
t. IV, p. 417 .
40 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1738
comptoit beaucoup sur son amitié, il cherchoit à
savoir de M™* de Saint-1 lorenlin ce que pouvoit
valoir le gouvernement de la Bretagne que le cardinal
de Fleury lui avoit formellement promis. Il se fâcha
contre M™" de Saint-Florentin, lui disant qu'il ne
voyoit rien d'assuré. La dernière réponse qu'elle lui
fit fut qu'elle le voyoit trop en colère pour lui parler
le soir même, que ce ne seroit que pour le lendemain,
à l'heure qu'elle lui donna pour aller chez elle, et
elle sortit de chez M'"^ de Mazarin brusquement.
M. de Richelieu eut beau rêver ; il n'en imagina
rien . Le lendemain , il alla chez M"* de Saint-Florentin ,
qui lui conta l'histoire de M'"" de Charolois et de
M™* la comtesse de Toulouse, qui avoient parlé au
Roi directement et avoient mis le cardinal dans un
grand embarras, et elle lui donna la plus grande
marque d'amitié de la part du cardinal que l'on puisse
jamais donner à personne, en cherchant et trouvant
le moyen de procurer à M. le duc de Richelieu une
chose équivalente, que même il estimeroit davan-
tage. C'étoit une lieutenance générale du Languedoc,
et ce que l'on appelle dans ce pays-là la Grande
Patente, c'est-à-dire la patente de gouverneur,
avec laquelle on jouit de tous les honneurs, préro-
gatives et autorités ^ . M"^ de Saint-Florentin le pressa
1. Cette lieutenance générale étoit occupée par le marquis
de la Fare, qui eut celle de Bretagne, et ce fut pour établir
une compensation qu'on attribua à M. de Richelieu, outre les
fonctions ordinaires, le commandement de la province. [Gazette
du 5 avril 1738.; Cf. Luynes, t. II, p. 83 et suiv. : « L'on croyoit
que la lieutenance générale de Bretagne seroit donnée à M. de
Richelieu, je lui en voulus faire mon compliment le 28 mars. Il
1738 COMMANDEMENT EN LANGUEDOC 41
en même temps d'être raisonnable et d'accepter le
changement proposé. M. de Richelieu avoua qu'il
avoit eu tant de peur la veille de la sentence de
renonciation qu'il falloit faire à la Bretagne, qu'il
n'eut pas de peine à dire à jVP^ de Saint-Florentin
que, si elle lui conseilloit d'être content, il s'en
rapporteroit à elle et à M. le cardinal. Dès qu'il eut
lâché cette parole, elle partit sur le champ pour
aller trouver le cardinal, en l'assurant qu'il en seroit
aussi aise qu'elle, et, à son retour, elle assura M. le
duc de Richelieu que le cardinal étoit très content.
Lui, eut beaucoup de peine à cacher qu'il ne l'étoit
pas autant. Il alla trouver le cardinal, à l'heure qui
lui fut donnée par M™^ de Saint-Florentin, el lui
marqua toute sa reconnoissance de ce qu'il voyoit
bien qu'il avoit été obligé de faire pour lui donner
une preuve de son amitié. Comme on aime les gens
à qui on a rendu de grands services, le cardinal
donna à M. de Richelieu encore plus de marques
d'amitié qu il ne lui en avoit témoigné. Enfin, à la
fin de l'année, M. le duc de Richelieu alla en
Languedoc ' tenir les États et jouir de cette place,
me dit qu il y avoit encore des arrangements qui rendoient
cette décision incertaine : ces arrangements ne furent finis que
le 29. M. de la Fare vint ce même jour étiez moi, et me dit que
leRoivenoit de lui donner la lieutenance générale de Bretagne,
et à M. de Richelieu celle de Languedoc. Ces deux lieutenances
générales ne sont nullement semblables, etc. » Quant à M. de
Penthièvre, il eut comme compensation à ces arrangements
une augmentation de 13,000 francs sur les appointements de sa
charge de grand veneur. Arch. nat., 0^S2, f. 183.)
1. Voy. ses Instructions aux Arch. nat., carton TT 446, et,
sur ses relations avec les protestants. TT 337 et 355.
42 MÉMOIRES DE RICHELIEL' 1738
qui seroit la plus belle que le Roi ait à donner dans
ce genre-là, si elle étoil aussi stable que le sont les
gouvernements K
1. Ce que M. de Richelieu ne dit pas, c'est qu'il déploya dans
l'administration du Languedoc la même habileté, les mêmes
ressources qui l'avaient fait triompher seul de tant d'obstacles à
Vienne. Il se fit bien voir de ceux qui devaient être ses
ennemis, ses rivaux naturels ; apaisa les dissensions qui sépa-
raient soit le clergé et le parlement, soit les catholiques et les
protestants ; enfin, il fit de sa province, pendant le temps qu'il
y passa, un modèle de conduite et de dévouement.
m
MESDA^IES DE MAIELY,
DE VINTIMILLE ET DE CHATEAUROUX'
(1740-1744).
M. le duc de Richelieu se rendit à 3Iontpellier -,
avec M™^ de Richelieu, sa femme'' et ils y jouirent
tous deux de la plus grande considération et de tous
les agréments de la société ; mais il eut le chagrin
de voir mourir M™^ de Richelieu à Paris, puis, fort
peu de temps après, de retourner sans elle à Mont-
pellier, et de revenir encore à Paris, où il trouva les
suites de nouvelles tracasseries de M"^ de Charolois.
Cette princesse, quoiqu'elle eût une tête fort légère,
saisissoit avec vivacité tout ce qu'on lui présentoit.
1. Ce fragment porte le numéro 7 ; mais il ne semble pour-
tant pas qu'il y ait lacune entre le précédent et celui-ci.
2. Fin octobre 1738. Cf. Luynes, t. II, p. 267.
3. Il avait épousé, en secondes noces, le 14 avril 1734,
Elisabeth-Sophie de Lorraine, princesse de Guise, qui lui
donna un fils, le duc de Fronsac, puis, à Montpellier, une fille,
plus lard M™* d Egmont. La duchesse, très souffrante depuis la
naissance de ce dernier enfant et trouvant lair de Montpellier
mauvais pour sa poitrine, désira revenir à Paris, bien que son
séjour en Languedoc eût été constamment heureux. Le mal
s'aggrava dans le voyage, malgré les soins très tendres de M. de
Richelieu, et elle mourut au Temple, le 2 août 1740, inconsolable
de quitter l'existence et un mari qu'elle adorait. Voy, Vie privée,
t. ï, p. 335 et 336, et Mémoires du duc de Luynes, t. ÏII, p. 224.
44 MÉMOIRES DE lUCHELIEU 1740-44
[Ellei avoil très bien fait sa cour à M""" de Mailly,
toujours maîtresse du Roi ; mais M"'' de Mailly avoit
pris avec elle M™" de Vintimille, sa sœur, qui trouva
fort mauvais l'ascendant qu'affectoit M"*" de Charolois.
et qui ne songea qu'à les brouiller. Elle y réussit
bientôt, parce qu'elle avoit plus d'esprit que les
autres.
Cependant, M. le duc de Richelieu, qui étoit
retourné en Languedoc pour tenir les États ^ et qui
devoit y rester fort longtemps, apprit que la guerre
alloit se déclarer -, et il ne voulut pas aller en
Allemagne, de peur que les troupes n'y restassent
1 . Ouverts le 15 décembre 1740.
2. Son opinion était déjà arrêtée à ce sujet avant qu'il
repartît pour le Languedoc. Le 10 novembre, étant encore à
Paris, il écrivait au comte de Châteaupéage : « Dans mes con-
ditions pacifiques, je n'avois pas compris la morl de l'Empereur,
el cet événement change assurément ma façon de penser. Il
me paroît même impossible d'imaginer que cela se termine sans
armées en campagne. 11 y a des gens ici cependant qui assurent
que, au contraire, cela doit tout pacifier. Je crois qu'il faut les
mettre au rang de ceux qui parlent sans savoir ce qu'ils disenl :
du moins, c'est fort mon sentiment. La flotte angloise est partie
avec huit mille hommes de débarquement, et il me semble que
tout s'apprête à de grands troubles dans toutes les parties du
monde. Le ministre de l'Electeur de Bavière a débuté à Vienne
à demander satisfaction sur l'exécution du testament et des dis-
positions de Ferdinand, par lesquels la majeure partie de la
succession de l'Empereur appartient à la maison de Bavière.
Vous vovez que, par ce que nous savons, sans parler de ce que
nous ne savons pas, on ne sauroit guère penser que cette suc-
cession se partage sans procès. Chaque jour on en apprendra
des nouvelles, et je compte peut-être vous en dire dans le 4
ou le 5 de décembre, que je serai à Lyon... » (Arch. nat., K
14.3. n° 4)
1740-44 MESDAMES DE MAILLY. ETC. 45
l'hiver et que cela ne lui fit perdre son comman-
dement de Languedoc, dont il étoit tous lesjours plus
content. Il se destina à servir en Flandre, et voulut
revenir à Paris, pour avoir une part dans le com-
mandement des armées, s'il y en avoit plusieurs.
A cette époque, le Roi, assez isolé, faisoit toutes
les semaines un voyage d'un jour ou deux à Saint-
Hubert, puis revenoit à Versailles \ et ce fut là que
M. de Richelieu alla lui faire sa révérence. Il trouva
à S. M. un air moins embarrassé à son égard qu'au-
paravant. Comme il n'avoit rien à se reprocher, et
qu'il n'étoit pas en présence des deux sœurs, cette
entrevue ne lui fit aucune sensation ; mais ce qui lui
en fit beaucoup c'est qu'allant, l'après-dîner, faire
une visite à M™® la duchesse de Yentadour, il
y trouva M™" de Mailly avec M™® de Vintimille, qui
lui firent des agaceries et lui donnèrent des marques
d'amitié comme si jamais ils n'avoient rien eu à
démêler ensemble. M™® de Vintimille, qui avoit été
très peu de temps à la cour avant que M. de Richelieu
en partit, se surpassa encore en empressement et
assurances d'amitié, et l'engagea à les revoir, de
façon qu'il ne pouvoit comprendre un changement
aussi subit, ni ce qui pouvoit en être cause. Il répon-
dit donc modérément à ces marques d'amitié, ne
croyant pas devoir s'y livrer. Mais ces dames l'enga-
gèrent à venir se présenter au souper du Roi, dans
un voyage de Choisy. M. de Richelieu avoit aban-
donné ces invitations, après avoir vu à S. M. du
1. Ce sont les voyages de Saint-Léger dont parle le duc de
Luynes t. III, p. 480-482), en y signalant la présence de M. de
Richelieu.
46 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1740-44
refroidissement et avoir été refusé deux ou trois fois ;
mais la garantie que ces dames lui donnèrent que
le Roi seroit fort aise qu'il se présentât, le rassura,
et surtout ce que lui dit, dans cette conversation,
M"'* de Vintimille, qui avoit plus d'esprit que sa
sœur, qu'elle regardoit comme un oison. M. le duc
de Richelieu se présenta donc au souper du Roi ' ;
il y fut accepté ; plusieurs courtisans en furent fort
étonnés, mais aucun ne put l'être autant que lui-
même. Il soupa avec S. M. un jour ou deux après la
conversation qui vient d'être citée, et ne fut pas long-
temps sans deviner l'énigme de ce raccommodement,
qu'il avoit été si embarrassé de trouver. C'étoit la jalou-
sie que M™^ de Vintimille avoit eue de la manière dont
sa sœur s'étoit laissée gouverner par M"® de Cliarolois,
qui avoit occasionné toute cette brouille, et c'étoit
aussi M"'" de Vintimille qui avoit cru qu'un des
meilleurs moyens de la dissiper étoit le conseil
qu'elle donna à M. de Richelieu de se présenter. Il
n'a jamais pu savoir de quel autre moyen elle s'étoit
servie ; mais il vit qu'elle avoit cru celui qu'elle avoit
employé le meilleur pour se défaire de M"® de
Çharolois, qui l'importunoit beaucoup, et M. de
Richelieu croit, sans le savoir positivement, que le
Roi, qui connoissoit M"" de Çharolois mieux que les
deux sœurs, avoit été de moitié de tout son cœur
1. A la date du 20 juin 1741, M. de Luynes (t. III, p. 441)
noie que le duc de Richelieu, arrivé depuis peu de I^anguedoc,
esl à Clioisy avec M™" de Vinlimille et d'Antin, M'"^ de Cler-
mont, la maréchale d'Estrées, et, plus tard, M™^ de Mailly. Il
fut aussi invité le mois suivant, alors que la santé de M"® de
Vintimille commençait à donner de l'inquiétude.
1740-44 MESDAMES DE MAILLY, ETC. 47
pour se défaire d'elle ; car, sans cela, M. de Richelieu
ne peut croire que les deux sœurs lui ^ eussent fait
les impertinences qu'elles lui firent, tant en amitié
apparente témoignée à M. de Richelieu pour la faire
enrager, qu'en la renvoyant un soir à une seconde
tahle, le Roi jouant à une autre-. M. de Richelieu
voyoit bien que M'^'^ de Charolois étoit au désespoir ;
mais, comme elle aftectoit de n'en rien laisser
paroître, cela afiligeoit etfàchoit les deux sœurs. On
revint à Versailles, où le même manège dura ; mais,
comme M™^ de Vintimille étoit grosse et prête
d'accoucher, elle gardoit sa chambre, et le Roi avec
les personnes familières s'assembloient chez elle.
M"^ de Charolois n'y paroissoit pas.
M""' de Vintimille accoucha et mourut^, ce qui fit
grand plaisir aux ministres et à toute la cour, parce
qu'on la craignoit infiniment. Le Roi en parut extra-
ordinairement affligé (on dit même que l'enfant étoit
de lui), et S. M. fut plusieurs jours dans la douleur^.
1. A la princesse.
2. Sur la faveur pi'omière de M"* de Charolais, voir les
Mémoires du marquis d'Argenson, t. II, p. 231, et sur les froi-
deurs, qui commencèrent en octobre 1739, t. II, p. 300 et
t. III, p. 5, 14, 52, 25 et 109. A partir du mois de mars 1740,
elle cessa de taire partie des soupers et des carrossades.
3. Le 9 septembre 1741.
4. M. d'Argenson écrit, à la date du 9 novembre 1741 :
« M. le duc de Richelieu (qui est devenu à présent un des favo-
ris du Roi, et qui est des petits soupers chez M™* de Maillv ) dit
que S. M. est plongée dans une tristesse continuelle ; il me
disoit tout à l'heure que c'étoit le plus i^rand dommage du
monde qu'un si bon caractère eût été gâté par l'éducation, qu'il
avoit bien de l'esprit, qu'il étoit doux, et que c'étoit grand
dommage qu'on lui eût dit de se délier de tout le monde ;
48 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1740-44
M"** de Charolois fit alors quelques tentatives pour
voir si elle pourroit se raccommoder avec M™" de
Mailly, qui ne vouloit pas qu'on crût qu'elle se lais-
soit mener par sa sœur, et qui savoit que beaucoup
de personnes n'étoient point contentes de son union
avec M"" de Charolois.
A quelque temps de là, la guerre fut totalement
déclarée, et les premières troupes se rassemblèrent
en Allemagne. Mais le duc de Richelieu ne demanda
point à être de cette armée-là, parce qu'il eut peur,
avec raison, qu'on n'en revint pas tous les hivers, et
que cela lui fît perdre son commandement du l^an-
guedoc, dont il avoit senti tout l'agrément et qui lui
plaisoit beaucoup. L'armée de Flandre devoit
s'assembler plus tard, et, en attendant, M. de
Richelieu resta auprès du Roi, presque seul de toutes
les personnes de sa familiarité. S. M. faisoit des
voyages à Saint-Hubert, qui n'étoit pas encore ce
qu'il est devenu depuis ; il y étoit de suite deux jours
francs, et s'en revenoit à Versailles, où M. le cardi-
nal se rendoit, qui alloit pendant ces voyages à
Paris. M. de Richelieu y venoit aussi et retournoit
attendre le Roi à Versailles.
M'"® de Mailly se piquoit toujours d'une grande
amitié pour M. de Richelieu. Un jour qu'il venoit de
Paris pour aller à Saint-Hubert le lendemain \ il
qu'enlin il ne lui manquoit que de paroître sensible et quil
l'avoit paru k l'ocoasion de la mort de M""' de Vintimille. »
[Journal, III, 415. Cf. Luynes, IV, 16).
1. Ce voyage doit se placer vers le mois d'avril 1742. Le duc,
suivant M. de Luynes, alla saluer le Roi à Choisy, le 3 de ce
mois, et on lui donna un logement, bien qu'il n'eût pas figuré
1740-44 MESDAMES DE MAILLY, ETC. 49
arriva le soir très tard à Versailles seulement pour
se coucher, et trouva deux lettres chez lui, que sa
concierge avoit à lui donner : l'une de M. de Saint-
Florentin, ministre, qui le prioit de lui donner avis
de son arrivée, ou mieux, de son lever, pour lui
venir dire quelque chose d'important ; l'autre de
M. le marquis de Meuse, de la maison de Choiseul ',
qui étoit le plus assidu et le mieux en familiarité
dans la société du Roi, qui mandoit à M. de
Richelieu que M'"*' de Mailly avoit été autorisée du
Roi à lui dire que le cardinal venoit de recevoir la
nouvelle que les protestants du Languedoc se rassem-
bloient et étoient près de se révolter, comme ils
avoient déjà fait par le passé, et que, toutes les
troupes étant sur les frontières, n'y ayant en Lan-
guedoc qu'un régiment, même éloigné, le cardinal
avoit dit au Roi, que M. , maréchal de camp
employé dans la province, n'étoit pas en état d'en
imposer et de rassembler ce qu'il falloit opposer
aux protestants, et qu'il falloit y renvoyer sur le
champ M. de Richelieu, ou M. de Mirepoix^, qui
depuis longtemps avoit eu envie de ce même
commandement. M. de Meuse ajoutoit que le Roi
étoit fort embarrassé, et il conseilloit à M. de
Richelieu de répondre à M. de Saint-Florentin qu'il
sur la liste du voyage. Il venait de recevoir l'envoyé de l'infant
don Philippe, duc de Parme, et l'avait conduit jusqu'à ïaras-
con [Luynes, t. IV, p. 121).
1. Henri-Louis de Choiseul, marquis de Meuse, fait cheva-
lier du Saint-Esprit en 1745.
2. Gaston-Charles-Pierre-François de Levis, marquis de
Mirepoix, maréchal de camp.
4
50 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1740-44
iroit le trouver à son réveil, de la part du cardinal.
M. de Richelieu ne répondit ni à l'une ni à l'autre
lettre ; mais, dès qu'il fut éveillé, il s'habilla et alla
chez M. de Saint-Florentin, qu'il trouva prêt à mon-
ter en chaise pour le venir voir. Après plusieurs
compliments, ce ministre dit à M. de Richeheu ce
que le cardinal l'avoit chargé de lui dire ; M. de
Richelieu lui répondit qu'il n'avoit point de choix à
faire, que son devoir étoit d'aller où le Roi le jugeoit
nécessaire, et il ajouta qu'il avoit une partie de ses
domestiques à Montpellier, suffisants pour un cas
pressé, et qu'il étoit prêt à partir dès le soir même.
M. de Richelieu le pria encore de rendre compte de
sa réponse au Roi et à M. le cardinal, et lui offrit
d'aller sur le champ prendre congé de S. M., s'il le
vouloit ; mais M. de Saint-Florentin lui réphqua que
les choses n'étoient pas pressées à ce point-là, et que,
d'ailleurs, M. le cardinal étoit, comme il savoit bien,
dans son séminaire, à Issy, où il [étoit] venu coucher
le veille. Cependant, M. de Richelieu somma M. de
Saint-Florentin de rendre sa réponse au Roi et au
cardinal, et lui dit qu'il alloit à Saint-Hubert et y
altendroit le retour de S. M., pour prendre congé.
De là, M. de Richelieu courut chez M"^^ de MaïUy,
qui étoit dans les petits cabinets du Roi, qui étoit à
la chasse, et lui dit ce qui s'étoit passé entre M. de
Saint-Florentin et lui. Elle étoit à déjeuner. Après
ravoir entendu, elle lui dit que c'étoit un tour que
le cardinal avoit voulu lui jouer ; que le Roi, qui
étoit embarrassé, seroit bien aise du parti qu'il avoit
pris, et elle ajouta à cela bien des choses honnêtes
en promesses et marques d'intérêt, auxquelles il
1740-44 MESDAMES DE MAILLY, ETC. 51
n'avoil pas grande foi. M. de Richelieu quitta M"^ de
Mailly pour aller trouver M""* de la Tournelle, depuis
duchesse de Châteauroux. Il y avoit longtemps qu'il
vivoit avec elle dans la plus grande amitié, parce
qu elle en avoit encore davantage pour M. d'Agénois
et que [M. de Richelieu] en avoit aussi beaucoup
pour M™* de Flavacourt, ce qui formoit de grandes
liaisons des deux sœurs avec lui et avec M™^ de
^Nlazarin K Elles étoient de la maison de Maillv,
comme elle, aimables, très jolies, et attiroient beau-
coup de monde chez M"^ de Mazarin, qui étoit leur
belle grand'mère, ce qui justifiait sa grande amitié
pour elles deux. Comme elle vouloit avoir la meil-
leure maison de la cour, elles servoient beaucoup à
y attirer la meilleure compagnie et la plus agréable.
M™* de Mazarin étoit dame d'atour de la Reine et sa
favorite : M"' de la Tournelle l'étoit - de M'"" de
1. Le marquis d'Argenson dit, à la date du 22 novembre
1740 : « M. le duc de Richelieu a mis à mal M™' de Flavacourt,
la première beauté de la cour ; il la animée : elle parle davan-
tage, elle lorgne beaucoup. Elle a 'peu d esprit. Elle se piquoit
depuis longtemps d'une grande haine contre son mari. Le petit
duc d'Agénois a pris à M°'* de la Tournelle. Voilà ce qu'on
appelle des bonnes fortunes. — Hier, M. de Richelieu donna
un grand souper à sa petite maison, par delà la barrière de
Vaugirard, etc., etc. w {Journal, t. III, p. 234). — Emmanuel-
Armand de Vignerot du Plessis-Richelieu, fils unique du duc
d'Aiguillon, né le 31 juillet 1720 et titré depuis 1740 duc
d'Agénois, est celui qui fut si célèbre, plus tard sous le nom de
duc d'Aiguillon. Il était neveu à la mode de Bretagne du duc de
Richelieu, d'où M*"' de la Tournelle prit l'habitude d'appeler
aussi M. de Richelieu son oncle. Il avait épousé récemment, le
4 février 1740, une fille du fameux comte de Plélo.
2. Etait favorite.
52 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1740-44
Mazarin, et avoit, indépendamment de cela, une
amitié directe de la Reine, qui passoit sa vie à déplo-
rer les amours du Roi, qui éloient presque dans
leur commencement. M. de Maurepas étoit aussi
intime, tant par lui que par sa femme, avec M"* de
Mazarin et étoit neveu de M. de la Vrillière, qui
étoit secrétaire d'État comme lui, de façon que la
maison de M'°® de Mazarin étoit un centre où abou-
tissoient toutes les intrigues, et qu'il s'y faisoit des
échanges de confidences continuelles *. M. de
Richelieu raconta donc à M"* de la Tournelle ce qui
venoit de se passer de la part du cardinal avec le
Roi, et entre M. de Saint-Florentin et lui. Elle con-
vint bien qu'il devoit y avoir quelque intrigue à cet
égard, et elle lui promit de la découvrir. Comme
elle étoit favorite de la Reine et de M™'' de Mazarin,
1. Il est bon d'établir aussi clairement que possible ces
diverses parentés, qui faisaient, comme le dit M. de Richelieu,
du salon de M""" de Mazarin le foyer commun des intrigues les
plus opposées. Françoise de Mailly épousa en premières noces,
et à son corps défendant, M. de la Vrillière, ministre, et en eut :
M. delà Vrillière (plus tard Saint-Florentin), aussi ministre, la
comtesse de Plélo, mère de M™^ d'Agénois, et M™* de Maurepas.
En secondes noces, le 14 juin 1731, elle s'était remariée au duc
de Mazarin, et se retrouva encore en famille dans cette nouvelle
maison, puisqu'Armande-Félice de la Porte-Mazarin, fille du
premier lit du duc de Mazarin, avait épousé en 1709, le marquis
de Mailly-Nesle, cousin germain de Françoise de Mailly, d'où les
cinq sœurs bien connues ; M"** de Nesle était devenue ainsi la
belle-fille de sa cousine germaine, et les cinq sœurs ses belles-
petites-filles. Enfin, M""* de Mazarin avait pour frères le comte
de Mailly, qui avait épousé en 1726 laînée de ces cinq sœurs, et
M. de Rubempré. Ses deux alliances avaient donc fait d'elle la
belle-grand'mère et la belle-sœur de M""" de Mailly la favorite,
fille de son cousin germain.
1740-44 MESDAMES DE MAILLY. ETC. 53
M. de Richelieu en espéra beaucoup, et partit pour
aller à Saint-Hubert, où il trouva le Roi déjà arrivé,
qui lui parut assez sérieux. M™^ la comtesse de
Toulouse parla d'un projet de voyage prochain ', et
le Roi ayant été prié par elle d'ordonner à M. de
Richelieu de revenir -, le visage de S. M. chansfea un
peu. et il dit qu'il savoit que M. de Richelieu ne
pouvoit revenir de ce voyage, et qu'il avoit des
affaires. La conversation fut moitié plaisanterie,
moitié sérieux. On se mit au jeu ; M™® de Mailly,
qui devoit tout savoir, s'en mêla aussi, pour changer
d'objet de conversation. Le lendemain se passa à
jouer et chasser. Le surlendemain S. M. retourna
à Versailles. M. de Richelieu y arriva des premiers,
pour trouver M°^ de la Tournelle, qui lui dit qu'elle
savoit toute son affaire, et que c'étoit M. de Maurepas
qui avoit dit à la Reine que l'abbé de Broglie lui
avoit dit qu'il avoit entendu dire à M. de Richelieu
du mal du cardinal, [savoir] qu'il falloit qu'il radotât
pour avoir un Conseil comme celui des ministres qui le
composoient ; que la Reine avoit dit cela au cardi-
nal, qui en avoit été fort piqué ; qu'il vouloit en
conséquence lui faire ôter le commandement du
Languedoc, mais que, pour ménager les bienséances
en raison de l'amitié qu'il lui marquoit, c'est ce qui
l'engageoit à suivre le biais qu'il prenoit. Cela suffit
à M. de Richelieu, qui prit sur le champ le parti
d'aller trouver le cardinal. Il lui dit en entrant qu'il
venoit prendre congé de lui ; le cardinal parut
1. C'est-à-dire du projet du prochain voyage à Saint-Hubert.
2. De revenir à Saint-Hubert la prochaine fois.
54 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1740-44
embarrassé et lui répondit que son départ n'étoit
pas si pressé. M. de Richelieu insista, dit qu'il parti-
roi t le surlendemain et qu'il alloit dans Tinstant
même prendre congé du Roi. M. de Richelieu s'en
alla ; mais, quand il fut à la porte, rentrant tout de
suite, il dit au cardinal que le plus zélé, le plus
sincère et le plus attaché de ses serviteurs alloit lui
parler à ce titre et non pas comme commandant du
Languedoc. Il commença donc par dire au cardinal
qu'il ne pouvoit croire que la révolte des protestants
fût la véritable raison de son départ, et qu'il devoit
sentir celles que M, de Richelieu avoit de se plaindre
de lui ; qu'au surplus, il prendroit les plus sûres
mesures pour connoître les véritables raisons de son
mécontentement, mais qu'il vouloit savoir de lui-
même ces nouvelles tracasseries.
Alors, le cardinal lui répondit qu'on lui avoit
rapporté qu'il avoit frondé le Conseil et ceux qui le
eomposoient, et blâmé infiniment son administration.
M, de Richelieu lui dit : « Je ne vous mentirai pas ;
on vous a dit vrai ; mais ce n'est pas de cela dont
vous avez à vous plaindre. Le pénultième voyage à
Saint-Hubert, ajouta M. de Richelieu, j'allai prendre
M. de Meuse, que je menai avec moi, et, dans un
quart d'heure que nous fûmes ensemble, il commença
à dire du mal de vous et de votre conduite, comme
font tous les bons espions. Je fis semblant de faire
comme tous les sots ; j'adhérai en partie à ce que
disoit M. de Meuse, convenant qu'il étoit dangereux
d'avoir un Conseil composé comme le nôtre, au
milieu d'une guerre avec toute l'Europe, et sans
qu'il y eût un militaire, ni un homme qui se doutât
1740-44 MESDAMES DE MAILLY, ETC. ^^
de ce que c'étoient que la guerre et les troupes. »
M. de Richelieu ajouta qu'il étoit persuade que M. le
cardinal ne tarderoit pas à composer un autre Conseil
quand il y auroit réfléchi. C'étoit dire seulement ce
qui se dit dans les chambres entre miembres. Et
M. de Richelieu ajouta : « Je vous suis trop attaché
pour ne me pas croire coupable de ne vous avoir
pas dit toutes ces réflexions ; car, comme on ne peut
savoir ces choses-là que de ceux qui nous sont
attachés, j'ai à me reprocher de ne vous avoir pas
dit plus tôt ce que je pensois. Mais vous devez con-
venir aussi qu'il faut faire bien des réflexions pour
prendre le parti de tenir de pareils discours à un
homme comme vous et dans la place où vous êtes. »
Le cardinal, qui avoit foncièrement de la bonté et
de l'amitié pour M. de Richelieu, et qui sentoit que
ce qu'il disoit étoit vrai, se radoucit encore infini-
ment, et discuta le tout avec M. de Richelieu, comme
s'ils avoient parlé d'un tiers. Le cardinal finit par
lui dire ^ que le choix n'étoit pas aisé, et lui demanda
qui il penseroit mettre au Conseil. On auroit pu
croire, en connoissant moins le cardinal, que c'étoit
un panneau qu'il tendoit à M. de Richelieu, ou pour
lui, ou pour un autre ; mais il est bien sûr que
c'étoit de bonne foi qu'il parloit. M. de Richelieu
lui répondit, avec la même franchise, que, si le Roi
lui faisoit une pareille question, il lui diroit avec
vérité que celui de tout son royaume qui étoit le
plus en état de lui donner un bon conseil, en y
réfléchissant, etquiconnoissoitlemieux les hommes,
1. A M. de Richelieu.
56 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1740-44
c'étoitM. le cardinal de Fleury. « Et, si vous voulez
effectivement y penser, ajouta M. de Richelieu, vous
réussirez . »
Enfin, à la fin de cette conversation, le cardinal
convint que le Conseil étoit dénué de bonnes tètes
et dit qu'il chercheroit à le mieux composer et y
réfléchiroit. M. de Richelieu lui demanda sa parole
qu'il feroit ce qu'il promettoit. Il la lui donna, et
ensuite il dit à M. de Richelieu de ne point partir
encore pour le Languedoc, ce départ n'étant pas
absolument pressé, M. de Richeheu lui répondit
qu'il n'en feroit rien ; que ce qui venoit de se passer
avoit fait du bruit, et qu'il falloit qu'il fît le voyage,
qui pourroit être utile ; que d'ailleurs les voyages ne
lui coûtoient rien, et que ce qui lui coûtoit, c'étoit
sa gloire et le bien de l'État. M. le cardinal lui pro-
mit de la manière la plus énergique son amitié, et le
pria de revenir dès qu'il croiroit le pouvoir faire le
plus tôt. Quant à ses promesses d'amitié, le cardinal
tint parole, comme on le verra par la suite ^
M. de Richelieu fut quelques jours à Lyon en
passant, et, arrivé à Montpellier, il prit des infor-
mations de ce qui se passoit, envoya des coumers
de part et d'autre dans les Cévennes et autres lieux,
avec les ordres nécessaires pour qu'on lui rendît
compte de tout. Delà, il fut à Toulouse et s'y arrêta,
comptant rester quelques jours et loger chez l'ar-
chevêque, qui fut depuis cardinal de la Roche-
1. M. de Richeliou figure encore, au mois d'avril 1742, parmi
les lialiitués des petits cabinets du Roi et des soupers de M"* de
Mailly {Luynea, t. IV, p. 152.)
1740-44 MESDAMES DE MAILLY, ETC. 57
Aymon '. Étant à Toulouse, il prit pour le haut
Languedoc les mêmes précautions et les mêmes
mesures qu'à Montpellier. Un jom' qu'il étoit à dîner
avec l'archevêque et AP^ de Caraman, mère du lieu-
tenant général qui vit encore aujourd luii^. étant à
table, on lui annonça un courrier de M. le cardinal
de Fleurv, qui avoit été à Montpellier le chercher et
l'avoit suivi à Toulouse, ce qui étonna fort l'arche-
vêque, qui étoit un grand courtisan, et fit augmenter
beaucoup son estime pour M. de Richelieu ; mais
lui et M""^ de Caraman furent encore bien plus
étonnés, quand ils apprirent que M. le cardinal
écrivoit à M. de Richelieu pour lui faire part du
nouveau changement survenu dans le Conseil ", et
M. le duc de Richelieu ne dit pas le motif de sa
joie, mais il en eut beaucoup de voir qu'il avoit
repris auprès du cardinal la confiance et l'amitié
qui avoient toujours subsisté entre eux.
1. Charles-Antoine de la Roche-Aymon, archevêque de Tou-
louse depuis 1740, transféré à Xarbonne en 1751.
2. Louise-Madeleine-Antoinette Portail, comtesse de Caraman,
mère de Victor-Maurice, lieutenant général des armées en 1780
et qui ne mourut qu'en 1807.
3. 26 août 1742. — Entrée au Conseil de M. d'Argenson le
cadet et de M. le cardinal de Tencin. Voy. Luynes, t. IV, p.
212 et 216, et Argenson, t. IV, p. 21. « Dernière consternation
du public ! » dit le frère du nouveau ministre. Argenson cadet
avait été surnommé la Chèvre ; cétait un ami de collège de
Voltaire. M. Aubertin l^Esprit public, p. 146, 147) a cité de lui
des lettres de jeunesse fort piquantes sur les affaires publiques.
Un rapport de police, daté du 2 août 1742, qu'on trouvera dans
les Lettres de M. de Marville, lieutenant général de police,
1. 1, p. 59, donne une idée curieuse des intrigues qui amenèrent
ce changement de cabinet.
58 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1740-44
Il partit de là pour Bordeaux, où il resta deux
jours et donna ses ordres pour ce qui l'intéressoit
dans son duché de Fronsac et autres terres du voi-
sinage. Ensuite il alla à Richelieu, où il s'arrêta
quatre ou cinq jours ; de là il vint tout de suite à
Versailles, où il arriva assez avant dans la nuit, ayant
eu la précaution de faire avertir sa concierge. En se
couchant, il lui ordonna d'aller de bonne heure le
matin avertir M™^ de Mazarin de son arrivée, et de
lui dire que, dès qu'il seroit levé, il iroit la voir. Le
concierge [de celle-ci J, étonné, fit répéter à cette
femme ce que M. de Richelieu lui a voit dit, et
s'écria que M'"^ de Mazarin étoit morte depuis quinze
jours K Cette nouvelle, qui étoit fort importante
pour M. de Richelieu et pour la cour, l'étoit fort
peu pour les provinciaux, et, comme il ne s'étoit
arrêté nulle part que dans ses terres et n'avoit vu
aucun papier public, il fut grandement surpris. Il
demanda à sa concierge ce qu'étoient devenues
M"' de laTournelle et lYP' de Flavacourt. Elle lui dit
qu'elle les croyoit à Versailles, mais que le Roi étoit
à Choisv. M. de Richelieu chargea sa concierge
d'aller faire à ces deux dames le compliment qu'il
lui avoit ordonné d'aller faire à M™" de Mazarin, et
le matin, en effet, il alla les voir et les trouva se
désolant, M™^ de laTournelle surtout, parce qu'elle
avoit parole pour la première place de dame du
palais de la Reine, et [que la Reine] vouloit la donner
1. M"*" de Mazarin (Françoise de Mailly) mourut le 10 sep-
tembre 1742, après quatre jours de maladie. Voy, Luynes, t.
IV, p. 224 et 225.
1740-44 MESDAMES DE MAILLY. ETC. 59
à M"* de Tavannes, nièce de son grand aumônier ^
malgré lamitié qu'elle avoit toujours marquée à
AP" de la Tournelle. 3P' de Flavaeourt n'étoit pas
moins désolée, parce que cela l'éloignoit de la
seconde place, qui lui étoit aussi promise, et M""* de
la Tournelle éloit piquée effroyablement contre
M. de Maurepas. qui lui avoit conseillé de se mettre
dans un couvent pour attendrir le Roi et la Reine,
en vovant se retirer du monde une jeune veuve aussi
jolie qu'elle. Il est vrai qu'elle n'avoit pas assez de
fortune pour y rester, nayant plus M""** de Mazarin,
sa belle-mère, chez qui elle ^demeuroit]. Ce raison-
nement lui avoit déplu fort, et jamais elle ne put le
pardonner a M. de Maurepas. Elle pria M. de
Richelieu d'aller à Choisy et de tenter d'engager sa
sœur à avoir la charité de parler pour elle pour
avoir cette place de dame du palais, et de lui per-
suader que cet acte de générosité prouveroit encore
mieux son crédit et lui feroit honneur dans le monde.
M. le duc de Richelieu promit et tint parole : il alla
effectivement le même jour, le soir, à Choisy. et se
mit à souper exprès à côté de M™^ de Mailly. pour
avoir plus de loisir de lui parler et savoir ce qu'elle
pensoit. Il la trouva extraordinairemenl indisposée
contre ses deux sœurs, et principalement contre
>P^ de la Tournelle. Le lendemain, ou le surlen-
demain, le Roi retourna à Versailles. AI. de Richelieu
alla avec empressement trouver les deux sœurs, qui
1. Marie-Anne-Ursule Amelot de Gournay, comtesse de
Tavannes, nièce de Nicolas-Charles de Saulx-Tavannes,
archevêque de Rouen, grand aumônier de la Reine en janvier
1743. cardinal en 1756.
60 MÉMOIRES DE KICHELIEU 1740-44
étoient logées dans un appartement que leur avoit
prêté M"" la duchesse de Boufflers '. M"^ de la
Tournelle étoit dans un grand fauteuil, ayant l'air
fort indolent et rêveur, tandis que M""' de Flavacourt
se promenoit dans la chambre, avec beaucoup de
vivacité et d'inquiétude. Elles dirent à M. de Richelieu
que le Roi n'avoit encore rien décidé pour les places
de dames du palais, et elles paroissoient, M'"^ de
Flavacourt surtout, fort en peine. M™' de la Tour-
nelle étoit plus tranquille en apparence ; mais,
quand M. de Richelieu voulut s'en aller, elle lui fit
signe de lui venir parler et de se baisser pour l'en-
tendre. Elle lui dit tout bas que sa place de dame
du palais lui étoit accordée^, et lui dit adieu. M. de
Richelieu les quitta, et il est aisé de comprendre qu'il
n'étoit pas nécessaire d'avoir une grande sagacité
pour soupçonner la certitude et la connoissance
secrète du bienfait, sans être persuadé en même
temps d'une très grande intimité. Le lendemain
matin, M. de Richelieu alla à la toilette de M""^ de
la Tournelle, lui dire qu'il n'avoit pas voulu partir
1. Suivant M. de Luynes (p. 226), les deux sœurs restèrent
à Versailles, lune dans le logement de Tévêque de Rennes
fVauréal;, l'autre dans un des appartements de M™'^ de Mailly.
La duchesse de Boufflers était Marie-Angélique de ^'eufville.
Villeroy.
2. M""^ de la Tournelle eut le 20 septembre au matin, la suc-
cession de M""" de Villars, qui lui avait été promise dès que
cette duchesse avait remplacé M""* de Mazarin comme dame
d'atour ; le cardinal alla annoncer à la Reine la décision du
Roi. Ce fut seulement le soir du même jour que Ion accepta la
démission pure et simple de M""^ de Mailly en faveur de M""' de
Flavacourt [Luynes, t. IV, p. 232-237).
1740-44 MESDAMES DE M\1LLY. ETC. 61
pour Paris sans venir lui faire son compliment sur
la place importante qu'elle venoit d'obtenir, et au
lieu du désespoir où elle lui avoit paru. Elle répliqua
qu'efFectivement la place de dame du palais, dans
la situation où elle étoil, mettoit une furieuse diffé-
rence dans sa situation. M. de Richelieu lui dit que
sûrement elle ne le croyoit pas assez sot pom' lui
faire compliment de cette babiole-là, et que c'étoit
de la place de M™^ de Mailly qu'il parloil ; mais elle
fit semblant de ne pas comprendre, et la petite dis-
cussion qu'ils eurent ensemble, faisant semblant
d'être fâchée de ce que M. de Richelieu venoit de
lui dire, finit parce que M. le chevalier de Grille,
qui commandoit les grenadiers à cheval de la maison
du Roi ^ entra. Il lui étoit fort attaché et à toute
sa maison. M. de Richelieu voulut prendre congé et
s'en aller à Paris ; mais M™" de la Tournelle fit des
efforts pour l'en empêcher, et ne consentit à le laisser
aller qu'à condition qu'il seroit le lendemain matin
à Versailles. M. de Richelieu l'en assura, en ayant
au moins autant d'envie qu'elle, pour achever la con-
fidence toute entière.
Le Roi étoit à la messe, et il attendit que S. M.
sortît, pour lui faire cortège, lorsque, au milieu de
l'appartement, le Roi lui parlant sans tourner la tête,
regardant toujours devant lui, et lui parlant assez
bas pour qu'il fût obligé d'avancer la tête afin que
le capitaine des gardes n'entendit rien, il demanda
1. Le chevalier de Grille, « fort ami de M""^ de la Tournelle »,
n'étoit à cette époque que capitaine aux gardes françaises, et ce
fut seulement en janvier 1744 qu'on lui fit donner la compagnie
des grenadiers achevai [Luynes, t. IV, p. 308).
62 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1740-44
à M. de Richelieu s'il étoit capable de garder un
grand secret ; M. de Richelieu répondit à S. M.
qu'il avoit gardé les siens à Vienne avec autant de
précision qu il garderoit celui qu'il vouloit lui con-
fier. Et continuant toujours sa marche sans tourner
la tète, le Roi dit à M. de Richelieu de se trouver le
soir à son souper.
M. de Richelieu ne put pas voir M"" de laTournelle
dans la journée, et il ne se souvient plus de ce qui
l'en empêcha. Il se trouva exactement au souper du
Roi, qui ne lui dit pas un mot, jusqu'à ce que l'on
servit le fruit et qu'il voulût s'en aller. Alors S. M.
le rappela, lui demanda où il vouloit aller, et lui dit
de rester. Lorsque le Roi se leva de table pour se
laver les mains, M. de Richelieu s'approcha, pour
qu'il lui dît quelque chose. S. M. en efl'et lui dit
de passer dans sa chambre et de l'y attendre. Le
Roi étoit dans l'usage, quand il soupoit avec la Reine,
ce qui lui arrivoit tous les jours, hors ceux de chasse,
de rentrer au sortir de souper dans la chambre de
la Reine, et de faire une petite conversation plus ou
moins grande avec le peu de gens qui avoient alors
les grandes entrées et qui seuls pouvoient y assister.
Comme M. de Richelieu ne les avoit pas alors, il
passa dans la chambre du Roi, comme il le lui avoit
ordonné. S. M. y arriva bientôt après, mais entra
tout de suite dans son cabinet pour y donner, comme
c'étoit l'usage alors, l'ordre au capitaine des gardes.
Le duc de Yilleroy, qui étoit de quartier, ressortit
pour aller rendre l'ordre aux autres officiers et se
retirer chez lui ; il fut surpris de trouver encore
M. de Richelieu dans la chambre du Roi et lui
J
1740-44 MESDAMES DE MAILLY. ETC. 63
demanda pourquoi il y étoit. M. de Richelieu répon-
dit qu il y attendoit quelqu'un à qui il avoit donné
rendez-vous, et il attendit un gros quart d heure
sans entendre parler de rien. Enfin, S. M. vint, ren-
eoigna M. de Richelieu dans un coin de la fenêtre
et lui demanda s'il avoit soupe. S. M. lui dit d'y
aller et de se retrouver à minuit, avec une méchante
perruque et une grosse redingote, dans l'endroit de
la cour qu il lui indiqua '. Puis le Roi se retira brus-
quement dans l'intérieur de ses cabinets. M. de
Richelieu alla tout de suite faire ce que S. M. avoit
dit et se trouva précisément à minuit au rendez-
vous ; il se promena autant qu il put éloigné de
ceux qui pouvoient le voir ; cependant, il fut aperçu
de Le Bel, premier valet de chambre favori ~, qui lui
a dit peu de temps après qu'il avoit été en peine de
le voir là et qu'il avoit eu envie d'en avertir le Roi,
mais qu'il ne le fit pas. Au moment que M. de
Richelieu s'y attendoit le moins, il vit un homme
auquel il n'avoit pas pris garde, qui se jeta sur lui
en lui disant : « Que fais-tu là ? » Comme cet homme
avoit une grosse perruque noire et un haijit fort
déguenillé, M. de Richelieu ne le reconnut pas
d'abord ; mais comme cet homme lui dit : « Suis-
moi ! » ils s acheminèrent, sans que ce même homme
lui dit un mot, en traversant toute la cour, et,
entrant dans la porte du pavillon d'avant celui des
1. Voyez 1 épisode dans les Mémoires de M'"^ de Brancoj;.
2. Dominique-Guillaume Le Bel avait succédé à son père, en
1726, comme premier valet de garde-robe ordinaire et concierge
du château de Versailles : mais il ne remplaça de \vert, comme
premier valet de chambre, que le l-"' février 1744.
64 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1740-44
ministres, ils passèrent devant celle du premier maître
d'hôtel de la Reine ^ et montèrent l'escalier jusqu'au
premier étage, où ils entrèrent dans l'appartement
du maître de chapelle du Roi, dont l'abbé de Vauréal
avoit la charge, et qu'il avait prêté à M""* de la Tour-
nelle lorsqu'il partit pour aller en ambassade en
Espagne, où il étoit alors. Le Roi entra le premier ;
M. de Richelieu le suivit, et ils se trouvèrent avec
M™^ de la Tournelle, se mettant tous à rire ~. Cette
dame fit alors à M. de Richelieu une petite pérorai-
son, comment le Roi vouloit la venir voir les soirs
et se déguiser de peur de médisance ; tout le monde
se rangeoit bien vite dès qu'il paraissoit ; mais, ajou-
toit M""' de la Tournelle, elle avoit craint que des
cochers ou des postillons malavisés, venant à toute
bride, ne rencontrassent le Roi, et elle avoit désiré
que quelqu'un de fort attentif l'accompagnât les soirs
pour prévenir les accidents qui pourroient arriver.
M. de Richelieu répondit à cette petite raison en
riant et se moquant de M™^ de la Tournelle ; on
causa de beaucoup de choses particulières et inté-
ressantes ; ensuite M. de Richelieu dit qu'il se reti-
roit, de crainte qu'il n'y eût des choses plus intéres-
1. Louis de Talaru, marquis de Chalinazel.
2. Ce récit offre certaines différences sensibles avec celui que
l'auteur de la Vie privée a donné (t. I'^'', p. 352 à 356), et qui
aurait été écrit par le maréchal, à une époque beaucoup moins
avancée de sa vie, pour l'édification de ses amies, M™'' de
Luxembourg et M'"'= de Monconseil ; mais le fonds est bien le
même de part et d'autre. Ici, cependant, nous ne trouvons
aucune allusion aux quelques semaines d'exil que M"'' de
Charolais fit infliger à M. de Richelieu et qui auraient précédé
immédiatement la scène du déguisement royal.
1740-44 MESDAMES DE M.ULLY, ETC. 65
sautes encore à dire, et il les laissa seuls. Ces visites
recommençoient tous les soirs, et, comme il y avoit
toujours ou très souvent des laquais de M. de
Chalmazel et de ceux qui avoient soupe chez ce
premier maître d'hôtel, qui voyoient passer deux
personnes inconnues, [il étoit à craindre qu'ils]
n'eussent la curiosité de savoir qui elles étoient. Il
étoit impossible qu'à la deuxième ou troisième fois
ils ne le dissent à leur maître, et que M. de Maurepas,
qui avoit des espions partout, ne découvrît qui ils
étoient. Quand on l'a su après, on a cru, et avec
vraisemblance, que c'éloit M. le duc de Richelieu
qui avoit conduit cette affaire-là, de sorte que tout
le monde en étoit persuadé, même M. d'Agénois,
son cousin, qui possédoit M""" de la Tournelle avant
le Roi et avec qui M. de Richelieu avoit été [chez
elle] de la même manière qu'il venoit d'y être avec
le Roi, et qui étoil furieux contre M. de Richelieu,
qui ne pouvoit lui rien dire. Tout cela doit faire voir
combien les anecdotes de la cour sont difficiles à
connoître bien au vrai, et combien les connoissances
que Ton croit en avoir sont fautives. Le bruit que
fit cette affaire, et la suite du conseil que ]\1. de
Maurepas avoit donné à jVP" de la Tournelle de se
mettre dans un couvent, sont les principes de l'ini-
mitié que M. de Maurepas et M. de Richelieu ont eue
l'un pour l'autre '. Il y avoit eu cependant un autre
1. Sur cette inimitié, connue de toute la cour, voy. Luyncs^
t. XIII, p. 446, et Argenson, t. IV, p. 94-95. Aussi beaucoup de
genscrurentreconnaître la raaindc Riclielicu lors de la disgrâce
du ministre [Barbier, t. IV, p. 302 à 3G5, et Luynes, t. X, p.
116 à 120). — Argenson, qui cite la lettre sèche et bien connue
66 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1740-44
commencement ; mais celui-ci est le plus vrai et le
plus ridicule.
Enfin, cette liaison du Roi et de M'"^ de la Tour-
nelle fit du bruit ; M™' de Mailly s'en douta bien
vite, et ne tarda pas à en être convaincue. Le Roi
même le lui dit ^ . Comme elle étoit inspirée à tenir
bon, les tracasseries survinrent, beaucoup de gens
prenant des partis. M""^ de la Tournelle exigeoit,
pour la conclusion parfaite de la liaison, queM™^ de
Mailly ne fût plus dans Versailles, et le Roi ne trou-
voit pas raisonnable d'exiler, pour ainsi dire, une
femme de sa naissance, qui ne pouvoit avoir d'autre
démérite que celui d'avoir été aimée de lui ~.
Ce fut dans ces circonstances que l'armée s'assem-
bla en Flandres, et que M. de Richelieu fut obligé
de partir. Il fut question qu'un autre accompagnât
le Roi. jVP^ de la Tournelle sentoit la nécessité que
S . M. eût un compagnon qui resteroit autour delui dans
ses traversées nocturnes, et M. le duc de Richelieu
proposa le marquis de Meuse-Choiseul . Il étoit dans
la familiarité du Roi, de très bonne société, et n'étoit
pas cependant à craindre pour les grandes choses.
M'°^ de la Tournelle, qui gouverna absolument
par laquelle le Roi signifia son renvoi à Maurepas, constate que
depuis lors Richelieu est plus en faveur que jamais (t. V, p. 443
et 449).
1. M. de Luynes, très réservé sur ces bruits, rapporte
cependant que le Roi, plusieurs jours avant de congédier M^'^de
Mailly, lui aurait dit : « Je vous ai prorais de vous parler natu-
rellement ; je suis amoureux fou de M""= de la Tournelle ; je ne
l'ai pas encore, mais je l'aurai » (t. IV, p. 267).
2. Luynes, t IV, p. 266 à 269, et Argenson, t. IV, p. 38 et 39.
1740-44 MESDAMES DE MAILLY, ETC. 67
pendant l'absence deM. de Richelieu, avoil la bonté
d'être en commerce très fréquent avec lui et de lui
mander ce qui se passoit. particulièrement les
colères du Roi sur les refus continuels de rendre
son bonheur complet jusqu'à ce que M™* de Mailly
fût hors de la cour. Le marquis de Meuse trouva un
expédient fort adroit. Il avoit été de tout temps
ami de ^P*^ de Mailly, qui lui parloit toujours avec
confiance sur les sujets de plaintes qu'elle avoit du
Roi.
Après en avoir raisonné avec elle, il lui conseilla
de consulter son ancien ami, M. d'Argenson, qui
étoit secrétaire d'Etat de la guerre et très attaché à
la faveur naissante, à quoi il sacrifioit tout, avec
beaucoup d'esprit et fort peu déloyauté. Ce ministre
commença par dire à M™^ de Mailly qu'il étoit
extravagant d'imaginer qu'une jolie femme comme
elle voulût rester à la cour ; il lui conseilla de faire
de temps en temps de petits voyages et de commen-
cer par obstiner le Roi pour une absence de huit ou
quinze jours, disant qu'il ne falloitpas s'obstiner les
premiers moments, mais songer à rester amie pour
ne pas casser, et que par cela elle reprendroit peut-
être un jour sa première place et seroit toujours
l'amie du Roi. L'amour-propre acheva la persuasion,
et ce conseil spécieux parut admirable à M"^ de
Mailly, qui partit le lendemain de la Toussaint K
S. M. fut contente. M. de Meuse le manda à M. de
Richelieu, qui en fut fort aise aussi '. M""^ de Mailly,
1. Le surlendemain, 3 novembre [Luynes, t. IV, p. 267).
2. D'Argenson dit (t. IV, p. 42) : « C'est M. de Richelieu qui
a arrangé toute la quitterie du Roi et de M""^ de Mailly. Le
68 MÉMOIRES DE RICHELIEU 174U-44
une fois à Paris, ne revint plus à la cour, le Roi
n'ayant pas la même répugnance pour l'empêcher
d'y revenir que celle qu'il avoit pour la Taire partir
de force * . Alors, W' de la Tournelle fut pour ainsi
Roi l'a mandé pour revenir ici de l'armée de Flandre beaucoup
plus tôt qu'il n'eût fait sans cela. Il a conseillé au Roi d'écrire
chaque jour un billet à la maîtresse délaissée, puis tous les
huit jours, et, quand on lui raconte ce que le Roi a déjà fait
sur cela, il dit : « Cela est selon mes principes, etc. »
1. On sait que M°"' de Mailly se trouva sans maison, sans
fortune, et accablée des dettes que sa magnificence et son
désintéressement avaient accumulées pendant les années de
sa faveur. Voici ce que fit le Roi pour elle : « Aujourd'hui,
5 octobre 1742, ayant agréé la démission que la dame comtesse
de Mailly a faite en faveur de la dame marquise de Flavacourt,
sa sœur, de la place de dame du palais de la Reine, S. M. a
voulu dédommager ladite dame comtesse de Mailly de la perte
qu'elle fait des appointements aUribués à ladite place, et dési-
rant même lui donner une nouvelle marque de considération,
S. M. après s'être fait représenter son brevet du 20 novembre
1734, par lequel, pour les causes y contenues, elleauroit accordé
3.000 fr. de pension à ladite dame comtesse de Mailly, a juge
à propos de l'augmenter jusqu'à la somme de 12. 000 fr. ;... veut
et entend qu'elle en jouisse sa vie durant à commencer du
20 novembre 1741. . . « (Arch. nat. 0^86, f° 435.) Cette géné-
rosité fut complétée plus tard, en guise d'étrennes, par un don
plus considérable, c Aujourd'hui, 30 décembre 1742, le Roi
étant à Versailles, voulant donner à la dame comtesse de
Mailly une nouvelle marque de sa bienveillance, S. M. lui a
accordé et fait don de la somme de 20.000 fr. de pension. . . «
(f° 528). Un peu plus tard, le Roi, pour tirer M"^-^ de Mailly de
l'embarras où la mettaient ses créanciers, lui fit don de tout ce
qui garnissait la maison qu'il lui avait donnée pour logement,
diamants, bijoux, argenterie ou meubles (brevet du 4 mars
1743), et enfin, le 27 août de la même année, il lui accorda
encore la jouissance, sa vie durant, de la maison que la duchesse
de Le-sdiguières occupait précédemment dans la rue Saint-
Thomas du Louvre [0*S1, f" 353 et 480 v").
1740-44 MESDAMES DE MXILLY, ETC. 69
dire maîtresse déclarée, et peu à peu elle le fut de
la cour, et son crédit augmenta toujours par l'usage
qu'elle en faisoit.
Quand M. de Richelieu arriva de l'armée, il trouva
M™* de la Tournelle au comble de la joie et de la
satisfaction, et il part il pour aller tenir les États de
T^anguedoc.
!
mi
IV
NÉGOCL\TION SECRÈTE AVEC LA PRUSSE ^
(1744)
Dans ce temps-là, S. M. faisoit, comme de cou-
tume, des voyages à Choisy. M. de Richelieu, de
retour du Languedoc, passait toujours quelques
heures à Paris, en allant à Choisy. Un jour-, il
trouva une lettre de M. de Rottembourg, neveu de
celui qui, avec de grands succès, avait été ambassa-
deur et était mort à Paris, aimé et considéré^.
M. de Rottembourg ^ avoit été longtemps à Paris, y
avoit joué avec sagesse et avoit vu toute la bonne
1. Le récit qui suit est reproduit presque textuellementdans
le Mémoire présenté à Louis XVI, où il est placé immédia-
tement après l'ambassade de Vienne. Sur cet épisode voir
Frédéric II et Louis XV, par le duc de Broglie, t. II, p. 178-
187, 203-205, etc.
2. M. de Luynes écrit, le 16 mars 1744 ft. V, p. 362) :
« M. de Rottembourg est ici depuis quelques jours ; il est tou-
jours au service du roi de Prusse. Le public le disoit chargé de
quelques négociations de la part de ce prince, mais il est venu
ici pour ses affaires particulières. » M. de Rottembourg ne
retourna en Prusse qu'à la fin du mois de mai, alors que
Louis XV était déjà à larmée. Cf. Soulavie, t. VII, p. 105.
3. Conrad-Alexandre, comte de Rottembourg, maréchal de
camp, ambassadeur à Berlin à diverses reprises de 1714 à 1727,
plénipotentiaire au congrès de Cambray ;1723-1725j, ambassa-
deur à Madrid de 1727 à 1734, mort le 4 avril 1735.
4. Le neveu, Frédéric-Rodolphe 1710-1751).
72 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1744
compagnie, particulièrement chez M™" de Mont-
bazon ', où M. de Richelieu Tavoit beaucoup connu.
Après la mort de son oncle, il étoit retourné en
Prusse ', d'où le roi le traitoit à merveille. M. de
Richelieu trouva dans la lettre dont il vient de par-
ler, et qui lui fut donnée en passant à Paris, que
M. de Rottembourg avoit des choses importantes à
lui dire, et, comme il ne vouloit ni se faire voir
ni être connu à Paris, où il venoit d'arriver, il
prioit M. de Richelieu de lui donner un rendez-
vous chez lui, de façon qu'il pût y entrer sans être
vu de personne. M. de Richelieu ne douta point
qu'il ne se fût fait une affaire personnelle, et il lui
donna tous les moyens de le voir par une porte
qu'il lui indiqua, maisM. de Richelieu fut fort étonné
de le voir d'abord avec des instructions revêtues
de toutes les formes qui pouvoient les rendre res-
pectables. Elles étoient du roi de Prusse 'K II aver-
tissoit le Roi du dessein que l'Empereur avoit de
faire entrer un corps de troupes en Alsace, pendant
qu'il seroit en Flandres, et il lui faisoit l'offre d'un
traité par lequel il s'engageroit à entrer en Bohême,
pendant que l'Empereur entreroit en Alsace. A quoi
le roi de Prusse ajoutoit que la première condition
qu'il exigeoit du Roi, par l'importance du secret
1. Louise-Gabrielle-Julie de Rohan-Soubise.
2. « M. de Rottembourg, héritier du feu comte de Rottem-
bourg, arriva de Prusse et fit sa révérence le 10 mai 1740,
pour demander la permission de s'établir en Prusse où le Roi
lui offrait un régiment de dragons. Il avait besoin de rétablir sa
fortune compromise au jeu : il avait perdu 180.000 livres en
trois ans. » [Mémoires de Luynes, t. III, p. 286, et XI, p. 371).
3. Cf. Journal de M. d'Argenson, t. IV, p. 241.
1744 NÉGOCIA.TION SECRÈTE AVEC LA PRUSSE 73
pour tous deux, étoit que M. de Rottembourg ne
traitât qu'avec S. M. Aucun de ses ministres n'en
fut informé, et il n'y eut que M. de Richelieu, avec
qui M. de Rottembourg a voit permission de prendre
les arrangements pour voir le Roi. M. de Richelieu
convint [de faire en sorte], selon les ordres qu'il
auroit, pour que M. de Rottembourg pût voir le Roi
chez M*"® de la Tournelle, et l'assura que ce qu'il
désiroit seroit fait dans la soirée. Après avoir parlé
avec lui de leur ancien temps et de la vie qu'il
menoit en Prusse, M. de Richelieu le renvoya et
partit pour Choisy. Il alla tout de suite chez M™" de
la Tournelle. Le Roi y étoit ; on lui dit qu'il ne pou-
voit entrer, comme il le savoit bien ; mais hardi-
ment, il entr'ouvrit la porte. Le Roi, fort étonné,
l'ayant aperçu, lui demanda par quel hasard il étoit
là. M. de Richelieu lui dit que c'étoit par un hasard
dont S. M. seroit peut-être plus surprise que lui, et
dont il n'avoit pas à perdre un moment pour lui
rendre compte. M. de Richelieu entra et rendit
compte d'abord de sa conversation avec M. de Rot-
tembourg. M'"* de la Tournelle parla la première et
dit au Roi ; « Que dites-vous de cela » ? S. M.
répondit : « Cela peut être très bon ; mais il faut
l'examiner ». Il fit à M. de Richelieu plusieurs
questions : sur quoi, ils raisonnèrent quelques
moments, et enfin, il lui dit qu'il alloit réfléchir à
tout cela et à la manière dont il pourroit voir M. de
Rottembourg K M. de Richelieu se retira ensuite,
1. Cette scène est rappelée par M""^ de Tencin, dans une
lettre au duc de Richelieu, du 14 juillet [1745] : « Quand ce
74 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1744
jusqu'au souper, pendant lequel il se mit à l'ordi-
naire, près de M™" de la Tournelle, qui lui dit que
le Roi avoit fait beaucoup de réflexions sur cette
aventure, qu'il lui diroil après souper la manière de
recevoir M. de Rottembourg, et comment il le lui
araèneroit à Versailles, chez elle. En effet, après
.souper, le Roi lui donna ses ordres, et M. de Riche-
lieu introduisit M. de Rottembourg, qui remit à
S. M. un projet de traité, qui fut, pour ainsi dire,
convenu ; mais M. de Richelieu fit faire la réflexion
au Roi qu'il croyoit que, pour la forme et par consi-
dération pour son Conseil, il convenoit que
quelques ministres vissent le traité et le dressassent.
M. de Richelieu avait beaucoup d'intérêt personnel
à le désirer, et cela étoit important pour lui par-
ticulièrement. Il lui semble, autant qu'il s'en peut
prince vous adressa son envoyé pour proposer au Roi d'atta-
quer en même temps la reine de Hongrie, quand il entreroit en
Silésie, malgré mon désir de voir tout en beau, je n'eus pas
une très grande opinion de ce qui devoit arriver, à cause de la
nonchalance du maître. Vous devez vous ressouvenir que, quand
vous vous fîtes annoncer à Choisy, dans un moment où il étoit
en tête-à-tête avec M""'' de la Tournelle, pour lui faire part des
propositions du roi de Prusse, il ne montra aucun empres-
sement pour recevoir l'envoyé, qui vouloit lui parler sans con-
férer avec les ministres. Ce fut vous qui le pressâtes de vous
donner une heure pour le lendemain : vous fûtes étonné vous-
même, mon cher duc, du peu de mots qu'il articula à cet envoyé,
et de ce qu'il étoit comme un écolier qui a besoin de son pré-
cepteur. Il n'eut pas la force de rien décider ; il fallut qu'il
recourût à ses Mentors, qui, par leur lenteur et la manière dont
ils disposèrent les choses, firent manquer l'opération. Le roi
de Prusse jugeoit Louis XV d'après lui, etc.. » [Vie privée,
t. Il, p. 452;.
1744 NÉGOCIATION SECRÈTE AVEC LA PRUS>E 75
souvenir, que M. de Rottembourg consentit, et sans
doute cela étoit dans ses instructions, à la forme
proposée, qui n'étoit que pour la conclusion du
traité, craignant que le Roi n'eût de la rancune de
celui qui avoit déjà été fait sur l'alliance qui avoit
été entre eux, dont le roi de Prusse s'étoit détaché
un peu brusquement '.
Le Roi, le lendemain, v-it M. de Richelieu chez
M™^ de la Tournelle. où il raisonna sur l'impor-
tance de ce traité et de toutes les précautions,
beaucoup et mieux qu'aucun de ses ministres, ce
qui donna lieu à M. de Richelieu de dire au Roi
que, quelque secret qu'il dût garder selon sa parole
au roi de Prusse, qui sans doute se méfioit de
quelqu'un de ses ministres, il ne pouvoit imaginer
1. On voit ici se créer ce curieux ministère secret dont les
travaux de M. Boutaric et du duc de Broglie ont révélé les
ressorts et les résultats. Suivant un mémoire envoyé par le
comte de Broglie à Louis XVI, en 1774, ce fut dès la mort du
cardinal de Fleury que M™*" de la Tournelle, voulant retenir la
succession tout entière et se ménager dans le Conseil une
suprématie de premier ministre, « inspira au Roi l'idée de con-
sulter sur la politique M. le prince de Conti, avec qui elle étoit
fort liée. Ce qu'on croit de certain, c'est que ce fut à peu près
à cette époque qu'on le vit commencer à travailler avec le Roi
et y porter toutes les semaines des portefeuilles pleins de papiers
dont aucun ministre n'avoit connoissance. » [Correspondance
secrète inédite de Louis XV, t. II, p. 403 et 404'. Voyez, sur le
travail secret du prince de Conti avec le Roi, les Mémoires du
duc de Luynes, t. XV, p. 336. — On a vendu en 1875 ce
billet de trois lignes autographes de Louis XV : « Dire au
comte de Broglie de croire à ce que M. le prince de Conti lui
dira, c'est-à-dire tout et sur tout. » 'Vente Charavay, 8 mai
1875, n» 209, .
76 AfÉMOIRES DE RICHELIEU 174^1
cependant que ce soit M""" de la Toiirnelle et lui qui
en seroient les secrétaires, et que, pour sa dignité
même, il devoit choisir [quelqu'un] dans son Conseil.
Il proposa le cardinal de Tencin et le maréchal de
Noailles ; ce que le Roi approuva, et le chargea de
leur en parler. Ils firent tous trois un projet qui étoil
à bien peu de chose près ce que le Roi avoit dit ; il
fut convenu que le cardinal le porteroit au Roi avec
le maréchal qui crurent tous deux être les inven-
teurs comme les rédacteurs de ce traité '.
1. Le traité fut signé le 5 juin 1744 ; il comportait une
alliance offensive et défensive (A. Waddington, Recueil des
instructions aux Ambassadeurs en Prusse, p. 380).
Il eût été intéressant que M. de Richelieu parlât du rôle
que Voltaire avait joué dans l'établissement de ces relations
secrètes entre le roi de Prusse et l'entourage intime de Louis XV ;
mais sans doute il conservait rancune à son favori d'avoir
accepté et rempli une mission de ce genre à l'insu des personnes
qui étaient les plus intéressées dans la question. C'est au mois
de juin 1743 que l'idée était venue à AI. de Maurepas et à
M. Amelot, au premier surtout, de faire sonder les intentions
du roi de Prusse, soit à l'égard de la France, soit vis-à-vis de
M"" de la ïournelle, et voici comment Voltaire lui-même a
raconté le fait, dans ses Mémoires, : « Les affaires publiques
n'allaient pas mieux depuis la mort du cardinal de Fleury que
dans ses deux dernières années. La maison d'Autriche renais-
sait de sa cendre, la France était pressée par elle et par
l'Angleterre. Il ne nous restait alors d'autres ressources que le
roi de Prusse, qui nous avait entraînés dans la guerre, et qui
nous avait abandonnés au besoin. On imagina de m'envoyer
secrètement chez ce monarque, pour sonder ses intentions,
pour voir s'il ne serait pas d'humeur à prévenir les orages qui
devaient tomber, tôt ou tard de Vienne sur lui, après avoir
tombé sur nous, et s'il ne pourrait pas nous prêter cent mille
hommes dans l'occasion, pour mieux assurer sa Silésie. Cette
idée était tombée dans la tête de M. de Richelieu et de M'"" de
1744 >ÉGOClATIO> SECRÈTE AVEC LA PRUSSE 77
Châteauroux. Le Roi l'adopta, et M. Amelot, ministre des
affaires étrangères, mais ministre très subalterne, fut chargé
seulement de presser mon départ. Il fallait un prétexte ; je pris
celui de ma querelle avec l'ancien évéque de Mirepoix... »
Voltaire prit si bien au sérieux le secret de sa mission, qu'il
n'en laissa pas échapper un mot dans les lettres qu'il écrivait
alors à M. de Richelieu ; mais quelqu'un était averti, et ce
quelqu'un-là en valait bien deux. Voltaire avait été obligé de
confier l'objet de son voyage à M"**^ du Chatelet ; celle-ci, inti-
mement attachée au duc de Richelieu, se laissa arracher le
secret par M™* de Tencin, moyennant une promesse absolue de
n'en parler à personne ; mais, comme le dit M™® de Tencin, il
y avait toujours dans un engagement de ce genre une restric-
tion mentale pour ce qui pouvait toucher M. de Richelieu, et,
d'ailleurs, M"**^ du Chatelet elle-même n'y aurait pas mis plus
de discrétion, si le duc n'avait pas été absent à cette époque.
Toujours est-il que M™^ de Tencin, dès le premier jour, annon-
çait le départ de Voltaire et mit M. de Richelieu au courant des
projets de la coterie Maurepas. (Voiries lettres imprimées dans
la Vie privée, t. II, p. 438 et 439). Lorsque Voltaire revint, au
mois de décembre 1743, porteur de promesses dont M. de
Rottembourg acheva la réalisation, il ne fut pas récompensé de
ses travaux diplomatiques, mais au contraire puni de sa discré-
tion : « La duchesse de Châteauroux fut fâchée que la négocia-
tion n'eût point passé immédiatement par elle. Il lui avait pris
envie de chasser M. Amelot, parce qu'il était bègue, et que ce
petit défaut lui déplaisait ; elle haïssait de plus cet Amelot,
parce qu'il était gouverné par M. de Maurepas ; il fut renvoyé
au bout de huiî jours, et je fus enveloppé dans sa disgrâce. »
[Mémoires, t. I", p. 319).
V
LE ROI A METZ : SA MAL.4DIE
(1744)
Peu de temps après, le Roi partit pour l'armée
de Flandre et Ypres. Au commencement de la cam-
pagne, il débuta d une façon brillante. M""' de Châ-
teauroux n'avoit pas voulu y aller, pour tâcher de
conserver de la décence dans tout, même dans ce
qui ne l'étoit pas. Le Roi donna le gouvernement
du Saumurois à M. d'Aubigné', à la sollicitation de
M. le maréchal de Noailles, de préférence à tous les
officiers de son armée, parce qu'il étoit son
parent ^ Peu de jours après, M. le comte de Bissv '
étant arrivé, de la part de AI. le prince de Conti,
apporter la nouvelle de la bataille de Coni, qui n'en
1. Louis-Henri d'Aubigny, dit le marquis d'Aubigné, était
colonel du régiment de la Marine. M"»« de Maintenon avait
reconnu sa branche pour être de même maison qu'elle, et cest
ainsi qu'il pouvait se dire parent de la maréchale de Noailles,
nièce de la célèbre marquise.
2. Ce fut à l'occasion du mariage de M. d'Aubigné avec
M"« de BoudJcrs, que son père obtint de se démettre du gou-
vernement de Saumur en sa faveur 'Luynes, t. V, p. 431. et
les lettres^ du comte de Xoailles, publiées dans la Vie privée,
t. I, p. 375i. Le gouvernement du Saumurois, tout proche dé
Richelieu, et beaucoup moins lourd que le commandement en
Languedoc, avait été vivement convoité par M. de Richelieu.
3. Anne-Louis de Thiard, né en 1715, fut blessé mortellement
au siège de Maëstricht en 1748.
80 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1744
valoit pas trop la peine, le Roi lui donna le cordon
bleu ', que M. le prince de Conti avoit demandé
pour lui, ce qui mit M™^ de Châteauroux dans la
plus grande colère, et dans la crainte que tous les
jours on arrachât du Roi des choses qu'elle croyoit
aussi déplacées, elle prit la résolution de partir pour
aller joindre S. M. Comme M. de Richelieu lui
avoit toujours entendu dire qu'elle ne feroit jamais
pareille chose, malgré l'exemple de Louis XIV, il
lui demanda en arrivant d'où venoit l'heureux chan-
gement qui lui donnoit le plaisir de la voir, et elle
lui répondit que. si le Roi n'étoit pas instruit sur
ceux qui l'environnoient et qui abusoient de sa
bonté, elle en connoissoit auxquels elle vouloit
mettre obstacle.
Peu de jours après cette arrivée, il vint un cour-
rier d Alsace, qui annonça que le prince Charles -
étoit entré en Alsace avec une armée, avoit passé le
Rhin et menaçoit toute l'Alsace. Sur le champ, le
Roi prit la résolution de marcher au secours de
l'Alsace, avec une partie de son armée, et [de laisser]
l'autre au maréchal de Saxe pour garder la Flandre
et se tenir sur la défensive seulement . Le Roi mar-
choit à quelques journées devant son armée, passa
par Laon, où M. l'évéque, depuis cardinal ^% lui
1. M. de Bissy était commissaire général de la cavalerie,
et le Roi, n ayant osé, à cause de sa jeunesse, le nommer lieu-
tenant général, se détermina à le faire chevalier des ordres
[LuyneSy t. V, p. 441 et 451).
2. Le prince Charles de Lorraine, frère du grand-duc de
Toscane.
3. .Tean- François-Joseph de Rochechouart, qui avait suc-
cédé en 1741 à M. de la Fare. — Il y eut une scène curieuse
1"44 LE ROI A METZ : SA MALADIE 81
donna une fête ; ce fut de là que M. de Richelieu
demanda permission au Roi de venir à Paris, pour
s'en retourner immédiatement à Metz, où il seroit
aussitôt que S. AI. Pendant le feu d'artifice qui fut
tiré à Laon. il eut avec M"^ de Chàteauroux une
conversation sur des choses importantes qui ont été
détruites avec elle, et qu'il ne pourra jamais ouhlier.
M. de Richelieu arriva à Metz le lendemain matin
du jour où le Roi étoit arrivé le soir. S. M. trouva
a Metz un ministre du roi de Prusse ', qui lui annon-
çoit que son maître alloit entrer en Bohème et faire
la diversion qu'il avoit promise -. Le Roi n'étoit
pas encore éveillé, et tout ce qu'il y avoit de plus
grands seigneurs ou officiers généraux étoient dans
1 antichambre, attendant son réveil. Tout le monde
vouloit savoir toutes les particularités de ce coup du
ciel qui avoit engagé le roi de Prusse, en connoitre
tous les détails, et l'importance que la nouvelle pou-
voit exiger, M. de Richelieu entendit un grand sei-
gneur 3, plus grand sot encore, dire avec confiance :
pendant ce séjour à Laon. M. de Richelieu réunit à dîner
incognito le Roi et M'"^ de Chàteauroux ; à la sortie, Je Roi fut
reconnu par tous les badauds assemblés et poursuivis de tant
d'acclamations, qu'il dut se sauver .< comme Pourceaugnac
poursuivi par les clystères », dit le marquis d'Argenson t. IV
p. 1061.
1. Le maréchal Schmettau.
2. Le traité avait été signé secrètement le 5 a\ril et depuis
une alliance avait été conclue à Francfort entre la France, la
Prusse, l'Empereur, l'électeur palatin et le roi de Suède,' en
qualité de landgrave de Hesse [Siècle de Louis XV p 111 et
112). , t.. i
3. M. de Richelieu ajoute en marge : « Le duc de la Roche-
foucauld. » — Alexandre, duc de la Rochefoucauld, était
6
82 MÉMOIRES DE RICHELIEti 1744
« Il faudroit couper le col à celui qui a fait et signé
(( un pareil traité avec le roi de Prusse, parce que
« cela rendra la paix infaisable ». Il est vrai que
ce docteur-là ne fit pas comprendre d'abord sa
position politique et ne fut pas accueilli ; mais il est
bon de pouvoir toujours se souvenir du degré
d'extravagance, d'audace et d'esprit de parti qui
domine dans toutes les cours et surtout à celle de
France. Le Roi s'éveilla quelques moments après
et fit entrer le ministre de Prusse, qui fut accueilli
d'une manière qui auroit pu en imposer, si quelque
chose pouvoit contenir des espèces semblables à
ceux que l'on vient de citer et qui trouvent tou-
jours quelques partisans.
On passa toute la journée à visiter la placc^ avec
les dames. Le lendemain S le Roi se trouva un peu
incommodé d'un mal à la tête, ce qui ne laissa pas
de donner beaucoup d'inquiétude -. Elles redou-
grand-niaître de la garde-robe, ennemi déclaré de tout ce qui
touchait à la favorite et ami intime de M. de Maurepas. Der-
nier descendant masculin de l'auteur des Maximes, il avait
servi a^ec distinction sur mer, et, comme brigadier des armées
du Roi, il venait de se signaler par une grande activité dans la
campagne de Flandre. — Tl est inutile de faire remarquer que
les épithètes décernées au grand-maître par M. de Pucheheu
sont la suite dun ressentiment de vieille date. M. de la Roche-
foucauld avait une parfaite réputation, non seulement d'hon-
nête homme, mais d'homme d'esprit. Le Roi lui-même ne pou-
vait s'empêcher de le reconnaître, et M. de Luynes en est
garant [Mémoires, t. VllI, p. 388).
1. Samedi 8 août 1744.
2. Le récit qui va suivre a été certainement communiqué
à l'auteur delà Vie privée, qui raconte toute la scène de Metz
de la même façon, et souvent avec les mêmes expressions :
1744 LE ROI A METZ : S\ MALADIE 83
bièrent bientôt, parce que l'esprit de parti fit
augmenter la maladie du Roi. On parla de le faire
confesser et recevoir ses sacrements. S. M., qui
avoit un srrand fonds de relio^ion, avoit un mal de
tête fort grand avec de la fièvre, et n'étoit pas en
état de juger par elle-même de son mal, qui étoit
infiniment augmenté dans son idée par un homme
gagné ', en qui il avoit pourtant confiance sur sa
santé même, et qui lui dit qu'il feroit très bien de
se confesser. Comme on a vu le Roi, toute sa vie,
conserver les dehors de bienséance et du fonds de
religion qu'il avoit, il résolut de se confesser et
recevoir les sacrements. M. de Richelieu Tavoit
quitté la veille, après avoir tàté son pouls -. Il
T. II. p. à 14. — Cf. la double relation que M. de Luynes,
pour plus d exactitude et d'impartialité, a transcrite dans ses
Mémoires, t. VI, p. 39 à 48 et 60 à 62, rapportant les uns
après les autres les souvenirs, souvent contradictoires, des
principaux témoins qui entouraient le Roi. Voyez aussi le jour-
nal tenu par le premier commis Le Dran, aux Affaires étran-
gères, vol. France 1329.
1. Le maréchal veut parler ici certainement de M. de La
Peyronie (ci-après, p. 85), premier médecin par quartier,
qui engagea, dès le mardi 11, l'évêque de Soissons à parler
de confession et de sacrements, ce que le prélat fit le len-
demain, bien que la Peyronie lui dît ce jour-là que rien ne
pressait encore [Luynes, t. VI, p. 60). Ce furent ensuite les
instances pressantes et les remontrances très vives du duc de
Bouillon, grand chambellan, qui décidèrent le Roi à se
confesser au P. Pérusseau (Ibidem, p. 42 et 61-62).
2. On sait que M. de Richelieu avait de grandes prétentions
à se connaître en médecine, en hygiène, aussi bien qu'en astro-
logie et en magie, et, pendant la première période de la mala-
die, il s'arrogea le droit d'assister seul aux consultations des
médecins ^Luynes, t. VI, p. 40 et 60). Il écrivait ce même jour
84 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1744
retourna chez lui le lendemain matin, à sept heures.
Il y trouva M™^ de Châteauroux assise au chevet de
son lit, et ils raisonnèrent une demi-heure comme
à l'ordinaire. M. de Richelieu ta ta le pouls du Roi ;
la fièvre n'étoit pas augmentée ; mais il se plaignoit
toujours du mal de tête. Tout d'un coup, il lui
demanda son pot de chambre ; M™^ de Château-
roux se leva et passa dans la chambre à côté.
Alors, avec force et vivacité, le Roi cria : « Faites
entrer pour la messe ! » et répéta ces mots de
manière à étonner M. de Richelieu. Le Roi
ajouta : « Emmenez-la chez elle ^ ».
à un correspondant inconnu «... Le Roi s'est trouvé incom-
modé ce matin : il a un petit mouvement de fièvre ; je lui ai
touché le pouls qui est bon, et ce n'est presque rien : un peu de
constipation qu'il a laissé venir sans remède a causé cette
émotion que des lavements et du lavage emporteront... [Cata-
logue Charavay 328, n" 321, et L'amateur d'autographes, 6'
année, n° 125, p. 67).
1. Cf. Soulavie, t. VII, p. 30. — M. de Luynes (VI, 42) ne
raconte pas cette scène de séparation de la même manière :
« Le 12, M"™* de Châteauroux étant auprès du lit du Roi, il lui
prit la main et la baisa ; puis, la repoussant, il lui dit : « Ah !
princesse, je crois que je fais mal. w Elle voulut l'embrasser;
il la refusa, en lui disant : « Il faudra peut-être nous séparer. »
A quoi l'on dit qu'elle répondit fort bien et d'une manière très
convenable. 11 passa le reste de la journée dans de grandes
inquiétudes et beaucoup de troubles d'esprit. La nuit fut mau-
vaise depuis trois heures, et le jeudi matin le Roi fut saigné à
sept heures. Il y eut de grandes agitations, qui augmentèrent
pendant la messe. 11 fit demander le P. Pérusseau par M. de
Bouillon. Dans cet intervalle, le Roi eut un mouvement de
vapeurs très fort, de manière que M. de Bouillon sortit dan.s
l'antichambre pour demander un flacon avec précipitation.
Lorsque ce mouvement fut passé, M. de Bouillon sortit de la
chambre et dit : « Cela est passé. » Des gens qui l'entendirent.
1744 LE ROI A METZ : SA MALADIE 85
M. de Richelieu fut hienlôt hors de lui, comme
étoit [aussi] S. M. On ordonna aux garçons de la
chambre d'ou"STir les portes et de demander la
messe, et, en même temps, M. de Richelieu alla
trouver M™^ de Châteauroux, qu'il ne surprit pas
autant qu'il devoit le croire, et qui lui dit que
le Roi lui avoit parlé toute la matinée de sacrements,
se crovant plus malade qu'il ne l'étoit. Mais le sieur
de la Peyronie ', excellent chirurgien, qui s'étoit
rendu maître du Roi, en santé comme malade,
étoit livré depuis longtemps à M. de M. ~ et avoit
pour porteur de paroles La R. " qui étoit fort sot,
mais insolent, et qui prononçoit toutes les paroles
que la Pevronie lui disoit conséquemment à ses
instructions. Il n'y avoit aucun moyen de l'écarter ^.
et qui ne savoient pas de quoi il s'agissait, crurent que le Roi
étoit mort. Cependant, il se confessa, et l'ordre fut donné pour
renvoyer M""^ de Châteauroux et sa sœur, M""^ de Lauraguais,
etc. » (t. VI, p. 42 et 61-62).
1. François Gigot de la Peyronie, quoique premier chirur-
gien, avait été nommé, en outre, médecin consultant le 22
septembre 1742, et médecin par quartier le 14 mars 1743.
Accusé ici par M. de Richelieu, il se trouve nécessairement
déchargé des accusations contraires qui coururent alors contre
lui. Voy. Barbier, II, 404, et Luynes, VIII, 192 et 193.
2. M, de Richelieu ajoute en marge : « M. de Maurepas ».
.3. En marge : « le duc de la Rochefoucauld ».
4. Parce qu'il était grand-maître de la garde-robe du Roi.
M. de la Rochefoucauld fut, plus tard, un des premiers à
essuyer les effets de la courte vengeance de M"*^ de Château-
roux. M. de Maurepas fut chargé de lui commander verbale-
ment, sans lettre de cachet, d'aller à sa terre de la Roche-
Guyon. Quoique l'absence des formalités nécessaires put laisser
le temps de chercher une intercession puissante, M. de la
86 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1744
M. de Richelieu eonduisoit M™* de Chàteauroux
chez elle, par une galerie qui communiquoit de
l'appartement du Roi à la maison qu'elle occupoit,
lorsque M. le comte d'Argenson, ministre et secré-
taire d'État de la guerre, arriva et fit semblant de se
trouver mal. Il parut même avoir bien de la peine
à prononcer que S. M.conseilloit à M"'- de Château-
roux de sortir de Metz et de s'en aller à quatre ou
cinq lieues. L'étonnement fut grand ; mais il fallut
songer à exécuter les ordres, et, pour cela, M. de
Richelieu se sentit la force d'aller trouver M. le
maréchal de Belle-Isle '. qui n'avoil pas eu le temps
de savoir tout ce qui se passoit que très imparfaite-
ment. M. de Richelieu le trouva plein de senti-
ments d'honneur et d'honnêteté pour M™" de Chà-
teauroux, et d'indignation pour la manière dont on
en usoit. Il dit qu'il avoit en vue deux ou trois mai-
sons, et alloit penser à celle qui seroit la plus com-
mode. M. de Richelieu lui dit qu'il y avoit des gens
dans les rues que l'on avoit ameutés pour faire du
désordre quand elle paroîtroit. Ensuite, il retourna
chez ^P'' de Chàteauroux, où étoit M™' de Lau-
raguais, sa sœur, dit ce qu'il venoit de faire, après
avoir averti les dames qui étoient venues avec elles
de Paris, dont la marquise de Bellefonds, nièce de
Rochefoucauld, qui montra la plus grande dignité, se tint pour
dûment exilé pendant dix ans. Après quoi, il revint s'établir
k Paris, mais sans demander la permission de reparaître à la
Cour, et sans que le Roi pût rien blâmer dans sa conduite,
ni pendant ni depuis cet exil presque volontaire. Il mourut
en 1762.
1. Ami de M"* de Chàteauroux et gouverneur de Metz.
1744 ' LE ROI A METZ : SA MALADIE 87
M. de Richelieu ^ étoit de la compagnie, et il les
engagea à prendre aussi promptement que faire se
pourroit des arrangements préliminaires. M. de
Richelieu repartit tout de suite pour aller voir ce
qui se passoit chez le Roi. En chemin, il trouva un
homme qui lui dit que S. M. étoit dans le même
état où il l'avoit laissée, demandant à cor et à cris
ses sacrements ; mais que M. l'évéque de Soissons,
fils du maréchal de Berwick ~, disoit qu'on ne pou-
voit pas les donner au Roi tant que M™* de Château-
roux seroit dans la maison, ou même dans la
ville '\ M. de Richelieu demanda si ce qu'on lui
avoit dit étoit vrai. Cet homme attendoit d'être
assuré du départ de M"® de Çhâteauroux, pour le
dire au Roi. M. de Richelieu lui répondit qu'il sor-
toit d'avec elle, et qu'elle achevoit ses paquets, en
attendant l'arrivée du carrosse de M. de Belle-Isle ;
qu'il étoit impossible, quand même elle voudroit
aller à pied gagner la maison de son exil, qu'elle pût
aller plus vite, et empêcher 1 auguste cérémonie qui
pressoit, ni même sortir sans précaution au milieu du
1. Marie-Suzanne-Armande du Châtelet de Clefmont, fille
d'une des sœurs du duc de Richelieu, avoit épousé en 1733.
Charles-Bernard-Godefroy Gigault, marquis de Bellefonds,
gouverneur de Vincennes. Elle fut faite dame du palais de la
Dauphine en 1745. Les autres compagnes de M'"* de Château-
roux éloient M"""* du Ptoure et de Rubempré.
2. François de Fitz-James, abbé de Saint-Victor en 1728,
évêque de Soissons en 1739, avait succédé au cardinal d'Au-
vergne dans la charge de grand aumônier. Il fut exilé à la
suite du voyage de Metz. — Sa vie a été imprimée en tête de
ses Œuvres posthumes.
'.j. Mémoires^ de Litynes, t. VI, p. 42.
88 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1744
monde qui se ramassoit pour faire un scandale encore
plus grand. L'évêque de Soissons étoit dévot, avec la
tête chaude ; mais il avoit de la bonne foi et étoit
capable d'entendre raison. M. de Richelieu le vit.
M. l'évêque lui demanda s'il pouvoit lui donner
parole de la vérité de tout ce qu'il venoit de lui
dire; M. de Richelieu lui en fit le serment, et ce
qu'il lui disoit étoit en effet très exact; mais il ne se
souvient plus de ce qui arriva. Il est néanmoins sûr
que ce ne fut que l'après-dîner que le Roi reçut les
sacrements. M. de Richelieu lui tâta le pouls, en lui
donnant un bouillon. S. M. ne lui parut pas fort
malade et n'avoit pas le pouls fort élevé.
Il partit de suite pour aller voir M"* de Château-
roux : ce fut la dernière fois qu'il la vit, et il n'y
peut penser sans des impressions peu communes.
M. de Soubise y avait déjà été et en était parti. On
peut se figurer tous les sujets qui furent traités, mais
on ne peut s'imaginer les effets d'un changement
aussi subit et aussi prodigieux. La principale ques-
tion du moment étoit celle de ce que feroit M™^ de
Châteauroux. Elle pensoità aller dans quelque terre
en province ; mais elle prit le bon parti d'aller
droit à Paris, dans une maison déjà offerte à
M™* de Lauraguais, sa sœur, pour y faire ses
couches.
M. de Richelieu retourna chez lui à Metz. Son
valet de chambre lui dit que M. de Soubise l'avoit
fait avertir qu'on alloit donner au Roi les derniers
sacrements, et qu'il lui conseilloit de venir vite-
ment. En sortant, il trouva à sa porte un homme qui
venoit assez vite et lui mit un papier dans la main.
1744 LE ROI A METZ : «^A MALADIE 89
Il le lut en arrivant à la lumière de la sentinelle du
Roi, en entrant dans la cour ; ce papier contenoit
un avis à M. de Richelieu de prendre garde à lui,
contre qui tout étoit déchaîné. Lorsqu'il fut dans
l'escalier montant dans l'antichambre du Roi, il y
eut un autre homme qui lui donna un papier qui,
à quelques mots près, étoit semblable au premier.
Enfin, il arriva chez le Roi, où l'on étoit plus pressé
qu'au parterre de l'Opéra, à une première représen-
tation. A travers la foule, M. d'x\rgenson lui dit,
passant auprès de lui, et sans avoir l'air de le regar-
der : « Je vais dans la chambre de Le Bel (premier
» valet de chambre du Roi de quartier) ; je vous y
« attends ; n'y manquez pas » . Il s'y rendit en effet
d'un côté, pendant que M. d'Argenson alloit par un
autre. Lorsque M. de Richelieu y fut, M. d'Argen-
son lui dit que le Roi alloit recevoir ses sacre-
ments, et que l'on avoit exigé auparavant qu'il
renvoyât M™* de Châteauroux bien loin. « On vous
« apostrophe, ajouta-t-il, comme l'ayant entraîné
« dans tous ses désordres. Si vous m'en croyez,
« je vous conseille de ne pas vous montrer, ou de
« vous tenir éloigné du lit, pour que le Roi ne
« puisse pas vous voir. » — « Je suis bien éloigné, lui
« répondit M. de Richelieu, de penser comme cela;
«je vous assure, au contraire, que je serois très aise
(( que cela arrivât, parce que ce seroit un moyen
(( d'éclaircir tout le mystère de la manière la plus
« authentique qu'on puisse jamais trouver et de
« confondre tous les imposteurs. » Effectivement,
M. de Richelieu se mit dans le balustre, Ais-à-vis
du Roi, et, quand M. l'évêque de Soissons pro-
90 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1744
nonça l'anathème contre 'W^^ de Châteaiiroux et
de Lauraguais, M. de Richelieu ne douta pas qu'il
en A'înt à lui, et la réponse, qu'il auroit prononcée
tout haut étoit toute prête ; mais il ne dit mot et
M. de Richelieu ne sut jamais ce qui l'arrêta ^. 11 ne
seroit pas étonné que AI. d'Argenson, qui se livroit
toujours à celui qu'il croyoit le plus fort, ne se fût
mis parmi les dévots, pour lui tendre un panneau.
M. de Richelieu a tâché une fois ou deux, lorsque le
Roi lui parla de cela, et surtout la première fois
qu'il le vit après, deconnoître ce qui en étoit ; mais
voyant que S. M. avoit de la peine de voir qu'il
voulût l'approfondir, M. de Richelieu s'en tint là.
Il se doute bien qu'il y eut en cela quelque intrigue ;
mais il n'a jamais pu en savoir la vérité bien exacte.
Les moteurs de ces belles scènes-là firent arriver
M. le Dauphin, à qui le Roi avoit ordonné de rester
à huit ou dix lieues, et c'est ce qui fâcha le plus
S. M., après sa guérison ^. Il le fil payer bien cher
1. Suivant les rapports insérés par M. de Luynes (t. VI, p. 43
el62;, le Roi était trop abattu pour prononcer d'autres paroles
que les réponses du rituel ordinaire ; ce fut M. de Soissons qui
se chargea de demander pardon pour S. M. et même qui
ordonna, de sa propre autorité, que les deux sœurs eussent
à quitter le voisinage de Metz et à se retirer à Paris ou ailleurs.
Du moins, l'un des deux premiers gentilshommees qui étaient
aux côtés du Roi assura que son maître n'avait rien prononcé
de semblable.
2. Le Dan|)hin avait demandé à suivre les opérations de
cette campagne ; mais Louis XV le lui avait refusé, par une
lettre très belle et très digne, du (3 mai 1744, qui a été publiée
dans les Mémoires historiques et militaires du maréchal de
Noailles, t. VI, p. 361. — Les premières nouvelles de la mala-
die du Roi ('taieiit arrivées à Versailles dès le 9 ; mais ce Hit
4 744 LE ROI A METZ : SA MALADIE 91
à celui qui étoit le moins coupable, le pauvre duc de
Chàtillon. qui suivoit les impressions dictées par
M. de ^Maurepas et prononcées par l'insolent imbé-
cile duc de la Rochefoucauld.
Tout ce qu'on vient de raconter étoit capable de
tuer le Roi. s'il avoit été bien malade, ou de le
rendre tel. s'il ne l'étoit que médiocrement ' : c'est
seulement le vendredi 14 qu'une lettre de M. de Bouillon, très
exagérée, décida la Reine à se mettre en route, et, le même
jour, M. d'Argenson écrivit quelle pouvait s'avancer jusqu'à
Lunéville, le Dauphin et Mesdames jusquà Chàlons ou à Ver-
dun. La Reine arriva à Metz le lundi matin. 18, et vit le soir le
Roi, qui lui demanda pardon du scandale et des peines qu il
lui avait donnés. Voici la lettre quelle écrivit aussitôt à M. de
Maurepas, dans l'élan de sa joie, qui devait bien peu durer :
« A Metz, ce 18. Je n'ay rien de plus pressée que de vous
dire que je suis la plus heureuse de toutes les créatures, le Roy
se porte mieu. Du Moulin assurre qu'il est comme hors
d'affaire, il dit mesme plus, mais je n'ose encore m'en flater,
il a de la bonté pour moy, je l'aime à la folie. Dieu veuille
avoir pitié de nous et nous le conserver. Je vous conseille de
demander permission de venir. Adieu, ne doutez pas un instant
de mon amitié. J'embrasse M™^ de Maurepas. » (Original
autographe auv Archives du marquis de Chabrillan . — Quant
au Dauphin, M. de Chàtillon, son gouverneur, prit sur lui de ne
point s'arrêter à Verdun et de le mener droit à Metz, où ils
arrivèrent quelques jours après la Reine ; mais on cacha cela
au Roi, et ce fut seulement au bout de quelques jours, quand
on lui eut demandé la permission de faire venir le Dauphin,
que ce prince fut admis à voir son père. La première entre-
vue ne fut pas aussi tendre qu'on se le seroit imaginé, et
M. de Chàtillon ne tarda pas à payer son audacieuse initiative.
— Cf. Luynes, passini ; Mémoires de Af™^ de Brancas. et
Sainte-Beuve, Nouveaux lundis, t. VIII, p. 297 el suiv.
1. M. de Richelieu, en toutes occasions, soutint que la mala-
die du Roi n'avait rien eu de grave; beaucoup de témoignages
92 :WÉM0IRES DE RICHELIEU 1744
ce que les moteurs de cette abominable intrigue
vouloient ; mais tous les instruments dont ils se
servoient ne vouloient pas tout à fait les servir, et
cependant ils croyoient par là rester maîtres de S.
M. et en avoir meilleur marché que de tout autre ;
mais la Providence sauva le Roi, et la première
chose qu'ils firent, dans sa parfaite convalescence,
fut de lui faire faire ses dévotions, à l'occasion de
la Saint-Louis, et d'exiger qu'il révoquât la com-
mission qu'il avoit donnée à M. de Richelieu d'aller
en Espagne faire la demande de l'Infante, comme
son ambassadeur extraordinaire, qui fut le dernier
trait du crédit et de la méchanceté qui entouroient
S. M. K
Pendant ce temps-là, l'armée, commandée par
M. le maréchal de INoailles, marcha pour aller chasser
les ennemis du bord du Rhin de notre côté. Le Roi,
à cette occasion, manda à M. le maréchal de
Noailles qu'il espéroit qu'il feroit comme M. le
sérieux, et, particulièrement celui de la Peyronie lui-même, que
M. de Luynes nous a conservé (t. VI, p. 46) attestent en effet qu'il
y eut un échauffement intestinal et peut-être un coup de soleil,
mais aucun symptôme de fièvre maligne ou de mal analogue.
1. Tout était en effet convenu et disposé pour ce voyage, où
M. de Richelieu comptait bien gagner la grandesse et la Toison
d'or en échange d'un luxe etd'un apparat qui devaient bien faire
oublier à jamais la fameuse ambassade de M. de Saint-Simon.
Voir les lettres que l'évêque de Rennes, alors à Madrid, lui
écrivait sur ce sujet. Elles ont été publiées par Soulavie dans
les Pièces inédites, t. II, p. 347 et suiv. Ce fut M. de Lauraguais
qui eut la mission. Mais, deux ans plus tard, Louis XV, comme
nous allons le voir, trouva une compensation pour M. de
Richelieu, lorsqu'il s agit d'aller chercher à Dresde une autre
princesse pour le Dauphin et un médiateur pour la paix.
1
1744 I,E ROI A METZ : SA MALADIE 93
prince de Condé à la mort de Louis XIII, en
gagnant une bataille le jour de sa mort ; mais il
n'y eut qu'une éehauffourée ridicule, que l'on
appela depuis la Journée des culbutes ' M. le
prince Charles repassa fort tranquillement le Rhin
se retira en Bohême, où étoit le roi de Prusse et fit
la paix avec lui. Pendant ce temps-là, on faisoit des
préparatifs pour le siège de Fribourg, et l'armée
s'avança de ce côté-là. M. de Richelieu alla joindre
l'armée dans l'instant qu'il apprit qu'elle marchoit.
Il prit congé du Roi dans son lit. Son départ met-
toit une sorte d'incertitude dans l'esprit des intri-
gants, sur la manière dont il seroit avec le Roi à
mesure que les forces et la santé de S. M. se rétabli-
roient ; mais ce qui les occupa fort et les inquiéta
encore plus, c'est qu'ils apprirent que le Roi avoit
1. Luynes, t. VI, p. 56, 65 à 68. — On ne connaît pas beaucoup
ce surnom de Journée des culbutes, mais pourtant voici ce que
dit M. de Luynes (t. VI. p. 73) : « Le Roi demanda tout haut au
maréchal de Noailles comment il avoit fait pour n'être pas
culbuté à l'affaire du passage du Rhin, et lui nomma plusieurs
personnes qui l'avoient été. La question étoit embarrassante ;
car, dans cette affaire effectivement, après des retardements
dont on s'est beaucoup plaint, il y eut un désordre et une
confusion dont les suites pouvoient être fâcheuses. M. de
Noailles répondit au Roi que, pour lui, il étoit au cinquième
rang; que les bagages et les chevaux de main avoient fait tout
l'embarras ; que de ceux-ci même il y en avoit encore plusieurs
de perdus le lendemain ; que lui et M. de Coigny crioient tant
qu'ils pouvoient, mais qu'il n'avoit pas été possible d'en venir
à bout. » Jamais général ne fût bafoué si universellement que
M. de Noailles en cette occasion, et l'on ne fit que rire d'une
relation qui fut imprimée par ses soins à Francfort et répandue
dans le public.
94 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1744
écrit à M™^ de Châteauroux, et que ce commerce
duroit.
Le Roi partit enfin pour aller joindre l'armée, et
l'on commença l'investiture de Fribourg. Pendant
ce temps-là, M. le maréchal de Noailles chargea les
aides de camp du Roi de venir tous les jours lui
apporter des nouvelles de ce qui se passoit à
l'armée. Quand ce fut au tour de M. de Richelieu,
la curiosité et l'inquiétude augmentèrent, et il
n'étoit pas lui-même fort à son aise ; mais le Roi le
reçut tout comme il avoit reçu ceux qui étoient
déjà venus. M. de Richelieu dîna avec lui, et tout
se passa fort simplement, ce qui affligea beaucoup
de monde. En prenant congé du Roi, quoique seul
avec lui dans son cabinet, M. de Richelieu ne lui
parla pas de ce qui s'étoil passé, le connoissant assez
pour sentir que le moment n'en étoit pas venu et
qu'il ne feroit que l'embarrasser et le fâcher dans
un pareil moment, ce qui fut encore mieux prouvé
dans la suite. Il trouva, à la porte de la dernière
antichambre du Roi, un billet de Le Bel, premier
valet de chambre, par lequel il redemandoit toutes
les lettres de M™^ de Châteauroux qu'il lui avoit
remises dans le commencement où il s'étoit aperçu
que la maladie du Roi devenoit sérieuse. Le Roi ^
les avoit mises dans une serviette et avoit ordonné
à Le Bel de la remettre à M. de Richelieu ; elles
étoient toutes ouvertes et n'étoient pas seulement
liées par pages : il n'y avoit que les nœuds de la
1. Tout ce qui suit, jusqu'au mot Fribourg, est une addition
autographe du maréchal.
1744 LE ROI \ METZ : SA MALADIE 05
serviette qui les enfermassent, et le paquet étoit
dans l'équipage à Fribourg. M. de Richelieu voulut
rentrer chez S. M. pour [le] lui dire et savoir si elle
vouloit qu'il les lui renvoyât de l'armée. Il rentra
en effet dans son cabinet ; le Roi, le voyant, parut
embarrassé, et, sans attendre ce que M. de Riche-
lieu vouloit lui dire, il lui fit, passant dans sa garde-
robe : « Comme vous voudrez, comme vous vou-
drez ' ». M. de Richelieu se retira tout de suite et
monta dans sa chaise aussitôt. Le Roi, quelque
temps après, arriva à l'armée ; il fut comme il avoit
toujours été avec M. de Richelieu, à cela près qu'ils
ne parlèrent de rien sur ce qui s'était passé,
quoique M. de Richelieu couchât à son tour dans
son antichambre, et que S. M. vînt tous les matins
causer avec ses aides de camp. 11 est vrai qu'ils
étoient tous gentilshommes de la chambre, capi-
taines des gardes, ou gens de la sorte, et que le
nombre en étoit fort diminué. La surveille que la
capitulation de Fribourg se fit, il y avoit eu, la
veille, à la tranchée, où M. de Richelieu avoit été
présent, une action qui n'avoit pas tourné à la fan-
taisie du Roi -, qui en étoit fort en colère et qui en
accusoit injustement le lieutenant général M. de
1. Le duc A. deBroglie [Marie-7'/iérèse i?npérairice, t.I,p. 35]
semble avoir lire des conséquences exagérées de ce récit qu il
reproduit, mais en enjolivant : le Roi rougit..., dit d'une voix
sèche et ^asse, etc.
2. Fribourg se rendit le 6 nos'embre. Le 3, on avait fait un
logement dans les deux demi-lunes ; mais l'attaque contre le
bastion avait échoué, avec une perte considérable, par le feu
des assiégés [Luynes, t. VI, p. 128 et 129).
96 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1744
Balincourt, depuis maréchal de France \ qui n'avoil
point eu de tort et que M. de Richelieu soutint avec
hauteur au Roi et partout, ce qui le sauva, qui
alors commandoit la tranchée. Cela n'empêcha pas
qu'il fut nommé maréchal de France quelque temps
après.
Le surlendemain, la capitulation commença.
L arrangement avoit toujours été pris que M. de
Richelieu partiroit de l'armée, ainsi qu'il étoit
convenu, pour aller tenir les Etats en Languedoc,
et de là en Espagne, pour faire la demande, tant
que ce dei'nier point avoit existé. M. de Richelieu
avoit abandonné cette idée, qu'il ne pensoit pas à
rétablir, et il dit seulement au Roi qu'il alloit passer
par Paris, où il avoit des affaires. S. M. le lui
défendit absolument, quelque chose qu'il pût lui
dire, ce qui le fâcha, et le fâche encore toutes les
fois qu'il y pense, parce qu'il auroit vu M"*" de
Châteauroux, à qui il avoit bien des choses à dire,
et elle mourut avant son arrivée. Il fallut donc que
M. de Richelieu allât tenir les Etats, pendant lesquels
il apprit la mort de M™** de Châteauroux ".
1. Claude-Guillaume Testu, marquis de Balincourt, fut fait
maréchal de France en novembre 1746.
2. M. de Richelieu put donc croire, qu'il y avait eu un
crime dans la mort subite de M™^ de Châteauroux ; il put même
au milieu d'une conversation légère et dans l'abandon des
souvenirs, laisser entendre ce qu'il pensait. Ce bruit d'un
empoisonnement qui aurait daté de plusieurs mois courut par-
tout : il fut même accueilli par les personnes les plus accrédi-
tées, et l'habitude qu'avait M"'*' de Châteauroux de porter tou-
jours du contrepoison, autorisait jusqu'à un certain point les
1744 LE ROI A xMETZ : SA MALADIE 97
A son retour de Paris, après les États, le Roi lui
fit dire par le marquis de Meuse qu'avant de lui
faire sa révérence, il vouloit le voir en particulier
dans son intérieur et qu'il montât dans son entresol.
Il s'y rendit la veille de Noël, après la messe de
minuit. S. M. le garda jusqu'à cinq heures du
matin, pleurant à chaudes larmes, en lisant toutes
les lettres de M™" de Châteauroux, qu'il apporta ^
Le Roi lui répéta bien des fois : « Vous voyez
comme elle me disoit tous mes défauts et quelle
perte j'ai faite ! » Sa Majesté lui parla aussi de toute la
cour et de ce qui s'étoit passé, avec autant de con-
fiance que l'on pourroit faire avec son meilleur
soupçons de la cour (Voy. Luynes, t. VI, p. 182; d'Argenson, t. VI,
p. 147, etc.) Cependant on voit ici que le duc n'en dit pas un mot,
et l'auteur delà Vie privée, qui remarque également ce silence,
cite en outre une lettre écrite le 2 décembre 1744, par M. d'Ar-
genson au duc lui-même, et conçue dans des termes tels qu'on
ne peut plus soupçonner ce ministre du crime horrible et du
reste inexplicable que les pamphlétaires se sont plu à lui
imputer. Il est certain que M. de Richelieu perdit beaucoup,
à cette mort prématurée, et que, M""* de Châteauroux ren-
trant en faveur, il eût pu espérer une dignité bien supérieure
à celle de premier gentilhomme de la chambre, l'ambassade
d'Espagne peut-être, le ministère des affaires étrangères,
vacant jusqu'au mois de novembre 1744, ou même la dignité
de connétable. Soulavie (t. VII, p. 80et 81) donne encore une
autre raison à des regrets très réels et fait une scène ridicule
de M. de Richelieu craignant que le Roi ne fît saisir les papiers
de M"® de Châteauroux et n'y trouvât tout le détail de ses rela-
tions avec sa favorite,
1. Louis XV, suivant toutes probabilités, brûla cette pré-
cieuse correspondance, et il ne nous reste qu'une seule lettre,
ou une copie, qui a été publiée dans la Vie privée, t. II, p. 43.
98 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1744
ami ^ à cela près que M. de Richelieu ne trouva pas
que le Roi fût aussi bien informé de ce qu'il savoit
lui-même et de beaucoup de choses qu'il ne savoit
pas directement.
1. Cf. Vie privée, t. II, p. 40 à 42. — M. de Luynes écrit à la
date du 25 décembre 1744 : « M. de Richelieu arriva hier au
soir, et vit le Roi vraisemblablement en particulier avant le
coucher, car il est certain que, lorsque le Roi fut rentré de la
chapelle, il s'enferma. La Reine ne savoit point l'heure de la
messe pour aujourd'hui; elle l'envoya demander, et on lui dit
que le Roi étoit enfermé » (t. VI, p. 193).
1
VI
BAT.ULLE DE FONTENOY i
(1745)
La guerre continua. Le Roi résolut d'entrer de
très bonne heure en campagne et d'y aller des pre-
miers.
A la première couchée -, après souper, il reçut
un courrier, par lequel il apprenoit que les enne-
mis marchoient à nous et qu'on ne pouvoit évi-
ter une bataille. S. M. avoil voulu mener M. le
Dauphin. Il résolut de partir sur-le-champ avec tous
ses aides de camp, et partit en effet, et donna ordre
de laisser dormir M. le Dauphin jusqu'au lendemain
matin ^. Le Roi rejoignit bientôt l'armée, et dit que
tout se préparait à une bataille pour la journée sui-
vante. Nous avions pris une très mauvaise position.
M. le maréchal de Saxe étoit plus malade qu'il ne le
1. Le récit qu'on va lire se trouve reproduit avec des
variantes assez considérables dans le Mémoire que M. de
Richelieu fit présenter en 1783 à Louis XVI ; quoique cette ver-
sion-là ait été publiée par l'auteur de la Vie privée, t. H, p. 59
à 61, puis reproduite par Soulavie 'Mémoires, t. VIII, p. 136
et suiv.) ; nous en donnerons le texte ci-après en Appendice,
p. 104 et suivantes. Cet épisode forme un fragment incomplet
du Mémoire de 1783 conservé aux Archives nationales sous
la coteR 143,n°73.
2. M. de Richelieu accompagnait le Roi {Luynes, t. VI,
p. 434) .
3. Le Roi arriva le 8 mai au matin, devant Tournay ; mais
la bataille ne se livra que le lendemain.
100 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1745
fut la veille qu'il mourut, si malade même, que, le
soir de la bataille, on lui fit la ponction. Il marchoit
néanmoins dans un petit chariot, dans lequel il est
aisé de comprendre qu'on ne peut pas tout voir
assez vite et changer les dispositions, surtout les
ennemis étant aussi près de nous. Le Roi se posta
à une justice ^ sur une petite hauteur, d'où il pou-
voit voir presque toute l'armée, et où il comptoit
déjeuner. Dans un instant, il vit plusieurs régi-
ments de cavalerie qui avoient plié et se retiroient
très précipitamment, et de suite une grosse masse
d'infanterie des ennemis qui avoit percé et étoit,
pour ainsi dire, au milieu de notre armée. Chacun,
dans son coin, venoit attaquer cette masse énorme,
qui les recevoit avec confiance, voyant qu'elle
n'avoit affaire qu'à une poignée de monde. Cepen-
dant, les ennemis étoient gênés par la faute qu'ils
avoient faite de ne pas prendre des redoutes qui se
trouvoient alors derrière eux. M. le duc de Riche-
lieu demanda au Roi permission d'aller voir ce qui
se passoit à la gauche de ce gros bloc d'infanterie
pour lui en rendre compte tout de suite. M. de
Richelieu doit dire, à propos de cela, à la louange
de feu M. le Dauphin, qu'il mit sur-le-champ l'épée
à la main pour le suivre, ce que l'on empêcha ~.
M. de Richelieu alla donc à la gauche, où il trouva
la brigade du régiment des Vaisseaux qui marchoit
1. C'est-à-dire une érainence sur laquelle était un gibet,
2. M. de Richelieu semble avoir conservé un bon souvenir
de la lettre que le Dauphin écrivit à la Dauphine le lendemain
de la bataille, et dont les copies se répandirent partout. Le
prince, qui n'était pas suspect de faveur pour le duc, ne par-
1745 BATAILLE DE FONTENOY 101
aux ennemis, ce qui l'obligea d'aller avec elle et
M. de Guerehy, qui la eommandoit. M. de Riche-
lieu reconnut donc que les ennemis n'étoient pas
fort à leur aise non plus, n'ayant que de l'infante-
rie et se voyant entourés de tous côtés ; mais,
comme ils ne voyoient venir à eux que des pelotons,
ils n'étoient nullement effrayés et recevoient fort
mal jnos troupes. D'un autre côté, toutes les troupes
avoient été maltraitées en détail, et l'effroi étoit
grand, parmi les officiers généraux surtout. M. de
Richelieu alla rejoindre le Roi, après avoir trouvé
dans son chemin des troupes fort effarées. Il rendit
compte de ce qu'il avoit vu. et, dans un conseil de
guerre qui se tint à cheval et assez hautement ',
tout le monde pensa qu'il falloit se retirer et com-
mencer par faire retirer le Roi. M. de Richelieu
hasarda seul de dire qu'il ne pensoit pas que tout
fût perdu, étant en force aussi près des ennemis, et
n'ayant qu'un pont à passer où l'armée ne pouvoit
éviter d'être détruite ^. Il ajouta qu'il croyoit voir
lait que de lui et du service qu'il avait si heureusement rendu
au Roi. Voltaire, qu'on a accusé d'être trop partial pour son
patron et ami, aux dépens du maréchal de Saxe, suivit en cela
l'exemple du Dauphin et le courant de l'opinion publique. Cf.
Luynes, t. VI, p. 468 et 483.
1. Mémoire de 1783 : « Il se tint alors un conseil de guerre
à cheval et à haute voix, de sorte que ceux qui étoient à por-
tée pouvoient entendre tout ce qui s'y disoit. » Cf. le récit de
Voltaire, dans le Siècle de Louis XV. p. 145, et celui du duc
de Chevreuse, da.ns les Mémoires de Luynes, t. VI, p. 444.
2. La fin de la phrase est peu claire : le maréchal veut dire
que la retraite lui semblait dangereuse parce que notre armée
n'avait qu'un seul pont pour se retirer et quelle ne pouvait
éviter d'y être attaquée et détruite.
102 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1745
une ressource, et qu'il falloit au moins la tenter ;
c'étoit celle, continua-t-il, d'avoir du canon chargé
à cartouches, et de tirer sur l'infanterie ennemie,
qui étoit très pressée, et d'attaquer ensuite de tous
les côtés à la fois, et non par pelotons, comme l'on
avoit fait. Quelqu'un répondit : « Mais où
« prendre du canon? » M. de Richelieu indiqua une
batterie assez près qu'il venoit de voir. Une autre
personne prit la parole et dit : « M. le maréchal de
« Saxe a défendu que le canon de cette batterie fût
« dérangé ». M. de Richelieu répliqua : « M. le maré-
« chai de Saxe ne pouvoit prévoir ce qui arrive ; le
« Roi est bien au-dessus de M. le maréchal de Saxe ;
« le Roi n'a qu'à ordonner. » Et personne ne dit
plus mot. S. M. étoit dans le plus grand embarras
et la plus grande colère intérieure, ce qui se voyoit
aisément. M. de Richelieu dit : « Votre Majesté
« m'ordonne-t-elle de marcher avec ces canons ? »
Après un petit moment de réflexion, le Roi avec
vivacité, dit à M. de Richelieu : « Oui ! je vous
« l'ordonne ». M. de Richelieu vit alors auprès de
lui un nommé Isnard, officier du régiment de Tou-
raine, qu'il connoissoit, et qui étoit aide de camp
de M. de Tingry, à qui il ordonna, delà part du Roi,
de mener le canon K Le sieur Isnard courut vite à
1. Linguet, dans l'article nécrologique de M. de Richelieu
[Annales politiques, année 1788, p. 119), nie que le duc ait eu
une part quelconque à la victoire de Fontenoy. Il répète, à ce
propos, un récit d'après lequel l'emploi du canon aurait été
conseillé par un simple officier d'artillerie, M. de Saisseval;
celui-ci aurait communiqué son idée au duc de Chaulnes, qui,
faute d'autre ressource, l'aurait transmise au maréchal de
1745 BATAILLE DE FONTENOY 103
la batterie, et plusieurs aides-de-eamp allèrent aver-
tir de tous les côtés, afin que, si l'on apercevoit de
l'ébranlement parmi les ennemis, tout le monde
chargeât à la fois. La batterie, arrivée, fut servie
admirablement ])ien, et, à la deuxième ou troisième
décharge, il v eut un ébranlement si grand, que
notre cavalerie, entra de tous côtés dans le sjros de
l'infanterie des ennemis, qui se replièrent en se reti-
rant de tous les côtés en fort «rand désordre. Yovant
l'effet que produisoit le canon, M. de Richelieu
chargea avec la cavalerie ^ et, pensant que peut-
être M. le maréchal de Noailles mèn croit trop vite
le Roi passer la rivière, envoya prévenir [le Roi]
que tous les ennemis, plioient de tous côtés et que
la bataille seroit gagnée incessamment, ce qui
arriva peu après. M. de Richelieu alla alors au-devant
du Roi, qui revenoit bien content, et [qui] dit à
Saie, et c'est dans l'entourage du maréchal que M. de Riche-
lieu aurait saisi au vol la communication, pour en porter l'avis
au Roi, tandis que le duc de Chaulnes faisait jouer l'artillerie.
Voltaire, ajoute Linguet, rendit justice à M. de Saisseval dans
la première édition du Poème de Fontenoy ; puis, dans les édi-
tions postérieures, il sacrifia ce nom et celui du maréchal de
Saxe à ceux des ducs de Chaulnes et de Richelieu.
1. Le marquis d'Argenson dit dans la lettre si connue qu'il
écrivit à Voltaire : « Votre ami M. de Richelieu est un vrai
Bayard. C'est lui qui donna le conseil, et qui l'a exécuté, de
marcher à lennemi, comme des chasseurs, ou comme des
fourrageurs, pêle-mêle, la main baissée, le bras raccourci,
maîtres et valets, officiers, cavaliers, infanterie, tout ensemble.
Cette vivacité française dont on parle tant, rien ne lui résiste ;
ce fut l'affaire de dix minutes que de gagner la bataille avec
cette botte secrète ».
104 MEMOIRES DE RICHELIEU 1745
i\l. de Richelieu : « Je n'oublierai jamais le service
« que vous venez de me rendre ^ » .
Pendant tout le reste de la campagne, on prit
beaucoup de villes, et l'on revint à Paris. »
APPENDICE
A propos d'un événement aussi important que la vic-
toire de Fontenoy, il est intéressant de rapprocher du texte
des Mémoires authentiques celui du Mémoire que le maré-
chal adressa à Louis XVI en 1783 ; on y trouvera quelques
détails que ne donnent pas les Mémoires authentiques, et
une rédaction plus châtiée et plus claire, écrite par un
secrétaire.
« La première fois que le maréchal de Richelieu put se
distinguer à la guerre, ce fut à la bataille de Fontenoy. Le
maréchal de Saxe, qui avoit été le général de l'armée
l'année précédente et qui le fut encore dans celle-ci, étoit
devenu hydropique. On lui fit même la ponction, le soir
de la bataille ; mais son courage, sa dureté pour lui-même
et l'amour du commandement lui firent cacher l'excès de
son mal, et il en partit pour se mettre à la tête de l'armée.
Les ennemis s'étoient empressés d'assembler la leur. Le
Roi, à la première nouvelle, partit, et, le soir du même
1. Le comte d'Argenson, dans la relation qu'il envoya à la
Reine et qu'on trouve dans les Mémoires de Luynes, t. Vil,
p. 161 et suiv., fait la part moins belle à Richelieu. Il raconte
que ce fut le maréchal de Saxe qui rallia l'infanterie disloquée,
y joi^'nil la brigade irlandaise et les régiments de Normandie
et des Vaisseaux et fit charger tout à la fois, tandis que Richelieu
menait la Maison du Roi, la gendarmerie et les carabiniers.
Cf. Siècle de Loitia XV, p. 147-148.
1
1745 BATAILLE DE FONTENOY 105
jour de son départ, comme il s'alloit coucher, il apprît que
les ennemis marchoient à nous et nous attaqueroient peut-
être le lendemain, de sorte que le Roi, au lieu de se cou-
cher, ordonna que Monsieur le Dauphin, qui Tétoit déjà,
ne fût point éveillé, S. M. se mit en route sur le champ et
arriva à temps pour la bataille, qui n'eut lieu que le len-
demain, ce qui donna le temps à Monsieur le Dauphin
d'arriver. Le maréchal de Saxe, qui étoit dans le plus
cruel état et qui avoit été obligé de s'en rapporter à des
officiers généraux, qui avoient pris une très mauvaise posi-
tion, n'eut pas le temps ni la force d'y rien changer, ni de
faire ce qu'il auroit peut-être fait si sa santé lui eût permis
de se donner la peine qu'il auroit eue pour changer la posi-
tion de toute une grande armée, étant aussi près des
ennemis, et dans le moment surtout qu'ils marchoient pour
l'attaquer, comme cela arriva en effet.
« Les ennemis commencèrent par attaquer le poste où
étoit le régiment des Gardes, le culbutèrent et se trouvèrent
au milieu de notre armée, sans que leur cavalerie eût pu
percer. Dans cette position, ils étoient, ainsi que nous, fort
embarrassés. Il eût été à désirer qu'il fût possible de les
attaquer de toutes parts à la fois ; mais cela étoit impos-
sible par la difficulté du grand circuit qu'il auroit fallu taire
et celle d'envoyer chacun dans son poste pour donner au
moment qui auroit été convenu. De sorte que nos troupes,
qui attaquoient par pelotons cette masse énorme d'infan-
terie, étoient toujours repoussées, et, par cette raison,
étoient rebutées d'aller visiblement se faire passer par les
armes en détail.
« Un grand nombre de lieutenants généraux, qui ne
savoient que faire, vinrent prendre les ordres du Roi et lui
dirent qu'il n'y avoit aucun moyen d'attaquer l'infanterie
ennemie et qu'il falloit se retirer. Le duc de Richelieu,
aux premières charges qui avoient été faites, avoit demandé
106 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1745
au Roi la permission d'aller voir de près ce qui se passoit
et de lui en rendre compte. Il arriva au poste qu'occupoit
la brigade du régiment des Vaisseaux, commandée par
M. de Guerchy, comme elle étoit déjà ébranlée pour aller
toute seule attaquer l'infanlerie ennemie. Le duc de
Richelieu, qui s'étoit joint à cette brigade déjà en marche,
chargea avec elle et vit de très près le peu d'effet qu'elle
produisoit ; aussi fut-elle repoussée et criblée. Le duc de
Richelieu vit M. de Guerchy culbuté et son cheval tué.
Quand il fut relevé, le duc de Richelieu examina la posi-
tion de ce côté et revint en rendre compte au Roi.
« Il se tint alors un conseil de guerre à cheval et à
haute voix, de sorte que ceux qui en étoient à portée
pouvoienl entendre tout ce qui s'y disoit. Il n'y eut aucun
de ceux qui étoient avec S. M. qui ne proposât la retraite
et n'exposât l'impossibihté de compter sur aucune ressource
avec des troupes aussi effarouchées que les nôtres. Le duc
de Richelieu osa seul être d'un avis contraire. Il observa
que, de la manière dont on avoit attaqué par pelotons
l'infanterie ennemie, il étoit impossible que nos troupes
pussent avoir aucun succès. Il ajouta qu'il ne doutoit pas
qu'en tirant du canon au milieu de cette infanterie, qui
étoit très pressée et sans cavalerie, on n'y mît un fort grand
désordre qui seroit vu bien vite de nos troupes, auxquelles
cela donneroit le courage d'attaquer de toutes parts toutes
à la fois, si on le pou voit, et en en faisant passer l'ordre
de tous les côtés ; mais que l'on pouvoit espérer que, si le
gros de l'infanterie ennemie recevoit tranquillement les
effets terribles que le canon pourroit faire et n'étoit point
chassée ou détruite, on pourroit du moins retirer nos
troupes, si l'on s'y voyoit forcé, et que sans cela on
n'oseroit le faire sans le plus grand danger. Quelqu'un
répondit : « Où prendre du canon ?» — « Tout près d'ici,
reprit le duc de Richelieu, je viens d'en voir une batterie.»
1745 BATAILLE DE FONTENOY 107
On répliqua que le maréchal de Saxe avoit défendu que
cette batterie fût enlevée. Le duc de Richelieu reprenant et
disant que le maréchal de Saxe l'avoit ordonné avant ce
qui s'étoit passé et que le Roi étoit fort au-dessus d'un
général d'armée, personne ne répliqua, et il demanda à
S. M. si elle vouloit bien ordonner que l'on prît le canon
de ladite batterie. Le Roi, après avoir hésité, y consentit,
paroissant fâché et troublé. Le duc de Richelieu dit alors
à un officier du régiment de Touraine nommé Isnard,
qu'il connoissoit, de courir à l'endroit qu'il lui indiqua et
d'ordonner de la part du Roi au commandant de la bat-
terie d'en amener les canons au plus v-ite, ce qui fut effec-
tivement fait avec la plus grande diligence . Il n'y eut pas
un seul coup de ces canons qui ne produisît un carnage
affreux, et les deux premières décharges jetèrent les enne-
mis dans un si grand désordre, qu'ils ne perdirent pas de
temps pour se retirer. Alors on les chargea de tous côtés,
et on parvint à les chasser complètement, ce qui donna un
tel courage à nos troupes qu'il n'y eut presque pas d ordres
à leur donner et que les ennemis ne songèrent qu'à fuir en
très grand désordre, étant poursuivis de toutes parts.
« Dans cet état le duc de Richelieu envoya son écuyer
avertir le Roi de ce qui se passoit. S. M., que le maréchal
de Noailles avoit emmenée, étoit prête de repasser la
rivière ; mais elle rebroussa chemin, et, quand le duc de
Richelieu fut assuré de la retraite complète des ennemis,
il vint lui-même au devant de S. M., qui eut la bonté de
lui dire en lui mettant la main sur l'épaule, qu'elle n'ou-
blieroit jamais le service qu'il venoit de lui rendre. Le
maréchal de Saxe se fit faire la ponction le soir de ce même
jour, et tout le monde est instruit du reste de la belle
campagne que nous fîmes. »
On peut comparer à ce récit les relations du duc de
Chevreuse et de M. de Vézannes, reproduites dans les
108 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1745
Mémoires du duc de Luynes (t. VI) et notamment cette
dernière, p. 447, où il est rendu hommage au mouvement
fait par Richelieu : « M. de Richelieu chargea si à propos,
à la tête de la Maison, qu'il acheva de les mettre en
déroute ». Voyez aussi la relation du comte d'Argenson
[Luynes, t. VII, p. 161-167), et la note du général de
Vault en faveur de Richelieu, d'après le volume 3084 du
Dépôt de la guerre, pièce 173 bis (cette pièce porte par
erreur, en marge : « Remis à M. le maréchal de Richelieu,
11 89 ») ; enfin, la narration reproduite dans le Correspon-
dant, t. LXXXIX, p. 98-131.
On trouve un récit de la bataille de Fontenoy dans les
Souvenirs du marquis de Valf'ons (p. 139 et suiv.), et cet
officier général ne manque pas, comme tant d'autres, de
s'attribuer une grande part dans la victoire inespérée.
Suivant lui, on avait déjà insisté pour que le Roi et le
Dauphin se retirassent, et des ordres avaient été donnés
de préparer l'incendie du pont du haut Escaut ; mais M. de
Richelieu lui répéta plusieurs fois : « Sire, la seule pré-
sence de Votre Majesté peut rétablir l'affaire et la gagner. »
Après quoi, il prit le commandement des Irlandais pour
écraser la fameuse colonne.
Une autre relation, par l'officier qui commandait sous
les ordres du duc de Penthièvre la 2* division de la droite
de la cavalerie, attribue à son auteur et à son chef la pen-
sée patriotique d'arrêter le mouvement de retraite et de
lancer la cavalerie sur la colonne anglaise et sur quatre
pièces de canon qui faisaient ravage. Ensuite, ce mouvement
n'ayant pas réussi, il courut partout pour rallierl'infanterie, et
rencontra, occupés de même, le duc de Richelieu, le comte
d'Estrées, le marquis de Clermont-Tonnerre et M. de la
Suze (Arsenal, mss. 4412).
Après la bataille de Salamine, chacun des chefs grecs
s'attribua la plus grande part du succès, mais tous
1745 BATAILLE DE FONTENOY 100
donnèrent la seconde place à Thémistocle : c'est un peu le
cas du duc de Richelieu après Fontenoy. Ceux même qui
ne raimaient pas ne laissèrent pas de le louer, et, au
premier rang, le Dauphin : on remarqua [Luynes, t. VI,
p. 468) que, dans sa fameuse lettre à la Dauphine, il ne
parlait que de M. de Richelieu : la lettre fit tant de bruit
que le Roi se la fit envoyer à l'armée.
Quant au poème de Voltaire, c'était l'œuvre d'un ami
de Richelieu. « Roy, le poète reproche à Voltaire un faux
étonnant dans son poème sur la bataille de Fontenoy,
lorsqu'on parlant de M. le duc de Richelieu il le fait favori
de l'Amour, de Mars et de Minerve. Roy dit que l'Amour
n'a jamais eu pour favori un mignon ridé comme lui ;
qu'il n'est point favori de Mars puisqu'il a manqué l'ou-
vrage à cornes de Tournav, et moins encore de Minerve,
témoin les fêtes qui ont été données à Versailles, dont il
étoit l'ordonnateur» (A. de Boislisle, Lettres de M. deMar-
ville au ministre Maurepas, 12 juin 1745 ; voyez dans
cette même correspondance, au 21 juin, de curieux détails
sur Fontenoy, et aux 18 mai et 23 juillet des plaisanteries sur
la lâcheté du duc de Noailles, tome II, p. 81-82, 90-91, 96
et 117). On sait d'ailleurs que, pour n'avoir pas voulu paraître
flatter un seul des héros de Fontenoy et avoir voulu parler
de tout le monde. Voltaire accumula dans son poème tant
d'erreurs qu'il ne fallut pas moins de cinq éditions pour le
mettre en état d'être présenté à la Reine ; le crédit de
l'auteur faillit être compromis [Luynes, t. VI, p, 483).
Voyez aussi le duc de Broglie, Marie-Thérèse impératrice,
t. II, p. 8 et suiv.
La faveur de Richelieu fut très grande après la bataille :
le duc de Luynes raconte (i. VI, p. 485, 489, 490)
qu'il était chambre à chambre avec le Roi, et que
c'était le Roi qui allait passer la première heure du jour
chez son voisin ou qui assistait à son dîner.
116 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1745
Le 16 mai, du camp devant Tournay, le Roi adressait
à l'archevêque de Paris la lettre missive suivante (Archives
nationales, registre 0'89, fol. 194).
De par le Roi.
Mon cousin, quelque grands que soient les succès dont
il a plu à Dieu de favoriser mes armes pendant la cam-
pagne dernière, je viens de recevoir des marques encore
plus sensibles de sa puissante protection : mon cousin le
maréchal comte de Saxe ayant ouvert la campagne en
Flandre par le siège de Tournay, mes ennemis se sont
aussitôt assemblés pour marcher au secours de cette place,
et à peine ai-je été rendu à mon armée que j'ai eu la
satisfaction de lui voir remporter une victoire des plus
signalées. Le duc de Cumberland, à la tête des troupes
unies des Anglois, Hanovriens, Autrichiens et Hollandois,
s'est présenté devant nous le 10 de ce mois ; après avoir
employé toute la journée à faire ses dispositions pour se
former entre le ruisseau de Rumignies et le haut Escaut,
il a commencé l'attaque le lendemain à la pointe du jour :
le combat, longtemps incertain, s'est enfin décidé en notre
faveur à une heure de l'après-midi, et mes ennemis, étant
partout défaits ou rebutés, se sont retirés en désordre, aban-
donnant une partie de leur canon et laissant sur le champ
de bataille plus de huit mille hommes de leurs morts et
de leurs blessés. Je ne puis donner assez de louanges à la
valeur que mes troupes, surtout celles de ma Maison et
mon régiment des carabiniers, ont fait paroître sous mes
yeux dans une occasion de cette importance. Mais, si je
suis touché comme je le dois de cette nouvelle preuve de
leur zèle, je dois pas moins reconnoître les bienfaits de la
Providence dans l'heureux effet qu'il a produit, et c'est
pour lui en rendre les actions de grâces les plus solennelles
1745 BATAILLE DE FONTENOY 111
que je vous fais cette lettre pour vous dire que mon inten-
tion est que vous fassiez chanter le Te Deurn, dans l'église
métropolitaine de ma bonne ville de Paris et autres de
votre diocèse, avec les solennités requises, au jour et à
l'heure que le grand maître des cérémonies vous dira de
ma part. Sur ce, je prie Dieu qu'il vous ait, mon cousin,
en sa sainte et digne garde.
Louis.
Des lettres conformes lurent envoyées, selon 1 usage, aux
cours souveraines, aux gouverneurs des provinces et des
villes, aux archevêques et évèques du royaume, aux inten-
dants, etc.
VII
>USSION A DRESDE
(1746-1747).
L'année d'après, l'infante femme de M. le Dauphin
mourut, et on ne tarda pas à songer à remarier ce
prince. Le choix tomba sur la fille du roi de
Pologne. S. M. prit M. de Richelieu pour allei- à
Dresde faire la demande K La fdle aînée du roi de
Pologne étoit déjà promise à l'électeur de Bavière ;
cependant le roi de Pologne offrit le choix, si S. M.
le Youloit, et M. de Richelieu eut plein pouvoir à
cet égard. Il fut chargé aussi de voir comment le
roi de Pologne étoit à la cour de Vienne et de savoir
si, sans commettre S. M., ce prince se croiroit a
portée de pouvoir entamer des propositions de
paix. Le roi de Pologne accepta, et envoya sur le
champ un premier commis du comte de Bruhl,
premier ministre.
A peine la négociation étoit-elle commencée, que
1. C'était une compensation, soit à la mission analogue qui
lui avait été enlevée en 1744, soit au projet de descente en
Angleterre qu il avait mis en avant et dont il était allé lui-
même activer les préparatifs à Calais ; l'insuffisance des
ressources mises à sa disposition et la supériorité redoutable
de la marine anglaise avaient réduit tous ses plans à néant.
Pour achever de l'en détourner ou pour le consoler, M°"' de
Pompadour le fit envoyer k Dresde en décembre 1746. (Cf.
Luynes, t. VIII, p. 25 et 89. ; — Le mariage par procuration
eut lieu le 10 janvier 1747.
8
114 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1746-47
le Roi renvoya* M. d'Argenson, minisire des affaires
étrangères, et mit à sa place M. de Puyzieulx, et,
quand M. de Richelieu arriva [à Paris ^], il le ^
trouva avec la petite vérole ^ de façon qu'il fut
chargé seul de la négociation directe entre le roi de
Pologne, S. M. et M. [Le Dran , qui étoit premier com-
mis des affaires étrangères ^. Cette négociation alloit
fort bien, et Tlmpératrice avoit déjà cédé Ypres et tout
le côté de la mer, lorsque le Roi, à la tête de l'armée,
marcha et donna la bataille de Lawfeld, qu'il
gagna ^. En allant à cette bataille, le Roi reçut un
courrier, par lequel un favori de l'Impératrice, qui
étoit chargé de la même négociation de son côté,
demandoit que les François envoyassent un chargé
de procuration.
Les deux parties étoient également d'accord sur
ce point, mais non pas sur le lieu. Celui de Vienne
craignoit de s'en éloigner, et dans le petit concilia-
bule qui se tint àTournay", M. de Richelieu en fit
sentir les inconvénients ; mais, pour ne pas trop
éloigner, il représenta qu'on pouvoit choisir
Augsbourg ou Ralisbonne, où l'on pourroit envoyer
1. Le 10 janvier 1747 [Luynes, t. Mil, p. 79-82).
2. Le l*"" mars [ibidem, p. 99).
3. Le nouveau ministre.
4. Ibidem, p. 92.
5. Richelieu a laissé le nom en blanc. Cétait Nicolas-Louis
Le Dran 1686-1774), qui était premier commis depuis 1740.
L'autre, premier commis, La Porte du Tlieil, était alors aux
négociations de Bréda, et Le Dran laisoit tout le travail du
département politique.
6. Le duc de Richelieu assista k cette bataille
7. En marge : « ou Louvain ».
1746-47 MISSION A DRESDE 115
quelqu un. sous prétexte de négociation avec des
princes d'Allemagne. C)n lui demanda s'il connois-
soit quelqu'un capable de cela ; il proposa un homme
qui étoit déjà chargé des affaires du Roi à Francfort.
qui connoissoit la routine des négociations, et qui
en savoit plus qu'il en falloit pour aller et n'avoir
pour ainsi dire à signer que des préliminaires ^
1. On lit dans le Mémoire de 1783 : « Il fut convenu, de la
part de l'Impératrice, de céder Furnes, Ypres, Audenarde et
tout le côté de la mer, et l'on arrêta de s'expliquer plus
amplement sur Tournay et Mons, que la France vouloit avoir.
A cet effet, il fut proposé d'envoyer à Vienne, ou aux environs,
un chargé de pouvoirs pour traiter définitivement ce dernier
article ; mais il parut au duc de Richelieu que la France ne
devoit pas aller si loin, ni même passer Augsbourg ou Ratis-
bonne, où il croyoit qu'il seroit plus à propos d'envoyer un
homme qui étoit alors chargé des affaires de France à Francfort,
lequel pouvoit aisément trouver un prétexte pour aller k
Ratisbonne, où il étoit déjà connu. Et il est certain que, si
l'Impératrice eût fait de même de son côté, on auroit pu signer
le traité au milieu de tous les négociateurs allemands, sans
qu'ils se doutassent de rien. » Ce négociateur était Malbran de
la Noue, qui avait été envoyé à Ratisbonne de 1738 à 1742 ;
accrédité à Francfort en 1743, il y resta jusqu'à sa retraite en
octobre 1748 B. Auerbach, La France et le saint Empire romain
germanique, p. 327-334).
Il
vni
COMMANDEMENT A GÊNES ^
(1748).
Après la bataille de Lawfeld, et lorsque le siège
de Berg-op-Zoom fut commencé, M. d'Argenson et
M. le maréchal de Noailles proposèrent au Roi de
faire aller M. de Richelieu commander les troupes
1. Ce fragment est réuni au précédent, dans le Mémoire de
1783, par ces quelques phrases :
« Le duc de Richelieu pourroit parler bien longtemps et
bien amèrement de l'étonnement où il fut à la fin de l'année
qui suivit, en apprenant la paix honteuse que firent les Fran-
çois, sans avoir, par le traité, la moindre des choses qui leur
avoient été cédées par l'Impératrice, quoique, depuis, le Roi eût
gagné une bataille, qu'il eût pris Berg-op-Zoom, et que
Maëstricht fût assiégé. Aussi, faut-il ici que le duc de Richelieu
fasse bien des efforts pour ne pas accompagner le nom de
M. de Saint-Sèverin de toutes les épithètes qu'il a si souvent
méritées, au liou de toutes les grâces qu'il a reçues. Le duc de
Richelieu n'oubliera pas non plus, à son sujet, qu'il donna à
l'impératrice, pour l'exécution des conditions du traité qui
concernoient l'Italie, six semaines de plus qu'aux autres puis-
sances, après la signature de la paix, et que M. de Brown,
général de l'empereur, se mit en devoir d'en profiter pour
s'emparer de la république de Gênes et la mettre à contribu-
tion. Il fallut alors un miracle pour faire marcher les Espagnols,
qui vouloient abandonner la république, sous le prétexte de la
paix et comme ne pouvant agir sans de nouveaux ordres.
Même, sans une action heureuse, M. de Brown n'auroit pas
accepté de suspension d'armes, et jusque là il pouvoit encore
faire la guerre sans manquer à aucun engagement. On seroit
118 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1748
de Gênes, où M. de Boufïlers venoit de mourir. Le
maréchal de Noailles, qui avoit pris à cœur de l'y
faire aller, et pour lequel M. de Richelieu avoit
grande déférence et amitié, le décida. Il céda enfin ;
mais son principal objet fut d'aller faire un tour à
Rome, qu'il n'avoit pas vue, [quoiqu'il fut allé] deux
fois en Italie, n'imaginant pas d'ailleurs qu'il pût y
avoir de guerre, comptant la paix faite et les préli-
minaires devant être signés. M. de Richelieu prit
donc congé et partit *.
Il arriva à Gènes, après avoir été presque pris par
un vaisseau anglois et avoir couru le plus grand
risque qu'on puisse courir par une tempête dans
une felouque. Peu de temps après, il vit qu'il cou-
roi t un autre danger, qui lui parut fort grand ;
c'étoit celui de se défendre, avec un nombre
d'hommes bien inférieur à celui des ennemis. Il fit
tous ses efforts, et, sans entrer dans aucuns détails
militaires ^, on sait qu'il finit la guerre heureusement
étonné des particularités très curieuses qui déterminèrent le
commandant des Espagnols à faire marcher ses troupes. Le duc
de Richelieu n auroit pu tenir sans elles, et auroit été forcé de
ne rien hasarder, ainsi que le lui avoit mandé M. d'Argenson :
la république auroit été perdue. » — Suivant le marquis
d'Argenson [Mémoires, t. VI, p. .380, à la date du .30 mars
1751), M. de Richelieu disoit publiquement que « le traité d'Aix-
la-Chapelle étoit un chef-d'œuvre de stupidité, sil ne l'étoit de
corruption. » Cf. Soulavie, Mémoires, t. VII, ch. xvii.
1. Il faut ici se reporter à ce que dit le marquis d'Argenson
du départ de M. de Richelieu, et du curieux portrait qu'il en
fait à cette occasion [Mémoires, t. V, p. 87).
2. Voy. Luynes, t. VIII, p. 431, et t. IX, p. 167, 168.
L'affaire de Voltri est racontée t. VIII, p. 474, et une tentative
de M. d'Agénois sur Savone, l. IX, p. 8. — Voy. aussi les
1748 COMAIANDEMENT A. GENES 119
pour les Génois ^ et pour les armes du Roi ~. S. M.
le fit alors maréchal de France ; après quoi, il revint ^,
et fut assez sot pour se laisser entraîner dans une
dispute de charges et de prétentions des commen-
saux de M"^ de Pompadour ^, et dans toutes sortes
de petits détails qui commencèrent à indisposer cette
dame contre lui. sans être fort bien ni fort mal.
Cela subsista quelque temps.
lettres du Roi et du comte d'Argenson (Arch. nat., RK 1369,
volume aux armes de Richelieu^. — Les volumes suivants, RK
1370-1372, contiennent la correspondance avec le maréchal de
Belle-Isle, le marquis de Puyzieulx, M. de Bertillet, etc.
1. Pour marquer leur reconnaissance, les Génois inscrivirent
M. de Richelieu sur la liste des nobles de leur ville. M. d'Agé-
nois reçut le même honneur Luynes, t. IX, p. 112).
2. Sur cette affaire, voyez le fragment du Mémoire de 1783
qui est donné en appendice à la page suivante.
3. « M. de R^ichelieu, devenu maréchal de France, devoit
revenir de Gènes pour prendre son service d'année de premier
gentilhomme. Le bruit de ses succès, Téclat des triomphes que
lui avoit décernés la reconnoissance des Génois, l'habileté géné-
ralement reconnue de ses manœuvres ou de ses négociations,
l'heureuse fortune qui sembloit l'accompagner partout, ceci et
cela en faisoit, aux yeux dune partie de la cour, comme le
Messie qui devoit donner de bons coups de collier pour la
gloire et la sûreté du royaume, chasser la maîtresse roturière
et tyrannique de la cour, et... en donner une autre. » C'est le
marquis d'Argenson qui s'exprime ainsi et ne tarit point sur
ce sujet. Voy. Journal, t. V, p. 270. 274, 322, 333, 337, 345,
348, 353 et suiv. Quand, vers Xoël, le nouveau maréchal
débarqua à Versailles « tout resplendissant de gloire, frais et
reposé », ce fut un « ébranlement » dans toute la cour.
4. C'est l'affaire dite des cabinets {Luynes, t. X, p. 79, 84,
85, 89).
120 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1748
APPENDICE.
A propos de Taifaire de Voltriet des opérations militaires
autour de Gênes, voici ce qu'on lit dans le Mémoire de
1783 ; ce récit, encore très succinct, est cependant moins
obscur que les quelques lignes de nos Mémoires : « Celui
qui commandoit les troupes Irançoises avoit fait un très
gros détachement, qui étoit fort exposé. Le duc de Richelieu
tenta tout ce qui fut possible pour le faire revenir ; mais
il n'étoit plus temps : le chef de ce détachement arriva
avec cinq hommes seulement ; le reste avoit été tué ou
fait prisonnier. Le duc de Richelieu se vit alors, avec une
armée fort inférieure à celle des ennemis, obligé de se
défendre et de garder une très grande étendue de pays, et,
malgré cette infériorité, il n'eut pas le plus petit échec et
fit assez de prisonniers pour pouvoir les échanger avec
ceux qu'ils nous avoient faits et avec M. de Montai, lieu-
tenant-général en Piémont, qu'ils retenoient. Il eut même
deux avantages considérables. Le principal fut contre M. de
Nadasti, qui étoit venu pour surprendre Voltri. Les offi-
ciers généraux quiy commandoientétoient venus à Gênes ; il
n'y restoit que le marquis de Monti, avec son régiment,
celui de Bavière, et quelques autres troupes. M. de Monti,
qui étoit le colonel le plus ancien, commanda avec le talent
et le courage qu'il a depuis montrés partout. Il avoit pris
toutes les précautions nécessaires pour n'être pas surpris,
et, dès qu'il vit les ennemis près de ses postes avancés, il
envoya un courrier au duc de Richelieu, qui, sur le champ,
fit marcher ce qu'il put rassembler de troupes, dont il
donna le commandement au comte de Maupeou, et qu'il
suivit de près. Le courage et la prudence du marquis de
Monti, qui se défendoit aux Capucins de Voltri, laissèrent
le temps à nos troupes d'arriver et de chasser M. de Nadasti,
1748 COMMANDEMENT \ GENES 121
qui pensa même être pris. Peu de temps après, le duc de
Richelieu prit l'offensive, et s'empara d'un bataillon ennemi
tout entier dans Varaggio. Cette guerre défensive n'eut pas
l'éclat des grandes actions ; mais elle pouvoit être plus
difficile, et l'objet en étoit bien important, puisque le sort
de la république en dépendoit à tous moments. On fut si
content du duc de Richelieu, que le Roi le fit maréchal de
France, et le duc peut assurer qu'il ne l'avoit demandé
directement ni indirectement. »
IX
EXPÉDITION DE MINORQUE
(1756).
M. le maréchal de Belle-Isle s'étant fait donner
le commandement de la côte de l'Océan, et personne
n'ayant été nommé pour la Méditerranée, M. de
Richelieu, qui avoil trouvé cela déplacé, apprit
cependant qu'il y avoit des maréchaux de France
qui le demandoient. Cela réveilla son engourdis-
sement, et il partit pour Versailles, débarqua chez
M. d'Argenson pour lui en parler, et fut fort étonné
de le trouver engagé à proposer M. le maréchal de
Mîrepoix, par des circonstances particulières, hési-
tant cependant, et disant que M. de Maillebois
l'avoit fort pressé et qu'il devoit le savoir. Comme
M. de Richelieu le * connoissoit, il vit bien qu'il
étoit contre lui absolument, ce qui l'échaufFa un peu,
de sorte qu'il fut tout de suite chez M"^ de
Pompadour, pour lui en parler. S. M. entra dans ce
moment, lui dit ce qu'il venoit de faire pour le plus
ancien des maréchaux de France qui avoit commandé
des armées, ce que les autres n'avoient point fait
après lui ^. M. de Richelieu retourna chez
1. Le ministre.
2. CeUe phrase est très obscure, même incompréhensible.
Il semble qu'il y ait ici une lacune dans le récit ; le maré-
chal aurait dû mentionner sa nomination. Le marquis d'Ar-
genson dit, à la date du 6 janvier : « Le maréchal de
124 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1756
M. d'Argenson l'en avertir. Celui-ci fil semblant
d'en être fort aise, et efFeclivement il ne se soucioit
que des choses qui pouvoient l'intéresser personnel-
lement ou faire de la peine à ceux qu'il n'aimoit pas,
et, comme M. de Richelieu, en cet instant-là, n'étoit
ni bien ni mal avec lui, il ne songea plus qu'à faire
ce qu'il falloit pour la réussite d'une entreprise
importante et difficile, parce que, selon le grand
usage de la cour de France, où l'on ne pense jamais
aux choses qu'au moment, il auroit fallu, pour que
celle dont on va parler réussît, prendre des mesures
trois mois à l'avance. M. de Richelieu prit donc le
ton qu'il falloit, étant une fois commandant, pour
tout préparer, et il partit lui-même, trouvant des
obstacles à tout : jusqu'à l'argent nécessaire pour une
aussi grande et dispendieuse entreprise, il n'y avoit
pas un écu de prêt. Il fallut, en attendant mieux,
envoyer chercher des louis d'or chez tous les notaires,
pour rassembler cinquante mille louis, qu'on lui
envova en poste. M. de Richelieu les suivit de près,
et alla débarquer à Marseille, où il ne trouva rien
de prêt, mais seulement qu'on avoit donné ordre
de préparer trente vaisseaux marchands, auxquels
on n'avoit pas encore touché. Il y établit un ordre
avec les officiers de terre, par lequel il y avoit quatre
Richelieu vient d'être nommé commandant général sur les
côtes françoiscs de la Méditerranée, comme M. de Belle-fsle l'a
été sur l'Océan ; sous lui trois lieutenants généraux, pour les
trois provinces maritimes que nous y avons : M. de Maillebois,
M. de Mirepoix et M. de Gravelle... » Selon d'Argenson. on
avait l'idée de faire des descentes en Angleterre, à Gibraltar,
ou à Minorque [Journal, t. IX, p. 168).
1756 EXPÉDITION DE MINORQUE 125
officiers qui se relevoient, dont un étoit toujoui's
présent, pour faire travailler les ouvriers aux diffé-
rents objets, pour empêcher les querelles et que les
uns n'embarrassassent les autres. Le commissaire
de marine qu'il y trouva étoit intelligent et de bonne
volonté. M. de Richelieu, ayant vu le peu de soin
qu'on avoit pris et qui y avoit des ordres pour
commander à la mer comme à la terre, ordonna que
l'on prit de l'artillerie partout où l'on en trouveroit.
Il n'y en avoit que très peu, et c'étoit sur le plan
que l'on avoit du fort Saint- Philippe, quand les
Anglois le prirent aux Espagnols, qu'on dirigeoit les
opérations et que l'on avoit fait prononcer à M. de
Vallière, commandant notre artillerie et le génie,
que vingt-quatre pièces de canon suffiroient pour
le prendre, et que la seule difficulté étoit de débar-
quer. Sur ce point, la seule instruction qu'il ^ eût
sur la désignation de l'endroit [étoit de débarquer]
où les Anglois avoient débarqué eux-mêmes, étant
maîtres de la mer et n'y ayant aucunes troupes dans
l'île, de sorte que c'étoit au milieu d'une plaine. Il
y avoit quarante ou cinquante ans. M. de Richelieu
avoit cependant pris assez de connoissance, pour
savoir que les Anglois avoieiit travaillé au fort et
dépensé des sommes immenses, comme il n'étoit
que trop vrai. Les nouvelles qu'il put savoir par le
peu de gens qui étoient à Marseille ou à Toulon,
ayant connoissance de l'île de Minorque, l'effrayèrent.
Le seul homme capable de l'éclairer un peu sur l'en-
droit du débarquement des Anglois, qu'il ne savoit
1. Le duc de Richelieu.
126 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1756
qu'en général, fut un capitaine marchand, qui étoit
dans le port de Marseille et qui parut fort instruit
sur l'endroit du débarquement, qui est une plage
fort découverte et très belle, mais assez proche du
fort, et dans laquelle un détachement de la garnison
auroit pu aisément empêcher tout débarquement,
puisque cette plage est à portée du canon de la
place.
M. de Richelieu revint aux préparatifs, qu'il trouva
heureusement le moyen de faire, et la manière dont
il fut secondé pour y parvenir le mit en état de par-
tir, contre l'assurance que tous les marins avoient
donnée que la flotte ne pourroit jamais être prête à
partir avant le 20 ou 25 de juin *, ce que les espions
que les Anglois avoient dans nos bureaux avoient
mandé également, comme on le trouva dans les
papiers du secrétaire de M. de Blackney, gouver-
neur et commandant de l'île de Minorque et du fort
Saint-Philippe, par lesquels on a vu que ces espions
mandoient journellement ce qui se passoit dans
notre marine. Cependant M. le duc de Richelieu
établit un ordre, comme on l'a dit ci-devant, pour
que tout fût prêt pour partir, mais toujours avec
l'incertitude de savoir où l'on débarqueroit, et le
projet que l'on avoit alors paroissoit très difficile à
M. le maréchal de Richelieu. Sur tout ce qui regar-
doit cette île, il falloit bien qu'il suivît ce que por-
toient ses instructions, et ce qu'il savoit d'ailleurs.
1. M. de Richelieu écrit, de Marseille, le 26 mars 1756, au
garde des sceaux, que les ordres sont donnés pour embarquer
tout, que cela ira vite, et que, si les matelots ne manquent pas
à Toulon, il sera prêt le 5 ou le 6 avril.
1756 EXPÉDITION DE MINORQUE 127
En partant •, il essuya une tempête qui sépara
tous ses bâtiments de transport (il en avoit rassem-
blé cent quatre-vingt-dix-huit), de façon qu'il croyoit
tout perdu ; mais, au jour, ils se rassemblèrent peu
à peu, quelques-uns furent jetés jusques aux iles
d'Hyères ; mais, comme il avoit fait désigner aux
mâts tous les bâtiments de transport, pour savoir ce
qu'ils portoient et connoître, dans les cas d'accident,
ce qui arriva effectivement, ce qui pou voit rester
en état de faire le siège qu'il alloit tenter, au jour
que le temps se raccommoda, il s'aperçut qu'il avoit
de quoi achever son entreprise. Le soleil fut même
très beau, et, avec un petit vent favorable, il arri^^a
à la vue de l'île de Minorque, avec un nombre de
bâtiments imposant pour les habitants de l'île.
Comme il se trouva vis-à-vis de la pointe de l'île où
est Ciutadella, il aperçut un mouvement fort grand
de gens qui paroissoient très embarrassés, et, avec
la lunette d'approche, il crut voir des gens effrayés
de son approche. N'ayant nulle nouvelle, il chargea
1 . Le tome XV des Mémoires de Luynes contient, sur l'expédi-
tion de Minorque, les relations détaillées du maréchal et de ses
officiers. Grimoard a publié, sur cette même campagne : 1" en
1789, la Correspondance particulière et historique, du maréchal
de Richelieu en 1756, 1151 et 1158 avec Paris-Duvei'ney , suivie
des mémoires relatifs à V expédition de Minorque et précédée
d'une notice sur la vie du maréchal (2 vol. in-8°) ; 2° en
1798, une Collection de pièces originales inconnues et intéres-
santes sur r expédition de Minorque ou de Mahon en 1156 (très
rare). On peut encore consulter un volume de la collection de
Vault au Dépôt de la guerre. Enfin les archives du château de
Mouchy contiennent de très curieuses lettres du maréchal au
comte de iNoailles, son neveu, datées de Mahon, etc.
128 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1756
le chevalier de Bedmont, avec lequel il étoit dans
la chambre du Conseil, d'aller chercher M. de la
Gallissonnière, qu'il amena et à qui M. le maréchal
proposa d'envoyer une chaloupe parlementaire
sommer la ville de se rendre et lui offrir une bonne
capitulation. M. de la Gallissonnière y consentit, et
fit signal à l'avanl-garde de s'arrêter. On mit une
chaloupe à la mer, et l'on envoya M. le chevalier de
Castellane pour sommer cette ville, qui se trouva
Giuladella, comme on l'avoit imaginé. Il n'y avoit
ni troupes ni défenses, ou très peu de monde, et
elle envoya des otages pour faire la capitulation, ce
qui fut, comme on peut le juger, une grande satis-
faction. Toute l'armée débarqua pendant le reste du
jour et de la nuit, dans le petit port qu'il y avoit. Le
lendemain matin, à la pointe du jour, M. le maré-
chal envoya M. le prince de Beauvau, avec un très
gros détachement, à Marcadal, village qui est
presque au milieu de la dislance de Ciutadella à
Mahon, et dans la journée qu'il passa à Ciutadella avec
le curé et quelques habitants, il prit plus de connois-
sances de l'île et de ce qui pouvoit regarder son
expédition, qu'il n'en avoit eu jusque-là. Le len-
demain, il marcha avec toute l'armée, et fit avancer
M. le prince de Beauvau pour se porter en face des
débouchés de la place, et prendre les reconnois-
sances nécessaires en pareil cas. En arrivant, il
aperçut une très jolie petite maison, de bois à la
vérité, mais très bien arrangée, qui étoit à un quart
de lieue de la ville de Mahon, et dans laquelle il
plaça le chevalier de Lorenzi, son aide de camp,
pour la lui garder, quand les maréchaux des logis
1756 EXPEDITION DE MINORQUE 129
viendroienl pour marquer les logements. Cette cir-
constance, qui paroît fort indifférente, est cependant
très essentielle, comme on va le voir, parce que
cette maison appartenoit au secrétaire de M. de
Blackney, lequel avoit toute sa confiance et tous ses
papiers. Il fut effrayé, comme tout ce qui étoit dans
la ville, de voir arriver les François, ne se doutant
de rien, et, quand il apprit que nos troupes étoient
à Marcadal, il ne songea qu'à renfermer tout ce qu'il
avoit de plus précieux, et lui-même. Il fut donc des
premiers à vouloir aller dans la place, et emporta
des papiers, dont il fit un triage apparemment ;
mais il ne voulut pas mettre le feu au reste d'une
quantité considérable de papiers qu'il laissa, et enfin
il oublia la table des signaux de la flotte de l'amiral
Byng, et une relation très exacte et un journal bien
tenu de nos bureaux de France, par lequel toutes
nos opérations maritimes étoient marquées dans
leur véritable degré et avec la plus grande exacti-
tude. M. de Richelieu envova la table des signaux
à M. de la Gallissonnière, et elle lui fut fort utile le
jour du combat, que M. de Fabri, aujourd'hui chef
d'escadre et qui étoit major-général de la flotte, et
avoit connu l'exécution exacte de tous les signaux
que l'armée avoit faits selon la table et voyant celui
de mettre un pavillon jaune aux mâts d'artimon, ce
qui signifioit de faire semblant de s'allonger comme
pour envelopper les ennemis, pour que nous en
fissions autant et qu'ils prissent le moment de
resserrer plus vite et de couper notre flotte, sur quoi
nous fîmes nous-mêmes semblant d'y être attrapés
et nous fîmes ce qui étoit nécessaire pour les attra-
9
iSO MÉMOIRES DE RICHELIEU 1756
per eux-mêmes. Nous gagnâmes le combat ^ ; les
ennemis se retirèrent â Gibraltar, en nous laissant
le champ libre jusqu'à la fin du siège, que M. de
Richelieu tâcha d'abréger de son mieux, malgré tous
les obstacles qu'il trouvoitdans son armée même, où
M, deMaillebois ~ avoit excité et persuadé que M. de
Richelieu avoit pris mal son parti pour la façon
d'attaquer. Souvent M. de Richelieu recevoit des
lettres de M. d'Argenson, dont il ne comprenoit pas
toute la valeur, disant que l'on disoit qu'il auroit
dû attaquer la place par une redoute détachée, que
l'on appeloit « Marlborough », M , de Richelieu ignora
longtemps que ces propos vinssent de son armée,
quoique M. de Maillebois lui eût d'abord fait cette
proposition, et qu'il eût dû reconnoître, avec tous
les autres aussi que le succès prou voit la justesse de
son opération, et comme l'a encore mieux prouvé
l'examen que M. de Richelieu, en fit faire après la
prise du fort. Il examina alors tous les beaux diseurs
sur cette attaque, qui en reconnurent le danger et
l'inutilité. Toutes les lettres de l'armée mandoient
que M. de Richelieu ne prendroit jamais la place,
1. On sait que l'amiral Byng paya sa défaite de sa vie ;
Richelieu s'honora par les démarches qu'il fit en sa faveur
(Voltaire, Corresp. gén., 20 décembre 1756, et réponse, 3 jan-
vier 1757, etc. ; cf. Luynes, t. XV, p. 442 et 465).
2. Il est facile de reconnaître là les procédés habituels de
Maillebois, procédés qui eurent une si fâcheuse influence lors
de la campagne du maréchal d'Estrées en Hanovre (1757) et
qui aboutirent d'abord au rappel du maréchal, puis à la dis-
grâce irrémédiable et à la prison de Maillebois lui-même
(Rousset, le Comte de Gisors, p. 195 et suiv., et un mémoire
sur la bataille d'Haslenbeck, dans Luynes, t. XV, p. 308.
1756 EXPEDITION DE MIKORQUE 131
par son obstination y ne vouloir pas suivre les con-
seils. M. de Richelieu d'après cela, se détermina à ne
parler à personne de ce qu'il vouloil faire ; il ne
disoit ce qu'il pensoit qu'au seul (un blanc), comman-
dant de l'artillerie et du génie, qui venoient d'être
fondus sous la même autorité et qui se trouvoient
réunis la première fois pour une opération militaire ;
mais, M le maréchal avoit eu avec lui à Gênes cet
officier ', de sorte que, la veille de l'attaque défini-
tive, M. de Richelieu rassembla les officiers généraux
pour leur dire son projet. Presque tous, qui étoient
dans la terreur de passer l'hiver dans l'île, les ayant
assurés qu'il l'y passeroit plutôt que de lever le siège,
furent si contents d'avoir une lueur d'espérance
pour finir, qu'ils approuvèrent tous son projet, hors
M. de Maillebois, qui en étoit fâché et faisoit mau-
vaise mine, mais ne put pas désapprouver le projet,
le succès^, le lendemain, ayant pleinement justifié
1. Les opérations de l'artillerie furent des plus difficiles,
comme l'avait b en prévu le maréchal. Dans une lettre écrite
par lui devant Mahon, le 2 juin, il dit qu'on ne peut rien
attendre de décisif avant que les batteries soient terminées, et
que la maladresse de l'artillerie, sortie de sa routine ordinaire,
allonge le travail ; mais « il est impossible à toute l'Angleterre
et trois fois plus de forces qu'elle n'en peut réunir, de me
déposter. »
2. Voyez des relations de la prise de Mahon dans les
volumes France 1350 et 1351 au Dépôt des Affaires étrangères ;
voyez aussi la Prise de Port-Mahon, recueil général des
pièces, chansons et fêtes données à l'occasion de la prise de
Port-Mahon, précédé du journal historique de la conqueste de
Minorque, 1151, in-8'^. — Un tableau du temps représen-
tant cette victoire est à Versailles, n° 1424.
132 MEMOIRES DE RICHELIEU 1756
M. de Richelieu, et il fut porté de même à Paris ' ;
mais ce qu'on pourroit avoir peine à comprendre,
c'est que M. de Richelieu trouva, en arrivant à Toulon ,
une lettre de M. d'Argenson, qui lui marquoit que
le Roi désiroit qu'il restât en Provence, pour la
contenir et la garantir, si elle étoit attaquée. M. de
Richelieu envoya un courrier au ministre, pour lui
marquer que la prise de Minorque mettoit la Provence
hors de portée de toute crainte, et qu'il étoit bien
éloigné de penser de même pour sa santé ; que le
Roi devoit savoir qu'elle avoit été bien altérée, et
étoit à peine rétablie, quand il partit pour Mahon,
et que, pendant cette expédition, il avoit été obligé
de faire des remèdes, qu'il détailla. Il ajouta qu'il ne
pouvoit rester en Provence, dont le climat étoit pour
lui trop sec, et qu'il ne pouvoit se dispenser de
retourner à Paris. L'objet de M. d'Argenson étoit de
ne pas laisser arriver M. de Richelieu dans un
premier moment où l'on étoit si engoué de cette con-
quête et de celui qui l'avoit faite, craignant qu'il
n'en abusât et ne lui fût pas soumis. En arrivant,
cependant, il dit à M. de Richelieu que c'étoit
1. Ce fut le duc de Fronsac qui porta la nouvelle ; il fut reçu
à merveille, et le Roi lui donna la croix de Saint-Louis. Son
beau-frère, M. d'Egraont, apporta quelques jours après les
détails, et fut fait maréchal de camp [Liiynes, t. XV, p. 448). —
Le récit donné par Soulavie [Mémoires, t. IX, p. 118) est la
reproduction intégrale de la lettre particulière écrite par le
maréchal au ministre de la guerre le 28 juin ; une copie de cette
pièce est dans la collection du Dépôt de la Guerre, vol. 3413,
n" 102, et, en outre, un rapport officiel du 29 juin, qui est beau-
coup plus détaillé.
1
1756 EXPÉDITION DE MINORQUE 133
M"** de Pompadour qui l'avoît exigé du Roi, et M. de
Richelieu le trouva en effet fort embarrassé, au tra-
vers de la bonne mine que S. M. sentoit qu'elle
devoit lui faire. Par ce que M. de Richelieu a su
depuis, il y a lieu de croire, à n'en pas douter, que
c'étoit 31. d'Argenson qui avoit été le principal
auteur de l'espèce d'ordre qui lui fut donné pour
rester en Provence. Tout le monde en fut révolté,
même ceux qui n'en étoient peut-être pas fâchés dans
le fond, de sorte que M"* de Pompadour dit publi-
quement qu'elle en pensoit comme les autres et
s'écria beaucoup contre M. d'Argenson, qui de son
côté assuroit le contraire et donnoit à M. de Richelieu
de petites fêtes pour marquer encore plus sa noir-
ceur. M. de Richelieu avoit été élevé avec lui : il
connoissoit à fond son caractère. Il avoit une figure
très agréable et très douce, qui cachoit des qualités
tout opposées, avec tout l'art imaginable, et 31. de
Richelieu a eu lieu de croire que c'est lui qui a
imaginé un traitement aussi monstrueusement
méchant et ridicule. Il n'avoit aucun objet direc-
tement utile à M™^ de Pompadour ; mais elle n'avoit
pas assez de nerf dans l'esprit pour l'avoir imaginé :
elle ne fut pas fâchée néanmoins que 31. d'Argenson
eût employé ce moyen, pour avoir le plaisir de rejeter
cela sur lui dans toute sa force et avoir celui d'en
dire du mal.
134 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1756
APPENDICE
Nous croyons devoir encore, pour l'expédition de
Minorque, rapprocher du récit des Mémoù^es authentiques
celui du Mémoire de 1783 adressé à Louis XVI :
« Après une paix assez longue, le Roi crut devoir faire
la guerre aux Anglois et la commencer par la prise de
l'île de Minorque. S. M. voulut donner le commandement
de l'armée destinée à cette entreprise au maréchal de
Richelieu, quin'étoit pas encore bien rétabli d'une maladie
cruelle qu'il venoit d'essuyer. Il crut cependant pouvoir se
charger de. cette expédition ; mais, lorsqu'il fut question
d'exécuter ce projet, qui ne pouvoit avoir quelque succès
qu'en prévenant les Anglois, il n'y avoit pas la plus petite
chose de prête. Aucune troupe de terre et de mer n'étoit
encore commandée ; on n'avoit même pas de plan ni d'idée
du pays, et bien moins encore de la place que l'on vouloit
prendre. Le maréchal de Richelieu et le ministère éga-
lement en furent effrayés, sachant bien que l'on ne s'étoit
encore occupé d'aucune des choses nécessaires. Cependant,
le maréchal de Richelieu, ayant accepté le commandement
et étant persuadé que le seul moyen de réussir étoit la
promptitude de l'exécution, demanda un commandement
absolu sur mer comme sur terre, et même jusque dans les
provinces voisines de l'embarquement. On avoit poussé si
loin l'oubli de ce qui étoit indispensablement nécessaire
que l'on n'avoit pas seulement préparé aucun fonds, de
sorte qu'il fallut envoyer au Trésor royal et chez tous les
notaires de Paris pour trouver d'abord cinquante mille
louis, que l'on fit partir en poste. Le maréchal de Richelieu
se rendit aussitôt après à Toulon. Il y fut reçu par M. de
Massiac, qui fut depuis ministre de la marine, et qui
commandoit alors en Provence. Il assura le maréchal de
1756 EXPÉDITION DE MINORQUE 135
Richelieu qu'il étoit impossible qu'il pût s'erabarquer
avant le commencement de juillet ou la fin de juin au plus
tôt. On avoit donné des ordres à Marseille et aux commis-
saires des classes de fournir des matelots pour vingt-cinq
bâtiments de transport seulement et dix vaisseaux de
guerre. Le maréchal de Richelieu fit des dispositions qui
étonnèrent beaucoup, mais auxquelles tout le monde se
prêta avec zèle : il avoit donné des ordres pour travailler
jour et nuit et multiplier les ouvriers, de manière cepen-
dant qu'ils ne pussent s'embarrasser ni se nuire et que tout
pût se faire à la fois et sans confusion. Enfin tout se trouva
prêt. Le maréchal de Richelieu partit le 12 avril 1756 avec
douze vaisseaux de ligne et cent quatre-vingt dix-huit
bâtiments de transport, et il débarqua à Ciutadella le jour
de Pâques 1756.
a Les ordres du maréchal de Richelieu étoient de des-
cendre où les Espagnols avoient débarqué quand ils prirent
la ville ; mais on avoit de la place des idées si différentes
de ce qu'elle étoit réellement, qu'il eût été insensé d'en
entreprendre le siège avec seulement ce que le maréchal
de Richelieu avoit pu rassembler avant son départ. A peine
fut-il embarqué, qu il essuya dans la nuit une tempête qui
dispersa toute la flotte, de manière qu'il pouvoit croire
son expédition manquée absolument; mais, dès le commen-
cement du jour, les bâtiments se rassemblèrent en assez
grand nombre ; le vent devint très favorable, et le soleil
si beau, que de très loin encore on aperçut l'île. On
manœuvra pour la côtoyer le plus près qu'il seroit possible.
En très peu de temps le maréchal de Richelieu fut à por-
tée de distinguer la ville de Ciutadella et d'apercevoir aux
environs avec sa lunette beaucoup de gens qui couroient
de tous côtés, ce qui annonçoit un grand trouble dans la
ville. Le maréchal de Richelieu envoya alors chercher
M. de la Gallissonnière, à qui il dit de faire mettre une
136 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1756
chaloupe à la mer pour envoyer un officier sommer la ville
de se rendre, avec assurance de bon traitement. On fit signal
en même temps à l'avant-garde de s'arrêter. L'officier ne
tarda pas à revenir avec le curé et les magistrats de la
ville, qui apportèrent leur soumission. Le maréchal de
Richelieu leur accorda bien facilement les bons traitements
qu'ils demandèrent.
« Les troupes françoises furent débarquées dans la nuit
avec la plus grande facilité. Le maréchal de Richelieu
commença, le lendemain matin, par détacher le prince
de Beauvau avec un détachement assez fort pour aller
d'abord à moitié chemin de Mahon et ensuite masquer la
place, pour que rien n'en sortît. Le maréchal le suivit avec
le reste de l'armée. Il donna ordre de débarquer l'artillerie ;
son empressement pour l'avoir avec lui étoit très grand.
L'officier qui la commandoit étoit un homme plein de zèle
et d'intelligence ; mais il demandoit six mois pour la trans-
porter de Ciutadella à Mahon, qui sont à une distance
égale à peu près à celle de Paris à Fontainebleau, mais
avec un chemin infiniment plus beau. On peut juger de
l'étonnement et de l'effroi du maréchal de Richelieu. Il
fallut chercher de nouveaux moyens, qui furent de faire
venir en détail toutes les munitions de guerre par des
barques jusques à la calle, que l'on trouve en la cherchant
et dont M. de Grillon vient de se servir sans la chercher,
l'ayant connue par le maréchal de Richelieu. Ce furent les
soldats qui traînèrent le canon et les munitions. Les batte-
ries éprouvèrent pour leur établissement des difficultés
infinies, que la valeur seule des troupes surmonta. Ces
batteries furent dirigées avec autant d'ordre et en aussi
grand nombre qu'il fut possible ; mais l'effet en fut com-
plet.
« Jamais expédition cependant ne fit autant d'ennemis
au maréchal de Richelieu. M. d'Argenson, qui étoit
1756 EXPÉDITION DE MINORQUE 137
informé de son retour, commença par lui envoyer un ordre
pour rester en Provence, sous le prétexte d'empêcher reffet
de la colère qu'avoient les Anglois de la conquête qu'il
venoit de faire sur eux, et prévenir le désir qui pouvoit
leur venir de s'en venger. Le maréchal de Richelieu lui
répondit que la prise de Minorque qu'il venoit de faire
mettoil la France hors de toute crainte de la mauvaise
humeur des Anglois, mais qu'en ayant de plus justes des
suites de sa mauvaise santé, qui étoit déjà si délabrée avant
de partir, et qui l'étoit devenue encore davantage, comme
cela est aisé à croire, il ne pouvoit rester en Provence.
M. d'Argenson n'osa alors lui faire refuser de revenir à
Paris, ainsi qu'il l'avoit projeté jusqu'au moment où toutes
ses intrigues l'auroient fait venir à bout de mettre toutes
sortes d'entraves pour l'empêcher de commander l'armée
que l'on pouvoit douter d'être obligé d'assembler pour la
guerre qui alloit être déclarée, et dont il vint à bout ; mais
il ne tarda pas à recevoir le prix de pareilles manœuvres,
qui le conduisirent à être chassé.
« Le maréchal de Richelieu ne manqua pas d'en éprou-
ver de nouvelles d'une autre sorte, dont il n'allongera pas
ce mémoire. Il dira seulement que tout le monde parois-
soit persuadé que l'entreprise sur Mahon étoit impossible
et ne pouvoit avoir aucun succès, que Ton attendoit à tous
moments la nouvelle de la levée du siège et une honteuse
retraite. On fut si étonné du succès que tout le public
neutre porta la démonstration de son admiration aux actes
les plus singuliers ; mais tout ce que l'envie et la jalousie
peuvent inspirer fut employé. Cela étoit embarrassant néan-
moins à laisser voir. M. d'Argenson, qui vers la fin de l'ex-
pédition en avoit soupçonné le succès, avoit fait partir M. de
Vallière, ingénieur, afin que, dans le cas de réussite, il
pût ôter au moins les trois quarts du mérite au général.
Mais ce moyen lui fut enlevé, parce que M. de Vallière
138 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1756
apprit à Lyon la prise de la place et le retour du maréchal
de Richelieu, ce qui fâcha autant cette partie de la cour
que la joie éclatoit dans l'autre et surtout dans le public.
On imagina alors contre toute espèce de bon sens d'envoyer
un courrier qui porta l'ordre au maréchal de Richelieu de
rester en Provence, avec la plus pitoyable et la plus indé-
cente raison pour prétexte. Cela donna cependant le temps
de pouvoir tourner les affaires de manière à faire penser
qu'il étoit nécessaire d'envoyer un militaire à Vienne pour
prendre de concert des arrangements pour la sorte de
guerre que nous avions à traiter. On ne dira rien ici de
la négociation ni du négociateur ; mais le but en étoit de
le faire maréchal de France, et général, de préférence à
celui de Minorque, qui l'étoit déjà. »
Ê
X
DISGRÂCE DU COMTE D'ARGENSON
(1757).
Tout ceci ^ se développa dans la suite, qui ne
tarda pas infiniment. Ce fut en 1757 que leur haine
réciproque ~ se déploya et que la guerre fut déclarée.
M. de Richelieu a toujours vu à M™^ de Pompadour
depuis la même façon de penser, jusqu'au moment
où elle le fit chasser, le jour de la Chandeleur. Elle
avoit commencé par le tàter, et trouvoit à son renvoi
tant de peine, qu'elle vouloit se raccommoder, huit
jours auparavant, avec lui. La condition d'un objet
aussi important pour tous deux étoit de cesser de
voir M™* d'Estrades, sa cousine •^, qui étoit la plus
sotte femme qu'il y ait jamais eue, qu'elle avoit
1. Ce qui est dit à la fin du dernier fragment, p. 133.
2. Entre le comte d'Argenson et M"*^ de Pompadour.
3. M"*Huguetde Sémonville avait épousé Charles-Jean, comte
d'Estrades, qui était fils de Charlotte le Normant, et petit-fils
de Charles le Normant du Fort, père de M. d'Étiolles, mari
de M"»^ de Pompadour. M. d'Estrades étant mort à Dettinghen,
M™^ d'Estrades avait obtenu, par le crédit de sa cousine, une
place de dame d'atour dans la maison de Madame Adélaïde,
et une entrée d'intime dans la société des petits cabinets. Au
mois d'août 1755, le Roi lui fit subitement demander sa démis-
sion et l'exila, avec une pension. Cela fit grand bruit dans
Paris. — Voy. Barbier, t. IV, p. 91; Marmontel, t. II, p. 30 ;
d'Argenson, t. VI, p. 356, 358, 394.
140 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
amenée à la cour, quand elle y vint. Elle étoit sa
complaisante dans sa maison bourgeoise, quoi-
qu'elle eût épousé un homme de condition. Elle
avoit encore augmenté tout cela à son arrivée à la
cour, et étoit cependant parvenue à prendre un
ascendant sur l'esprit de M. d'Argenson, qui en avoit
beaucoup, parce qu'elle ne s'étoit montrée à lui que
comme un surveillant ou espion pour ses intérêts
auprès de M""* de Pompadour et du Roi, dont elle
avoit été, dans les commencements, seule dépositaire
des secrets, et les rapportant fidèlement, ce qui avoit
été d'un grand secours à M. d'Argenson ; mais, dans
ce moment, elle ne pouvoit servir à grand'chose ;
elle lui disoit au contraire beaucoup de mensonges
d'après ses liaisons, qui ne pouvoient le soutenir,
et des confidences dans lesquelles M. d'Argenson
s'égaroit souvent. On auroit pu croire enfin que
c'étoit un bon et généreux procédé de sa part ^ et
qu'il étoit affecté d'abandonner une femme dans la
disgrâce ; mais tout le monde savoit bien qu'il avoit
abandonné père, mère, enfants et toute sa famille ;
mais, pour la première fois que, se croyant sûr de
faire chasser M""^ de Pompadour, il voulut avoir
l'honneur, cela lui coûta définitivement sa place,
par la préoccupation où il étoit qu'il tenoit le Roi
de façon qu'il ne pourroit jamais le déplacer. Eff'ec-
tivement. M"" de Pompadour eut beaucoup de peine.
Sans M. Berryer, le lieutenant de police-, elle n'en
1. De la part de M. d'Argenson.
2. Nicolas-René Berryer, d'abord intendant de Poitou, était
devenu lieutenant de police en 1747 ; ministre de la marine en
1758 et garde des sceaux en 1761. il mourut en 1762.
1757 DISGRACE DU COMTE D ARGENSON 141
seroit jamais venue à bout ; aussi fut-il bientôt après
garde des sceaux. Elle le sentoit ; elle voulut même
se raccommoder avec M. d'Argenson, huit jours
auparavant, en sentant peut-être toute la difficulté
et n'étant pas assez sûre d'une fin heureuse, ou elle
pensa qu'il falloit jouer àquitte ou double, ou, si l'on
peut le penser, qu'elle voyoit une guerre prête à
commencer et que l'autorité de M. d'Argenson et le
besoin d'un minisire de la guerre déjà ancré procu-
reroient quelque diablerie pour la faire renvoyer elle-
même, si elle ne le chassoit, et ce parti-là bien sûr,
après qu'il eut refusé de se raccommoder avec elle,
puisqu'il nevouloil pas sacrifier la victime qu'elle en
exigeoit.
Il étoit bien sûr du moins que l'un des deux
seroit obligé de s'en aller, et une femme des
amies de M. d'Argenson, M™* de Monconseil *, qui
l'attendoit chez lui, au sortir de cette audience avec
jYjme jg Pompadour, et dont il lui rendit compte, lui
dit : « Vous êtes donc sûr. Monsieur, qu'elle sera
« chassée d'ici à quatre jours ? » Et, quand il lui
répondit : « Non ! » et qu'il n'en savoit même rien,
elle lui dit : « Hé bien ! Monsieur, je le sais bien :
« je vous dis bonjour et adieu, car, dans huit jours,
« vous ne serez pas ici. » Il crut que c'étoit une
1. Cécile-Thérèse Rioult de Cursay, fille de Séraphin Rioult
de Cursay, et de Jeanne-Marie Blondot, mariée en novembre
1725 à Louis-Etienne Guénot, marquis de Monconseil, lieu-
tenant général des armées, commandant pour le Roi à Colmar,
était dame d atour de la reine de Pologne. C'était une femme
d'esprit, et l'on possède d'elle un Portrait du maréchal de
RichelieUy qui a été imprimé parmi les Portraits de Sénac de
Meilhan. On disait aussi Mauconseil.
142 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
plaisanterie, ou bien [qu'elle étoit] mal informée et
ne pouvoit croire que le Roi l'aimât autant, mais
cela fut vérifié. Cependant, il avoit toujours quelques
soupçons ; car, la veille qu'il fut renvoyé, M. de
Richelieu eut occasion d'entrevoir quelque tribula-
tion dans sa confiance, et la lui vit reprendre au
bout d'une demi-heure. La mort de Monsieur son
frère en étoit le prétexte ^ parce qu'il y avoit eu des
exemples fort rares, sous le règne de Louis XIV,
dans ce genre''^. Le premier dans ce temps-là regarda
M. de Maurepas, qui fut d'envoyer un gentilhomme
ordinaire, de la part du Roi, pour faire compliment
sur la mort d'un père, mère ou frère, comme aux
ducs et aux gens titrés. Le duc de Gesvres, qui avoit
toujours cent ravauderies à demander à tous les
ministres et étoit le plus officieux de tous les hommes,
étoit devenu le doyen des gentilshommes de la
chambre, et presque le seul dont l'âge fût propor-
tionné à celui du Roi, qui avoit fait demander la
charseà MM. de la Trémo^lleetd'.\umont^ dont les
pères étoient morts, et qui paroissoient à la cour
1. Le marquis d'Argenson, l'ancien ministre des aflfaires
étrangères, mourut le 26 janvier 1757.
2. La «uite va faire comprendre ce que M. de Richelieu veut
dire, en expliquant le témoignage de condoléance que le mi-
nistre attendait du Roi à cette occasion.
3. Le maréchal veut dire sans doute que le Roi avait fait
demander aux ducs de la Trémoille et d'Aumont de céder
l'exercice de leurs charges au duc de Gesvres. Celui-ci était
François-Joachim-Bernard Potier ; il exerçoit sa charge depuis
1717, et il mourut le 19 septembre de la présente année 1757.
Le duc de la Trémoïlle, Jean-Bretagne-Charles-Godefroy,
n'avait que vingt ans à peine ; le duc d'Aumont, Louis-Marie-
Augustin, étaitpremier gentilhomme de la chambre depuis 1723.
1757 DISGRÂCE DU COMTE d'aRGENSON 143
comme gentilshommes de la chambre, mais sans
fonctions ; M. de Gesvres les faisoit toutes. Cela lui
avoit donné l'habitude de hasarder toutes sortes de
choses qui lui plaisoient fort, et que M. le duc
d'Orléans, régent, et M. le cardinal de Fleury souf-
froient fort aisément, parce que ces bagatelles-là leur
étoient fort indifférentes, et qu'avec un jeune Roi,
dont on ne savoit encore quelle seroit l'humeur, il
falloit ménager quelqu'un à portée de la connoître
et quiexerçoit une charge aussi intime, de façon que
le Roi permît au duc de Gesvres d'envoyer à M. de
Maurepas un gentilhomme ordinaire, pour lui faire
compliment sur la mort de M. de Ponlchartrain, son
père ^ et, d'après cet exemple, M. d'Argenson, qui
étoil fort curieux des petites choses, comme des
grandes, fut forcé de passer par M. de Richelieu qui
étoit d'année d'exercice pour tâcher d'avoir ce gen-
tilhomme ordinaire de la part du Roi pour le com-
plimenter sur la mort de son frère ^. Il comptoit
aussi peu sur l'excès de la bonne volonté de M. de
Richelieu que celui-ci comptoit sur la sienne ; mais,
à la cour, ces sortes de méfiances n'arrêtent pas un
certain cours de procédés réciproques que tout
homme sensé sait observer, et qui est un excessif
superlatif de la politesse, [surtout] à l'égard de M. de
Richelieu dans cette occasion-là ; car il étoit dans
une espèce de disgrâce avec M™^ de Pompadour, par
1. Jérôme, comte de Pontchartrain, père de M. de Maurepas,
mourut le 8 février 1747.
2. Voyez sur cette question d'étiquette les Mémoires de
Luynes, t. IV, p. 240, et t. VIII, p. 94.
144 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
des tracasseries particulières ^ M. de Richelieu dit au
Roi ce qui s'étoit passé entre lui et M. d'Argenson
sur la visite du genlilhomme ordinaire. S. M. lui fit
une mine de fort mauvais augure, et passa son
chemin sans répondre. Ce fut dans ce moment-là
que M. d'Argenson arriva dans le cabinet du Roi,
pendant que S. M. se faisoit poudrer dans l'intérieur.
M. de Richelieu le vit, la porte étant ouverte ; iP alla
à lui, et lui parla d'abord du compliment. M. de
Richelieu lui dit que le Roi ne lui avoit rien répondu
et qu'il attendoil un bon moment pour lui en reparler.
M. d'Argenson lui dit que le temps passoit ; que,
plus tard, le compliment seroit suranné, et le pria
d'en reparler encore. M. de Richelieu lui promit d'en
reparler de nouveau, et, en effet, quand le Roi fut
poudré, comme il entroit dans son intérieur, il lui
dit que M. d'Argenson étoit la ; qu'il lui avoit parlé
et paroissoit désirer beaucoup ce qu'il demandoit. S.
M. fit d'abord une mine de mauvaise humeur, et,
un instant après, prenant un air riant, dit qu'il le
vouloit bien. Si M. de Richelieu n'avoit pas su que
M. de Machault, garde des sceaux et ministre de la
marine, de voit être renvoyé le surlendemain^, il auroit
bien vite fait des commentaires sur les deux mines
du Roi, vu la connoissance qu'il avoit de son carac-
1. C'est seulement en naars 1758 que le maréchal se justifia
auprès de la favorite et se raccommoda avec elle [Mémoires de
Luynes, t. XVII, p. 96 et suiv.).
2. Le comte d'Argenson.
3. Jean-Baptiste de Machault d'Arnouville, garde des sceaux
depuis décembre 1750 et ministre de la marine depuis 1754, et
qui devait mourir en 1794 dans la prison des Madelonnettes,
fut disgracié le 2 février 1757.
1757 DISGRÂCE DU COMTE d'aRGENSON 145
1ère ; mais il avoue qu'avec ce qu'il vient de dire qu'il
savoit et toutes les raisons qu'on avoit de croire
M. d'Argenson dans la perfection avec S. M., il ne
lui vint dans Fesprit que le mouvement d'aller
apprendre une nouvelle aussi inopinée à quelqu'un
à qui elle feroit un grand plaisir. M. de Richelieu
rentra dans le cabinet du Roi et dit à M. d'Argenson
qu'il venoit d'obtenir ce qu'il demandoit et qu'il
s'en allât chez lui , qu'il alloit lui envoyer le gentil-
homme ordinaire lui faire le compliment d'usage en
pareil cas. Il en parut dans une joie inexprimable.
M. de Richelieu le lui envoya en effet, et le suivit de
près. M. d'Argenson étoit si content dans ce moment-
là, qu'il ne doutoit pas d'être premier ministre.
M. de Richelieu avoit aussi raisonné avec lui sur le
renvoi de M. le garde des sceaux et sur toutes sortes
de choses différentes, et ils se couchèrent ce jour-là
persuadés de la grande faveur dans laquelle
M. d'Argenson alloit être le lendemain, quand le gar-
çon de la chambre qui vint avertir M. de Richelieu
de l'heure du lever du Roi, lui dit en même temps
que M. de Saint-Florentin, secrétaire d'État, étoit
venu apporter à S. M. les sceaux de l'État et que
M. de Machault étoit exilé. Comme il savoit que cela
ne devoit pas tarder, il n'en fut pas surpris. Il
descendit de suite, et, comme il entroit dans le grand
appartement, il trouva un autre garçon de la chambre
qui vint lui dire que M. d'Argenson était renvoyé '.
1. Le 2 février 1757, M. Rouillé porta à M. d'Argenson
un ordre écrit de la main du Roi de se retirer sous quarante-
huit heures à sa terre des Ormes, en Touraine. Il partit le 4.
La lettre de cachet très sèche qui l'exila est datée du 1" février,
10
146 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
M. de Richelieu lui dit qu'il se trompoit très fort ;
ce garçon de la chambre lui assura qu'il sortoit de
chez lui, qu'on n'y laissoit plus entrer personne, et,
quelque surpris qu'en fût M. de Richelieu, il pria le
garçondelachambrederetournerchezM.d'Argenson,
de s'en informer plus positivement et de revenir
dans la chambre du Roi, que l'on étoit accoutumé
de voir rester un temps plus ou moins long à causer
avec ses grands officiers. Ce garçon vint dans la
chambre rendre réponse à M. de Richelieu, qui étoit
dans le balustre du ht du Roi, dont les rideaux
étoient tirés au pied, de manière qu'il ne put deman-
der ce que ce pouvoit être », et le garçon de chambre
confirma à M. de Richelieu la même nouvelle qu'il
avoit dite ; mais celui qui fut plus confondu que
M. de Richelieu, un moment après, ce fut M. de
Maillebois, maître de la garde-robe^, qui arriva et dit
tout bas à M. de Richelieu, avec un air joyeux, en
entrant dans le balustre : « Le Machault vient de
partir. » M. de Richelieu lui répondit aussi bas : « Et
votre oncle aussi ^ ! » Il regarda M. de Richelieu avec
et lui fut remise le 2 au matin ; le duc de Luynes en donne le
texte Dès la veille, le bruit avait couru à la cour de sa disgrâce
imminente [Mémoires de Luynes, t. XV, p. 394-395; Somenirs
du marquis de Valfons, p. 251).
1 C'est-à-dire que, par suite de la disposition des rideaux,
le Roi ne vit pas le garçon de la chambre et ne put demander
ce qu'il venait dire.
2 Yves-Marie Desmaretz, comte de Maillebois, fils du maré-
chal, était maître de la garde-robe du Roi en survivance de
son père depuis 1736. .nf- m •
3 Le comte de Maillebois avait épousé en 174o Marie-
Madeleine-Calherine de Voyer d'Argenson, fille de l'ancien
ministre des Affaires étrangères et nièce de celui de la guerre.
1757 DISGRÂCE DU COMTE D ARGENSON 147
un air étonné et lui demanda ce que cela vouloit
dire. Il lui répondit : « Cela ne veut dire autre chose
« que ce qui est )> ; et il ajouta : « Je crois que aous
« feriez bien d'aller vous-même vous en assurer. »
M. de Maillebois sortit sur le champ très surpris, et
trouva bientôt la nouvelle beaucoup plus véritable
qu'il ne l'auroit désiré. Tout le monde en fut éga-
lement étonné. Ceci se passa le jour de la Chande-
leur. Il y avoit peu d'exemple que, le lendemain de
la déclaration d'une guerre, on renvoyât le ministre
de la guerre et celui de la marine ; mais, comme il
y a toujours autant de gens bien aises qu'on en
trouve qui sont fâchés dans ces occasions, chacun
joua son personnage du mieux qu'il put.
M. le marquis de Paulmy ^ avoit la survivance de la
charge de secrétaire d'état de la guerre, et M. de
Rouillé^ fut chargé de la marine comme secrétaire
d'État ^. M. le maréchal de Belle-tsle s'offrit à M. de
Paulmy pour l'aider plus qu'il ne vouloit, et M. de
Rouillé, qui étoit le meilleur homme du monde et
avoit encore plus besoin d'aide, en cherchoit où il
pouvoit. Mais l'administration de la guerre étoit un
1. Antoine-René de Voyer (1722-1787), fils du marquis
d'Argenson et neveu du ministre disgracié, avait la survivance
de la charge de son oncle depuis octobre 1751.
2. Antoine-Louis Rouillé, comte de Jouy, était depuis 1754
secrétaire d'Etat des Affaires étrangères.
3. Ici on lit en note, mais non pas de l'écriture du maréchal
ou de son copiste : « Savoir si M. Rouillé ne passa pas aux
affaires étrangères. » — M. Rouillé possédait en effet ce dépar-
tement, où il avait succédé à M. de "-aint-Contest. Il ne fut pas
chargé alors de la marine, qui fut donnée le 9 février à M. de
Moras [Luynes, t. XV, p. 401).
148 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
département dans lequel il falloit bien des réflexions,
toute l'attention étant portée à la guerre de terre, et
la marine n'étoit presque remplie que de Proven-
çaux et de Bretons, avec fort peu de gens d'ailleurs,
auxquels la cour donnoit peu d'attention. Mais le
moment n'étoit pas arrivé d'en sentir toute l'impor-
tance, toute l'attention étant fixée sur la guerre et
les affaires étrangères.
XI
L'ABBÉ DE BERNIS
(1757).
Ce fut fort peu de temps après qu'il parut dans le
ministère une comète qui avoit bien une queue très
longue, mais à qui il manquoit une tête pour rem-
plir dignement l'étonnante attention qui fit en bien
peu de temps son égal ^ M. de Richelieu veut parler
ici de r£j)bé de Bernis, qui étoit le fils cadet d'un
gentilhomme de Languedoc^ qui avoit une affaire
très grande et très intéressante avec un magistrat de
sa communauté, qui sont toutes administrées en
petit sous la forme des grands états, et leurs magis-
trats sont des gens fort dangereux pour la noblesse
à qui ils ont affaire. M"* de Rocheehouart ^, dont
M. de Richelieu étoit parent et ami, le sollicita pour
tâcher d'accommoder son affaire, et il y réussit, à
sa grande satisfaction. IVP® de Rochechouart et le père
1. Tel est bien le texte du manuscrit.
2. François-Joachira de Pierre de Bernis, qui devint cardi-
nal en 1758, était fils de Joachim de Pierre, seigneur de Bernis
en Vivarais.
3. Marie-Françoise de Conflans d'Armentières, comtesse de
Rochechouart, dame de la Dauphine, — ou Charlotte-Françoise
Faucon de Ris de Charleval, marquise de Rochechouart, dame
de Mesdames de France. Nous n'avons pu trouver de parenté
entre M. de Richelieu et l'une ou l'autre de ces deux dames.
150 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
de l'abbé, prièrent le marquis du Mesnil, fort attaché
à M. de Richelieu, de lui amener l'abbé, quand il
seroit à Paris, pour le remercier et lui marquer sa
gratitude du service qu'il avoit rendu à son père ^
1. Cf. Vie pi'wée, t. II, p. 153 et suiv. ; Soûlaude, t. IX,
p. 102 et 103, et Goncourt, Madame de Pompadour, éd. de
1831, p. 204. — On nous excusera facilement d'emprunter le
portrait de l'abbé de Bernis à ce dernier ouvrage, que le travail
consciencieux des deux auteurs n'a pu toujours préserver de
marquer trop de confiance dans certains ouvrages apocryphes,
mais qui du reste, sur le chapitre de M. de Bernis, et de ses
origines, présente une grande conformité avec le récit de M. de
Richelieu.
« De bonne race, de vieille noblesse, d'une maison qui
possédait dès le douzième siècle le château de Gange, Bernis,
comte de Brioude, né dans le Vivarais, près le Pont-Saint-
Esprit, destiné dès son enfance à l'état ecclésiastique, passait
sa jeunesse au séminaire de Saint-Sulpice, dans cette sorte
d'école des pages de l'épiscopat, avec aussi peu d'argent que
tous les cadets de noblesse visant aux dignités et aux bénéfices
de l'Eglise ; puis, après s'être fait recevoir au chapitre de Lyon,
il venait vivre à Paris. Il avait, pour plaire, une jolie figure
d'ange bouffi, un caractère franc, ouvert, expansif, une imagi-
nation vive et méridionale, beaucoup d'esprit, relevé par un
accent demi-gascon, le génie facile des petits vers, des
impromptus, des madrigaux, qui nouaient autour d'un portrait
de femme comme un fil de perles autour d'une miniature. Ses
manières tenaient de la femme et du prêtre; il possédait la
douceur, l'enjouement, un tour de caractère voluptueux et
tendre, une onction galante ; il était actif, frétillant, et il était
plutôt encore que l'ami des hommes, l'ami des femmes, dont
l'amitié, dit-il dans ses Mémoires, est plus tendre, plus délicate,
plus généreuse, plus fidèle, plus essentielle. Que fallait-il de
plus en ce temps pour faire un délicieux abbé ? L'abbé de
Bernis devenait bientôt, comme disait le temps, « rare et de
mode » naturellement, par lui-même, et sans qu'il soit besoin
de s'arrêter à la légende d'une marchande de modes le proté-
1757 l'abbé de bernis 151
Cet abbéétoit nouvellement sorti du séminaire ; il
avoit faiteonnoissance chezdes caillettes, qui n'étoient
pas du plus haut parage ^ mais qui étoient fort aise
d'avoir un abbé dans leur société, qui faisoit des vers
le plus joliment du monde - ; et, de caillettes en
caillettes, il arriva à la fin, comme on le verra par la
suite, jusqu'à M^M'Étioles ^ , femme d'un fermier géné-
ral, depuis marquise de Pompadour^. Il étoit avec
elle dans ces sociétés qui l'ennuyèrent et qu'elle avoit
quittées quelques mois avant d'arriver au faite de la
grandeur. Dès que M. de Richelieu eut connu l'abbé
et son talent pour la versification, avec les consé-
quences des sociétés qui aiment ce genre-là et qui
font une classe dans le général du public, M. de
Richelieu songea à lui rendre les services qu'il lui
avoit demandé, ainsi que son père, et à le protéger
géant et le présentant aux dames avec les chiffons qu'elle leur
portait. Introduit par Duclos dans le bureau d'esprit de
Madame de Tencin, où quelques poésies annonçaient joliment
sa petite muse, il continuait à demeurer au cul-de-sac Dauphin,
et à solliciter avec résignation le privilège du Mercure de
France, lorsqu'une bonne fortune lui arrivait : il devenait le
cavalier servant de Madame de Courcillon, la veuve du prince
de Rohan, et s'occupait fort à la consoler du veuvage. »
1. Sur ces pénibles débuts de Bernis, voy. Luynes, t. VIII,
p. 88.
2. L'abbé avait publié, dès 1744, chez Coignard une série
de « Poésies diverses de M. L. D. B. v, épîtres sur les mœurs,
le libertinage, la cour, la superstition, la mode, la volupté,
etc.
3. Ce fut, dit le Conteur de 1784, M""* de Courcillon qui pré-
senta l'abbé chez M""' d'Étiolés.
4. Selon M. de Luynes (t. VIIÏ, p. 87), la première et la
plus forte liaison de l'abbé fut avec M'"* d'Estrades.
152 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
dans le monde. Pour cela, il mena l'abbé chez M™® la
duchesse d'Aiguillon, sa cousine \ qui aimoit à
entendre toutes ces choses-là et à avoir toutes les
petites nouvelles des gens de lettres, parmi lesquels
il y en a qui sont très bons à connoître. L'abbé alloit
presque tous les jours dîner chez elle et lui rendre
compte de toutes les petites nouveautés qu'il pouvoit
ramasser ; M™* d'Aiguillon le présentoit dans des
classes plus élevées, dans lesquelles il se conduisoit
avec prudence, sagesse, modération et esprit. Ce fut
quelque temps après que M™* d'Etiolés devint maî-
tresse du Roi, et l'abbé se repentoit beaucoup de
l'avoir quittée mal, et se crut obligé d'aller lui faire
des compliments, à quoi il ne pouvoit que gagner.
Quand une jeune femme est au comble de la joie et
d'une élévation d'état aussi considérable, elle
est moins disposée à chercher une petite rancune ;
d'ailleurs M™^ d'Étiolés sentit qu'elle alloit avoir
grand besoin des secours de l'abbé, pendant la
campagne que le Roi alloit faire en Flandre, où
elle se seroit trouvée embarrassée pour écrire au
général ~. Tout ceci se passa fort bien, l'abbé fort
bien reçu et fort content. Au retour de l'armée, S.
M. séjourna plusieurs jours à Paris et y avoit été reçu
comme le roi tutélaire qui avoit conquis une grande
1. Anne-Charlotte de Crussol-Florensac.
2. L'abbé fit non seulement des lettres, mais des vers, et
c'est sans doute k sa verve poétique, qu'il faut attribuer les
odes triomphales que M""* de Pompadour adressait au Roi, sur
papier galamment encadré, après Fontenoy, Berg-op-Zoom,
Lawfeldt, etc., et qui font aujourd'hui les délices des collection-
neurs d'autographes.
1757 l'abbé de bernis 153
part' de la Flandre, et avec des démonstrations de
joie qui passent toute imagination. Elle trouva plai-
sant d'aller en fiacre, le soir, voir M™* d'Étiolés, et
elle encore plus plaisant de le recevoir, et d'aller le
voir souper, dans une foule où elle étoitbien assurée
de n'être pas trop pressée, et de jouir du crédit et
de la considération qu'elle a eus depuis jusqu'à sa
mort. Tout le monde sait le reste de son histoire ;
M. de Richelieu ne parlera de celle de l'abbé de
Bernis qu'à propos de ce qui le regardera.
L'abbé se conduisit avec sagesse fort longtemps ;
le dernier degré de ses désirs étoit d'être chargé de
faire la Gazette ^ emploi qui vaut environ quinze
mille livres de rente et qui a des conséquences amu-
santes pour un homme de lettres qui est honnête, et
avantageuses pour un homme qui n'a rien. En atten-
dant, M™^ d'Etiolés voulut lui faire avoir une petite
pension de mille écus. Le Roi l'avoit promis ; il en
étoit tourmenté. Enfin il vint un jour à Fontainebleau
chez M"® d'Étiolés et lui dit qu'il accordoit à l'abbé
la pension de mille écus. Elle vint l'apprendre avec
1. Une nouvelle à la main adressée par M. de Marville, le
30 avril 1747, à M. deMaurepas [Lettres de M. de Marville, t. III,
p. 205) , dit : « Il n'est point encore question que le privilège de la
Gazettede Francesoitaccordéàl'abbédeBernis, comme on l'avoit
dit : la proposition en a été faite par M*"* la marquise de Pompa-
dour, en demandant au Roi de vouloir bien donner 200.000 livres
à M. de Verneuil |en dédommagement de la Gazette. Le Roi en
a parlé à M. le contrôleur général qui a répondu qu'il étoit hors
d'état de payer cette somme, par la destination indispensable
des fonds. Quoique ce soit là un refus, M'"^ de Pompadour ne
s'en plaint point. Elle attend des temps plus favorables pour
procurer ce privilège à M. de Bernis. »
154 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
une grande joie, et fut fort étonnée, n'ayant pas
encore un grand usage de ces choses-là, que M. de
Richelieu lui demandât si Monsieur de Mirepoix ',
chargé de la feuille des bénéfices, pauvre d'esprit,
dévot et obstiné, avoit signé la feuille ouïe lui avoit
dit. Elle fut encore plus surprise de ce que M. de
Richelieu voulût parier que l'abbé n'auroit pas la
pension, quand elle lui dit que Monsieur de Mirepoix
n'en savoit rien. C'étoit un théatin, que Ton con-
noissoit pour sot et cagot, qui croyoit faire une
œuvre méritoire devant Dieu et les hommes de tenir
tête au Roi dans une affaire pareille, l'abbé étant
accusé de mener une vie un peu mondaine et même
licencieuse. M™® d'Étiolés ne tarda pas à voir que
M. de Richelieu avoit raison, cl l'abbé n'eut pas sa
pension sur un bénéfice ; mais le Roi, l'ayant pro-
mise et ne voulant pas lui manquer tout à fait, la lui
donna sur sa cassette, où M. de Bernis se piqua
encore de la toucher, étant cardinal -.
Il fut question de meubler aux Tuileries pour
l'abbé un petit appartement, que M™^ d'Étiolés et
toute sa société meublèrent. Cet appartement étoit
une espèce de cellule que M™^ d'Étiolés venoit de lui
faire avoir ^. L'abbé continua de faire sa cour à
1. Boyer, ancien évêque de Mirepoix, précepteur du Dauphin.
Il avait eu la feuille des bénéfices à la mort du cardinal de
Fleury, et la garda jusqu'en 1755.
2. Cf. Luynes, t. VIII, p. 88. — Ce fut seulement bien peu de
temps avant la mort de M. de Mirepoix, que l'abbé de Bernis
obtint une abbaye, Saint-Arnoul de Metz. Voy. Barbier, t. IV,
p. 95.
3. M. Sainte-Beuve a conté ce curieux épisode des commen-
cements du futur ministre : « Louis XV, de guerre lasse, fit une
1757 l'abbé de berms 155
M°" d'Étiolés très convenablement et très sagement,
et il obtint enfin d être ambassadeur à Venise, quoi-
qu'il eût beaucoup de concurrents ^ Cette place le
tiroit de l'élat où il étoit, étant toujours à la veille de
mourir de faim, ce qui ne peut arriver à un homme
qui a été dans une place semblable et qui s'y est
conduit sagement ; mais ce qui est bien marqué au
coin du bonheur et de ces espèces de miracles de
fortune, c'est que. Madame, fille du Roi, ayant épousé
l'Infant d'Espagne, duc de Parme ~, il étoit tout
naturel que l'ambassadeur de France à Venise allât
voir la fille du Roi. L'abbé s'acquitta donc de ce
devoir. Madame l'Infante étoit bonne francoise, et
aimoit par conséquent les François, qui s'aiment tous
bien davantage quand ils se trouvent dans un pays
étranger, au milieu de gens qu'ils trouvent toujours
pension de quinze cents livres sur sa cassette, et accorda un
logement dans les combles des Tuileries ; Bernis avait été logé
jusque-là chez le baron de Montmorency, un de ses parents.
Un jour que Bernis sortait de chez Al""^ de Pompadour, empor-
tant sous son bras une toile de perse qu'elle lui avait donnée
pour meubler son nouvel appartement, le Roi le rencontra dans
l'escalier et voulut absolument savoir ce qu'il portait ; il fallut
le montrer et expliquer le pourquoi : « £h bien, dit Louis XV
en lui mettant dans la main un rouleau de louis, elle vous a
donné la tapisserie, voilà pour les clous, x [Causeries du lundi,
t. VIII, p. 9).
1. La correspondance de l'abbé de Bernis, ambassadeur à
Venise, avec Du Verney, a été publiée en 1790, et, malgré les
notes ridicules de l'éditeur, M. Sainte-Beuve a fait ressortir
l'intérêt et le piquant de ces lettres familières tout à lavantage
de celui qui les a écrites [Causeries du lundi, t. VIII, p. 9 et suiv.).
2 Louise-Elisabeth de France, fille aînée de Louis XV, avait
épousé, en 1739, Philippe d'Espagne, duc de Parme.
156 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
si extraordinaires. Quand l'ambassadeur retourna à
Venise, Madame l'Infante l'engagea à revenir, et il
en avoit encore plus d'envie. M. de Richelieu ne se
souvient plus à quel voyage le chancelier de Milan
porta à Madame l'Infante le projet que M. de Richelieu
lui avoit vu longtemps auparavant, pour réunir soli-
dement, par des intérêts communs, la maison
d'Autriche avec la maison de France. Cela étoit fort
spécieux, ou auroit pu l'être, si les hommes pou-
voient voir leur intérêt solide et particulier sans
jalousie, envie, etc. ; mais le hasard fît que Madame
en écrivit au Roi, et ensuite vint à Paris, où elle parla
elle-même et fit venir l'abbé avec tout ce qu'il avoit
étudié avec le chancelier de Milan, et l'on oublia
l'abbé de Bernis freluquet, et l'on ne le vit qu'avec
le titre d'ambassadeur. C'étoit dans un moment où
S. M. venoit d'apprendre que le roi de Prusse avoit
fait des plaisanteries très piquantes sur son amour
pour M"*® de Pompadour. Mais, dans toutes celles
qu'il s'étoit permises, il avoit eu l'attention de parler
du Roi avec une retenue infinie et même respec-
tueuse ; néanmoins il n'y gagna point, M™® de
Pompadour et les ministres n'oubliant rien pour
mettre le Roi de la partie. Le traité de Vienne ne
tarda pas à nous engager dans une guerre où, heu-
reusement pour la solidité de l'État, nos généraux
et nos ministres firent tant de sottises que l'on fut
obligé de faire une paix où nous perdîmes comme à
l'ordinaire. Pendant ce temps-là, l'abbé de Bernis
avoit cheminé, avoit apporté son traité de Vienne,
dont le Roi avoit été d'abord fort engoué, et l'Em-
pereur encore plus, avec raison. Il fut très fêté à la
1757 l'abbé de bernis 157
cour, où l'on sentit bien qu'un homme qui avoit été
l'âme d'un traité qui renversoit toute l'Europe devoit
renverser tous les ministres et devenir le seul, et que
par conséquent l'abbé devoit monter à une fortune
qu'il n'auroit pas pu espérer ; mais sa tête qui avoit
été assez bonne pour résister dans l'état où il avoit
été et pour parvenir au dernier période de sa force
jusqu'à Venise, se trouva un peu trop foible pour
aller un degré plus haut, et il n'osait presque pas y
aspirer.
Il étoit toujours bien avec M™* de Pompadour
et travailloit sur ledit traité avec les ministres,
dont plusieurs y sentoient des conséquences et une
révolution, de sorte qu'il étoit très en peine de ce
que cela deviendroit. Il venoit tous les soirs chez
M™* la duchesse de Lauraguais^ dans le voisinage de
qui étoit un petit logement qu'il avoit obtenu à
Versailles, et M. de Richelieu n'étoit pas celui qui
lui donnoit le moins de courage. Ils se contoient
réciproquement ce qu'ils avoient appris et faisoient
des réflexions. Enfin, on arriva au point que tout
le monde voyoit, encore mieux que l'abbé ne
pouvoit l'espérer, qu'un traité entre les deux plus
grandes monarchies de l'Europe, qui avoient toujours
été, depuis leur existence, ennemies et qui tout d'un
coup redevenoient amies et alliées, au grand éton-
nement de toutes les tètes des deux nations, ayant
été adopté de part et d'autre, ne pouvoit être bien
traité et soutenu que par le même homme qui en
avoit jeté les fondements ^, de sorte que tout cela
1. Diane-Adélaïde de Mailly.
2. Comparez Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. VIII, p. 14
et suivantes.
158 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
conduisoil à faire l'abbé de Bernis ministre des
affaires étrangères, d'autant que tout le monde ne
pouvoit connoître que la surface de l'esprit de l'abbé
et croire qu'elle éloit si mince et le tuf si près.
Toutes les conséquences en étoient bonnes, hors le
principe, et, si tant est qu'il pût y en avoir, c'étoit
celui qui avoit donné le traité qui en pouvoit avoir
le secret, et, quoiqu'on pût douter de toute l'énergie
et de la capacité de l'abbé de Bernis, M. Rouillé, qui
étoit dans la place, n'en avoit pas assez pour qu'on
pût craindre de faire une perte effrayante dans
l'échange. Mais aussi M. Rouillé étoit bien éloigné
de vouloir quitter. Le Roi, dans toutes les choses
qu'il faisoit les plus bizarres et qui pouvoient passer
même quelquefois pour indécentes, avoit peine à en
faire de cette espèce et n'aimoit pas à faire de peine
aux gens pour qui il avoit de l'amitié, ainsi qu'il en
avoit pour M. Rouillé, qui étoit honnête homme et
bon homme, de sorte que le projet n'avançoit point.
M. de RicheHeu offrit à l'abbé de le servir et de
tâcher de déterminer M. Rouillé par les bonnes rai-
sons qu'il avoit à lui dire. Il éloit ami intime dès
l'enfance de M. Fallu, son beau-frère, sur lequel il
avoit un grand crédit, qui en avoit un infini sur sa
sœur, femme de M. Rouillé \ qu'elle gouvernoit
1. Marie-Anne Fallu avait épousé le 8 février 1730 Antoine-
Louis Rouillé, comte de Jouy, secrétaire d'Etat de la marine en
1749, puis des affaires étrangères en juillet 1734. Son frère,
Bertrand-René Fallu du Ruau, conseiller au Parlement en 1718,
maître des requêtes en 1724, intendant à Moulins (1734), puis
à Lyon (1738), était alors conseiller d'État et intendant général
des classes de la marine.
1757 L ABBÉ DE BER^IS 159
absolument. M. de Richelieu représenta à M. Fallu,
et lui mit bien dans la tête, qu'il étoit impossible
que celui qui avoit fait le traité ne continuât pas les
conséquences d'un principe que personne ne pou-
voit concevoir ; que ce même principe étoit à la
portée de tout le monde, et que, si M. Rouillé
atlendoit qu'il fût au période de maturité à ne pou-
voir plus l'empêcher , il seroit renvoyé tout à fait,
le Roi n'ayant pas de milieu dans les efforts qu'il
faisoit pour prendre un parti, et que M. Rouillé
deviendroit [alors] bourgeois de Paris, sans occupa-
tion ni considération ; au lieu qu'en donnant sa
démission à condition de rester dans le Conseil, il
auroit toujours une considération quelconque d'un
état grand par lui-même, et encore peut-être celle
de n'avoir pas voulu poursuivre quelque chose
contre nature, pour ainsi dire. Cela étoit si vrai,
que l'esprit du frère et de la sœur s'en pénétrèrent
aisément ; ils eurent la sagesse de ne pas risquer
tout perdre, et de se mettre à l'abri du port hono-
rable qu'on leur présentoit. M. Rouillé donna sa
démission, et l'abbé de Bernis fut installé ministre
des affaires étrangères et secrétaire d'Etat ^ Ce fut
1. C'est le 28 juin 1757 que labbé de Bernis remplaça
M. Rouillé comme secrétaire d'Etat des affaires étrangères. Le
duc de Luynes écrivait à ce propos, le 26 [Mémoires, t. XVI,
p. 86) : « M. Rouillé obtint hier sa démission de la place de
secrétaire d Etat des affaires étrangères ; M. l'abbé de Bernis
est nommé à sa place. Il y a longtemps que M. Rouillé vouloit
quitter, sa santé ne lui permettant pas de soutenir un travail
aussi considérable, et il étoit aisé de juger que cette place étoit
destinée à M. l'abbé de Bernis ; mais cet arrangement n"a été
déclaré qu aujourd'hui après le Conseil. M. Rouillé verra après-
160 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
peu de temps après que sa tête, qui avoit paru bonne
pour toul ce qu'on lui avoit présenté, parut bientôt
après bien mauvaise pour les affaires et beaucoup
trop foible pour la grandeur des objets qu'elle avoit
à y digérer, et elle lui tourna de tous les points ^
demain pour la dernière fois à l'audience les ministres étran-
gers. M. de Bernis arrivera pendant l'audience, et là se feront
les adieux et les compliments d'arrivée. M. l'abbé de Bernis
prêtera serment mercredi. »
1. L abbé de Bernis quitta le ministère le 9 novembre 1758,
renversé par M™^ de Pompadour, qui s'en était dégoûtée. Sa
politique a été diversement appréciée, et en général avec moins
de sévérité que n'en montre M. de Richelieu.
XII.
CLOSTER-SEVEN
(1757).
M. de Richelieu partit dans ce temps-là ^ content,
et croyant que l'abbé étoit un des meilleurs amis
qu'il laissât à la cour ; mais il ne fut pas infiniment
de temps à s'apercevoir qu'il s'étoit bien trompé et
que l'abbé lui jouoit un tour, qui fut encore plus
cruel pour l'État que pour lui. M. de Richelieu veut
parler ici de la capitulation de Closter-Seven -. Jl avoit
pris l'armée angloise prisonnière de guerre ; ce fut
l'abbé de Bernis qui fit rompre la capitulation 3, et
par conséquent entraîna tous les malheurs qui l'ont
suivie.
Et on va voir combien les plus petits hasards
1. Il fut nommé en juillet 1757 au commandement de l'armée
du Hanovre à la place du maréchal d'Estrées.
2. Closter-Seven est un bourg de Prusse, près de la place
forte de Stade, le duc de Cumberland, commandant l'armée
anglo-hanovrienne, y fut acculé par Richelieu et dut signer le
8 septembre une capitulation par laquelle il s'engageait à ne
plus servir contre la France. Sur cet événement, voyez les
Causeries du lundi, t. VIII, p. 21 ; Luynes, t. XVII, p. 20 et
suiv., 56, 95 et suiv., 121, etc ; voyez aussi une lettre au prince
de Soubise, British Muséum, Ms. Add. 15945, fol. 61-68.
3. Il ne la fit pas rompre ; mais il en retarda tellement la rati-
fication que le prince Ferdinand de Brunswick, successeur du
duc de Cumberland, put reprendre sa parole à la suite de la
défaite des Français à Rosbach.
11
162 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
ont quelquefois des conséquences terribles. Le len-
demain du malheureux jour où le Roi fut assassiné
par Damiens', après avoir été pansé et que les
esprits furent un peu reposés, il ordonna à Monsieur
le Dauphin d'assembler le Conseil, et, comme M. de
Richelieu étoit d'année de service auprès de S. M.,
il lui dit de donner des ordres à Lemoine, huissier
du cabinet, d'avertir pour le Conseil, lequel, un
moment après être parti, revint lui demander si
c'étoit le conseil d'État ou celui des Dépêches. M. le
maréchal de Richelieu ayant demandé l'explication à
Monsieur le Dauphin , celui-ci lui répondit que c'étoit le
conseil des Dépêches. Lemoine, à qui M. de Richelieu
le dit, répliqua : « Il arrive donc un cas unique
peut-être ; c'est que M. l'abbé de Bernis est entré
dimanche dernier au conseil d'Etat et n'a pas pris
séance encore au conseil des Dépêches ; dois-je
l'avertir ? » continua-t-il. M. de Richelieu n'avoit
garde de résoudre la question. Il va à Monsieur le
Dauphin lui demander ce qu'il en pense, et ce prince
lui dit : « Il faut demander au Roi cette explication. »
Monsieur le Dauphin ajouta que, dans l'état ou étoit
le Roi, il ne vouloit pas l'importuner de celte ques-
tion. On rappela alors Lemoine, à qui on demanda
ce qu'il en pensoit, qui dit avoir vu beaucoup de
gens être du conseil des Dépêches sans être de
celui d'État, et qu'il n'en avoit jamais vu être du
conseil d'État sans être de celui des Dépêches. Cela
ne détermina pas encore Monsieur le Dauphin, qui
redemanda à M. de Richelieu ce qu'il en pensoit.
M. le maréchal lui répondit que, dans la situation
1. L'attentat de Damiens eut lieu le 5 janvier 1757.
1757 CLOSTER-SEVEN 163
unique où il se trouvoit, de la nécessité de tenir un
conseil des Dépèches et ne voulant pas parler au
Roi ni décider lui-même, il lui paroissoit que ce
que venoit de dire Lemoine l'engageoit à donner
l'ordre conséquent. On ne pensa plus à cela de part
ni d'autre. Le conseil des Dépêches se tint, et M. de
Bernis y assista. Cet événement très léger resta
entre Monsieur le Dauphin, M. de Richelieu et
Lemoine ; l'un et l'autre n'y firent aucune attention
et le crurent oublié aisément. M. de Richelieu n'en
parla ni à l'abbé de Bernis ni à personne, et vécut
avec lui dans la même amitié et correspondance qui
avoient existé jusque-là. Il ne parut aucune trace de
discussion dans leur façon de vivre ordinaire ; mais
longtemps après. Monsieur le Dauphin causant avec
l'Infante, sa sœur, sur cet événement et tout ce qui
étoit arrivé, celle-ci, comme toutes les femmes en
usent pour les gens pour qui elles ont de l'amitié, et
elle en avoit beaucoup pour l'abbé de Bernis, se
dépêcha de lui rendre compte de tout ce que son
frère lui avoit dit, et, soit que sa politique prit un
travers sur cela, ou que l'abbé, devenu tout poli-
tique et courtisan tracassier, crût tout d'un coup que
le duc de Richelieu avoit cherché à l'exclure du
Conseil, l'incertitude de M. de Richelieu sur ce qu'il
vient de rapporter fit imaginer qu'elle étoit un germe
de l'envie qu'il avoit d'empêcher l'abbé de rester
dans le Conseil. D'après cela l'esprit et la conduite
de l'abbé à son égard changèrent. Il fut d'abord
très fâché â cause que cela ^ alloit entraîner une paix
1. Cette capitulation de Closter-Seven.
164 MÉMOIRES DE RICHELIEL 1757
avant qu'il eût obtenu son chapeau de cardinal K
M. de Richelieu n'en pouvoit deviner la cause, et
le premier fruit de toutes ces réflexions fut l'in-
croyable effet de la capitulation de l'armée angloise
que M. le maréchal de Richelieu avoit faite à Glos-
ter-Seven, dont les funestes effets ont été cause de
tous les malheurs qui sont arrivés depuis. Cela peut
servir d'exemple pour connoître à quel point il faut
être circonspect à la cour, où les hasards les plus
singuliers ont des suites et des effets si prodigieux.
M. de Richelieu pense que, si l'on veut examiner
celui-là, on aura peine à en trouver de pareils.
Pour ne pas quitter le chapitre de l'abbé de Bernis
erf si beau chemin, M. de Richelieu peut dire que la
tête tourna tout à fait à l'abbé, et que, par ses façons
de tous points, il déplut si fort au Roi que S. M
vouloit révoquer sa nomination au cardinalat, et cela
auroit été fait sans l'esprit de barguignage que le Roi
mettoit à tout, ne pouvant imaginer d'ailleurs que
le pape fût si pressé, et, quand le Roi vit arriver le
courrier de Sa Sainteté avec la barette pour l'abbé,
il se mit dans une telle fureur qu'il ne vouloit pas le
recevoir. Ce fut M'"® de Pompadour, étant plus de
sang-froid, qui représenta au Roi le scandale prodi-
gieux que cela alloit faire vis-à-vis du pape et de
toute l'Europe. Cette nouvelle Éminence, seule à la
cour, ne s'aperçut pas de l'embarras du Roi, et quatre
ou cinq nouvelles sottises que l'abbé fit tout de suite
le firent renvoyer des affaires étrangères. La cir-
1. Cf. Causeries dit lundi, t. VIII, p. 28.
1757 CLOSTER-SEVEN 165
constance d'un conclave obligea le nouveau cardinal
d'y aller, et le Roi le laissa partir. S. M. fut très
contente de le voir à trois cents lieues de lui et d'y
être dans une place à laquelle assurément son entrée
dans le monde ne pouvoit lui faire imaginer de
pouvoir atteindre.
APPENDICE
Voici comment ces souvenirs sur l'affaire de Closterseven
et ses suites sont consignés à la fin du mémoire de 1783 ;
ils sont assez différents de ce qui précède.
« Trois semaines ou un mois environ avant la bataille de
Rosbach, le duc de Richelieu fitprisonnière l'armée ennemie,
lui fit signer une capitulation, et, après que ces troupes
eurent pris les chemins qu'elles dévoient suivre, il crut bon
de son côté, de ne pas perdre un instant pour marcher au
roi de Prusse. Pendant ce mouvement, il trouva à Bruns-
wick un homme qui lui apporta la lettre du roi dont on
va donner la copie, ainsi que de la réponse du duc à Sa
Majesté Prussienne. On verra que ce prince se remettoit
entre les mains du roi de France pour faire la paix.
« Ce fut cette même lettre qui acheva de perdre le duc
de Richelieu, après le malheur qu'il avoit déjà eu de faire
Tarmée ennemie prisonnière, et de la laisser en état d'exé-
cuter tout ce qu'elle entreprît après qu'il eut quitté l'armée
et que le roi de Prusse fut sûr que ses propositions avoient
été rejetées.
« La France alors fut entraînée dans les plus grands
malheurs, malgré la supériorité bien marquée de ses
troupes en qualité et en nombre ».
166 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
Copie de la lettre du roi de Prusse.
Rote, le 6 septembre 1757.
« Je sens, Monsieur le Duc, que l'on ne vous a pas mis
« dans le poste où vous êtes pour négocier. Je suis cepen-
« dant très persuadé que le neveu du grand cardinal de
« Richelieu est fait pour signer des traités comme pour
« gagner des batailles. Je m'adresse à vous par un effet de
« l'estime que vous inspirez à ceux qui ne vous connoissent
« pas même particulièrement. Il s'agit d'une bagatelle,
« Monsieur : de faire la paix, si on le veut bien. J'ignore
« quelles sont vos instructions ; mais, dans la supposition
« qu'assuré de la rapidité de vos progrès, le Roi votre
« maître vous aura mis en état de travailler à la pacifica-
« tion de l'Allemagne, je vous adresse M. Delchetet, dans
« lequel vous pouvez prendre une confiance entière.
« Quoique les événements de cette année ne devroient pas
a me faire espérer que votre cour conserve encore quelque
« disposition favorable pour mes intérêts, je ne puis
« cependant me persuader qu'une liaison qui a duré seize
« années n'ait pas laissé quelque trace dans les esprits.
« Peut-être que je juge des autres par moi-même. Quoi
« qu'il en soit enfin, je préfère de confier mes intérêts au
« Roi votre maître plutôt qu'à tout autre, si vous n'avez,
« Monsieur, aucune instruction. »
Le texte de la lettre du roi de Prusse, donné par M. de
Valfons, n'est pas le même que celui de Richelieu. D'après
le marquis de Valfons [Souvenirs, p. 312 et suiv.), le duc
expédia un courrier à Versailles pour demander la permis-
sion de traiter ; mais Bernis, convaincu par l'ambassadeur
d'Autriche, Stahrenberg, qui représentait toujours le roi de
Prusse comme à bout de ressources, interdit toute négocia-
tion et ne permit même pas de profiter de la suspension
J
1757 CLOSTER-SEYEN 167
d'armes. D'un autre côté, Du Verney, qu'une de ses créa-
tures, Dernier, fait lieutenant de Roi à Halberstadt, avait
persuadé de la nécessité de garder cette place, fit défendre
à Richelieu de 1 évacuer avant l'arrivée de Crémille, alors
adjoint au ministère de la guerre et envoyé pour se rendre
compte de la situation. Finalement Halberstadt fut aban-
donné le 7 novembre : mais il était trop tard. Soubise qui
n'avait cessé de demander qu'on marchât vers lui avait été
vaincu à Rosbach, Sur la campagne de Richelieu; et sur
son remplacement par Clermont, voyez les documents
réunis par M. Cousin dans Le comte de Clermont, sa cour y
etc., t. II, p. 104 et suivantes.
La dictée du maréchal s'arrête avec cet épisode de
Closter-Seven. Il ne semble pas douteux que ces Mémoires
ne dussent être continués, si le temps ne lui eût manqué
ou si sa nonchalance habituelle ne lui eût fait négliger d'y
travailler. Le cahier des Mémoires contient encore quelques
feuillets blancs. Sur les quatre dernières pages le mare»
chai a écrit de sa propre main le curieux fragment auto-
biographique qui va suivre. Nous le reproduisons tex-
tuellement, quoiqu'il ne puisse être regardé comme un
spécimen fidèle de V orthographe de V auteur ' car ce court
morceau, écrit certainement dans les tout derniers temps
de la vie du maréchal, se ressent de V affaiblissement des
facultés du vieillard.
xm.
NOTE AUTOGRAPHE
DU MARÉCHAL DE RICHELIEU
M. le maréchal de Richelieu fut mis trois fois à la
Bastille, la première, le 22 avril 1711, et en sorti le
19 jeun 1712 ; la seconde foi fut le 4 mars 1716, et
en sorti le 21 aoust 1716 ; la troisième foi fut le 28
mars 1719, et en sorti le 30 août 1719.
Il y fut mis à la première foy pour vivre avec sa
première femme, M"^ de Noailles, fille de sa belle-
ntère, que par arrengement de famille il épousa et
malgré lui ^ ; elle étoit beaucoup plus âgé, point
jolie et l'humeure acariade, et comme il ne vouloit
pas vivre avec elle, et que sa famille desiroit qu'il eu
des enfans, M. son père pria M"^ de Mintenont
doptenire du Roy un ordre pour le faire mettre à
la Bastille et y restere jusqua que sa femme devienne
grosse, qui pour cela alloit le voir deux foy la
semaine a la Bastille. M. de Mintenon, qui aimoit le
jeune duc et le protegeoit et qui cependant vouloit
faire plaisire à sa famille, en parla au Roy, qui fit sur
le champ assemblé son conseill et dit à ses ministre
la demande de M. le duc de Richelieu, et Sa Majesté
adjouta quil desiroit que le jeune homme profita de
1. Mémoires de Saint-Simon, édition des Grands Ecrivains,
t. XX, p. 303-304.
1757 NOTE AUTOGRAPHE DU MARÉCHAL 169
cette retraite pour son instruction, et alors il eu la
bonté de dire à M. de Ponchardain et autre, quils
les chargeoient de trouvé un homme desprit écleré
aimable et à demis sous-ordre, pour lui tenir com-
pagnie et qui puisse suivre son éducation sen ennuie.
On lui donna labbée Saint Remis qui resta le reste
deses jours avec M. de Richelieu. >PMe Maintenont,
à qui le jeune duc écrivoit, lui mendoit son chagrin
de ce que sa femme ne devenoit pas grosse, quoique
par de la suite [elle] engagea M. son père de le faire
sortire, ce qu'il fit.
La seconde foi. qu'il fut mis à la Bastile fut à
l'occasion d'un duelle qu'il eu avec M. de Matignon,
s"^ de Gacé^ : il étoit défendu, et les ordres les plus
sévère étoient donné contre ses sortes de duelle ;
quoique M. de Richelieu fut blaisée, il ala à Topera
pour que cette affaire ne se découvri pas, mais le
régent, qui en fut instruit par les énemis du jeune
duc, donna ordre de le mettre à la Bastille. Ont
nomma des commissaire et sirurgien pour examinere
ses blaisures, mais comme il sen doutois il les fit
paindre, les sirurgiens de bonne grasse ne sen apper-
sure point, leur rapore [fut] tout a son avantage, et celte
affaire n'eut pas de suite.
La troisiemme foy, ce fut par intrigue de coure.
Ont prétexta l'affaire despagne contre le régent -, ou
il V eu tans de personne de compromis, pour faire
avoire la couronne au Roy despagne ; mais la suitte
et les recherches que Ion fit prouva que M. le maré-
1. Au commencement de 1716 : voy. le tome XXIX des
Mémoires de Saint-Simon.
2. C'est-à-dire la conspiration de Cellamare.
170 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
chale de Richelieu n'étoit entré pour rien dans cette
affaire, mais bien pour des liaison intime avec
M'^Ma duchesse de Modene ', quequande ont auroit
fait sortire M. de Richelieu". Ont a crue aussy que la
première foy qu'il fut a la Bastille, setoit pour
déconserté des abidute de société que Ion craignoit
quil se forma avec M™® la duchesse de Bourgongne
qui regardois alors le jeune duc de Richelieu comme
un enfans sans conseqLiance, mais que les courti-
sans, toujour mechans jaloux et inquiette, voioient
autrement ^.
M. le Maréchal de Richelieu a été marié trois foy,
et sous trois règne diferent. La première foy fut
avec M"^ de Nouaille, sous Louis 14 régnant^ ; la
seconde fov, ce fut avec M"* de Guise de la maison
1. M"* de Valois, fille du Régent.
2. Phrase incomplète : il faut penser que Richelieu a omis :
« qui ne consentit à épouser le prince de Modène, que quand,
etc. », ou une phrase analogue.
3. Selon Carra [Mémoires /listoriques et authentiques sur la
Bastille, t. II, p. 145), le premier emprisonnement du maréchal
fut pour avoir été surpris par CavoAe dans le lit de la duchesse
de Bourgogne et dénoncé à M'"* de Maintenon ; le 2*, en 1716,
pour avoir divulgué une orgie de M™' de Gacé et été blessé
par le mari, et pour le soustraire au Parlement ; — l'arrêt du
21 août 1716, ordonna un plus ample informé de trois mois et
cependant la liberté ; — le 3* en 1719 pour M"* de Valois.
— Sur ce troisième embastillement, que Richelieu croyait
devoir lui être fatal, voy. les Correspondants de la marquise de
Balleroy, t. II, p. 43 et 45. Le 25 août 1786, âgé de 90 ans
cinq mois et 12 jours, le maréchal revint voir la Bastille et
monta sur les tours.
4. .Teudi 12 février 1711, à Saint-Sulpice (Jal, Dictionnaire
critique, p. 1063).
1757 KOTE AUTOGRAPHE DU MARÉCHA.L 171
de Lorreine, sous le règne de Louis 15 * ; la troi-
siemme foy, sous le règne de Louis 16, avec M"^ de
Lavaulx, fille de ealité de Lorreine. et qui avoil été
chanoinesse dans un des 4 chapitre de cette pro-
vince '^. M. de Richelieu cest marie avec dernière a
1 . 14 a^TÎl 1734, dans la chapelle du château de Montjeu,
(Jal, ibid.).
2. Le mariage avec Jeanne-Catherine-Josèphe de Lavaulx
n'a pas été retrouvé par M. Jal. C'était, selon les contemporains,
une femme jeune et jolie, d'excellente famille de Lorraine,
parente des Choiseul et chanoinesse de Remiremont, veuve à
trente-cinq ans d'un Irlandais (Michel Rothe, irlandais d'origine,
lieutenant général, et Catherine Middleton, sa première femme,
avaient été naturalisés en 1736) mort au service de la Compagnie
des Indes, en lui laissant environ dix mille livres de rente et
cinq enfants. Il y avait quatre ans que le maréchal la poursui-
vait, et le bruit avait même couru d'une grossesse avancée,
malgré les quatre-vingt-quatre ans du galant. Les articles du
mariage furent signés le mercredi des cendres, contre tout
usage. M. de Richelieu reconnaissait 150.000 fr. de dot, faisait
25.000 fr. de rente et transmettait sa pension de maréchal de
12.000 fr. Le mariage eut lieu à la fin de février 1780. Selon
M"* du Deffand, il fut approuvé de tous comme devant lui
rendre la tranquillité et le bonheur. Quelque temps après,
M™» du Deffand soupa chez M. Necker avec M et M°»* de
Richelieu ; elle dépeint celle-ci « ni belle, ni laide ; ni jeune,
ni vieille ; ni sotte, ni spirituelle : on ne peut être plus dans
l'ordre le plus commun. » — La Reine demanda un jour au
maréchal si sa femme était grosse: il répondit qu il ne le pensait
pas, « à moins, ajouta-t-il, qu'elle ne le soit d'hier ou de ce
matin. » Vers la même époque il donna un bal costumé pour le
mariage du duc de Chinon avec M"* de Rochechouart, et toute
l'assemblée, aussi brillante que l'hôtel était splendide, admira
encore une fois la jeunesse, l'entrain et l'esprit de cet étonnant
nonagénaire. Cependant il était difficile de retrouver sur ce
visage qu'une contemporaine peu respectueuse traite de vraie
pommecuite, lestraits charmants de l'ami de la duchesse de Bour-
172 MÉMOIRES DE RICHELIEU 1757
lage dé 84 ans moin deux moy ^ Lanné danssuitte
estant devenue grosse, elle a eu le malheur, a leur
»rand regret, de faire une fauches''^ de trois mov.
Tout le monde a voulu que ce soie M. de
Richelieu qui avoit produit M"^ du Barris à Louis 15.
Cependans cela est des plus fau^. Il étoit à son gou-
vernement de Bordeau quand il apris cette liaison
gogne. Le maréchal mourut en son hôtel de la rue Neuve Saint-
Augustin, le 8 août 1788, âgé de quatre-vingt-onze ans et demi ;
il fut enterré à la Sorbonne. En 1791, sa veuve obtint une pen-
sion de dix milles livres. Enfin en 1794, on la voit faire viser
son certificat de civisme, en même temps que Sanson, exécu-
teur des jugements criminels du département de Paris, fonc-
tionnaire public [Journal de Paris, 17 janvier 1794).
1. En même temps, le maréchal de Mailly d'Haucourt, âgé
de près de quatre-vingts ans, épousait M"'' de Narbonne qui
n'en avait que seize.
2. 11 a voulu écrire sans doute : une fau[sse coujche*
3. L'auteur de la Vie prhée de Louis XV (Moufle d'AngerviWe),
qui invoque en plusieurs endroits l'autorité de Madame Adélaïde,
attribue au duc de Richelieu la liaison avec M'"'= Dubarry. « Le
maréchal de Richelieu, sous prétexte de le distraire de sa
douleur (pertes successives du Dauphin, de la Dauphine et de
la Reine), étoit venu le ramener au péché. » L'abbé Proyart
affirmait également tenir cette assertion de la bouche de
Mesdames, et, d'après M""* du Deffand, ce fut le maréchal qui,
étant d'année, fit toute la présentation ; M. de la Vauguyon
osa se charger d'agir sur Madame Adélaïde et sur ses sœurs :
« M. de Richelieu joue dans tout cela un rôle misérable. » Le
19 octobre 1768 la Roi soupa pour la première fois chez la favo-
rite et Richelieu fut des invités. Mais dans une lettre que le duc
de Choiseul a publiée en 1829 [Revue de Paris, t. IV, p. 57-58),
voici ce que dit Louis XV lui-même au duc de Choiseul : « Vous
connoissez M""* du Barry. Ce n'est sûrement point M. de
Richelieu qui me la fait connoître, quoiqu'il la connût ; et il
n'ose pas la voir, et la seule fois quil Va vue un moment, cest
par mon ordre exprès. »
I
1757 NOTE AUTOGRAPHE DU MARECHAL 173
avec le Roy et . qu'il l'étonna beaucoup. A son
retoure de son gouvernement, il ala à Versaille, ou
il en apris toutes les particuliarité. Le Roy fut long-
temps sans lui en parlere, et lui profita de se silence
pour ne pas être obligé d'allere chez laditte dame.
Cependans, quelque joure le Roy lui demanda s'il
aimoit le caffait aux lais damande. M. de Richelieu
lui réponditquil neleconnoissoit pas de cettemaniere ;
alors le Roy lui dit quil voulois lui en faire goutté le
lendemain pour son déjeuné, et quil avoit qu'a
venire chez lui sur les neuf heure du matin et qu'il
le meneroit chez une belle damme quil le savoit
faire. M. de Richelieu ce doutta qui pouvoit être
cette belle dame et il suivi les ordre du Roy ^ Quoi-
que tout les courtisans vouloit faire croire quil etoit
très bien dans cette coure, et confondans alors son
cousin daiguillon, M. de Richelieu a toujour été très
réservé vis a vis cette favorite, même a éloigné le
moment de sa présentation. Il étoit trop attachez à la
gloire du monarque pour ne pas crinde que cela
pouvoit un peut la compromette.
1. Cela s'accorde bien avec le passage de la lettre du Roi cité
dans la note précédente.
APPENDICES
ï
I
LE DUC DE RICHELIEU ET L'ALCHIMIE
[On a vu ci-dessus, p. 30-31, que le duc de Richelieu,
pendant son ambassade à Vienne, avait été accusé de s'être
mêlé de sorcellerie et de magie. Il s'en délendit, et cepen-
dant le curieux document qu'on va lire montre qu'aupa-
ravant, à Paris, il avait fréquenté les alchimistes, souffleurs,
faiseurs d'or et autres escrocs, qui abusaient de la crédulité
publique. — M. Delavaud * a bien voulu nous communiquer
un petit volume in-18 qu'il possède et qui vient de la
bibliothèque du couvent des Franciscains de Paris. Il est
intitulé : Les secrets les plus cachés de la philosophie des
anciens découverts et expliqués à la suite d'une histoire
des plus curieuses, par M. Crosset delaHaumerie. A Paris,
chez d'Houry fils, rue de la Harpe, mdccxxii. Cet ou-
vrage contient d'abord l'histoire d'un certain philosophe
ou plutôt alchimiste et le récit de certaines de ses opéra-
tions accomplies à Paris à l'époque de la Régence du duc
d'Orléans ; à la suite sont sept petits traités sur les
« semences métalliques », sur « la manière d'extraire les
essences séminales des trois règnes de la nature », sur « la
médecine universelle », sur « la pierre philosophale », etc.
1 . M. Delavaud a publié en 1894, dans le Bulletin de la Société
de géographie de Boc/iefort, diverses lettres relatives à un capu-
cin, qui, en 1705, prétendait avoir le secret de convertir le
cuivre en argent et en or.
176 MÉMOIRES DE RICHELIEU
Un des premiers possesseurs du volume a inscrit sur les
feuilles de orarde une longue note sur le véritable auteur
de l'ouvrage et surtout sur le philosophe dont l'histoire est
racontée. Il y est question des relations de l'un et de l'autre
avec le duc de Richelieu ; c'est ce qui nous engage à donner
le texte intégral de cette note.]
« L'auteur véritable de ce livre se nommoit M. de
Colonne, originaire d'Italie. Il demeuroit au Palais-
Royal, où il fut brûlé malheureusement, âgé de quatre-
vingt-cinq ans ou plus, le feu ayant pris à son cabinet pen-
dant la nuit^ Il étoit fort lié avec le duc de Richelieu et
quelques autres seigneurs. Le philosophe dont il parle se
faisoit nommer Diesbach^; ce n'étoit pas son nom, mais il
1. Ce Colonna, Italien qui n'avait probablement aucun rap-
port avec la grande famille du même nom, n'habitait plus au
Palais-Royal lors de sa mort. Voici ce qu'on lit dans le Journal
de Barbier, au mois de mars 1726 (édit. Charpentier, t. I,
p. 418-419) : « Il est arrivé une grand malheur dans la nuit du
mardi gras. M. Colonna, Italien, et l'abbé Laurent, deux gens
de lettres, savants, âgés de près de quatre-vingts ans, logeoient
et travailloient ensemble dans la rue Saint-Anastase, au Marais.
Ils logeoient au second étage. Ils avoient coutume, comme bien
d'autres, de lire dans leur lit avant de s'endormir. Us avoient
par devers eux une longue expérience que cela se pouvoit
faire sans malheur ; une bonne fois paye pour toutes. L'un des
deux qui lisoit s'est apparemment endormi. Le feu a pris à la
maison si extraordinairement que ni M. Colonna ni M. Laurent
n'ont pas pu sortir chacun de leurs chambres par la fumée et
le feu ; ils y ont été brûlés et consumés entièrement. On a
trouvé le reste de leurs corps pas plus grand qu'un enfant qui
naît. M™* Colonna, qui logeoit au premier, s'est sauvée en
chemise avec sa servante. »
2. Joseph-Marie Girard, dit Diesbach, fut enfermé à la Bas-
tille comme imposteur le 25 avril 1715 et en sortit le 22 juillet,
à la sollicitation de Boudin, médecin du Roi, qui s'occupait de
chimie [Mémoires de Saint-Simon, éd. Boislisle, t. XX, p. 232-
APPENDICES 177
en approchoit. Diesbach vînt à Paris et mangeoit chez la
marquise de Perne', qui étoit folie des secrets de l'alchi-
mie, et prétendoit savoir l'ouvrage universalissime, qui se
fait parle moyen de l'esprit universel. Elle traiioit Diesbach
de trompeur et d'ignorant, mais d'habile joueur de gobe-
lets, et qui faisoit de ses mains ce qu'il vouloit, et me dit
une fois que ses végétations argentées et dorées n'étoient
que des feuilles d'argent et d'or qu'il ajustoit, etc. Diesbach
néanmoins la dupa comme les autres. M. de Colonne y fut
pris aussi. Il réduisit une fois une livre d'or en mercure
jaune et une livre d'argent aussi, et les mêla avec une livre
de mercure commun préparé. Le tout mis dans un matras
à léu de lampe devint plombé et livide ; puis, ayant aug-
menté le feu, le tout changea de figure et donna pendant
un an les plus belles couleurs du monde. Le P. de Mau-
buisson ou Godefrov, de l'Oratoire, qui avoit fourni l'or et
l'argent par le'moyen de son frère et qui conduisit l'ou-
vrage dans sa chambre dans la rue Saint-Honoré, fut dupé
à la fin. Diesbach substitua d'autre mercure et emporta
celui du matras. Il avoit aussi une minière végétante, qui
devoit lui produire du profit et qui ne se trouva que du
plomb qui végétoit par des sels que le feu faisoit agir sur
le métal.
« Après bien de pareils tours, Diesbach s'en alla et fut
arrêté à Lyon et dépouillé de tout l'or qu'il emportoit et
qui étoit transparent et exubéré ~, en sorte qu'à la Monnoie
il fallut le dégrader. Il écrivit à M. Boudin, médecin à
233, et qui voulait travailler avec lui. Il était arrivé à Paris
vers la fin de l'année précédente. On trouvera dans les Archives
de la Bastille, t. XIII, p. 183-187, et dans le dossier Bastille
10620 à la Bibliothèque de l'Arsenal, divers documents sur son
emprisonnement et sur les opérations auxquelles il se livrait.
1. On ne peut lire ici que Perne ou Perné ; mais nous ne
savons quelle était cette dame.
2. Terme de chimie qui signifie condensé au point d'être
devenu cristallin.
12
178 MÉMOIRES DE RICHELIEU
Versailles, pour se tirer de là, et lui faisoit les plus belles
promesses du monde ; mais, comme il l'avoit aussi dupé,
il déclara qui il étoit, de sorte qu il fut longtemps prison-
nier*. Ou lui trouva quantité de fioles avec des titres ma-
gnifiques, qui contenoient des liqueurs pour achever des
ouvrages bien principiés et qui auroient été manques, etc.,
d'autres pour rajeunir, etc., et une lettre du roi des roses-
croix à un abbé pour l'agréger à la société des roses-croix.
C'éloit le P. Godefroy. Tout cela fut saisi, et enfin, par amis
et par la protection de Monsieur le Duc, il sortit de prison
et eut des billets de banque pour le montant de son or. Il
revint à Paris, où un nommé M. Le Riche ^ et un autre, qui
étoient aux gages de Monsieur le Duc, prirent Diesbach
chez eux. Il voyoit Monsieur le Duc et lui promcttoit les
plus belles choses du monde. Il y eut plusieurs procédés
commencés ; mais tous finissoient par des vaisseaux cassés,
parce que sur la fin Diesbach s'absentoit et laissoit la con-
duite du feu à quelqu'un, et il en étoit quitte pour pester et
jurer contre l'imprudence du domestique, qui avoit fait le
feu trop fort. Le Duc lui offrit plusieurs fois de l'argent ;
mais je lui fis toujours conseiller de n'en point prendre par
son confident et sa dupe le P. Godefroy, de peur de la
corde, s'il venolt à tromper ce prince, ou plutôt ce duc. II
crut l'avis. Une fois, le Duc étant venu à Paris avec le Roi, il
vint trouver Diesbach à un rendez-vous, qui lui fit voir en
deux heures plusieurs belles curiosités. Il avoit entre autres
apprêté de l'or dans un plat sur un réchaud, et, dès que la
chaleur commença à agir, il s'éleva une liqueur dorée en
jet, qui retomboil dans le plat par une circulation qui
ravissoit Monsieur le Duc et qui dura tant que le feu brûla
dans le réchaud.
1. Nous n'avons pas trouvé de renseignements sur ce second
emprisonnement de Diesbach.
2. Serait-ce M. Le Riche de la Popelinière, dont la femme
eut une aventure si connue avec le duc de Richelieu ?
APPENDICES 179
« M. de Colonne revit Diesbach et entreprit un [travail]
particulier sur l'huile de vitriol que Diesbach avoit donnée
avant son premier départ de Paris à un bourgeois de cette
ville nommé Dumas. Ce bourgeois le dirigeoit ; Diesbach y
venoit quelquefois, et l'opération se taisoit chez le M. duc
de Richelieu, qui fut obligé d'aller à Forges, et le tout se
continua chez M. de Colonne, et se termina à rien.
Le sieur Crosset', ayant eu communication de ce que
M. de Colonne avoit mis par écrit des expériences que
Diesbach avoit faites chez lui et de quelques dissertations
sur le grand œuvre, en tira copie, et, quelques années après,
chercha à tirer quelques pièces d'argent de cette copie. Il
l'offrit à Pépingué, libraire 2, qui la montra à M. Aignan,
médecin 3, lequel avoit lui-même vu une bonne partie de
semblables expériences que Diesbach avoit faites chez lui.
Je vis ce manuscrit, que M. Aignan me montra, et Pépingué
ne s'étant pu accommoder avec le sieur de la Haumerie,
celui-ci le fit imprimer chez d'Houry ^.
« Un nommé Alexandre avoit suivi Diesbach de Lyon à
Paris et ne le quittoit point, dans l'espérance d'apprendre
quelque chose de lui ; mais Diesbach ne lui apprit rien. Il
se dégoûta de lui et l'évitoit tant qu'il pouvoit, si bien
qu'Alexandre en perdit l'esprit et mourut fol.
« Un bourgeois de Paris, nommé Dumas, s'attacha de
même à lui et l'accompagna à Rouen et ailleurs, et fut
même jusqu'en Suisse, pays de Diesbach, et n'en revint pas
plus riche.
1. M. Crosset de la Haumerie est l'auteur du livre sur lequel
est inscrite la présente note.
2. Edme Pépingué avait sa boutique dans la grand'salle du
Palais, du côté de la cour des aides.
3. Il ne faut pas confondre ce médecin avec l'abbé Aignan,
médecin empirique, qui mourut en 1709 [Mémoires de Saint-
Simon, éd. Boislisle, t. XXVII, p. 292 et 387).
4. Laurent d'Houry, dont la boutique était rue de la Harpe
en face la rue Saint-Séverin, à l'enseigne du Saint-Esprit.
180 MÉMOIRES DE RICHELIEU
« Ce Diesbach avoit un fondant et précipitant pour les
mines, qui étoit admirable. Un jour, il fit mettre sur le feu
un grand pot plein d'une matière de mine qu'on vouloit
éprouver. Ce fut chez M. Aignan, médecin, que cela se passa.
Il y fit mêler un petit paquet de sou précipitant, et, pen-
dant que la matière étoit sur le feu, il se promenoit dans
la salle avec ceux qui lui avoient apporté le minerai. Après
une heure ou deux, ayant lait découvrir le pot, il dit :
« L'opération n'est pas encore finie. » Un peu après, ayant
fait encore découvrir le pot, il dit : « C'est fait ; vous allez
voir ce que cette matière contient de parfait. » On trouva
toute la matière en poussière légère et qui s'envoloit au
moindre vent comme la poudre de noir à noircir, et au
fond on trouva un petit noyau qu'il prit, et d'un petit coup
de marteau le sépara en deux portions, dont l'une étoit
argent et l'autre or ; ce qui est admirable.
« Enfin Diesbach, ayant amassé de ses dupes bonne
somme d'or et d'argent, devoit encore recevoir d'un sei-
gneur de la cour cent mille écus pour lui apprendre à faire
le grand œuvre. Il en avoit même déjà touché vingt-cinq
mille livres; mais un ami fit ouvrir les yeux à ce seigneur,
qui ne voulut plus fournir le reste, et Diesbach, voyant qu'il
ne faisoit plus bon pour lui à Paris, décampa et s'en
retourna en Suisse avec Dumas, qui revint aussi gueux
qu'il étoit parti, et depuis je n'ai point entendu parler du
sieur Diesbach.
« Il est certain qu'il avoit de la poudre de projection et
qu'il savoit quantité d'opérations très curieuses : la réduc-
tion d'or en mercure jaune, celle d'argent en mercure blanc ;
ses végétations, qui sont des plus surprenantes. Mais, avec
tout cela, personne de tous ceux à qui il a eu affaire n'a
tiré aucune connoissance utile ni aucune opération avan-
tageuse ; au contraire tous ont été dupes, et il s'est en tout
conduit comme un vrai filou et un fripon. S'il est de la
Société des philosophes d'Allemagne, ces Messieurs devroient
bien empêcher de pareils aventuriers de rendre leur corps
méprisable comme celui-ci a fait. »
APPENDICES 181
Ce qui suit a été ajouté postérieurement :
« Ce misérable est revenu depuis à Paris, où il a trompé
encore plusieurs personnes par les espérances frivoles de
cabale, magie, etc., et enfin s'est trouvé réduit à loger
dans un galetas ou chambre au quatrième ou cinquième
étage. Sa femme n'avoit pas de souliers. Il y est devenu
hydropique, et, au bout de quelques années, il y est mort
au mois de novembre 1744 et enterré par charité à Saint-
Sulpice. Il étoit âgé de soixante-dix ans ou environ. »
II
DEUX LErrRES DU DUC DE RICHELIEU
Le duc de Richelieu
au comte de Chatte, lieutenant de Roi en Dauphiné ^.
A Paris, ce 24 octobre 1740.
« V^ous êtes devenu bien provincial, Monsieur, de pou-
voir penser que nous ayons la guerre. Chat échaudé craint
Teau froide, comme on dit, et soyez persuadé, quoi qu'on
dise, que nous ne l'aurons point. Je ne suis pas surpris que
vous entendiez parler misère. Il y en a assurément en ce
pays-ci ; cependant cela n'est pas au point qu'on le dit, et
je voudrois de bon cœur que les provinces fussent
aussi bien. Mais celles que je connois du dedans du royaume
sont assurément dans un fâcheux état. Vous ne vous en
ressentez pas, non plus qu'en Languedoc, et je ne suis pas
1. Arch. nat., K 143, n° 7', autographe non signé. —
Cette lettre ne porte pas de nom de destinataire, mais elle est
certainement adressée à la même personne que la suivante.
Or au verso du second feuillet de celle-ci on lit la mention sui-
vante : « M. le comte de Chatte, au Péage. » François-Ferdi-
182 MÉMOIRES DE RICHELIEU
surpris que vous vous trouviez bien chez vous. Je compte
passer dans votre pays les premiers jours de décembre ^.
Je serai assurément bien aise de pouvoir vous faire ma cour
dans vos états, sinon de me rendre partout où vous vou-
drez. Si vous voulez que je vous rende compte du jour
précis, je vous le manderai dès que je le saurai. Ma santé,
dont vous voulez que je vous mande des nouvelles, n'est pas
meilleure que vous l'avez vue. Pour la vôtre, Monsieur,
[elle] est hors de soupçon. Conservez la bien de même et
soyez bien persuadé de tout l'intérêt que j'y prends. »
Le duc de Richelieu au comte de Chatte ^.
A Paris, ce 10 novembre 1740.
Dans mes conditions pacifiques, Monsieur, je n'avois pas
compris la mort de l'Empereur ^, et cet événement change
évidemment ma façon de penser. Il me paroît même
impossible d'imaginer que cela se termine sans armée en
campagne. Il y a des gens ici cependant qui assurent que,
au contraire, cela doit tout pacifier. Je crois qu'il faut les
mettre au rang de ceux qui parlent sans savoir ce qu'ils
disent ; du moins, c'est fort mon sentiment. La flotte
angloise est partie avec huit mille hommes de débarquement,
et il me semble que tout s'apprête à de grands troubles
nand de Clermont-Chatte (1701-1751), titré comte de Chatte
(Isère, canton de Saint-Marcellin), était lieutenant de Roi en
Dauphiné. Le Péage ou Péage-de-Roussillon est une localité du
département de l'Isère, proche du Rhône, canton de Pioussiilon.
1. Pour aller tenir les états de Languedoc.
2. Arch. nat., R 143, n" 7^, autographe non signé. Celte
lettre a déjà été donnée en partie, ci-dessus, p. 44, note 2,
d'après une copie défectueuse, où le nom du destinataire avait
été mal lu par M. de Boislisle. Nous croyons intéressant de la
reproduire ici intégralement pour la rapprocher de la précé-
dente.
3. Charles VI était mort le 20 octobre.
APPENDICES 183
dans toutes les arties du monde. Le ministre de l'électeur
de Bavière a débuté à Vienne à demander satisfaction sur
l'exécution du testament et des dispositions de Ferdinand ',
par lesquelles la majeure partie de la succession de l'Em-
pereur appartient à la maison de Bavière. Vous voyez que,
par ce que nous savons, sans parler de ce que nous ne
savons pas, on ne sauroit guère penser que cette succes-
sion se partage sans procès. Chaque jour on en apprendra
des nouvelles, et je compte peut-être vous en dire devers
le 4 ou le 5 de décembre, que je serai à Lyon. Je ne man-
querai assurément pas de voir le cardinal d'Auvergne en
passant à Vienne '^, vous pouvez l'en assurer. Je ne suis
point surpris de tout ce que vous m'en dites ; mais vous
pouvez être fort tranquille sur ma discrétion, et sur mon
empressement à vous prouver en toutes occasions mon
sincère attachement. »
III
LE DUC DE RICHELIEU A GÊNES
[M. de Richelieu a mentionné en quelques lignes dans
ses Mémoires (ci-dessus, p. 117-119) son commandement
à Gènes en 1747-1748, après la mort du duc de Boufïlers.
Nous croyons intéressant de donner ici comme complément
de son récit, d'abord un mémoire du secrétaire de M. de
Boufïlers sur l'état de la République à cette époque, et
ensuite trois des lettres que le secrétaire d'Etat de la
Guerre, le comte d'Argenson, lui écrivit pendant le temps
de ce commandement. Ces documents sont extraits du
1, L'empereur Ferdinand III, mort en 1657.
2. Henri-Oswald de la Tour d'Auvergne (1671-1747), arche-
vêque de Vienne en Dauphiné en 1722, cardinal en 1737.
184 MÉMOIRES DE RICHELIEU
registre KK 1369 des Archives nationales, qui provient
des archives du maréchal.]
Mémoire de M. de Forceville,
ancien secrétaire du duc de Boufflers,
sur la situation de la république de Gênes à la fin de ilkl .
« Sans vouloir donner d'inquiétude sur la situation
actuelle de la ville de Gênes, on ne peut cependant se dis-
penser de la représenter dans l'état le plus critique où elle
se soit encore trouvée depuis l'époque de la révolution.
Épuisée d'hommes, d'argent et peut-être même de volonté,
elle a, pour se servir d'une expression fort commune, jeté
tout son feu, et l'on ne doit plus attendre les mêmes efforts
ni la même activité de la part de ses habitants pour leur
défense, si, par des circonstances, qu'on n'ose prévoir,
l'ennemi tente cet hiver une nouvelle entreprise sur Gênes.
« Dès le moment même de la retraite des ennemis, le
gouvernement a agi comme s'il n'en devoit plus rien appré-
hender. Cette sécurité a passé dans l'esprit du peuple, et
est tellement en général établie dans tous les esprits qu'après
la malheureuse affaire d'Exilles, on n'en a pas paru plus
empressé pour la continuation et l'augmentation des
ouvrages et le rétablissement des troupes.
« Les bruits de paix de la part de l'Espagne, et les
espérances qu'avoit la République d'y être comprise, n'ont
pas peu contribué à lui faire différer des précautions, qui,
dans le cas d'un accommodement, devenoient inutiles et lui
étoient fort onéreuses.
« Mais, quand bien même la République, détrompée
actuellement, recommencerolt sérieusement à mettre en
usage ses précédents moyens de ressource et d'activité,
réparera-t-elle jamais une inaction de deux mois, pendant
lesquels elle auroit pu du moins faire mettre dans un plus
grand état de défense des ouvrages faits sous le feu des
APPENDICES 185
ennemis et qu'il n'avoit pas été possible de faire dans les
premiers moments avec toute l'exactitude de l'art.
« C'est celle prétendue défectuosité dans les ouvrages
de Saint-Pierre d'Arène et d'Albaro, à laquelle M. le duc
de Boufflers se proposoil bien de remédier, lorsque les
ennemis lui en donneroient le temps, qui a donné des
armes à M. Siker, maréchal de camp et ingénieur en chef
de la République, pour persister à établir l'inutilité de faire
perfectionner ces retranchements et d'en corriger les dé-
fauts. Revenant toujours à sa première idée, que M. le duc de
Boufflers avoit tant de fois combattue dans les conseils de
guerre, il a continué à vouloir réunir dans deux seuls points
de défense celle des faubourgs de Saint-Pierre d'Arène et
d'Albaro, au moyen d'un fort à Sainte-Thècle pour Albaro
et du poste de Belvédère bien retranché pour Saint-Pierre
d'Arène. La facilité qu'il a trouvée à faire approuver ce
projet lui a donné de nouveaux moyens d'entrer dans les
vues de la République, qui ne se soucioit pas de faire de
nouvelles dépenses. On a été six semaines à délibérer sur
la construction de ces forts, et, après bien des longueurs, des
devis et des marchés, à peine y en avoit-il un de commencé
le 30 du mois dernier. Ou peut juger par là du temps que
demandera 1 exécution. Elle sera nécessairement suscep-
tible des mêmes longueurs, et la saison des pluies arrivera
sans qu'il y ait rien de fait. Alors, forcé comme on le sera
de se détacher des forts en maçonnerie, on ne pourra que
difficilement reprendre les retranchements en terre, qui se
dégradent de jour en jour et dont il ne restera que les
vestiges.
« N'étoit-il pas plus naturel de suivre les errements de
feu M. le duc de Boufflers ? Son objet en général étoit de
fortifier de plus en plus les retranchements commencés,
indépendamment des autres qu'il comptoit faire sur les
hauteurs dont on est redevenu maîtres par la retraite des
ennemis. Mais sa plus grande idée pour tous ces retranche-
ments étoit, s'il en avoit le temps, d'en faire palissader la
186 MÉMOIRES DE RICHELIEU
plus grande partie au moyen de bois de sapin, qui sont en
assez grande quantité sur des sommités voisines de la ville
et qu'il est essentiel de (aire abattre pour en découvrir les
approches. M. le duc de Boufflers coniptoit profiter aussi
des premiers momenis de tranquillité pour faire épaissir des
parties entières de remparts, où l'on est vu jusqu'aux pieds,
et faire palissader ce qui ne l'est pas encore des chemins
couverts.
« Mais en même temps il ne bornoit pas ses vues à for-
tifier seulement la ville de Gênes ; il avoit trop senti l'im-
portance dont il étoit que tous les petits bâtiments qui l'ont
ravitaillé pendant le blocus ou qui ont apporté des troupes,
eussent des retraites sûres dans la rivière du Levant contre
le mauvais temps et les vaisseaux anglois, pour négliger
de mettre en état de défense les villes et ports de Portofino
et de la Spezzia.
« En effet si les ennemis reviennent en force dans le
territoire de Gênes, il est vraisemblable que leur première
opération sera d'envoyer un corps de troupes dans la
rivière du Levant pour s'emparer de ces deux villes, et la
résistance n'en sera pas longue si on ne pense sérieusement
à les pourvoir de tout ce qui est nécessaire pour une dé-
fense . Les Autrichiens une fois maître de Portofino et de
la Spezzia, il en résulte les plus grands inconvénients pour
la ville de Gênes. Outre la perte de la rivière du Levant,
dont elle ne laisse pas de tirer des subsistances, elle perd
une communication assurée avec Livourne, d'où elle en
tire une grande quantité par le moyen de ces petits bâti,
menls, qui, n'étant pas assez forts pour soutenir la mer,
viennent terre à terre, et qu'il sera impossible de faire
arriver lorsque les ennemis seront maîtres de ces deux
ports.
« Les galères mêmes de la République, qui sans contre-
dit sont les meilleures de la Méditerranée, deviendront
inutiles. Il ne leur sera pas possible de risquer le trajet de
Gênes à Livourne, lorsqu'elles n'auront aucune retraite le
APPENDICES 187
long de la côte. Elles pourront tout au plus aller en Corse.
Mais, outre que les secours que Ton tire en subsistances ne
sont pas bien considérables, ce ne sera pas sans des dan-
gers infinis, puisqu'elles seront obligées d'y aller directement
de Gênes et de se commettre au milieu de la flotte angloise,
dont toute l'attention sera réunie sur ce port. Il deviendra
par conséquent très difficile, pour ne pas dire impossible,
aux convois venant de France ou de Corse d'entrer dans le
port de Gênes, lorsqu'il faudra qu'ils y entrent directement.
Ces inconvénients seront nécessairement suivis des suites les
plus fâcheuses ; car, dès le moment que la ville de Gênes
ne peut plus être ravitaillée par mer, ses ressources inté-
rieures sont trop modiques pour pouvoir fc inirà la sub-
sistance de ses habitants pendant un hiver tout entier. C'est
un fait qu'il n'y a peut-être pas pour six semaines de vivres
en farines dans les magasins des magistrats de l'Abondance,
qui seuls font vivre le peuple.
« On croit avoir suffisamment démontré la nécessité de
prendre les mesures les plus sérieuses pour la conservation
des ports de la Spezzia et de Portofino, puisque celle de
Gênes en dépend. On ne parle pas de la subsistance en
viande, qui, quand bien même la rivière du Levant seroit
libre cet hiver, ne seroit pas abondante ; mais la frugalité
ordinaire des Génois y supplée : le peuple n'en mange
presque jamais et ne vit que de pâtes.
« Mais ce qui contribuera toujours, si Gênes est resserré,
à y accélérer la disette, est la quantité de gens de la cam-
pagne, qui quitteront leurs habitations pour s'y réfugier.
C'est une précaution que devroit avoir le gouvernement
dans un cas semblable, de n'y laisser entrer que des hommes
en état de porteries armes et d'obliger les femmes, enfants
et vieillards à rester chez eux. Il doit se souvenir combien,
dans le dernier blocus, cette quantité de gens de la cam-
pagne, qu'il a été obligé de nourrir, a été à charge et a
accéléré la consommation des subsistances, qui commen-
çoient même à être en très petite quantité au moment de
la retraite des ennemis.
188 MÉMOIRES DE RICHELIEU
« Quoique les précautions qui ont été prises pour avoir
de la poudre, des mortiers et des bombes ne laissent rien
à désirer, on ne sauroit cependant trop inviter le gouver-
nement à presser l'arrivée de ce qu'on attend de Barcelone.
Il seroit même prudent de préparer dès à présent, en cas
de prise de cette artillerie ou de quelque autre accident qui
en retarderoit ou empêcheroit l'envoi, des moyens subsé-
quents de remplacement. Le royaume de Naples seroit une
ressource, si le ministère de cette cour vouloit céder en
payant une certaine quantité de bombes ; mais il paroît en
général que l'on n'y doit pas compter. Il ne reste donc que
les arsenaux de Provence, d'où, dans la dernière extrémité,
on pourroit tirer quelque secours. Les risques du trajet
seroient même moins considérables que de partout ailleurs
en y envoyant des « pinques » génois, espèces de bâtiments
assez gros avec des voiles latines, que tous les marins du
pays assurent, dans un temps frais et avec des vents comme
ceux qu'il fait l'hiver, ne pas craindre un vaisseau de guerre,
parce qu'ils vont infiniment plus vite.
« On pourroit se servir avec utilité de ces mêmes bâti-
ments pour transporter des troupes. Ontrouveroit aisément
à Gênes des marins qui feroient ces transports à leurs
risques pendant l'hiver, à tant par homme rendu dans le
port de Gênes. La dépense en seroit moins considérable
que celle des felouques, qui ne peuvent être d'aucune uti-
lité, ne pouvant pas tenir la mer en hiver. Et, en conti-
nuant à se servir des bâtiments appelés « caprayés », qui
reçoivent à Calvi les troupes que les tartanes y apportent
des ports de France, on auroit toujours deux moyens de
faire passer du monde à Gênes, en supposant qu'on veuille
grossir le corps qui y est avec eéléi'ité et avec sûreté.
« Après avoir exposé la situation de la ville de Gênes
quant à ses dispositions extérieures et ses ressources de
défense, on hasarde quelques réflexions sur la disposition
intérieure des esprits dans les grands et dans le peuple.
« Le gouvernement est actuellement fatigué de la guerre
VPPENDICES 189
et très disposé à sacrifier quelque considération pour avoir
la paix, s'il pouvoit trouver des prétextes de la faire hono-
rablement et sans manquer aux engagements qu'il a con-
tractés avec le Roi.
« La plus grande partie des nobles, étant feudataires de
l'Empire, ont un intérêt particulier qui leur fait désirer
intérieurement un accommodement qui les fasse rentrer
dans la jouissance des biens qu'ils ont dans le pays de la
domination de la reine d'Hongrie et qu'elle a confisqués.
C'est par cette raison qu'on ne doit pas être sans inquiétude
sur l'élection qui doit se faire dans quelques mois d'un
nouveau doge. Il est essentiel que la faction autrichienne
ne fasse pas tomber le choix sur un sujet attaché à la mai-
son d'Autriche.
« Quoique le pouvoir du doge à Gênes soit bien limité,
il a cependant toujours la principale influence dans les
délibérations, et il seroit à souhaiter pour le bien des affaires
que ce fût ou M. Jean-Baptiste Grimaldi ou M. Augustin
Grimaldi ; car il ne faut pas penser à la continuation de
M. Brignole ; jamais le gouvernement ne se prêtera à faire
cette exception à la règle ordinaire.
« Le peuple ne désire pas la paix avec moins d'ardeur
que les grands, mais par des motifs différents. Il ne voit
pas sans une espèce de mécontentement que le gouverne-
ment ait été si pressé d'éteindre le peu d'autorité qu'il
avoit, et que, la révolution ayant été son ouvrage, on ne
lui ait pas donné le temps de le consommer. D'où il résulte
que, si la République se retrouve dans les moments de crise
où elle a été, il n'aura pas, par une antipathie naturelle
pour la noblesse, le même égard pour les ordres qui éma-
neront du gouvernement que pour ceux de ses chefs, lors-
qu'il avoit des conseils composés de gens de son état.
C'étoit alors sa propre cause qu'il se faisoit gloire de
défendre, et il étoit flatté d'obéir à ses semblables. Il est
bien à craindre que cela ne produise un schisme, dont les
suites ne peuvent être que terribles.
190 MÉMOIRES DE RICHELIEU
« Les nobles en vénérai ont été trop tôt alarmés des
conséquences que pouvoit avoir l'autorité qu'exerçoit le
peuple dans ses conseils. Ils dévoient se contenter d'avoir
su y introduire des gens alfidés et même des nobles, et ils
ne dévoient pas penser à les abolir [avant j que la Répu-
blique ne fût rétablie dans tous ses droits par une paix
solide. Ils se seroient ménagé dans un cas de malheur la
ressource de rejeter sur le peuple, avec d'autant plus de
raison qu'il en a été réellement l'auteur, une guerre dont
ils se chargent personnellement vis à vis de la reine d'Hon-
grie.
« Mais, quand bien même les craintes de la noblesse
sur l'autorité que le peuple vouloit usurper auroient été
fondées, le gouvernement devoit avoir assez de confiance
en la justice du Roi pour croire que S. M. n'auroit jamais
retiré ses troupes de Gènes sans avoir fait auparavant rentrer
le peuple dans l'obéissance qu'il doit à ses légitimes sou-
verains.
Lettres du comte (TArgenson^
secrétaire d'Etat de la guerre, au duc de Richelieu.
A Versailles, le 12 décembre 1747.
« J'ai différé, Monsieur, de vous renvoyer votre cour-
rier, parce que je voulois attendre à vous mander, si je le
pouvois, quelque chose du succès des démarches que
M. de Puyzieulx a faites auprès de M. le duc d'Huescar
pour établir entre vous et M. de la Humada la subordina-
tion qui est due à la supériorité de votre grade et à la
quantité de troupes françoises rassemblées à Gênes par
proportion à celle des Ëlspagnols. Cet article qui m'a
paru le plus important de vos lettres a été aussi celui qui a
été traité avec le plus de force; mais, comme, suivant les
apparences, M. le duc de Huescar ne donnera point de
réponse décisive à ce sujet qu'il n'y soit autorisé par des
APPENDICES 191
ordres de sa cour, tout ce que je puis vous mander, pour
ne point retarder davantage le départ de votre couriier,
c'est que le Roi n'entendra sur cet article à aucune modifi-
cation et qu'il ne cessera pas d'insister pour que votre auto-
rité soit pleinement et entièrement reconnue, telle qu'elle
le doit être pour le bien du service et l'intérêt de la cause
commune. M. de la Humada, dont vous paroissez d'ailleurs
avoir tout sujet d'être content, ne sauroit disconvenir de la
vérité de ce principe, et, les circonstances dans lesquelles
il se trouve ne lui permettant pas d'attendre pour chaque
expédition les ordres de M. de la Mina, je ne comprends
pas comment il peut imaginer avoir à en recevoir d'autres
que de vous. Comme il est cependant important que vous
continuiez à bien vivre avec lui jusqu'à ce qu'il ait la liberté
de vous obéir sans restriction ni réserve, c'est à votre pru-
dence à ménager les choses de façon qu'il ne se trouve pas
dans le cas de se refuser à ce qu'il vous doit, en exigeant
de lui dans ce moment rien de contraire à ses instructions.
« A l'égard de la question qui regarde la défense et ia
conservation de la côte du Levant, je n'ai encore vu ici
aucun militaire qui pensât que c'en fût une, et 1 opinion
contraire étoit réservée à M. de la Mina tout seul. Ce n'est
pas que le Roi ne sente l'inconvénient de la dispersion de
nos troupes dans les différents postes que vous aurez à
garder. Ce sera aussi dans l'intelligence, la prudence et
l'activité que vous mettrez à les soutenir que doit consister
aujourd'hui le principal mérite de votre commandement.
« Rien n'étoit plus nécessaire que le voyage que vous
venez d'entreprendre sur toute cette côte, qui vous aura
mis en état de connoître par vous-même un pays dont la
défense dépend des différents postes qui peuvent être sou-
tenus jusqu'à l'arrivée du secours, et de ceux qu'on doit
céder à l'ennemi, pour n'y être point enlevé lorsqu'il vien-
dra les attaquer en forces, et qu'on pourra ensuite reprendre
sur lui. S. M. m'a ordonné de vous réitérer les assurances
de la confiance avec laquelle elle s'en rapporte à vous sur
102 MÉMOIRES DE RICHELIEU
tous ces articles, et qu'elle ne prétend ni vous rien prescrire,
ni vous rendre garant des opérations militaires que vous
jugerez à propos d'entreprendre et dont elle sent d'avance
toute la difficulté.
« L'animosité qui s'élève de la part des paysans de la
Polsevera (?) contre nos troupes est un objet qui mérite la
plus sérieuse attention. Je n'ai pas besoin de vous faire
sentir combien il est important de redoubler de vigilance
pour la discipline des troupes et de punir la plus petite
faute en ce genre, en même temps que vous exigerez du
gouvernement de Gênes des exemples de sévérité contre
ceux de leurs sujets qui montreront un esprit de révolte et
d'intelligence avec nos ennemis, la dissimulation dans ce
genre étant le plus dangereux des partis...
« Le Roi a appris avec plaisir que toutes les difficultés
qui s'opposoient à l'exécution du cartel entre nos troupes
et celles du général Nadasti sont enfin levées et que vous
avez commencé à faire l'échange des prisonniers de part
et d'autre. Il seroit fort à désirer que vous puissiez par-
venir de même à l'échange des Génois et à leur faire
rendre leurs otages. Le peu de zèle que témoignent
quelques membres de la République pour terminer cette
affaire doit les rendre suspects à ceux qui sont bien inten-
tionnés, et c'est un point que vous ne sauriez trop vous
appliquer à démêler »
Versailles le 26 mars 1748.
« Les ennemis ont voulu prendre à Voltri leur revanche
de l'afïaire de Varaggio ; mais ils n'ont pas été plus heu-
reux dans une occasion que dans l'autre, et le Roi a appris
avec une grande satisfaction par M. de Chabrillan le nou-
vel avantage que vous venez de remporter sur eux. Il faut
espérer qu'après les précautions que vous avez prises et
les soins infatigables que vous vous êtes donnés, ils ne
réussiront pas mieux sur la côte du Levant, qui est, suivant
APPENDICES 193
les apparences, le point d'attaque auquel ils vont s'atta-
cher. Il est heureux que les ennemis vous aient laissé le
temps d'accommoder la Spezzia, Sarzane et le reste de la
côte de Levant de façon que vous ayez sujet d'être content
de l'état où vous avez mis ces postes, et il ne reste plus
qu'à désirer que vous puissiez en confier la défense à un
nombre de troupes capable de la soutenir. C'est à quoi
pourra vous servir le parti sage que vous avez pris et que
S. M. a approuvé, de retirer vos postes de la côte du Po-
nant pour vous borner de ce côté-là à la garde de Saint-
Pierre d'Arène
A l'égard des difficultés que vous continuez d'éprouver
de la part de M. de la Humada, je ne pourrois que vous
répéter ici ce que j'ai déjà eu l'honneur de vous mander à
ce sujet. La douceur et la patience sont les seules ressources
que vous puissiez employer avec un homme à qui vous ne
pouvez faire entendre raison et sur qui on ne vous laisse
pas toute l'autorité que vous devriez avoir. Cependant
M. l'évêque de Rennes vous aura apparemment fait part
des derniers ordres que la cour de Madrid a donnés à cet
officier. Suivant ce que j'en ai appris, il me semble que,
s'ils ne sont pas tels que nous le pouvions désirer, au moins
sont-ils un peu plus conformes à ce que nous avons tant et
si fortement sollicité.
« On ne peut qu'approuver la façon dont vous vous y
êtes pris pour vous rendre maître du château de Massa,
et la lettre que vous avez écrite à cette occasion à la
duchesse. Cependant il y a apparence que, si vous aviez
reçu à temps la dernière lettre que j'ai eu l'honneur de vous
écrire,... vous vous seriez déterminé plutôt à vous conten-
ter d'enlever l'artillerie de ce château qu'à garder le châ-
teau même, qui par sa position ne paroît utile ni à empê-
cher un débarquement ni à masquer le chemin de Sar-
zane, et par conséquent ne doit pas être regardé comme
fort important. N'est-il pas à craindre au contraire que les
cinquante hommes que vous y avez laissés ne soient coupés,
13
194 MEMOIRES DE RICHELIEU
et par une suite nécessaire perdus, ainsi que l'artillerie,
dont vous pourriez peut-èire tirer plus de parti, si vous la
faisiez enlever, au nom de M. le duc de Modène et avec
les précautions nécessaires pour en assurer la restitution, et
si vous la faisiez passer dans quelque endroit de la côte ou
même à Gênes ? —
« La tranquillité où vous paroissez être sur la Corse nous
rassureroit entièrement, si nous n'avions pas d'ailleurs des
avis certains des desseins des ennemis sur cette ile. Je laisse
à M. de Puyzieulx le soin d'entrer sur cela avec vous dans
un plus grand détail —
« Vous avez bien fait d'envoyer en Sardaigne quelqu'un
qui pût vous rendre compte des mouvements qui se passent
dans cette ile ; mais il me semble que, dans ce moment-ci,
il est à propos de se borner à savoir l'état des choses, afin
que, suivant le rapport qui vous en sera fait et dont vous
voudrez bien nous informer, le Roi prenne le parti qu'il
jugera convenable, d'autant plus que S. M. n'est point en
guerre avec le roi de Sardaigne. »
Versailles, 30 juin 1748.
«... Le Roi s'attendoit bien que la cour de Vienne auroit
envoyé à M. de Brown des ordres conformes à la teneur
des engagements qu'elle avoit pris en accédant aux préli-
minaires, et S. M. cependant n'a pas été surprise que ce
général ait cherché à profiter de sa supériorité pour tâcher
de rendre sa situation meilleure au moment où la suspen-
sion d'armes seroit déclarée. Vous avez eu grande raison
de votre part de faire tout ce qui a dépendu de vous pour
l'empêcher de s'étendre autant qu'il auroit voulu, et, de
quelque façon que l'affaire de M. de Moya se soit engagée,
elle a été très utile, tant pour contenir le général autrichien
de l'autre côté de la Vara, que pour finir les hostilités
d'une façon honorable et imposante à l'ennemi.
« Je conviens que, par la position que vous avez été
A.PPENDICES 195
obligé de prendre immédiatement après la publication de
l'armistice, la côte du Levant se trouveroit fort exposée si
les Aulrichiens étoient de mauvaise foi ; mais il étoit indis-
pensable que vous rapprochassiez de Gênes vos principales
forces, l'objet le plus important étant d'assurer votre com-
munication avec celte place, et il est d'ailleurs à supposer
que la dilliculté de subsister dans les montagnes aura éga-
lement contraint M. de Brown à ramener une partie de ses
troupes vers le Parmesan, en sorte qu'il ne se sera pas
maintenu plus en force que vous sur la Vara
« Il me reste à vous parler de ce qui vous regarde per-
sonnellement. S. M. sent parfaitement jusqu'à quel point
vous devez être excédé de la situation difficile et inquiétante
où vous vous êtes trouvé depuis que les Autrichiens ont
menacé la côte du Levant, et, autant elle est satisfaite de la
manière dont vous y avez pourvu, autant elle est persua-
dée que la suite d'une affaire aussi délicate, et que vous
avez conduite avec tant de capacité en tout genre, ne pour-
roit passer sans inconvénient dans d'autres mains. Elle
espère donc que, tous actes d'hostilités étant cessés, vous
allez à l'avenir jouir d'un peu plus de tranquillité ; mais
elle vous exhorte à attendre sans impatience que le temps
soit venu de vous rappeler auprès d'elle, en vous reposant
avec confiance sur le désir qu'elle a d'en avancer le
moment autant que son service pourra le permettre. »
IV
LETTRES DU MARÉCHAL DE BELLE-ISLE
AU DUC DE RICHELIEU
(1748).
[Pendant que le duc de Richelieu était à la tête du corps
français à Gênes, il se trouvait nominalement sous les
196 MÉMOIRES DE RICHELIEU
ordres du maréchal de Belle-Isle, qui commandait en chef
toutes les troupes du Roi en Provence et dans la rivière
de Gênes. Cette situation nécessita entre eux une corres-
pondance active. Toutes les lettres envoyées par M. de
Belle-Isle à Richelieu ont été conservées par celui-ci et
forment aujourd'hui le registre KK 1370 des Archives
nationales. Parmi elles, les unes sont de caractère officiel,
écrites par un secrétaire et simplement signées par le maré-
chal ; d'autres, exactement cinquante-cinq, sont des lettres
particulières, non signées, mais toutes écrites entièrement
de la main de M. de Belle-Isle. Il est facile de comprendre
que ces dernières ont un caractère beaucoup plus intime
et familier ; elles parlent librement sur tous les sujets : la
cour, les ministres, les négociations de la paix d'Aix-la-
Chapelle, les difficultés avec les commandants des corps
auxiliaires espagnols, la promotion de M. de Richelieu
comme maréchal de France, etc. ; elles sont de beaucoup
les plus intéressantes. C'est ce qui nous a engagés à donner
ici la plus grande partie de ces lettres particulières ; nous
n'avons supprimé que celles qui étaient sans importance ou
faisaient double emploi, et, dans celles que nous publions,
les passages d'un intérêt trop minime. Il est regrettable
que nous n'ayons pas pu mettre en regard les lettres parti-
culières de M. de Richelieu, auxquelles M. de Belle-Isle
fait souvent allusion ; la correspondance ainsi échangée
entre ces deux hommes eût formé un ensemble qui n'aurait
sûrement pas manqué de piquant.j
« A Bizyi, ce 21 janvier 1748.
« Je suis ravi, Monsieur, que la lettre particulière que
vous a écrit M. d'Argenson se soit trouvée conforme à ce
que je vous avois annoncé ; car, comme il ne me l'a pas
montrée, je ne pouvois en être aussi certain ; mais j'ai tout
lieu de croire, par ce qui s'est passé de lui à moi sur votre
1. Château du maréchal de Belle-Isle, près de Vernon.
APPENDICES 197
sujet, que vous aurez de plus en plus sujet de vous en
louer dans ce que j'ai désiré bien vivement. Je continue-
rai à faire tout ce que j'imaginerai qui pourra y contribuer.
« Quant à ce qui regarde l'atfaire d'intérêt où Bissy se
trouve impliqué, je comprends aisément quelle est sur
cela votre façon de penser. M. d'Argenson s'est conduit à
cet égard comme vous pouvez le désirer ; il vous a gardé
un secret inviolable, et le commissaire, qui nie tous les
faits, a jeté ses vues sur tout autre. Il a même dit qu'il ne
pouvoit y avoir d'homme compétent pour l'accuser que
vous qui aviez le commandement, et que, dès que c'étoit
des anonymes ou personnes qui ne paroissoient pas, on ne
devoit y avoir aucun égard. Il a même désiré que M. d'Ar-
genson vous en écrivît, et, sur tout ce qu'il a dit, l'on
seroit tenté de croire que Garibaldi n'auroit pas accusé
juste. Je ne sais pas comment tout cela finira ; mais vous
avez rempli votre charge. Je voudrois bien que l'on vous
envoie quelqu'un pour toute cette partie de finance, et je
ne vois point M. d'Argenson que je ne lui en parle, sachant
combien cela vous est nécessaire ; mais, au bout du compte
ce n'est pas à vous à y pourvoir, et, si vous aviez besoin
de conseil, je vous dirois de tenir ferme à n'en jamais pro-
poser. Je continuerai de presser, parce que en effet cela
est indispensable.
« Quant à la paix, il n'y faut pas compter. Dieu veuille
que la prolongation de la guerre n'en éloigne pas la fin ;
car, depuis que j'ai appris les détails de la Flandre, je suis
encore bien plus inquiet des événements de l'avenir ; c'est
une occasion (?) sur laquelle on ne peut s'étendre par lettre.
« Votre expédition de Varaggio est tout au mieux, et
je crois, par le peu que m'en mandent M. le cardinal de
Tencin et M. d'Argenson, qu'elle a parfaitement réussi.
A Marly.
« N'y a-t-il pas de quoi se désespérer que M. de Mirepoix
soit arrêté tout court faute de douze ou quinze mille rations
198 MÉMOIRES DE RICHELIEU
de fourrage que je demande depuis trois mois. Si la cam-
pagne avoit duré huit jours de plus, il eût fallu montrer le
cul, et actuellement je ne vois pas encore ni quand ni
comment nous aurons de quoi assembler l'armée. Vous
croyez bien que je dis et lais sur cela tout ce qui peut dé-
pendre de moi, et peut-être trop fortement ; mais cela ne
suffit pas. Vous savez mieux que personne où le bât nous
blesse. Je vais voir à Marly ce qui nous sera répondu de
Madrid, ce ne sera que de là que je finirai ma lettre.
« Nous avons été en commerce de lettres avec le Trésor ^,
la saison n'ayant pas permis de commercer autrement dans
un aussi court séjour. Madame votre sœur m'a promis une
lettre pour vous par mon fils '^, qui, plus jeune, alla hier
lui rendre ses respects et les miens. M"® de Belle-Isle
me charge de mille compliments ; elle ne vous écrit pas
parce que je le fais. Sa santé est un peu moins misérable. »
A Marly, ce 26 janvier 1648.
« M. d'Argenson doit vous écrire par M. d'Artignosc,
qui sera, à ce que j'espère, expédié demain, qu'il n'a réel-
lement rien pu obtenir de M. le contrôleur général, au-delà
de 250.000 francs par mois. Je suis témoin des elForts qu'il
a faits ; je n'y ai pas agi avec moins de vivacité. Cepen-
dant, comme ce fonds vous est indispensable, ce dont je
suis mieux informé que qui que ce soit, je vous conseille
d'écrire sur cela tout au plus fort à M. le contrôleur géné-
ral, en accompagnant votre lettre d'un état détaillé des-
dites dépenses par chapitres, afin de le mettre au pied du
mur. Les affaires d'argent vont devenir excessivement diffi-
ciles, et, comme la préférence se donne, ainsi que vous
savez, à l'armée du Roi, il est bien à craindre que vous et
1. Abbaye de Cisterciennes du diocèse de Rouen, non loin
des A.ndelys, dont étoit abbesse depuis 1724 la sœur du duc de
Richelieu, Marie-Gabrielle-Élisabeth.
2. Louis-Marie Foucquet, titré comte de Gisors.
APPENDICES 199
moi ne manquions de choses essentielles. Vous croyez bien
que je ferai à cet égard tout ce qui dépendra de moi pour
V obvier ; mais je suis bien éloigné de répondre du suc-
cès
a Ce 28. — Je ne viens que de m'apercevoir qu'on a
oublié hier de mettre ma lettre dans mon paquet ; je l'en-
voie avec une que vous envoie M. d'Argenson, qui sera
encore remise demain matin à temps au chevalier d'Arti-
gnosc.
« Je vous renouvelle toujours avec plaisir, Monsieur le
duc, les assurances de mon tendre et inviolable attache-
ment.
« M. de Puvzieulx vient de recevoir une lettre de Mon-
sieur de Rennes ', qui lui mande que les Espagnols ne se
pressent point de répondre à nos lettres et mémoires, et
que M. de !a Ensenada- dit que, après le secours efficace
que l'Espagne a donné pour la Provence, il y a de la
tyrannie de notre part d'exiger que le roi d'Espagne four-
nisse exactement le tiers des troupes et des munitions ; et
tirez de là vos conséquences. »
A Marly, ce 27 janvier 1748.
« Quoique je sois ici depuis cinq jours, je ne suis guère
ni plus instruit ni plus avancé; j'espère pourtant que votre
courrier partira ce soir. J'ai fait ce que j'ai pu pour faire
entendre raison au chevalier d'Ariignosc, que Ton remet
au même état, dont il eût été très content après Lawfeld.
Ce sera à vous à faire le reste ; car c'est à votre seule con-
sidération que l'on a accordé d'antidater la commission.
« En général le public vous rend justice, et le Roi plus
1. Louis-Guy de Guérapin de Vauréal, évêque de Rennes,
ambassadeur à Madrid.
2. M. de la Ensenada, chargé des finances, delà guerre, de
la marine et des Indes, fut, de 1743 à 175'i, le plus important
des ministres espagnols.
200 MÉMOIRES DE RICHELIEU
que personne ; c'est là la récompense la plus pure. L'on
connoît les entraves où vous vous trouvez, et l'on vous
saura plus de gré du bien, sans vous imputer le mal. Ce que
je dis là est: 1° pour le Roi, 2° pour les personnes censées
et impartiales ; car je ne dirai pas qu'il en soit de même
de tout le monde. Mais vous vous y êtes bien attendu, et,
quand on a fait ce qu'on peut et ce que l'on doit, il faut se
mettre au-dessus. D'ailleurs nous n'avons encore aucune
réponse d'Espagne, et je ne saurois vous rien dire de ce que
nous ferons ou ne ferons pas. Monsieur de Rennes a du vous
envoyer en droiture la réponse de M. de la Ensenada sur
l'article de M. de laHumada. Je n'y ferai point de commen-
taires ; je trouve que ce sera plus de la moitié du mal de
moins si M. de la Humada est maître de ses résolutions et
actions sans dépendance directe de M. de la Mina. Vous
n'aurez du moins à disputer qu'en face, comme moi quand
je suis à l'armée ; vous saurez plus tôt à quoi vous en tenir,
et je présume que vous aurez plus beau jeu que moi. Cela
dit, je conviens que tout cela est en dépit du bon sens et
insoutenable à la longue.
« i\ est certain que M. Walle est à Londres et qu'il y
négocie. Je crains que les espérances qu'on forme peut-
être à Madrid sur cette négociation ne ralentissent tous
les préparatifs de la campagne prochaine, qui n'étoient
déjà pas trop vifs. Voilà M. de Saint-Séverin qui sera déclaré
lundi et qui partira dans deux ou trois semaines pour se
rendre à Aix-la -Chapelle ; mais nous n'en ferons pas moins
la campagne, et ce sera elle qui éloignera ou qui rappro-
chera la paix. Les Russes sont en mouvement ; reste à voir
s'ils arriveront jusque dans l'Empire. Les électeurs Palatin,
Cologne et Bavière ont renouvelé leur traité d'union ; ils
ont, conjointement avec le duc de Wurtemberg, écrit une
lettre aux rois de Prusse et de Pologne pour s'opposer à
l'entrée des Russes dans l'Empire. Vous ferez tel cas que
vous jugerez à propos de celte démarche
APPENDICES 201
A Versailles, le 8 février 1748.
« J'ai attendu de voir M. d'Argenson prêt à envoyer
votre courrier pour répondre à la lettre particulière dont
vous m'avez honoré du 22, finie le 25. Je vais y répondre
en suivant le même ordre des articles qu'elle contient, afin
de n'en omettre aucun.
« Je ferai du côté des bureaux de la guerre ce que vous
désirez de moi, et j'ai déjà commencé sur plusieurs points.
« Je suis, je vous assure, bien fâché que vous ayez à
faire usage de patience. Je m'étois toujours méfié des faci-
lités que vous croyiez trouver de la part de M. de la
Humada, et je vois avec douleur qu'il est personnellement
tout aussi difficultueux que M. de la Mina. La lenteur des
Génois m'étoit connue, et j'avoue que je ne supporterois
pas tout ce que vous et ceux qui vous ont précédé avez eu
à en essuyer. Mais à tout cela quel remède ? Il ne se peut
puiser que dans les ressources de ceux qui ont à agir de
concert avec eux. Le mérite est d'autant plus grand que
l'on en sait ici très peu de gré, et il faut tout faire pour le
bien de la chose publique et pour soi-même.
« Vous avez tout à fait raison sur l'article de l'intendant.
Vous avez tout dit ; j'en ai fait autant ; c'est à présent au
ministère à en répondre. Il ne me paroît pas, malgré vos
instances, que l'on songe à vous envoyer quelqu'un. Ainsi
vous n'avez aucune demande à faire pour Farconet ^ ; car,
selon toute apparence, il restera ainsi que son camarade.
Vous avez pris acte, et j'en ai usé de même et pour vous
et pour moi.
« Les amis communs vous ont dit vrai sur M. d'Argen-
son. Je le trouve rempli d'attention pour tout ce qui vous
regarde et avec l'envie que vous soyez content de lui. Il
est vrai qu'il désire que l'on s'adresse à lui, et vous ferez
très bien d'en user ainsi dans toutes les choses que vous
désirerez qui réussissent. Je ne m'éloignerois pas de croire
1. Commissaire des guerres.
202 MÉMOIRES DE RICHELIEU
qu'il est bien aise que vos courriers arrivent directement à
lui, quoiqu'il m'ait bien assuré du contraire quand je le lui
ai demandé à nos premières entrevues. Il faut servir les
gens à leur mode, et, comme vous dites très bien, vous en
serez quitte pour donner un peu plus de peine à vos
copistes.
« Quant au maréchal de Noailles, vous n'avez rien à
désirer et vous y êtes tout au mieux. Je ne néglige aucune
occasion d'échauffer encore son affection.
« Tout ce que vous me dites sur l'affaire de Bissy
m'étonne, et j'avoue que je suis toujours tout neuf sur ces
sortes de matières et sur pareille conduite. Il est vrai que
je m'y intéresse parce que je n'ai jamais imaginé rien de
pareil. J'ai conseillé de laisser les choses comme elles sont,
que les éclaircissements étoient plus que suffisants et qu'il
seroit ridicule d'aller plus loin. M. d'Argenson, qui lui a
parlé en ma présence, vous écrira sans doute en détail;
mais à tous égards je voudrois que cette affaire n'eût point
été entamée et que, les marchés une ibis cassés et ceux
que vous avez améliorés constatés, il n'eût été question de
rien de plus. Mais, en parlant d'oîi l'on est, le mieux est de
laisser tomber tout cela, que Lenfant (?) et ses compagnons
reviennent et qu'il n'en soit plus question. M. d'Argenson
m'a assuré n'en avoir parlé à personne, et je suis persuadé
que vous en avez usé de même de votre côté.
« Vous avez bien raison de penser qu'il eût mieux fait
de ne point envoyer vos courriers à Gênes ; il ne m'en avoit
rien dit, et je l'aurois empêché.
« Je vois que vous êtes occupé du siège de Savone, et
vous avez raison. Il est nécessaire d'avoir tout ce qu'il laut
prêt pour la mécanique du siège, afin de n'être pas arrêté
si la circonstance de le pouvoir faire se présente. Je vous
mande dans ma dépêche que, dès que nous aurons eu des
réponses de Madrid et que je verrai ce que veut faire
l'Espagne, je vous envoierai un mémoire sur cet article en
particulier, ce que je ne puis faire auparavant qu'en suppo-
sitions, et c'est du temps perdu.
APPENDICES 203
« Tout est ici dans l'état que vous connoissez, c'est-à-
dire qu'on y est peu occupé des absents et que les affaires
ne vont qu'après le courant ordinaire. Je laisse à vos amis
résidant ici à vous faire part des détails, qu'ils savent mieux
que moi.
« Je ne vois aucune apparence de paix, ni qu'on fasse
rien pour y parvenir, quoique l'on la désire. La finance
va incessamment devenir bien stérile, et je crains que,
excepté 1 armée du Roi, qui absorbera toujours tout, les
autres parties ne souff'rent considérablement, et plus ceci
durera et pire ce sera.
« Je ne puis vous rien dire sur moi jusques à ce que je
sache ce que veut {illisible), puisque c'est lui qui donne
l'ordre. Je suis cependant avec M. de Mirepoix, lequel
presse pour qu'il fasse l'expédition des retranchements
de la R-oya, dont je sens toute l'utilité. Cevallos lui a refusé
d'y concourir avec les bataillons espagnols, qui sont néan-
moins à ses ordres dans le comté de îSice. Vous voyez que
tout est uniforme. Cevallos a dit qu'il lui falloit des ordres
de M. de la Mina, qui est à Madrid. Jugez du délai et de
ce que 1 on peut projeter. Je n'ai pas négligé de saisir cette
nouvelle difficulté pour exciter, etc. Il m'a paru qu'on pre-
noit la chose pins vivement ; Dieu veuille qu'elle soit suivie
de même. J'y ferai ce que je pourrai. »
A Paris, ce 24 février 1748.
« Je suis persuadé de vos besoins et j'ai si fort à cœur
d'y faire pourvoir, que je me suis donné des mouvements
que j'aurois peine à vous exprimer. J'en ai sûrement une
bonne tracasserie ; mais je ne m'en embarrasse point. L'on
a cherché à épiloguer vos états, et l'on en a épluché
chaque article. L'on a surtout relevé celui des felouques et
bâtiments porté à quarante mille francs, et on a encore
plus critiqué celui des dépenses secrètes, porté par mois à
40.000 livres, et vous jugez d'où vous êtes toutes les para-
phrases. Nota que l'on a supprimé du texte le mot et
204 MÉMOIRES DE RICHELIEU
dépenses extraordinaires , qui est collectif avec celui de
dépenses secrètes, d'où il résulte une sérieuse diflPérence ;
car rarticle de dépenses extraordinaires n'a point de bornes
et se multiplie à l'infini, même en reconnoissant, etc. Comme
j'ai su que ce fait avoit été cité au Roi et redit par tout le
ministère et de là ailleurs, j'ai pris la précaution. J'ai mis
dans ma poche le double de l'état que vous m'avez envoyé,
et je l'ai fait voir d'abord à tous les ministres séparément,
avec lesquels j'ai traité la matière, et je vous assure que
je n'ai rien omis de tout ce qu'il y a à dire en pareil cas,
et, comme j'étois tout aussi fâché et piqué pour vous que
je le serois pour moi, je n'ai rien laissé en arrière. Je me
propose de mettre cet article sur le tapis dans une visite
que je ferai exprès à M™*' de Pompadour, pour qu'elle voie
ce que c'est que la malice, ou la négligence de ne pas faire
attention, etc.
« Il résulte de tout cela que nous avons une besogne
bien amère dans toutes ses circonstances ; car, comme je
presse pour toutes les parties qui manquent à la fois, je me
fais autant d'ennemis, et vous savez le gré que l'on vous
sait du motif qui fait agir. J'espère pourtant que de tout
ceci il arrivera que l'on vous fera passer des fonds, et que
l'on acquittera enfin ce qui est dû de vivres de l'année 1747.
11 restera à constater la dépense par mois et d'en faire le
fonds un mois d'avance. C'est à quoi je tâche de parvenir ;
soyez assuré que je n'y néglige rien.
« Le contrôleur général est embarrassé et croit gagner
beaucoup de retarder les paiements par quelque difficulté
ou objection bonne ou mauvaise ; mais je lui ai fait voir
les conséquences funestes et irréparables qui pourront
résulter par des retardements, et je veux croire que, quand
il sera bien persuadé de la nécessité, comme il doit l'être,
il v fera une plus prompte et plus efficace attention.
« A l'égard du détail des dépenses
« Pour ce qui est de M. de la Humada, je n'ai rien à
ajouter à ce que j'en ai dit et écrit à Madrid et ici à
APPENDICES 205
M. d'Huescar* et à nos ministres et au Roi lui-même. Je
souhaite que vous puissiez avoir M. le marquis de Croix ;
car vous en seriez content. Il ne faut pas se flatter d'ob-
tenir de Madrid d'ordre net ni de décision claire et précise.
« Nous n'avons point encore de réponse de Madrid sur
le plan d'opérations. Que voulez-vous qu'on dise et qu'on
pense ? Nous voilà au mois de mars tout à l'heure, et
cependant le Roi a eu la complaisance de laisser le roi
d'Espagne maître du choix. De notre côté, le marché des
vivres n'est pas encore signé et les fourrages point assurés ;
je ne finirois point sur tout ce qu'il y auroit à dire
A Versailles, ce 25 février.
« Je sors d'une assemblée chez M. d'Argenson avec
MM. de Monmartel et de Boullongne, que j'y ai menés,
et le sieur Ségent, pour confronter les états de vos demandes
avec leurs registres. Il est vrai que tout cela ne cadre pas
et que cette différence provient de la manière de compter,
parce que l'on a confondu à Gênes dans les dépenses extra-
ordinaires des achats de subsistances qui devroient être
séparés, tout ce qui est vivres, viande, riz, bois, paille et
fourrage faisant partie de la subsislance ; au lieu que, met-
tant ces choses sous le nom de dépenses extraordinaires,
l'on grossit cet objet et l'on révolte le contrôleur général.
Je ne finirois point si je vous disois tout ce qu'il a fallu
avoir de débats là-dessus ; mais enfin j'ai lieu de croire
que la confrontation que j'ai faite non sans peine de tous
les personnages ci-dessus produira son effet et que vous
aurez enfin ce que vous demandez. M. d'Argenson s'est
chargé de vous écrire une lettre détaillée à ce sujet à la
sortie du Conseil, et je compte qu'enfin votre courrier
partira et qu'à l'avenir vous aurez vos 460.000 francs par
mois en comptant rétroactivement du l®"" janvier dernier.
Je vous assure qu'il a fallu de la patience et de l'activité
1. Ambassadeur d'Espagne à Paris de 1746 à 1749.
206 MÉMOIRES DE RICHELIEU
pour conduire les choses à ce point, et je serai bien aise
de voir arriver les étals que l'on vous demande dans la
forme marquée, afin qu'il n'y ait plus de prétexte de reculer.
L'on a envoyé un courrier à M. de la Thuilerie pour se
rendre ici et vous le faire passer tout de suite. Comme il est
du choix du contrôleur général, il faut espérer que ce
ministre aura pleine confiance en sa besogne et qu'il sera
plus disposé à envoyer l'argent qu'il demandera. Je vou-
drois que vous l'eussiez déjà à Gênes.
« M. d'Argenson doit vous mander qu'enfin il est venu
une réponse de Madrid, qui n'est pas satisfaisante. Je ne
sais encore aucun détail ; M. de Puyzieulx m'ayant dit
qu'on la déchiffroit, il ne m'a donné rendez-vous qu'à
demain. Je vous informerai en détail de ce que j'y appren-
drai ; car tout cela porte à plomb sur les affaires de Gênes,
qui doivent faire le principal objet de notre campagne. Je
vois que la cour de Vienne met tous ses moyens à rétablir
son armée d'Italie, que les Anglois et le roi de Sardaigne
sont plus vifs que jamais contre Gênes, et je vois en même
temps que l'Espagne ne s'en soucie point et que nous
sommes les très humbles serviteurs de la cour de Madrid.
Je vous laisse faire sur cela vos commentaires; j'en fais de
fort tristes, et voudrois bien, et pour vous et pour moi, que
d'autres que nous fussent chargés d'une besogne aussi mal
arrangée. Il faut néanmoins, puisque nous y sommes, faire
de notre mieux, redoubler de courage et faire provision
de patience. Sur ce, je vous embrasse, Monsieur le duc, et
c'est assurément de tout mon cœur. »
A Versailles, ce 25 mars 1748.
« Vous ne me devez aucun remerciement de tous les mou-
vements que je me donne pour vos affaires ; car en vérité
je les regarde comme les miennes, et je n'y ai aucun mérite.
Mon zèle pour le succès général est lié avec le vif intérêt
que je prends à ce qui vous regarde. Ainsi tout concouitet
coule de source. Je sais que l'on lâche de vous indisposer.
APPENDICES 207
L'on fait jouer les mêmes ressorts auprès de moi ; mais en
vérité, c'est bien peine perdue pour les malintentionnés.
Rien ne peut m'efïleurer, et je suis convaincu qu'il en est
de même de vous. Ainsi il n'y a qu'à aller son train et lais-
ser dire et taire
« M. d'Argenson vous envoie le consentement du Roi
pour l'affaire de Savone. Je voudrois qu'il en coûtât le
double et qu'elle fût accomplie. Ce seroit le coup le plus
important dans la circonstance présente et qui déconcer-
teroit tous les projets des ennemis et donneroit de la con-
sistance aux nôtres. Je ne veux pas me laisser aller à une
idée aussi agréable, et il faut en attendre l'événement avant
tout, et je sais que ce n'est que par des miracles qu'ils
arrivent; mais la bonne conduite les facilite.
« Il n'est pas possible que la neige universelle qui a
tombé partout n'arrête les projets des Autrichiens, et je
compte qu'ils ne pourront rien faire ce mois-ci ni peut-être
plus tard. L'on mande que le projet de la Corse s'affoiblit ;
mais à tout événement assurez-vous de Calvi et de Capraïa.
« Je ne vous mande point les nouvelles de ce pays-ci,
parce que, outre que je ne suis point dans le sanctuaire, je
sais que l'on vous en informe plus d'original.
« Le maréchal de Saxe est parti, piqué au jeu et quasi
forcé à tenter le siège de Maëstricht. Il y a pour cela bien
des difficultés réelles, qu'il n'avoit pas quand il n'a pas
voulu y songer. Si cependant il n'agit qu'à contre-cœur ce
n'est pas le moyen de réussir, et, s'il ne fait rien, nous
aurons détruit une partie de nos troupes par le mouvement
prématuré qu'on leur fait faire par une saison bien rude
et bien mauvaise. Vous saurez directement l'entrevue du
convoi de Berg-op-Zoom et de M. de Vault, ainsi que nos
désastres maritimes. C'est cet article de la mer qui me fait
craindre la durée de la guerre ; car, sans l'espérance qu'ont
les Anglois d'achever de détruire notre marine et notre
commerce, ils ne seroient pas si difficiles ; car leur crédit
s'épuise et leurs souscriptions perdent 4 "/o dès le troisième
208 MÉMOIRES DE RICHELIEU
payement ; que sera-ce aux derniers jusqu'à dix, si nous
nous soutenons cette campagne et qu'il n'arrive rien de
fâcheux contre l'état de Gênes.
« Je vous fais de tout mon cœur mon compliment sur
l'afFaire de Voltri, parce qu'elle fait honneur à votre pré-
voyance et activité, et je vous assure que je les ai mis dans
tout leur jour devant gens qui auroient bien désiré que je
n'en eusse pas tant dit. Le parti que vous prenez pour la
défense de la rivière du Levant ne vous fera pas moins
d'honneur ; votre plan général est tout au mieux, et il ne
tiendra assurément pas à mes soins de vous y fortifier et
vous procurer tous les moyens qui sont à ma disposition. »
A Versailles, ce 13 avril 1748.
« Je commence par l'article de votre santé Je crains
que la fatigue de corps et d'esprit, qui est excessive, ne vous
échauffe le sang et ne vous fasse succomber Je ne me
console pas plus que vous du manquement des patrons
génois ; car je vois clairement que, si on avoit débarqué à
minuit, votre affaire étoit certaine. Elle vous fera toujours
honneur dans l'esprit de ceux qui seront instruits et capables
d'en juger. Vous avez bien raison d'envier le sort de ceux
à qui les alouettes tombent toutes rôties
« Je savois bien quelque chose du discours tenu sur les
dépenses secrètes. Je l'ai d'abord méprisé, et, l'entendant
répéter, je l'ai contredit avec chaleur et la preuve à la main
par les états de dépenses que l'on citoit et qui ont démon-
tré le contraire. Après quoi l'on n'a plus rien dit. Je trai-
tai dans le temps cette matière à fond avec Monmartel et
Boullongne, que je laissai très persuadés. Mais je n'ai rien
entendu dire au contrôleur général. Il est vrai que je n'ai
pas été à portée qu'il me tînt un pareil discours, et je l'eusse
relevé tout aussi vivement que vous le faites. Mais je suis
persuadé qu'il n'a pas réfléchi, s'il a tenu ce propos. Je
vous promets qu'il ne se passera pas quatre jours que je
ne lui en parle. Je me concerterai avec M. le cardinal de
APPENDICES 209
TenciQ et avec M. de Puyzieulx, qui pensent (car je leur en
ai déjà parlé) que vous prenez l'affaire trop au tragique.
Je réponds qu'il faut commencer par voir d'original M. de
Machault et ce qu'il dit et se conduire en conséquence. Je
ne perdrai point cette affaire de vue jusques au bout
« Je ne comprends pas plus que vous ce qui oblige
M. d'Argenson à se mesurer autant qu'il le fait avec M. de
Machault. Ce dernier et du Verney font la moitié de sa
besogne, et je ne vois pas que le contrôleur général ait les
mêmes ménagements pour M. d'Argenson. Je vous citerois
sur cela plusieurs laits graves ; mais ce n'est pas le lieu, et
je viens au dernier article de votre lettre, où vous me par-
lez des plaintes que le roi de Sardaigne a portées contre
vous sur la vivacité dont vous avez usé avec M. de Pallavi-
cini, etc. J'en ai ouï dire quelque chose à M. de Puyzieulx,
qui n'y a fait aucune attention, et la preuve en est qu'il ne
vous en a rien mandé. Mais je puis vous assurer en même
temps que M™* de Carignan n'y a aucune part. J'ai même
lieu de croire qu'elle n'en a pas de connoissance. Quant au
cardinal de Rohan, à qui j'en ai parlé, il ne savoit rien du
tout ; ainsi il n'a fait aucune démarche certainement ni tenu
aucun propos. Il est en assez mauvais état, ayant une fièvre
lente et crachant du pus. Ce sont des tubercules, à ce qu'on
dit ; mais pour moi je crains bien que cette maladie ne soit
funeste. Je vous conseille donc de ne pas vous embarrasser
de ce qui a pu être dit à ce sujet. Vous avez depuis arrangé
vos échanges à la commune satisfaction ; ainsi il n'y a plus
rien à dire ni à faire à cet égard.
20 avril.
« Le train que vous connoissez a entraîné M. d'Argenson
à une infinité d'occupations qui ont empêché le renvoi de
votre courrier. J'espère pourtant qu'il partira ce soir ; j'y
ferai du moins ce qui pourra dépendre de moi.
« J'ai vu le contrôleur général, qui nie d'avoir tenu
aucun propos sur les dépenses secrètes, ni autre qui puisse
14
210 MÉMOIRES DE RICHELIEU
VOUS désobliger. M. le cardinal de Tencin, qui est à portée
d'entrer avec lui dans un plus grand détail, vous en rendra
compte plus d'original que je ne pourrois faire. Il est cer-
tain que la négative absolue est déjà une principale répa-
ration, et, s'il a parlé, ce que je ne sais pas sûrement, il
connoit l'avoir fait légèrement, et c'est le cas où l'on n'a
d'autre parti à prendre que de nier. Je vous réponds qu'il
est bien persuadé du contraire de ce qui a été avancé à ce
sujet, et j'en ai pris occasion de reparler très fortement à
BouUongne avec le ton qui convient à un homme tel que
vous ; mais, tout cela fait, je pense que vous devez mépri-
ser de pareils propos et n'y plus songer.
« M . le duc de Modène, qui est ici depuis trois jours, m'a
dit que M. de la Mina n'étoit attendu à Chambéry que vers le
20 mai. Je n'ai jamais pu tirer de lui quand il seroit à Nice, ni
quand les troupes espagnoles, qui sont encore en Catalogne
et en Languedoc, se mettroient en marche. Cela n'empêche
pas que je n'aie fait toutes mes dispositions pour que celles
du Roi soient sur le Var au 15 de mai. Bien est-il vrai que
la neige ne permettra pas encore alors de se porter dans les
montagnes au-dessus de Levenzo (?), que vous connoissez
et qui est le seul endroit par où l'on puisse tourner les
retranchements des ennemis
« M™^ de Belle-Isle me charge de vous faire mille remer-
ciements et compliments ; elle se flatte que, quand je ne
serai plus à Paris, vous la traiterez mieux. »
A Paris, ce 3 mai 1748.
« J'ai attendu au dernier moment à répondre à votre
lettre particulière, M. d'Argenson me remettant d'un jour
à l'autre ; encore ne répondrois-je pas que ce soit pour
aujourd'hui. Il est vrai qu'il a bien des affaires ; car le siège
de Maëstricht est si mal conduit par M. de Lowendal, qui
n'y entend rien et qui, pour cette fois-ci, a voulu s'en
mêler lui-même, ce qu'il n'avoit pas encore fait aux autres,
que l'on a déjà perdu un tiers du temps ; à quoi s'est joint
APPENDICES 211
un temps affreux de pluie, de neige et de froid. Le pauvre
commissaire vient d'y avoir une jambe tracassée, qu'il a
fallu lui couper
« J ai vu M. le duc d Huescar, à qui j'ai dit que, étant
autant de ses amis que vous l'êtes et comptant de même
sur son amitié, vous m'aviez chargé de lui parler de ce qui
vous étoit revenu, et que c est parce que vous ne le croyez
pas que vous étiez bien aise de vous en expliquer avec lui,
ce que l'on ne fait qu'avec les personnes que Ion estime,
etc. Il m'a extrêmement remercié de cette marque d'atten-
tion et d'amitié de votre part, et, après s'être répandu en
éloges sur vous, il a nié avec serment d'avoir jamais rien
dit ni pensé de pareil Je lui ai parlé de M. de Moya.
Il m'en a dit beaucoup de bien, que c'étoit son ami et
qu il alloit lui écrire tout ce qu'il falloit. Il convient que La
Humada est un bon militaire, mais sans usage du monde
et n'entendant point le françois, et assez naturellement
opposé à nos vues ; il pense qu'il en faudroit un tout autre
que lui à Gênes. J'en parlerai bien encore à M. de la
Mina ; mais vous savez le peu de crédit que j'ai sur
lui
« Je ne demande pas mieux que vous ayiez un état-
major ; mais ceux qui disent qu'il y en a dans les corps
subordonnés à M. de Saxe n'accusent pas juste. Je vous
jure que je voudrois de tout mon cœur que vous fussiez à
la tète d'une armée de cinquante mille hommes en Italie et
pouvoir vous la faire passer. Je pense qu'elle seroit en de
très bonnes mains Je ne suis actuellement chargé de
la besogne que malgré moi, et, si cela duroit, je serois
comblé d'en être déchargé et vous la remettre »
A Bizy, ce 8 mai.
« Si j'avois été à Paris ou à la cour, je vous aurois
dépêché un courrier sur le champ pour vous apprendre la
signature des préliminaires ; mais je les savois trop impar-
faitement, et il falloit savoir ce que pensent le Roi et le
ministère Voici ce que je sais des articles.
212 MÉMOIRES DE tllCHELIEL
« 1° La paix est signée entre nous et l'Angleterre et la
Hollande. Les Anglois nous rendent le Cap Breton et géné-
ralement tout ce qu'ils pourroient avoir pris sur nous en
quelque lieu que ce soit des Indes orientales ou occiden-
tales, et les traités de commerce et de navigation rétablis
comme avant la guerre. Nous laisserons subsister les
ouvrages de fortification que nous avons laits à Dunkerque
du côté de la terre et du côté de la mer, et le port comme
avant la guerre.
« 2° La Hollande se remet à notre égard comme avant
la guerre, et nous réciproquement, pour les traités de
commerce, etc.
« Les places que nous avons rasées resteront comme
elles sont, et, dans la restitution générale que nous nous
engageons de faire à la reine d'Hongrie des Pays-Bas que
nous avons conquis, nous ne sommes tenus d'aucun dédom-
magement pour les fortifications détruites et autres sommes
exigées, etc.
« L'Infant doit avoir Parme, Plaisance et le duché de
Guastalla, le tout réversible à la reine d'Hongrie dans le
cas que l'infant devienne roi de Naples. Je crois que Guas-
talla sera pour le duc de Modène, qui doit être rétabli
dans tous ses états et dédommagé des pillages, etc.
« Le roi de Sardaigne doit restituer Final et Savone aux
Génois, qui rentreront dans tout ce qu'ils possédoient avant
la guerre. C'est aux cours de Londres et de Vienne à
dédommager le roi de Sardaigne de ce que l'on lui ôte du
Plaisantin et de tous les avantages que lui procuroit le
traité de Worms^.
« L'on stipule pour l'Espagne qu'elle laissera jouir
l'Angleterre du vaisseau de permission pendant les quatre
ans qui restoienl encore à écouler, quand la guerre a com-
mencé ; après quoi il n'en sera plus question ; et c'est là
1. Traité du 13 novembre 1743 entre l'Empereur, l'Angle-
terre et la Sardaigne, assurant à celle-ci Final, Plaisance et
une partie du Milanais.
I
APPENDICES 213
ce qui fait le grief de l'Espagne, qui est contente de l'éta-
blissement de l'Infant ; mais elle ne veut pas céder ces
quatre années du vaisseau de permission. Je ne sais ce qu'il
y a sur l'assiento des nègres, dont elle n'est aussi pas con-
tente ; car d'ailleurs on lui rend Portobello et tout ce qui
lui a été enlevé dans les Indes pendant la guerre, et quant
au commerce et à la navigation on remet tout sur le pied
des anciens traités comme avant la guerre.
« Les deux puissances maritimes ont stipulé, je crois,
un délai de deux mois pour que Vienne et Turin acquiescent
au traité ; après quoi elles n'y prendront plus de part, et
le Roi sera libre de faire d'autres conditions à leur égard,
et, en attendant, il est expressément convenu que le Roi
demeurera en possession de la totalité des Pays-Bas et des
places, pour en jouir comme pendant la guerre.
« Voilà en substance ce que je puis vous dire des préli-
minaires signés à xVix-la-Chapelle ; d'où nous concluerons,
je crois, que notre guerre ne durera pas longtemps en
Italie, et, dès que les Anglois nous laisseront la mer libre,
vous ne serez plus guère embarrassé. Je vous dépêcherai
un courrier, dès que j'aurai été à Versailles et que je serai
encore instruit plus correctement que je ne le suis »
A Nemours, ce 13 mai 1748.
« Ce n'est assurément pas ma faute si le courrier de la
république ne m'a pas trouvé en chemin. Le Roi, sachant
que M. de la Mina étoit encore en Espagne et que les
Espagnols de Languedoc n'ont aucun ordre, n'a pas jugé
qne je fusse à Nice pour y être les bras croisés et encore
moins que j'agisse, tant que M. de la Mina et ses troupes
n'y seroient pas, puisque c'est leur projet que l'on doit
suivre
« M. de Saint-Sé vérin a fait plusieurs balourdises dans
sa négociation. Celle d oublier que le Roi a un gros corps
à Gênes, qui ne communique que par mer, en est une
incroyable ; car il n'a tenu qu'à lui de faire expédier sur le
214 MÉMOIRES DE RICHELIEU
champ l'ordre à l'amiral Byng de cesser toute hostilité.
Dans le désir et l'impatience qu'on avoit à Londres et à la
Haye de voir cesser nos opérations en Flandre, tout eût
passé. Mais enfin il faut partir d'où l'on est, et j'espère
qu'il n'y aura pas de difficulté et que nous en serons quittes
pour trois semaines de retard ; mais elles pourront être
bien périlleuses pour vous, et je vous assure que j'en suis
dans une colère et une impatience qui égalent celles que
vous aurez, quand vous serez instruit du fait.
« Au surplus je fais tout marcher, et, quoique nous ne
devions rien faire sans M. de la Mina, je ne laisserai pas
de faire toutes les démonstrations et nous tirerons le canon
de reste sur la Roya. Mais, tant que les neiges rendront
les montagnes de notre gauche inaccessibles, le roi de Sar-
daigne ne prendra pas le change. Je compte bien plus à
son égard sur sa déférence pour l'Angleterre, et, quelque
désolé qu'il soit de perdre Final, je serai bien trompé s'il
ne se met pas incessamment en suspension d'armes
« M. le cardinal de Tencinet sa sœur m'ont fait part de
ce que vous leur mandez des tracasseries que l'on voudroit
faire pour nous brouiller. Je sens comme je dois cette
marque d'amitié de votre part ; mais je vous prie de croire
que, quand je suis une fois livré comme je vous le suis,
rien n'est capable de m'ébranler —
« Je dois, avant de finir, vous faire part qu'en prenant
congé du Roi, S. M. m'a lait pair, souhaitant que je n'en
parlasse à qui que ce soit qu'après que je serois sorti de
Paris. Ainsi, excepté M'"* de Belle-Isle, M. d'Argenson et
M. le cardinal de Tencin, à qui je l'ai confié sous le plus
grand secret, personne n'en sait encore rien, et je ne le
dirai qu'après l'avoir appris à M. de la Mina, qui vient de
me faire part de sa grandesse. »
A Nemours, ce 14 mai^
« Il eût été à désirer que M. de Saint-Séverin se fût
1. Lettre placée par erreur au fol. 108, avant sa date.
APPENDICES 215
avisé plus tôt de ce qu'il fait à présent ; car, s'il eût bien
voulu songer, en signant les préliminaires, que nous avions
des armées en Provence, à Nice et à Gênes très gênées
par les escadres angloises, il auroit épargné bien des
embarras. Je souhaite que la lettre de mylord Sandwich
fasse tout l'effet nécessaire et qu'elle nous rende la naviga-
tion libre et fasse cesser les secours des Anglois aux Autri-
chiens. J'écris à l'amiral Byng, qui est mon ami, tout ce
qui peut faciliter, mais, en cas pareil, l'amitié ne peut rien.
M. de Mirepoix vous fera sur le champ savoir sa réponse Km
Au camp de Nice, ce 28 mai 1748.
« M. de Saint-Séverin peut être, je crois, un très
bon ambassadeur pour un fait particulier ; mais il n'est
pas assez instruit. De vous à moi, je crois cette besogne
beaucoup au-dessus de ses forces, d'autant qu'il n'a avec
lui aucun conseil ni secours.
« Je pense tout comme vous sur le roi de Sardaigne ;
il est trop lié à l'Angleterre pour s'en détacher et a trop de
motifs pour ne pas marcher avec la reine d'Hongrie, pour
croire qu'il veuille faire la guerre seul avec elle. Il peut
même trouver son compte à se dépêcher le premier ; mais,
pour l'y déterminer plus promptenient, je vais rassembler
toutes mes forces et me porter sur les postes les plus voi-
sins et qui l'inquiéteront le plus. Je viens de donner
l'ordre très publiquement pour que toutes les troupes passent
le Var, et tout va être en mouvement dès demain. »
Au camp de Nice, ce 31 mai".
« Je partage toutes vos peines et surtout par rapport à
M. de la Huniada ; car c'est là le point le plus embarras-
sant. J'ose pourtant espérer qu'il vous secondera pour la
défense de votre poste, et, s'il ne le veut pas, vous n'aurez
1. Au dos : « Pour vous seul, Monsieur. »
2. Lettre placée au fol. 136, avant sa date.
216 MÉMOIRES DE RICHELIEU
que le chagrin de voir péricliter la besogne sans en être la
cause, et tout le blâme retombera sur lui seul
« Je ne saurois croire que le roi de Sardaigne veuille
soutenir la guerre. L'on doit penser la même chose à
Vienne, et est-il vraisemblable qu'avec cette méfiance la
reine d'Hongrie ose enfourner son armée dans l'entreprise
de la rivière du Levant, n'ayant plus le secours des Anglois ?
Il est impossible de le penser, et c'est encore un motif de
plus pour que vous conserviez votre poste autant que cela
se pourra avec sagesse ; car que ne diroit-on pas si vous
l'abandonniez et que, peu de jours après, le roi de Sardaigne
s'explique. Ce seroit peut-être un moyen de l'en empêcher,
s'il vovoit des partis trop timides de notre part — »
Au camp de Nice, le 3 juin.
« Les nouvelles dont vous me faites part paroissent
bien positives. Cependant je crois qu'il n'y avoit encore eu
rien de nouveau le 31, ce qui me fait espérer qu'il n'y
aura rien eu de plus et que les régiments de Bourgogne,
d'Escars et Flandre vous auront joint à temps Plus
M. de Brown diifère et moins il y a lieu de croire qu'il
puisse entreprendre ; car enfin voilà l'époque de l'armistice
des Anglois qui se rapproche, et que peuvent faire les
Autrichiens dans la rivière du Levant sans le secours de
la mer ? Méneront-ils leur artillerie par terre, et tout ce
qui en dépend ? Ont-ils des équipages pour cela ? et vous
sentez mieux que personne tout ce qu'il y a à dire là-
dessus M. Chauvelin me mande qu'il croit noire convoi
passé en Corse ; je serois bien aise que Curzay pût arriver
à temps pour délivrer Bastia. »
Au camp de Nice, ce 4 juin.
« Je suis charmé de voir que M. de la Humada vous ait
mis plus à votre aise ; car j'ai regardé ce point comme le
plus essentiel pour la conservation de votre poste, que je
serois bien fâché de vous voir forcé d'abandonner par cette
APPENDICES 217
raison A la façon dont vous me parlez de votre poste,
je doute que les Autrichiens, qui ne sont pas bien vigou-
reux dans leurs attaques, en viennent à bout, et je ne puis
me persuader que M. de Brown hasarde une pareille entre-
prise, à la veille de voir les Anglois devenir simples spec-
tateurs, et presque assuré que le roi de Sardaigne accédera
et se séparera par conséquent de sa maîtresse
« P. -S. — Je reçois à ce moment mes lettres de la
poste, et M. le cardinal de Tencin me mande les mots sui-
vants, que je vous rends tels qu'ils sont : L'accession de la
reine d'Honiirie aux préliminaires met fin à toutes ços
peines et à toute^ vos inquiétudes. Je vous en félicite, et
M. de Richelieu , de tout mon cœur.
« Cela ne me paroit pas équivoque, et m'est encore
mandé par plusieurs personnes et M™* de Belle-Isle. Mais
admirez qu'aucun ministre ne m'en dit mot, et vous con-
clurez du peu de cas qu'on fait de la situation. C'est la
tranquillité de ceux qui, comme vous et moi, sont chargés
au loin de la besogne. Cela étant ainsi, il n'est pas possible
que M. de Brown n'ait actuellement des ordres. ;>
Au camp de Nice, ce 11 juin 1748.
« Je reçois à ce moment une lettre de M. de Leutrum,
dont je joins ici copie. Vous voyez que ce que j'ai prévu est
arrivé et que la crainte d'être attaqué d'un moment à
l'autre a obligé son maître à parler Je vais répondre à
M. de Leutrum et lui serrer le bouton pour savoir sur quoi
compter avec ceriiiude, et lui faire entendre que, sans cela,
je vais agir. Il faut seulement que je puisse obtenir le con-
sentement de M. de la Mina de parler en nom collectif;
car vous savez que seul je ne puis exercer d'hostilités
contre les Piémontois, parce qu'il n'y a point eu de guerre
déclarée Voilà la poste qui vient d'arriver et j'y trouve
le paquet ci-joint de M. de Puyzieulx, qui presse pour
l'accession de la République. Cela est fait. Vous trouverez
comme moi bien à réfléchir et à dire sur ce qui se passe à
218 MÉMOIRES DE RICHELIEU
Versailles et à Aix-la-Chapelle ; mais ce n'est pas ici le lieu
de s'étendre sur tout cela. »
Au camp de Nice, ce 12 juin 1748.
a Je crains bien que toutes vos représentations et les
miennes surlétablissement de l'Infant etsur ce quiconcerne
les arrangements pour la république soient non seulement
inutiles, mais même désagréables, parce qu'on n'aime pas
les vérités que l'on ne veut pas suivre. L'on me mande que
M. de Puyzieulx est dans l'enthousiasme sur M. de Saint-
Séverin et qu'il dit qu'il n'y a point de grâce, quelque
éminente et considérable qu'elle soit qu'il n'ait mérité, et
qu'il est le plus capable du royaume de remplir sa place,
de lui Puyzieulx. J'aime M. de Puyzieulx ; je compte sur
son amitié depuis longtemps, et j'ai vu avec plaisir qu'il
étoit réellement de vos amis ; mais je suis lâché qu'il soit
prévenu et ébloui à cet excès. Ce n'est ni à vous ni à moi
à y apporter le remède. Le cardinal me marque que c'est
un [crime] de rien blâmer de ce qu'a fait Saint-Séverin,
même sur l'article des hostilités de la mer Méditerranée.
Cela étant, nous sommes bien criminels, et moi surtout,
qui ne puis déguiser ce que je pense dans de pareilles cir-
constances, et ce qu'il y a d'admirable est que nos deux
ministres m'écrivent uniformément tous deux que toutes
hostilités cessent de droit, en vertu des préliminaires, au
bout des six semaines, et par conséquent au 11 juin, tandis
que l'ordonnance de Versailles du 25 mai et la proclama-
tion de Londres disent le contraire et ne font aucune
exception. M. de Maurepas a envoyé ses ordres en confor-
mité dans tous les ports et y fixe la liberté de naviguer au
24 juillet. Mais c'est à nous à tâcher de finir notre mission
favorablement et je l'espère bien. Mais je ne vois pas clair
encore pour la fin et pour l'exécution de toutes les condi-
tions, qui nous retiendront nécessairement ici. Dieu veuille
que ce ne soit pas nous qui soyons chargés de la conduite
et introduction de l'Infant dans ses états, conjointement
APPENDICES 219
avec les Espagnols, M. de la Mina m'ayant déjà dit que
l'Espagne l'exigeroit ainsi.
« Vous me ferez part sur tout cela de vos réflexions. J'en
userai de même et penserai tout haut avec vous, autant
que l'on le peut faire dans une lettre. »
Au camp de Mce, ce 15 juin 1748.
« Vous voilà donc soulagé d'une situation aussi critique
qu'inquiétante, à cause de toutes les circonstances. Je vous
en fais mon compliment Il s'agit maintenant de voir si
M. de Brown aura prétendu de rester in statu quo et en
conséquence d'occuper les lieux de l'état de Gênes où il
se trouvoit le jour que vous réglerez la suspension d'armes.
Il est difficile d accorder cette condition avec la cessation
d'hostilités contre la république ; mais ils diront que nous
nous demeurons bien en possession et puissance des Pays-
Bas Vous en tirerez le meilleur parti qu'il en sera
possible en conservant du moins le bord de la mer libre
dans toute son étendue pour les communications par terre
depuis Gênes jusques à Sarzaneet à tous ces quartiers pour
éviter les querelles dans les chemins, et pour cela il est à
désirer que les Autrichiens se retirent assez en arrière....
« A l'égard des Espagnols, le plus court est, je crois,
de les faire rapprocher de Gênes et de les placer en seconde
ligne, pour prévenir toute occasion d'hostilité, d'insulte ou
de querelle avec les Autrichiens. Vous en sentez la consé-
quence, et combien il vous importe que 1 on ne puisse pas
vous faire les mêmes reproches qu'à M. de Noailles, qui
les exposa à être enveloppés et à fuir pour l'éviter, avec
scandale
« Je crains que tout ceci ne soit encore bien long ; car
il faut que les parties contractantes commencent par être
d'accord. Ce n est qu'au congrès que les remontrances et
prétentions réciproques se peuvent faire et se décider.
Combien de délais ! Combien de courriers ! et quelles dis-
tances ! — L'Infant passera-t-il dans ses nouveaux états
220 MÉMOIRES DE RICHELIEU
avant cet arrangement des parties ? Comment y ira-t-il ?
Par quel chemin? Qui est-ce qui l'y conduira? M. de la
Mina veut que ce soit la France, ou tout au moins les deux
couronnes, et que lui et moi en soyons chargés. Ce n'est
pas là mon compte ni, je crois, le vôtre, qui pouvez, sui-
vant la route, être plus à portée. Je suis venu ici malgré
moi ; je voudrois déjà en être dehors et prendre un repos
dont ma santé a grand besoin et que mon âge exige. Vous
aurez bien aussi vos raisons d'exception. Enfin tout cela
me déplaît et je voudrois voir plus clair. Ponrrez-vous
retirer les troupes du Roi avant que Gênes soit mise en
possession de ses places ? Et par dessus tout les Espagnols
accèderont-ils bientôt, et comment ? Monsieur de Rennes
m'écrit qu'au 1" juin, date de sa lettre, la cour de Madrid
est décidée de ne point accéder purement et simplement,
et vous avez vu par ma lettre de Londres, qui vient de
très bon lieu, que le roi d'Angleterre ne veut rien changer
aux préliminaires »
Au camp de Nice, le 20 juin 1748.
« Vous vous trouverez bien éclairé par les réponses
que je vous fais passer. M. de Puyzieulx vous remet
à votre retour à Versailles pour discuter ce qu'il y auroit
à taire à présent sur l'état de Gènes et pour l'établissement
de l'Infant dans ses nouvelles possessions, et M. d'Argenson
vous renvoie dans Gênes pour le défendre dans le cas d'in-
fraction à la signature des préliminaires de la part de
l'Impératrice. Ce que l'on me mande est dans le même
goût. L'on convient que, si, contre toute attente, il falloit
que j'agisse pour votre secours, je n'ai rien de ce qu'il
faut pour faire seulement deux marches en avant. L'on me
parle d arrangements et de sûretés à prendre en ce cas
avec le roi de Sardaigne ; mais on ne m'envoie ni instruc-
tions ni pouvoirs, et tout se termine en raisonnements
vagues sans conclusion. A loui cela j'en reviens à mes mou-
tons : finissons le plus tôt que nous pourrons, et n'ayons
APPENDICES 221
aucune part aux affaires publiques. Voilà aussi une lettre
du cardinal ; je souhaite qu'il soit en état de vous mieux
instruire.
« Je ne sais pas comment je me tirerai d'affaire avec
M. de la Mina, qui veut absolument renvoyer ses troupes
en Espagne. Il me paroît tant d'indécence et d'autres
inconvénients dans cette démarche que je ne puis y acquies-
cer. Mais que puis-je faire, quand notre cour ne fait rien
du tout et ne se décide sur rien ?
« Vous pouvez cependant vous arranger pour votre
voyage de Rome. J'ai écrit de façon que j'espère que l'on
y consentira, et je vous le ferai savoir sur le champ. J'espère
que d'ici à cette époque la réponse de M. de Brov^n sera
revenue de Vienne »
Au camp de Nice, ce 22 juin 1748.
« Je vous lais de tout mon cœur mon compliment d'être
quitte de M. de Brown ; car, malgré notre très juste
méfiance, je ne puis croire qu'il ose violer ce qu'il a arrêté
par écrit avec vous. L accession du roi d'Espagne, que
l'on me mande encore plus positivement dans une lettre
particulière et sur laquelle l'on me demande encore le
secret, sans doute à cause de M. de la Mina, va mettre le
dernier sceau à la consommation de la paix. ^lais je crains
bien que cela ne soit long pour l'exécution, et la plus
longue sera l'évacuation de l'étal de Gênes et le retour de
nos troupes en France, soit par terre, soit par mer. J'ignore
si l'Infant sera conduit par le Piémont ou par mer ; mais,
quoi qu'il en soit, c'est à vous et à moi à arranger en
projet et à l'avance ce que nous imaginerons qui pourra
le plus faciliter et accélérer le retour des troupes de Gênes
et le transport de tous vos effets.
« Je viens à ce qui vous regarde personnellement. Je
vois que vous avez demandé votre congé ; mais vous sen-
tez bien que l'on ne peut, j'ose même dire, que l'on ne
doit pas vous l'accorder, du moins jusques à ce que les
222 MÉMOIRES DE RICHELIEU
choses soient plus avancées. Qui voulez-vous qui puisse
vous remplacer et suivre ce qu'il y aura, et prévenir une
infinité de cas qui peuvent survenir, et remédier aux évé-
nements imprévus? Il faut un homme de dignité et au fait,
et, sans entrer dans un plus grand détail, vous conviendrez
vous-même que vous ne pouvez être suppléé par personne.
Il ne faut pas que vous gâtiez par une vivacité déplacée
tout ce que vous avez fait de bien. Vous vous êtes acquis
beaucoup d'honneur et de réputation ; vous avez fait voir
que vous êtes capable de conduire les affaires les plus épi-
neuses et militaires et politiques. Vos envieux en enragent.
Il ne faut pas que vous leur donniez prise sur vous en
insistant trop sur votre retour, et vous connoissez trop la
cour pour ne pas savoir les tournures malignes que l'on
donne sur les gens à qui l'on veut nuire. Vous me direz à
cela que vous ne vous en souciez guère et y ajouterez bien
d'autres motifs que je devine et ne répète point par écrit.
Mais je vous répliquerai que ce n'est point ici le cas de
faire usage de vos connoissauces et qu il faut se soumettre
aux bienséances, quand on est dans les premières places.
Je vous parle comme je ferois à mon frère Soyez per-
suadé que je m'ennuie tout autant que vous ici et que j'ai
tout autant d'envie d'être chez moi »
Au camp de Nice, ce 5 juillet 1748.
« Vous trouverez, je crois, comme moi nos ministres
fort inconséquents dans leurs lettres et dans leurs ordres.
Pour moi, je ne puis croire les Anglois aussi légers, et je
suis persuadé qu'ils exécuteront les préliminaires et ce qui
en résulte de bonne loi ; au moyen de quoi, la mauvaise
volonté de la cour de Vienne ne peut pas nous redonner
la guerre
« Vous ne serez pas étonné, les choses étant dans cet
état, que l'on ne vous ait pas accordé votre congé, et je
voudrois de tout mon cœur que vous ne l'eussiez pas
demandé ; mais le mal est médiocre si vous vous en tenez
APPENDICES 223
là sans revenir à la charge. Je vous dirai franchement que
je veux qu'avant votre retour à la cour le Roi vous donne
quelque marque distinguée de la satisfaction qu'il a de vos
services. M. de Boulflers en a eu une bien grande en la
personne de son fils ; ce que vous avez fait depuis a été
d'une tout autre difficulté, et c'est bien le cas de vous
faire maréchal de France plutôt que M. de Lôwendal et
bien d'autres qui rendent celte dignité bien inférieure à ce
qu'elle a été et qu'elle devroit être. Mais c'est le cas du
discours du cardinal Mazarin sur les maréchaux de camp,
qu'il en leroit tant qu'il seroit honteux de l'être et de ne
l'être pas'. Quoi qu'il en soit, je vous suis trop attaché pour
ne pas désirer que vous receviez de manière ou d autre la
récompense qui vous est due. J'en ai écrit tout au plus fort
partout où j'ai cru que cela pouvoit faire cet effet
Au camp de jSice, ce 7 juillet 1748.
« Il faut espérer que ce sera pour cette fois la dernière
variation de notre ministère et que l'accession de l'Espagne
coupera court aux prétextes qu'auroit pu prendre la cour
de Vienne ; car l'accession qu'a fait M. de Sotomayor est
pure et simple et sans reslriction. J'en ai la copie. J'ai vu
aussi l'article secret par lequel il est dit que 1 on conviendra
à l'amiable au congrès d'un équivalent que donnera
l'Espagne pour tenir lieu de dédommagement aux Anglois
des années de non-jouissance de l'assienlo des nègres et
du vaisseau de permission. Cet article m'a surpris ; mais
je l'ai lu. 11 ne restoit plus de difîîcullé que sur les délais
de la cessation des hostilités par mer, et elle a été partagée,
et convenu que ce seroit au bout de six semaines, à compter
de la date de l'accession qui est du 28 juin. Ainsi je ne
vois plus de queue à discussion essentielle. Il est vrai que
la continuation de la marche des Russes dans l'Empire est
1 . Les souvenirs de M. de Belle-Isle sont inexacts : c'est des
ducs que parlait Mazarin.
224 MÉMOIRES DE tllCHELIEU
lort extraordinaire ; mais on dit que les puissances mari-
times y sont engagées et ne peuvent pas les renvoyer,
qu'après leur avoir donné un quartier d'hiver. Reste à savoir
quels seront les malheureux hôtes où ils hiverneront
Au camp de Nice, ce 11 juillet 1748.
« Si je me laissois aller à l'humeur, j'en aurois, je vous
assure, pour le moins autant que vous, quand je vois et
quand je réfléchis sur tout ce qui se passe. Mais ne con-
naissons-nous pas, vous et moi, les gens à qui nous avons à
faire, et devons-nous en être surpris ? Il faut donc s'armer
sur tout cela de patience, faire pour le mieux, et le bien
pour le bien et pour soi-même, et puis attendre la fin de
cette besogne et tâcher de n'avoir plus de part aux affaires
publiques. Pour moi cela est tout simple à mon âge ; mais
vous êtes encore trop jeune pour vous refuser à ce que
votre patrie exigera de vous. Il faut qu'il y ait des citoyens
qui se livrent successivement pour la chose publique, quand
ils ont des talents et des lumières, et vous êtes de ce
nombre, surtout quand cela se trouve joint avec un rang
aussi distingué que celui que vous tenez dans l'Etat. Mais
je pense en même temps qu'il faut en recueillir les fruits
aussi bien mérités, et je ne puis me persuader que le Roi
ne vous donne pas la récompense qui vous est si justement
due, surtout après ce que nous voyons depuis quelque
temps. Je sais que notre maître a besoin d'être avisé ;
mais vous avez plus de moyens et d'amis que personne
pour cela. Je vous assure que dans ma vade je ne m'y
épargnerai pas, et je le ferois bien mieux de bouche que je
ne suis à portée de le faire par écrit
12 juillet 1748.
« J'ignorois que M. de Saint-Séverin me mît avec
M. le maréchal de Saxe dans ses propos, parce qu'ils
n'ont aucun fondement. Je n'ai jamais dit que j'irois à
Milan. J'ai dit au Roi et à tous nos ministres que M. de
APPENDICES 225
la Mina, dont on devoit suivre le projet, ne passeroit
seulement pas la Roya, et je le soutiens encore ; qu'il
falloit, sur la nécessité des conjonctures, le laisser faire et
attendre qu'il ne sût plus ou donner de la tète, et cepen-
dant se préparer à son insu pour tirer parti des frais
immenses de la campagne, et alors être prêt à entrer dans
la vallée de Sture et dans la plaine du Piémont, et obliger
le roi de Sardaigne à rappeler tous les Autrichiens à son
secours et délivrer de nouveau Gênes par cette diversion.
Ainsi M. de Saint-Séverin ne peut pas citer avec la moindre
apparence de vérité un pareil fait. Mais, s'il disoit que je
blâme son peu d'attention pour les affaires d'Italie, il auroit
raison, et sur bien d'autres points dont je ne parle pas,
parce qu'il faut épargner les ministres tant que le Roi les
emploie, du moins dans le public
A Nice, ce 29 juillet 1748.
« Je vous envoie la réponse de M™® de Tencin et du
cardinal au paquet que vous m'aviez adressé pour eux, que
mon courrier vient de me rapporter. Ils vous parleront
sans doute de votre projet de voyage de Rome. M. de
Puyzieulx en fait un monstre à cause des circonstances ; il
prétend que, commandant une armée qui a fait tant de
bruit surtout en Italie, chacun a les yeux ouverts sur vos
démarches, et que, si l'on vous voit aller rendre visite au
roi Jacques, les Anglois de Londres en prendront de l'om-
brage ; que l'on ne croira point que ce soit une affaire simple,
et que cela fera un très mauvais effet. M. d'Argenson m'en
écrit dans une lettre particulière de sa main sur le même
ton, et m'ajoute que, ne voulant point vous déplaire ni
vous contredire, il ne vous en mande rien. Pour moi qui
vous aime pour vous-même, je vous dis les choses telles
qu'elles sont, et je conclus que, si ce voyage vous fait un
extrême plaisir et que vous l'ayez fort à cœur, vous pouvez
vous satisfaire, en prenant le temps que vous jugerez le
plus convenable pour que rien ne puisse péricliter en votre
absence 15
226 MÉMOIRES DE RICHELIEU
« M. le cardinal me mande aussi que tout est bien dis-
posé pour vous procurer la marque publique de la satis-
faction que le Roi a des services que vous lui avez rendus
dans Télat de Gênes, et moi je dis qu'il n'y en a point de
convenable que le bâton, et qu'il ne suffit pas de ces
bonnes dispositions. Il faut agir, et c'est ce que l'on ne fait
pas »
A Nice, ce 2 août 1748.
« Je comprends toute Timportunité que doivent vous
causer les compliments de M. de la Humada. J'espère aussi
que cet exemple pourra être un véhicule pour déterminer
le Roi. Je le crois tout décidé à vous faire maréchal de
France, et il est bien fâcheux que, dans la situation où vous
vous trouvez, et après tout ce qui s'est passé, il faille avoir
besoin de quelque chose de plus, et que le maître ne sache
pas mettre le prix et la grâce dans ce qu'il fait. Mais vous
connoissez le terrain mieux que personne ; ainsi il faut
bien en passer par là et mettre en œuvre ceux qui sont à
portée de faire dire le oui
« Il est bien vrai que Saint-Séverin fait ce qu'il peut à
présent pour réparer ses premières sottises et regagner par
l'accélération de la paix, et, pour y parvenir, il estropiera
encore toutes les autres parties, et vous savez qu'il y en a
une infinité qui ont chacune leur importance. M. de Puy-
zieulx voit, je crois, qu'il n'a pas fait un bon choix ; mais
il le soutient par honneur et par politique ; mais je crois
bien savoir qu'il est triste et affligé de sa besogne. J'en suis
fâché, parce que je lui crois de très bonnes intentions et
qu'il m'a toujours marqué de l'amitié »
A Nice, ce 6 août 1748.
« Je vois que vous avez abandonné le projet de votre
voyage de Rome. J'en suis bien aise, puisque cela s'est
tourné si de travers dans la tète de M. de Puyzieulx ; car
M. d'Argenson l'avoit trouvé tout aussi simple que moi.
APPENDICES 227
Mais, sur ce que m'en a mandé M. le cardinal de Tencin,
j'ai cru que le plus sage étoit de faire ce sacrifice, autant
qu'il ne vous coûteroit pas trop. Mais vous poussez trop
loin votre complaisance en vous privant d'aller à Lucques,
qui est si à portée que c'est pour ainsi dire être dans votre
district, Lucques touchant à Sarzane et à la rivière du
Levant. Je vous conseille de ne vous en pas contraindre,
pour peu que cela vous fasse plaisir.
« Je pense tout comme vous sur les sentiments du Roi
à votre égard, et qu'il a besoin d'être décidé. M™® de Pompa-
dour ne le peut-elle pas ? Je sais que celui qui tient la plume
seroit plus convenable. M. d'Argenson m'a paru penser
là-dessus comme il faut. Je sais bien qu'il désire que tout
ce qui est de son déparlement passe par lui ; mais c'est
précisément par cette raison qu'il doit être empressé d'obli-
ger essentiellement un homme tel que vous, de pareilles
occasions étant rares »
A Nice, ce 8 août 1748.
« Vous avez très bien fait de parler franchement à M. de
Puyzieulx sur les propos de M. de Saint-Séverin tenus à
M. Doria. On n'a jamais parlé avec cette dureté à un
ministre public, quel qu'il soit, surtout dans les cir-
constances où se trouve la république vis à vis du Roi. Que
peut-on espérer d'un pareil plénipotentiaire, et que n'en
doit-on pas craindre ? Je sais que la cour palatine a encore
des sujets plus graves de mécontentement dudit Saint-
Séverin, et j'avoue que je suis assez sot d'en être affligé
pour l'honneur de notre maître et le bien de la chose
publique. Au surplus, vous êtes trop prévenu en ma
faveur de croire qu'il n'y eut que moi propre à la place
qu'occupe Saint-Séverin. Je crois bien que j'y aurois mieux
fait que lui ; mais n'est-ce pas se priser trop haut ? et je
crois bien d'ailleurs que je manque de bien des connois-
sances nécessaires, quoique les circonstances m'aient mis à
portée d'en avoir beaucoup. Comptez, Monsieur le duc,
228 MÉMOIRES DE RICHELIEU
que nous ne sommes occupés que de parvenir à la paix, de
quelque manière que ce puisse être, et, quand elle sera
faite mal, on cherchera à replâtrer comme on pourra les
sottises, et on évitera la guerre à quelque prix que ce soit.
Je suis trop vieux pour la revoir jamais, du moins en per-
sonne ; mais je n'y prends pas moins d'intérêt. Je vous
loue de penser qu'il laut toujours parler vrai aux ministres,
quand on est à portée de le faire, et surtout quand ils sont
de nos amis. J'ai pratiqué cet évangile toute ma vie, et mes
amis me l'ont reproché. Je ne me suis pas corrigé, et j'en
userai de même jusqu'au bout, même avec le Roi, quand
il me fera l'honneur de m'interroger ou me donnera occa-
sion de lui parler seul »
A Nice, le 19 août 1748.
« L'inquiétude où vous me paroissez être sur la santé
de Mademoiselle votre fille ^ me fait bien de la peine,
quoique, à son âge, ce soit peut-être bien que d'avoir la
petite vérole, tant pour la sûreté de la vie que pour la
conservation de la figure ; mais je sens qu'il est impossible
de n'être pas agité. M™® de Belle-Isle ni le cardinal de
Tencin ne m'en ont rien mandé ; cependant leurs lettres
doivent être de plusieurs jours plus fraîches que celle où
Madame votre sœur^ vous a écrit. C'est du moins une
marque qu'il n'y a eu rien de plus considérable depuis
« Je n'aime point à apprendre ces nouvelles rechutes
de coliques d'entrailles. N'y a-t-il point un peu de votre
faute? Je vous exhorte à éviter ce qui peut y donner lieu.
La santé est précieuse en tout temps et à tout âge, mais
surtout dans la position où vous vous trouvez. Il faut être
malade chez soi, quand on doit l'être .... »
1. Jeanne-Sophie Élisabeth-Armande-Septiraanie, née àMont-
pellier le l""" mars 1740, fille du second mariage de M. de
Richelieu ; elle épousa plus tard M. d'Egraont.
2. M""* de Clefmont du Chàtelet, ou l'abbesse du Trésor, dont
il a été question ci-dessus, p. 198.
APPENDICES
229
A Nice, le 20 août 1748.
« Je trouverois bien plus extraordinaire le silence de
nos ministres à votre égard, si je ne connoissois depuis
longtemps cette négligence. Quant à la nouvelle du roi de
Prusse, je ne la crois pas, à cause de mes correspondants
en Allemagne qui n'en disent rien ; mais, pour la nou-
velle de la convention pour le renvoi des Russes et d'une
réforme de trente-cinq mille hommes de notre part, elle
est certaine, et les ministres n'en ont parlé qu'à présent
Je doute beaucoup aussi de la négociation du Roi avec
l'Impératrice par le canal et l'entremise du Pape. Mais de
quoi je suis certain, c'est que M. de Saint-Séverin entasse
omissions sur omissions, et que nous nous ressentirons
longtemps des fautes énormes qui auront été faites dans ce
traité de paix. Je crois que M. de Puyzieulx n'est pas à se
repentir de son choix ; encore ne voit-il pas tout, et il auroit
lui-même besoin de plus de connoissance et de plus de
secours que je ne lui en connois.
« Je pense tout comme vous sur l'abbé Grimaldi, dont
j'ai beaucoup ouï parler sur le même ton que ce que vous
m'en dites. Mais, dans l'aigreur qui règne actuellement
entre notre ministère et celui de Madrid, comment
pouvoir empêcher ce choix ? Ce seroit peut-être un motif
de plus à l'Espagne de le mettre auprès de l'Infant pour
nous contrecarrer et avoir un espion auprès de ce prince,
dont on connoît le « genio francese. » Il y a bien à gémir
quand on réfléchit sur tout cela, et avec d'autant plus
d'amertume qu'il n'y a presque point de remède »
A Nice, ce 28 août 1748.
« Je ne ferai point de commentaires sur tout ce que
vous mande M. de Puyzieulx. Tout cela répond au reste de
ce qui se passe à Aix-la-Chapelle. Je sais d'ailleurs que
l'on a été tout près au conseil du Roi de signer le traité
définitif sans l'Espagne. Je ne dis pas qu'elle se conduise
230 MÉMOIRES DE RICHELIEU
bien, et vous en savez sur cela autant que moi ; mais il y
a pourtant bien des points où elle n'a pas tort et où elle
peut nous faire des reproches bien fondés. Je ne vois pas
encore bien clair à la fin de tout ceci, et je crains bien que
mon séjour ne se prolonge furieusement, ...»
A Nice, ce 4 septembre 1748.
« J'ai lu les deux lettres particulières que vous écrivez
à MM. de Puyzieulx et d'Argenson, que vous avez bien
voulu me communiquer. Je les ai cachetées bien proprement,
et il n'y paroîtra sûrement pas. Je les trouve très bien en
vérité. Pour peu que ces ^Messieurs veuillent, le Roi ne
tiendra sûrement pas. Vous savez encore mieux que moi com-
ment ces choses-là se mènent. Celle-ci est encore plus du
ressort de M. d'Argenson. Je lui ai écrit une lettre particu-
lière de quatre pages là-dessus, et une autre ostensible, où
je crois n'avoir rien omis, et assurément j'en ai le succès
aussi à cœur qu'aucune chose que j'aie désiré en ma vie.
Je vais attendre le retour du courrier avec la plus vive
impatience. J'écris aussi un mot à M™^ de Tencin, en lui
adressant votre paquet, et j'adresse celui de l'abbé Blet à
jyjme jjg Belle-Isle. Il est si lard, et je suis si excédé de tout
ce que j'ai fait aujourd'hui depuis cinq heures du matin,
que je finis en vous embrassant. Monsieur, et assurément
de tout mon cœur. »
A Nice, ce 23 septembre 1748.
« Je suis tout aussi en colère que vous du tour que vient
de vous faire M. de Maurepas. Il est étonnant qu'un mi-
nistre ose compromettre la dignité du Roi pour faire pièce
à un particulier. Mais, après ce que j'ai éprouvé à Prague,
je ne dois être surpris de rien. On vouloit perdre et dé-
truire l'armée entière et la tête des troupes du royaume
pour se défaire de moi. Vous laites bien d'en écrire à M. de
Puyzieulx et de demander votre congé, toujours sous la
condition, s'il vous plaît, de ne rien faire sur tout cela que
APPENDICES 231
condltionnelleraeat à ce que nous rapportera le courrier que
j'attends
« Vous croyez bien que Monsieur de Rennes ne me
laisse pas ignorer l'indisposition de l'Espagne, et M. de la
Mina me parle ici tout de même. 11 fait passer en Catalogne
son infanterie en détail depuis que je lui ai déclaré nette-
ment que je ne donnerois point de routes à ses bataillons.
Il en embarque journellement des piquets à Villefranche et
à toutes les rades de la côte de Provence. »
A Nice, ce 24 septembre 1748.
« Mon courrier est arrivé cette nuit, et je suis comblé
de satisfaction de ce que j'y ai trouvé. M. d'Argenson m'a
fait de sa main une réponse charmante à celle que je lui
avois écrite, et, quoiqu'il me demande un secret qui se
prescrit de lui-même, il me marque en propres mots, après
avoir repris ce que je lui ai mandé : « J'ai tout lieu de
« croire que les démarches que je viens de faire en dernier
« lieu pour M. de Richelieu auront leur succès et que le
« moment de la décision n'est pas éloigné. Le Roi étant
« convenu avec moi qu'en prenant ce parti c'étoit à Gênes
« où il falloit le déclarer, il n'a donc pas pu être question
« en ce moment de congé. Il faut que la chose, si elle a à
« se faire, éclate avant qu'il soit peu de jours. Vous êtes la
« seule personne avec qui je m'en ouvre ; ainsi je n'ai
« pas besoin de vous recommander le secret sur tout ceci,
« etc. » Vous voyez que M. d'Argenson a marché de bon
pied, et j'ai lieu de le croire pour tout ce qu'il m'a écrit
avant et depuis que je suis cette affaire avec l'affection que
j'y ai mise Il faut que vous rendiez justice à
M. d'Argenson, qui certainement pouvoit l'empêcher, s'il
avoit été mal intentionné, et n'a peut-être pas trouvé la
même facilité à vous servir »
A Nice, ce l" octobre 1748.
« Je suis ravi que M. d'Argenson vous ait écrit encore
232 MÉMOIHÉS DÉ RICHELIEU
plus précisément que moi pour la proximité de l'époque ;
car, pour la chose, il m'en parle d'une manière à laisser
toute espérance. J'en attends, je vous assure, l'exécution
avec une émotion que je ne puis exprimer, y ayant fort
peu de choses que j'aie plus désiré en ma vie.
« Je ne crois pas que vous songiez à faire aucun usage
de vos lettres de recréance avant la décision de votre
affaire, et, puisque M. d'Argenson n'a pas cru devoir par-
ler de votre congé, il faut nécessairement attendre la con-
sommation. 11 n'est pas possible que cela tarde, La néces-
sité de finir avant que vous quittiez Gênes, dont le Roi est
convenu, est une raison pour prendre patience. J'ai trouvé
moyen d'en écrire à M™* de Pompadour. Vous me trouve-
rez peut-être bien hardi ; mais cela est venu tout naturel-
lement. Je suis assuré que le Roi lira ma lettre, et c'est
tout ce que j'ai désiré
« Vous me ferez plaisir de me mettre au fait de vos tra-
casseries de l'Opéra. Nous n'avons pas ici seulement de
quoi en exciter, et tout y est dans l'ennui le plus complet ;
c'est l'état le plus triste et le plus fâcheux. Cependant je
me porte à merveilles, et c'est beaucoup. Je souhaite qu'il
en puisse être incessamment de même de vous. Vous en
ferez un usage plus agréable que moi ; je suis vieux et vous
êtes encore jeune. »
A Nice, ce 5 octobre 1748.
« Vous me comblez de satisfaction en m'apprenant
l'agréable nouvelle dont le Roi a voulu vous faire part lui-
même le premier. C'est ajouter tout le mérite à la grâce.
Je la partage de tout mon cœur avec vous, et au-delà de
tout ce que je puis en exprimer
« Il ne faut pas douter que c'est la goutte de M. d'Ar-
genson qui a retardé l'expédition. Il me mande du 26 qu'il
étoit dans son lit avec la goutte à l'épaule et que c'est ce
qui Ta empêché de pouvoir rendre au Roi de mes lettres,
etc. Je suis un peu moins pressé de voir arriver le courrier;
APPENDICES 2o3
car c'est l'usage d'en envoyer toujours un pour pareille
grâce, dès que la chose est faite. J'en garderai, je vous pro-
mets, le plus profond secret jusques au bout. Je vois par
une lettre du cardinal de Tencin qu'il n'éloit pas encore
bien instruit ; voilà une lettre de lui pour vous. La date de
la lettre du Roi cadre à ce que M. d'Argenson m'a mandé
et à vous, et sûrement c'est la maladie du ministre qui est
cause de ce retardement. Il vous parlera apparemment de
votre congé en même temps. Je vous attendrai ici de pied
ferme, et je suis bien aise d'avoir fait auparavant mon
voyage de Toulon »
A Nice, ce 15 octobre 1748.
« Je suis tout aussi imbécile et aussi neuf que vous sur
les affaires d'intérêt domestique, dont je n'ai jamais été
occupé ; aussi n'y a-t-il rien qui n'y paroisse dans l'état de
mon bien. Ce que vous me demandez m'étoit absolument
inconnu quand je suis venu prendre le commandement de
cette armée. J'ai trouvé établi que les munitionnaires de
l'armée d'Italie fournissoient la farine en nature au boulan-
ger du général, et en effet ils n'ont pas voulu, l'année pas-
sée, qu'il leur en fût tenu compte en argent, et il en a sim-
plement été donné un reçu par mon maître d'hôtel, pour
en constater la quantité. Sans doute que ces munitionnaires
en font mention dans leurs états de consommation, et en ce
cas il n'y a rien à dire, et il ne seroit que juste que le Roi
fasse cette petite gratification à ceux qui commandent ses
armées, comme il le fait pour les fourrages. Je ne crois
pourtant pas que l'on l'ait fait pour moi quand j'ai commandé
dans le Hundsruck, mais bien en Bohême, où les blés
étoient fournis par le pays ennemi. Voilà tout ce que je sais
et que je puis vous dire, sur cette matière qui m'est fort
étrangère.
« C'est certainement la maladie de M. d'Argenson qui
a retardé la consommation de votre affaire. Il n'a pas tra-
vaillé avec le Roi depuis le 18, qui est précisément le
234 MÉMOIRES DE RICHELTEU
jour de la date de la lettre que le Roi vous a écrite. Il est
fâcheux que ce contretemps soit arrivé aussi mal à propos,
et j'en suis excédé d'impatience. Dès que j'entends un
homme botté dans mon appartement ou un cheval qui
galope, je crois toujours que c'est le courrier de M. d'Ar-
genson qui m'apporle le paquet de la nouvelle. Mais enfin
l'essentiel est fait, et il faut bien que cela finisse, et j'en
suis chaque jour plus satisfait ; car c'est de cette occasion
qu'il faut être maréchal de France, et non comme le plus
grand nombre de vos camarades, sur lesquels vous savez
tout ce qu'il y a à dire »
A Nice, ce 16 octobre 1748.
« Voilà donc enfin ce courrier tant attendu qui arrive,
Monsieur, et je vous fais le compliment le plus sincère que
vous puissiez recevoir ; car, sans exception, qui que ce soit
ne l'a plus désiré. Je ne veux pas retarder le départ du
courrier de M. d'Argenson, qui n'attendra guères ; car
j'allois faire partir une felouque pour vous porter le paquet
ci-joint que je rouvre. Il ne put partir hier, comme je le
voulois.
« Je vous prie de me mander en détail quels vont être
vos arrangements et combien vous séjournerez encore, etc.
Ce n'est pas à présent le moment de vous parler d'autre
chose que de ma joie et de mon inviolable attachement. »
A Nice, le 22 octobre 1748.
« Les lettres de Fontainebleau du 15 ne font aucune
mention de votre nouvelle dignité, et le cardinal de Tencin
me mande que c'est encore un secret, et qu'apparemment
on ne l'apprendra que par les lettres de celte armée. Cela
est singulier ; mais vous en serez moins surpris qu'un autre.
Au surplus, peu vous importe ; cela sert à être encore plus
content que la chose soit faite ; car, quelque bien que
soient fondées les espérances, rien n'est assuré que ce qui
est fait. J'en ressens chaque jour une nouvelle satisfaction.
J'attends à présent celle de vous embrasser »
APPENDICES 235
A Nice, ce 23 octobre 1748.
« Je vois par votre lettre du 20 que vous comptez par-
tir de Gênes après le 5 ou le G novembre et me donner ici le
plus long séjour que vous pourrez. Vous ne sauriez douter
du plaisir que j'aurai de vous posséder le plus longtemps
qu'il sera possible. Nous aurons bien des articles à traiter,
et principalement celui de Corse, sur lequel il est bien
important que notre ministère prenne un bon parti. C'est
pourquoi nous devons les y conduire par tout ce qui
dépend de nous, et votre réplique à la lettre de M. de
Puyzieulx que je vous fais passer, ne peut être trop déci-
sive. Lamienneconfirmeraceque vous manderez, et, comme
vous n'avez plus le temps d attendre des réponses, il faut
marquer à ce ministre que vous allez toujours faire ce que
vous croyez convenable, etc. C'est là ce que vous avez
d'essentiel à mettre en train avant votre départ de Gênes ;
car tout le reste peut se suppléer quand vous n'y serez
plus, mais non pas l'affaire de Corse et ce qui y a rapport.
« Je ne vois aucun inconvénient que vous fassiez aux
nobles génois le galanterie d'aller vêtu comme eux pendant
deux fois vingt-quatre heures, ce qui doit leur être aussi
agréable que si vous l'étiez pendant un mois^, et un aussi
court intervalle ne change rien au commandement. Chau-
velin donnera le mot pour ces deux jours ; car l'épée est
une condition indispensable pour donner l'ordre. Je sens
mieux qu'un autre le mérite de l'attention que vous dési-
rez de marquer à la République, et je n'y vois aucune espèce
d'inconvénient quelconque. Il n'y a qu'à se moquer de ceux
qui critiqueront ; car il est impossible de plaire à tout le
monde. »
A Nice, ce l®"" novembre 1748.
« Tout ce que vous me dites sur la conduite qu'on laisse
1. M. de Richelieu avait été inscrit par le gouvernement
génois sur les registres de la noblesse.
236 MÉMOIRES DE RICHELIEU
tenir au Roi sur votre promotion n'est malheureusement
que trop vrai. J'ai cependant peine à croire que l'on ajoute
personne, et je le souhaite pour le bien de la chose.
« Vous voyez par tout ce que je vous ai envoyé que je ne
suis pas plus instruit de ce que j'ai à faire ; que M. de
Puyzieulx, en m'envoyant les feuilles des articles du traité
définitif que je vous ai fait passer, me renvoie à M. d'Ar-
genson pour en recevoir les instructions relatives, et que
ce dernier me dit positivement que M. de Puyzieulx ne lui
a rien communiqué. Il faut croire qu'ils se concerteront
pour me mander ce que j'ai à faire ; car je vois plusieurs
points sur lesquels il y aura certainement des contestations
et des partis à prendre.
« Je suis ravi d'apprendre que votre santé aille mieux ;
j'attends avec impatience de pouvoir en juger par moi-
même. Mais je juge par ce que vous me mandez que vous
ne serez guère ici avant le 9 ou le 10. Je recevrai encore
de vos nouvelles. Je vous ai écrit plusieurs lettres qui exigent
des réponses. La mer devient à présent fort équivoque ;
mais, je vous conjure, renvoyez-moi des felouques ; car
celle qui a mené ici votre valet de chambre passe outre à
Marseille avec lui. Ainsi je n'en ai plus du tout d'aucune
espèce, et voilà la seconde de celles du Roi que je fais
partir.
« J'ai remis à mon fils la réponse dont vous l'avez honoré ;
il est élevé dans les sentiments qu'ont pour vous le père
et la mère, et c'est tout dire ; car personne sans exception
ne vous est plus tendrement attaché. »
APPENDICES 237
V
MÉMOIRE
pour servir d'instruction
AU SIEUR DUC DE RICHELIEU, PAIR ET MARECHAL DE FRA>CE,
gouverneur général du gouvernement de Guyenne,
allant dans sondit gouvernement '.
15 mai 1758.
« La nécessité d'en imposer aux protestants et de répri-
mer leurs entreprises est aussi instante dans la Guyenne
qu'en Languedoc. Le projet de les rendre tout à coup dociles
aux lois de l'Eglise et de 1 Etat seroit trop vaste et même
dangereux. Il paroîtdans le moment présent plus judicieux
de se borner à l'objet de les ramener au point dans lequel
se sont jusqu'ici contenus les autres protestants dans le
reste du royaume, où on n'a point encore entendu parler
d'assemblées privées ou consistoires, d'assemblées générales,
ni de mariages ni de baptêmes dans le Désert. L'objet du
conseil une lois déterminé, il a été jugé nécessaire pour le
remplir de former un plan fixe d'opérations, réglé par une
sagesse prévoyante et avec des ménagements compatibles
avec l'autorité, mais suivi avec fermeté et sans variations.
II est en même temps à considérer que ce qui pourroit
réussir en Guyenne n'auroit pas le même succès en Lan-
guedoc. Il en est de la fermentation des esprits comme des
1. Archives nationales, R 144, n" 8 ; minute corrigée de la
main d'un secrétaire d Etat et signée par le Roi. — M. de
Richelieu, gouverneur de Guyenne depuis 1755, avait été invité
à se rendre dans son gouvernement pour y mettre ordre à des
troubles et à des conflits suscités par les protestants. Ces in-
structions montrent clairement combien était hésitante la poli-
tique du gouvernement de Louis XV en cette matière.
238 ^MÉMOIRES DE RICHELIEU
maladies populaires : quoiqu'elle soit la même dans les
différents sujets qui en sont atteints, les mêmes remèdes
ne réussissent pas pour tous. On attend de la sagesse du
médecin qu'il les varie suivant la constitution du malade, et
qu'il étudie les circonstances et les accidents pour les appli-
quer à propos.
« L'illusion de la tolérance est née dans le Languedoc ;
les prédicants l'ont insinuée aux plus accrédités d'entre les
protestants, et la multitude l'a saisie avec avidité. Elle a
reçu de l'accroissement d'où l'on devoit attendre sa ruine :
le sieur maréchal de Mirepoix avoit cru tenir comme dans
sa main les protestants du Languedoc par la voie de la per-
suasion, en entrant en correspondance avec les principaux,
en composant avec eux sur les assemblées plus ou moins
nombreuses, sur la manière de former leurs consistoires,
dont le nom ne le choquoit point, et en leur laissant et en
pensionnant même leurs ministres, pourvu qu'ils fussent
nés dans la province. Ce système d'administration n'est pas
nouveau ; il fut malheureusement celui du gouvernement
dans la naissance du calvinisme, qui dut ses progrès à l'au-
dace qu'eurent les premiers protestants de proposer des
conditions à leur souverain, et à la complaisance qu'on eut
alors de les entendre dans des pourparlers, d'entrer avec
eux dans des négociations, où ils parurent d'abord gagner
peu, mais qui furent le germe de tous les maux qui ont
affligé la France pendant les règnes de Charles IX et de
tous ses successeurs jusqu'au milieu de celui du feu roi.
Une expérience si bien acquise doit convaincre qu'il est
dangereux de laisser les protestants se permettre des espé-
rances, et faire voir combien ils sont capables d'abuser
des plus petites correspondances. C'est ce qui fait croire
que le mal sera plus difficile à réparer dans le Languedoc,
où le maréchal de Mirepoix en a eu pour eux, que dans la
Guyenne, où la barrière des lois leur a toujours été cons-
tamment opposée. Il y a bien plus de distance de la résis-
tance à lasoumission^ quand pour soumettre il faut commen-
APPENDICES 239
cer par faire perdre des espérances qu'on a laissé prendre,
que quand il ne s'agit que d'entretenir ou d'ajouter à une
fermeté qui ne s'est point démentie.
« L'illusion de la tolérance est venue du Languedoc en
Guyenne ; mais elle n'a pas eu le temps d'y prendre de
fortes racines. En toute occasion et en tout lieu, on a pré-
senté aux protestants la constante volonté du Roi pour le
maintien des lois, et, pour la rendre sensible parles effets,
il a été donné avec choix des ordres d'exil et d'emprison-
nement contre les plus accrédités. On en reconnut l'avan-
tage immédiatement après les premières assemblées : elles
devinrent moins fréquentes et moins nombreuses, et ce
remède auroit pu suffire seul, si on avoit donné à ces fruits,
qui n'étoient que précoces, le temps de mûrir. Mais, sur
des avis motivés de ces belles apparences, et de l'espoir
d'un changement prochain dans la conduite des protestants,
ces ordres étoient presque aussitôt révoqués que donnés.
Les protestants, dont le caractère distinctif est de se pré-
valoir de tout, prenant ces actes de clémence pour un com-
mencement de retour vers eux, en devenoient plus hardis
et plus entreprenants.
« Le sieur maréchal de Thomond éclaira cette conduite
des protestants. Leurs assemblées, jusque sous ses yeux,
dans une province où il commandoit, lui parurent intolé-
rables. Il conçut que le moyen le plus naturel de les faire
cesser étoit de remettre en vigueur les règlements qui les
défendoient indistinctement à tous les sujets du Roi, ainsi
que le port d'armes aux non-nobles ; il l'exécuta par deux
ordonnances qu'il rendit les 18 septembre et 12 octobre.
« Peut-être que, s'il eût communiqué son projet, le Con-
seil, en l'approuvant au fond, parce qu'il n'avoit rien que
de conforme aux ordonnances du royaume, mais balan-
çant les circonstances, en auroit remis l'exécution à un
autre temps. Mais ces deux ordonnances sont rendues ;
elles font avec l'arrêt du parlement de Bordeaux du 21 no-
vembre 1757 le dernier état de la religion protestante dans
240 MÉMOIRES DE RICHELIEU
la province de Guyenne. On ne craint point de dire que ce
seroit causer un grand mal, on ne dit pas de les révoquer,
mais seulement de laisser entrevoir aux protestants que le
Conseil n'en approuve pas les dispositions, et qu'il trouve
l'arrêt du parlement de Bordeaux trop rigoureux. II est
permis d'en juger par ce qui s'est déjà passé ; il est justifié
par des relations authentiques envoyées au Conseil qu'aus-
sitôt après la publication des ordonnances du maréchal de
Thomond et le désarmement, les protestants demeurèrent
consternés, les assemblées cessèrent totalement pendant
plusieurs mois, les protestants envoyèrent leurs enfants aux
instructions et les églises des paroisses se trouvèrent rem-
plies. Dans tous les temps les clameurs ont réussi aux pro-
testants, et ils n'ont jamais manqué d'émissaires. On sut en
Guyenne que le Conseil n'avoit pas entièrement approuvé
les ordonnances du maréchal de Thomond et l'arrêt du
parlement de Bordeaux, Les assemblées particulières
recommencèrent dans les communautés ; le souffle du Lan-
guedoc y parvint ; on y forma les plans des assemblées au
Désert ; des députés partirent pour les Cévennes et en
amenèrent des prédicants. Leur présence rendit les assem-
blées plus nombreuses qu'auparavant. Ils y publioient
comme certaine la tolérance de la religion. La clémence du
Roi y fut exaltée ; on y déclama contre la tyrannie des
commandants et des juges, et cet artifice des prédicants a
été suivi d'un tel progrès, que les nobles et les bons bour-
geois, qui, par crainte pour leur fortune, n'avoient osé
jusque là assister aux assemblées, ne font plus de dilficulté
de paroître au Désert. Plusieurs ont été vus armés dans
une assemblée nombreuse qui s'est tenue près de Clairac le
6 avril dernier.
« De la soumission qui avoit suivi immédiatement les
ordonnances du maréchal de Thomond, et des désordres
que la simple nouvelle, quoique fausse, du désaveu de ces
ordonnances a causés, on peut tirer deux conséquences :
l'une, que les protestants ont regardé ces ordonnances
APPENDICES 241
comme leur portant un coup mortel, auquel ils ont échappé ;
l'autre qu'en leur faisant perdre la confiance qu'ils ont mise
dans l'inexécution de ces ordonnances, ils perdront en même
temps leur hardiesse.
« Puisqu'il est inutile et qu'il seroit même dangereux,
comme on l'a démontré, de tenter de ramener les protes-
tants à l'obéissance par la persuasion, il faut y parvenir
par la crainte. On ne parle pas de celte sorte de crainte
qui imprime la terreur et qui conduit au désespoir, ce qui
peut arriver quand on déploie toute la sévérité des lois et
qu ou les applique à la fois à la multitude des coupables
sans distinction ; mais on entend parler de la crainte qui
vient de l'impression des exemples de sévérité.
« C'est sur ces principes que S. M. a fixé un plan d'opé-
rations, en lui donnant pour base, comme il vient d'être
dit, l'objet borné quanta présent à ramener les protestants
de Guyenne au point de ceux des autres provinces, où les
assemblées, les mariages et les baptêmes au Désert sont
inconnus.
« On doit penser que les protestants de la province de
Guyenne, instruits de la prochaine arrivée du gouverneur,
ont déjà formé des projets, et que, attentifs à ses démarches
et à ses moindres paroles, ils croiront y trouver matière ou
à rabattre de leur indocilité, ou à fortifier leurs espérances.
Ainsi le sieur maréchal de Richelieu ne laissera voir à
l'extérieur qu'inflexibilité pour le maintien de l'autorité du
Roi dans l'exécution de ses ordonnances et des arrêts de
son parlement de Bordeaux sur le fait de la Religion pré-
tendue réformée. Il applaudira à tout l'appareil de la jus-
tice contre les contrevenants, et il se rendra impénétrable
aux religionnaires quant aux vues de prudence et de ména-
gement dont il sera à propos d'user dans l'exécution.
« Comme il n'y a plus à délibérer sur l'ordonnance du
maréchal de Thomond du 18 septembre pour le désarme-
ment, et qu'elle est exécutée, que cependant le prétendu
désaveu de cette ordonnance a produit un très mauvais
IG
242 MÉMOIRES DE RICHELIEU
effet parmi les religionnaires, il n'y a point de meilleur
moyen de les en dissuader que de donner des ordres pour
faire mettre les armes dans un ou plusieurs dépôts où elles
soient en sûreté, s'il n'y a pas déjà été pourvu ; d'en faire
faire des états et inventaires, d'affecter d'en faire prendre
un grand soin, et de ne pas permettre qu'elles soient ren-
dues en tout ou partie à aucun des particuliers non-nobles
ou non-privilégiés auxquels elles ont été ôtées, ni aux gar-
diens de les prêter ou de s'en dessaisir sous quelque pré-
texte que ce soit. Il sera même bon, pour plus grande
marque d'approbation, d'envoyer de temps en temps faire
quelques désarmements, — chez gens obscurs, — et de le
faire remarquer.
« A l'égard de la seconde ordonnance du 12 octobre
concernant les attroupements, son but principal étant con-
fondu dans l'arrêt du Parlement du 21 novembre qui sévit
contre les assemblées, le sieur maréchal de Richelieu peut,
en la louant extérieurement, la laisser cependant à l'écart,
d'autant mieux que le Roi se réserve de donner immédia-
tement ses ordres particuliers pour les exils et les empri-
sonnements sur les avis qui lui seront donnés dans les cas
qui requèreroient plus de célérité qu'on ne peut en attendre
des formalités de justice.
« L'illusion de la tolérance est le nerf des assemblées ;
elle en est l'âme parce qu'elle en est le plus puissant véhi-
cule ; et réciproquement les assemblées donnent l'aliment
à cette illusion par l'artifice des prédicants, qui sentent
bien qu'ils ne peuvent se soutenir qu'à l'ombre de ce simu-
lacre. L'arrêt du Parlement tend bien à le faire dispa-
raître, et peut en effet y contribuer beaucoup ; mais il
embrasse trop de parties. Ce sera toujours en vain qu'on
entreprendra d'empêcher les mariages et les baptêmes au
Désert, et de forcer les parents à envoyer les enfants aux
instructions de l'église, tant qu'il y aura des assemblées. Il
faut donc s'attacher principalement à les détruire. La pos-
sibilité ne s'en trouve que dans les moyens à pratiquer
APPENDICES 243
pour retrancher aux religionnaires et à leurs prédicants
toute présomption de tolérance accordée ou à espérer.
« Ces moyens se trouveront dans le concert du sieur
maréchal de Richelieu avec le parlement de Bordeaux dans
les matières concernant les protestants, pour faire instruire
sans relâche tous les procès qu'il trouvera avoir été com-
mencés, avant son arrivée, contre les protestants en matière
de contravention aux règlements concernant la religion,
quel que soit le délit. Cette rigueur est de nécessité. Si on
recule ou s'adoucit, l'idée de tolérance reprend ses forces,
et c'est elle qu'il faut abattre. Rien n'y paroît plus propre
que de laisser voir tout naturellement aux religionnaires
que le gouverneur de la province, dépositaire de la volonté
du Roi, provoque lui-même l'exécution des arrêts du par-
lement. C'est ainsi qu'on parviendra à porter dans les
esprits la conviction que le Roi approuve tout ce que le
parlement a ordonné contre les protestants, et ce sera un
grand échec pour l'idée de tolérance.
« Si le Roi s'est déterminé à laisser ainsi agir la sévérité
de la justice pour le passé, c'est-à-dire à l'égard des procès
déjà commencés, ce n'est, et on l'a déjà fait entendre, que
parce qu'on ne peut pas empêcher que les plaintes n'aient
été rendues et que les décrets n'aient été décernés, et
qu'il faut être en garde contre toute modération que les
religionnaires pourroient approprier à leur idée de tolé-
rance. Mais, pour l'avenir, S. M. désire qu'il soit apporté
à l'exécution de l'arrêt du parlement du 21 novembre des
restrictions, quant à certaines dispositions qui peuvent être
suspendues ou différées, et, à l'égard des autres, qu'on use
des ménagements qui, sans blesser son autorité, pourront
par des jugements sévères, mais moins multipliés, faire
rentrer les protestants dans l'obéissance aux lois du rovaume
par la crainte de s'exposer aux peines qu'ils auront vu
infliger à leurs pareils.
« L'intention de S. M. est que ses édits et ordonnances,
déclarations et règlements, et l'arrêt du parlement de lîor-
244 MÉMOIRES DE RICHELIEU
deaux du 21 novembre soient exécutés en toute rigueur
contre les ministres ou prédicants.
« A l'égard des religionnaires qui auront reçu chez eux
les miu stres ou prédicants ou qui les auront accompagnés
dans les chemins, dont il aura été donné avis à l'intendant
ou qui seront dénoncés au procureur général, ou dont le
sieur maréchal de Richelieu aura connoissance par lui-
même, le procès ne sera fait suivant la rigueur de Tarrêt
du 21 novembre, pour raison de la même contravention
commise par plusieurs, qu'à un seul de ces contrevenants.
Le sieur maréchal de Richelieu, le sieur intendant de la
généralité, le sieur premier président du parlement et le
procureur général s'assembleront à l'effet de délibérer sur
le choix. 11 devra toujours tomber sur le plus distingué par
son état et qualité, ou sur le plus riche. Ils en informeront S.
M., et, sur leur avis, elle donnera immédiatement ses ordres
contre les autres suppôts et hôtes des ministres ou prédi-
cants, si elle le juge à propos.
« Il en sera usé de même à l'égard des personnes qui se
trouveront dans le cas de l'arrêt du 21 novembre pour avoir
prêté leurs maisons, granges et autres bâtiments et possessions
pour y tenir des assemblées.
« On prendra les moyens possibles pour être informé
des noms des principaux protestants qui auront assisté aux
assemblées, et il sera convenu avec le sieur premier prési-
dent de ceux contre lesquels on prendra la voie de l'in-
struction, et S. M. ordonnera à l'égard des autres ce qu'il
appartiendra.
« En ce qui regarde les mariages faits au Désert, le sieur
maréchal de Richelieu se concertera avec le sieur premier
président et lui fera entendre que S. M. ne juge pas à pro-
pos que les poursuites se fassent à cette occasion dans le
cours ordinaire de la justice, à cause de la conséquence
des condamnations qui en résulteroient, et qu'elle se réserve,
sur le compte qui lui sera rendu de ces jnariages, d'en faire
des exemples plus prompts et qui ne feront pas moins d'im-
APPENDICES 245
pression. L'intention de S. M. est d'en user de même à
l'égard des enfants baptisés au Désert.
« Le procureur général du parlement se fera remettre
par ses substituts, et l'intendant de la généralité par ses
subdélégués, des états qui contiendront les noms et qualités
des juges royaux et seigneuriaux, greffiers et autres offi-
ciers de justice, des notaires, tabellions, procureurs et avo-
cats, huissiers et sergents, arpenteurs et autres ayant ser-
ment en justice, qui sont nés de parents protestants et qui
ne font pas profession publique de la religion catholique.
Ces états seront envoyés au secrétaire d'Etat du département
pour en rendre compte au Roi et recevoir les ordres de
S. M.
« L'intendant se fera pareillement remettre par ses sub-
délégués, et envolera aux mêmes fins au secrétaire d'Etat
du département, des états qui contiendront les noms et
qualités des maires, lieutenants de maire, consuls, jurats,
procureurs-syndics, greffiers, prudhommes ou conseillers
de ville, valets de ville et autres ayant charge et emploi dans
l'administration municipale des villes, bourgs, villages et
communautés, qui, comme il est dit ci-dessus, sont nés de
parents de la Religion prétendue réformée et qui ne font
pas profession publique de la religion catholique.
« Les assemblées de religionnaires qui se font dans des
maisons privées, en chaque paroisse ou étendue de juridic-
tion, déjà connus en Languedoc sous le nom de consistoires,
auxquelles président des zélateurs, que les prédicants ont
l'artifice de décorer des titres de lecteurs et d'anciens pour
leur donner autorité, étant les plus pernicieuses, parce
qu'elles sont le principe des assemblées au Désert, et que
c'est dans ces petites assemblées que les ministres et prédi-
cants réussissent par leurs émissaires à insinuer la fausse
idée de tolérance et à souffler l'esprit de vertige qui entraîne
la multitude au prétendu Désert, S. M. désire que, sans
négliger aucun des objets qui sont recommandés à la vigi-
lance du commandant et du commissaire départi, ils portent
246 MÉMOIRES DE RICHELIEU
principalement leur attention à déranger ces petites
assemblées. Ils s'appliqueront à acquérir une connoissance
certaine des personnes chez qui les petites assemblées se
tiennent le plus communément, et des lecteurs et anciens.
« Quoique les premiers ne soient pas moins coupables
que les autres, cependant, comme les lecteurs et anciens
sont plus dangereux, les propriétaires du lieu de l'assem-
blée seront condamnés à l'amende seulement, et il sera
envoyé au secrétaire d'Etat du département des états des
noms des lecteurs et anciens, de leurs qualité, profession et
facultés, pour en rendre compte à S. M., qui les fera punir
suivant les circonstances plus ou moins aggravantes par la
prison, par le renfermement dans des hôpitaux ou maisons
de force, dans des châteaux et citadelles, ou par l'exil en
des lieux non suspects et hors de portée de nuire.
« Il sera tenu un état exact des amendes qui seront pro-
noncées et du recouvrement qui en aura été fait. Les frais
d'exécution et de recouvrement qu'il échoiera de prendre
sur le produit seront taxés modérément et payés comptant,
dont il sera fait mention sur l'état. Il ne sera fait aucun
emploi du surplus du produit des amendes que de l'ordre
exprès du Roi et de la manière que S. M. trouvera néces-
saire d'en disposer, sur l'avis qui lui sera donné en envoyant
au secrétaire d'Etat du département les états de ces amendes
et frais du recouvrement.
« Il ne sera prononcé aucune amende en termes géné-
raux contrôles protestants de tel ou tel canton, ville, bourg,
village ou communauté, pour quelque cause etsous quelque
prétexte que ce soit, sans l'exprès commandement de S. M.
« Les troupes qui seront envoyées dans la province de
Guyenne seront réparties dans les cantons de Tonneins,
Clairac, Nérac, Agen, dans le Condomois et autres quartiers
où la fermentation s'est le plus fait remarquer. On se ser-
vira des brigades de maréchaussée pour observer.
« Il y a lieu d'espérer que la présence des troupes, jointe
à la pratique des moyens qui viennent d'être détaillés,
APPENDICES 247
contiendra les religionnaires et qu'il n'y aura plus d'assem-
blées au Désert.
« Fait à Versailles, le 15 mai 1758.
Louis. »
VI
LETTRE DE SOLTAVIE A NECKER
[Il a été tant parlé de Soulavie et de ses travaux histo-
riques dans l'Introduction du présent volume, que nous
croyons intéressant d'imprimer ici la lettre suivante, quoi-
qu'elle n'ait pas de rapport avec les Mémoires du maréchal
de Richelieu. Elle fut adressée par l'écrivain à Necker, au
commencement de septembre 1789, pour le supplier de
ne point quitter le ministère, et M. Mazon, l'historien de
Soulavie, n'a pas dû la connaître. Elle a passé en vente
naguère, chez Etienne Charavay, sous le n° 28212.]
« A Monsieur Necker, à lui seul.
« Lundi soir [septembre 1789].
« Monsieur,
« Occupé de former un corps d'histoire des événements
qui ont préparé, depuis Louis XIV, la chute du despo-
tisme, je ne puis voir, Monsieur, sans une douleur pro-
fonde le projet de votre retraite.
« Se peut-il bien. Monsieur, que celui qui nous a conduits,
pas à pas, à un nouvel ordre de choses, nous laisse en ce
moment, et que cette âme toujours fière, qui a combattu
tous les ennemis, un à un, de l'ordre futur, se laisse attrister?
Votre sensibilité pourroit-elle l'emporter sur la conviction
où vous êtes de la nécessité d'un honnête homme à votre
place et d'un homme très éclairé ? Sans doute que, si vous
248 MEMOIRES DE RICHELIEU
l'avez occupée, jusqu'à cette circonstance, avec tous ses
désagréments, vous avez reconnu cette nécessité et, si
d'autres que vous, Monsieur, ont porté ce même jugement,
en étudiant la marche des choses, reconnaissez au moins
quels blâmes ils vous donneront, même de votre vivant,
d'abandoimer nos finances.
« Des personnes passionnées, de tous partis et états, vous
jugent chacun à leur manière ; mais des paisibles obser-
vateurs vous jugent aussi ; et, au milieu de tous ces juge-
ments, se trouve déjà le véritable, celui de la postérité.
Et que voulez-vous que dise de vous, et même de votre
vivant, cette partie incorruptible de vos juges, qui ne peut
pas ne pas exister, si votre retraite entraîne des maux à la
France ? Vous aurez, un jour et tout à la fois, le déplaisir
de voir vos ennemis poursuivre votre repos, les indifférents
vous blâmer et les amis de vos principes déplorer l'ascen-
dant de votre sensibilité sur la conviction où vous êtes
qu'il nous faut un honnête homme et que le salut de la
France peut-être en dépend, nonobstant toute responsabilité.
Veuillez vous ressouvenir que, au sein de nos montagnes,
je vous prophétisai la nécessité prochaine de votre retour
à la cour; ma prophétie était-elle intéressée ? Je ne vous
ai rien demandé. Et fasse le bon génie du royaume que je
ne sois point, pour l'avenir, un prophète de malheur,
comme je l'ai été du bonheur de la France ; et que cette
lettre-ci, conservée dans un dépôt de papiers très précieux
sur la Révolution, ne soit pas, un jour, un de vos jugements.
Il n'est rien sans doute de plus cruel que le déplaisir de
ne pas voir vos principes avoués justes et irréprochables;
mais. Monsieur, les orages sont passagers en France ; celui-
ci ne peut durer ; les vérités pures dont vous avez alimenté
et formé l'esprit national sont dans nos cœurs. Il s'élève
d'autres Français ; il se prépare d'autres générations ; tous
savent et verront que vous avez eu dans vos mains leur
destinée, que la révolution est le signal de la résurrection
de tous les peuples, qui, tous ensemble, témoignent, en
APPENDICES 249
Europe, chacun à leur manière, leur sensibilité; et vous
verrez encore, Monsieur, que tous avoueront ce qu'ils
vous doivent, parce que jamais humain n'avait autant pré-
paré et opéré de choses. L'orage lui-même que vous
essuyez n'est-ii pas une suite, un des anneaux de la chaîne ?
Et vous nous abandonnez, lorsqu'il gronde et qu'il ne peut
vous frapper ? Soyez donc sensible aux alarmes de vos
amis sur les suites de votre retraite, si vous l'êtes aux cris
de vos ennemis, et, si l'ingratitude actuelle vous offense,
soyez touché du moins, et du bien que vous pouvez faire,
et du mal que vous pouvez empêcher, et de la récom-
pense que l'histoire, de votre vivant, vous prépare. Vous
en jouirez, Monsieur, avec d'autant plus de vérité que ni
le besoin, ni la flatterie, ni aucun appât n'y auront aucune
part. Mais, si votre retraite est suivie de maux, songez à
vos regrets. Je la regarde comme un malheur ; mais, si
vous l'effectuez, accordez-moi le plaisir, la grâce et l'hon-
neur de vous voir avant votre cruel départ. Vous m'éviterez
le voyage des eaux et je serais désolé de n'avoir pas vu
un homme qui m'occupe depuis si longtemps.
« J'ai l'honneur d'être avec respect,
Monsieur,
Votre très humble et très obéissant serviteur.
SoULAVIE,
rue des Bernardins, n** 26. »
En apostille : Rép. de remerciement en billet, 12 sep-
tembre.
TABLE ALPHABETIQUE
DES NOMS PROPRES.
Agénois (Emmanuel-Armand
de Vignerot du Plessis-Riche-
lieu, duc d'), 51,65.
Aignan (le médecin), 179, 180.
Aiguillon (le duc d'I, 173.
Aiguillon (Anne-Charlotte de
Grussol-Florensac, duchesse
d'), 152.
Aix-la-Chapelle (les négocia-
tions d'), 200, 213, 218, 229,
236.
Albaro (le faubourg d'), àGênes,
185.
Alexandre (le sieur). 179.
Alsace (!'), 72, 80.
Argenson (le marquis d'), se-
crétaire d'Etat des Affaires
étrangères, 114. 142,143.
Argenson (le comte d'), secré-
taire d'Etat de la guerre, 117,
123, 124, 130. Détermine
^Ime (Je Mailly à se retirer, 67.
Porte à la duchesse de Châ-
teauroux l'ordre de quitter
Metz, 86. Conseils qu'il donne
au duc de Richelieu à ce su-
jet, 89, 90. Fait donner à ce-
lui-ci le commandement à
Gênes, 117. Lettres qu'il lui
écrit à cette époque, 190-195.
Sa conduite à son égard pen-
dant cette période ; il le fait
nommer maréchal de France,
196, 197, 201, 202, 205-210,
214, 220, 225-227. 230-236.
Rôle pendant l'expédition de
Minorque, 123, 124, 130. En-
voie ordre à Richelieu de res-
ter en Provence : sa condui-
te peu franche, 132-133, 136-
138. M^e de Pompadour lui
est hostile, 133. Ses relations
avec M™«d'Estrades, 139-141.
Sa disgrâce, 139-147.
Artignosc (le chevalier d'), 198,
199.
Aubigné (Louis-Henri, marquis
d'), 79.
Augsbourg (la ville d'), 114.
Auguste, roi de Pologne, 113.
Aumont (Louis-Marie-Augus-
tin, duc d'), 142.
Autriche (la maison d'), 156,
189.
Auvergne (le cardinal d'i, 183.
B
Balincourt (Claude-Guillaume
Testu, maréchal de), 96.
BarrjMM'"* du), 172-173.
Bastia (la ville de), 216.
Bastille (la), 168-170.
Bavière (l'électeur de), 113, 183,
200.
Beauvau (le prince de), 128,
1.36.
Bedmont (le chevalier de), 128.
Bellefonds (Marie-Suzanne-Ar-
mande du Châtelet, marquise
de), 86, 87.
Belle-Isle (le maréchal de), 86,
87, 123, 147. Lettres au duc
de Richelieu à Gènes en 1748,
196-236.
Belle-Isle (la maréchale de),
198, 210, 214, 217, 230, 236.
252
TABLE ALPHABETIQUE.
Berg-op-Zoom (la ville de),
HT, 207.
Bernis iJoachim de Pierre de),
père du cardinal, 149. 150.
Bernis (François-Joachim de
Pierre, cardinal de). Sa car-
rière, sa faveur, devient mi-
nistre, 148-159. Entre aux
divers conseils, 162-163. Fait
rompre la capitulation de
Closter-Seven ; causes de son
inimitié pour Richelieu, 161-
167. Nommé cardinal; Louis
XV veut révoquer sa nomi-
nation, 164-165.
Berryer (Nicolas-René), lieute-
nant de police, 140, 141.
Berwick (le maréchal de), 87.
Bissv (Anne-Louis de Thiard.
comte de), 79, 197, 202.
Blackney (M. de), 126. 129.
Blet (l'abbé), 2.30.
Bohême (la). 72, 81, 93.
Bordeaux (la ville de), 58, 172.
Bordeaux (le parlement de),
239-245.
Boudin, médecin du Roi, 177,
178.
Boufflers (le duc de), 118, 185,
186, 223.
Boufflers (Marie-Angélique de
Neufville-Villeroy, duchesse
de), 60.
Boullongne (M. de), 205, 208,
210.
Bourbon (le duc de), dit Mon-
sieur le Duc, 33, 35, 36, 178,
Bourgogne (la duchesse de),
170.
Bournonville (le duc de), am-
bassadeur d'Espagne à Vien-
ne, 8.
Boyer, évêque de Mirepoix,
154.
Breil(le marquis de), ambassa-
deur de Savoie à Vienne, 4,
8, 24, 25, 35.
Bretagne (la), 37, 39, 40, 41.
Bretagne (les Etats de), 37.
Brignole, doge de Gênes, 189.
Broglie (l'abbé de), 53.
Brown (M. dei, général impé-
rial, 117, 194, 195, 216, 217,
219,221.
Bruhl (le comte deK 113.
Brunswick (la ville de), 165.
Byng ilamiral), 129, 214. 215.
Calvi (la ville de), i'i^. 207.
Cap Breton (le), 212.
Capraia (le bourg de), 207.
Caraman ( Victor- Maurice, com-
te de), 57.
Caraman (Louise-Madeleine-
Antoinette Portail, comtesse
de), 57.
Carignan (la princesse de), 209.
Castellane(lechevalierde), 128.
Casteras de comte de), 26.
Cevallos (M. de), 203.
Cévennes(les), 56.
Chabrillan (M. de), 192.
Chalmazel (Louis de Talaru,
marquis de), premier maître
d'hôtel de la rpine, 64, 65.
Chambéry (la ville de), 210.
Charles VL empereur. 2-9, 13-
15, 19-22. 32. Sa mort, 182.
Charles, infant d'Espagne, 2, 6,
14.
Charolais (M"« de), 37, 38, 40,
43,44, 46-48.
Ghâteauroux (la duchesse de).
Voyez Tournelle (la marquise
delà).
Ghâtillon (le duc de), gouver-
neur du Dauphin, 91.
Chatte (le comte de), 181-183.
Chauvelin(M.), 216.
Choiseul (la maison de), 49.
Choisy (le château de), 45, 58,
59. 71 73.
Ciutadella (la ville de), 127, 128,
135 136.
Claira'c (la ville de), 240, 246.
Glermont-Tonnerre (le marquis
de), 108.
Closter-Seven (la capitulation
de), 161-167.
Cologne (l'électeur de), 200.
Colonna (M.), alchimiste, 176,
177. 179.
TABLE ALPHABETIQUE.
253
Compiègne (la ville de), 8.
Coni (la bataille de), 79.
Condé (le grand), 93.
Conti lie prince de). 79. 80.
Corse (l'île de), i87, 194, 207,
216. 235.
Grillon (M. de), 136.
Croix iIp marquis de), 20-0 .
Crosset de laHaumeriei le sieur) .
179.
Cumberland (le duc de), 110.
Curzay (M. de), 216.
D
Damiens (l'attentat dp), 162.
Dauphin (Louis de France, dit
le). Vient trouver à Metz le
Roi malade. 90. A la bataille
de Fontenoy. 99, lÙO, 105.
109. Son mariage avec Marie-
Josèphe de Saxe. 113. Fait
entrer l'abbé de Bernis au
Conseil, 162-163.
Dauphine (la), infante d'Espa-
gne. 113.
Dauphine (la), Marie-Josèphe
de Saxe, 113.
Delchetet (le sieuri. 166.
Diesbach (Joseph-Marie Girard,
dit), alchimiste. 176-181.
Dresde (la ville de), 113.
Dumas, bourgeois de Paris,
179-180.
DuQkerque (la ville de), 212.
E
Elisabeth Farnèse, reine d'Es-
pagne, 2. 14.
Ensenada (M. de la), 199, 200.
Estrades (la comtesse d'j, née
Huguet de Sémon ville. 1.39-
141.
Estrées (Yictor-Marie. maré-
chal d'), 37.
Estrées (le comte d'), 108.
Etiolles(M"'=d'), 151-155. Voyez
Pompadour (lamarquise ae).
Exilles (la ville d). 184.
Fabri (M. de), 129.
Farconet (le sieuri, 201.
Ferdinand III. empereur d'Al-
lemagne, 183.
Final ila ville de), 212, 214.
Fitz-James (François de), évê-
que de Soissons, 87, 88, 89.
Flandre (la), 45, 48,66, 72, 79.
80. 152. 153.
Flavacourt (la marquise de).
51, 58, 59, 60.
Fleury (le cardinal de), ancien
évèque de Fréjus. Sa nomi-
nation au cardinalat, 9, 32-33.
Négociations de la paix avec
l'Empereur, 6, 21-28. Congrès
deSoissons ; lettre au duc de
Richelieu, 28-30. Lui promet
la lieutenance générale de
Bretagne, et lui fait donner
le commandement de Lan-
guedoc. 37-41 . Intrigue contre
Richelieu pour l'écartt^r de
la cour, 49-53. Conversation
de Richelieu avec lui, 53-57.
Cité. 48, 143.
Fonseca (le baron de), 27.
Fontainebleau (la ville de), 136.
153.
Forceville (M. de), 184.
Forges-les-Eaux, 179.
Fran(.ois I«^ empereur, 72.
Frédéric II. roi de Prusse. En-
tame une négociation secrète
directe avec le Roi (1744),
72-77. Entre en Bohème, 81-
82. Fait la paix avec l'Au-
triche, 93. Lettre au duc de
Richelieu pour demander la
paix (1757), 165-166. Plaisan-
teries sur M«« de Pompadour,
156.
Fréjus (lévêque de). Voyez
Fleury (le cardinal de).
Fribourg-en-Brisgau (la ville
de), 93, 94,95.
Fronsac (le duché de), 58.
Gacé (le comte de), 169.
Gallissonnière (M. de la), 128,
129. 13."i.
Gardes françaises (lesi, 105.
254
TABLE ALPHABETIQUE.
Garibaldi (le sieur), 197.
Gazette de France (la), 153.
Gênes (la république de), H7-
121, 131. Situation en 1747,
184-190. Défense de la ville
par un corps français (1748);
lettres du maréchal de Belle-
Isle à ce sujet, 190-236.
Gesvres(François-Joachini-Ber-
aard Potier, duc de), premier
gentilhomme de la chambre,
142-143.
Gibraltar (la ville de), 26, 130.
Gisors (Louis-Marie Foucquet.
comte de), 198,236.
Godefroy ou de Maubuisson (le
P.), de l'Oratoire, 177, 178.
Grille (le chevalier de), 61.
Grimaldi (Mgr), nonce à Vien-
ne, 4-7, 17-19, 22.
Grinàaldi (MM.)', de Gênes, 189.
Grimaldi (l'abbé), 229.
Guastalla (le duché de), 212.
Guérapin de Vauréal (Louis de),
évèque de Rennes, ambassa-
deur de France à Madrid, 64,
193, 199, 200. 220,231.
Guerchy (M. de), 101,106.
Guyenne (la), 237-246.
H
Haumerie (la). Voyez Crosset.
Hongrie (la reine de). Voyez
Marie-Thérèse, impératrice.
Houry (Laurent d'), libraire,
179.
Huescar (le duc d'), 190, 205,
211.
Humada (M. de la), 190, 191,
193, 200, 201,204, 211. 215.
216, 226.
Hyères (les îles d'), 127.
I
Indes orientales et occidentales
(les), 212.
Infante d'Espagne (1'), fiancée
à Louis XV, 1,2, 13.
Infante (1'), fiancée au Dauphin,
92.
Infante (1'), fille de Louis XV.
Voyez Parme(la duchesse de).
Isnard (le sieur), 102, 107.
Issy (le village d'), 50.
Jacques (le roi) d'Angleterre,
225.
Languedoc (le), 37, 40, 41, 45,
48.49, 53,54,56, 57,71,149,
181 . Les protestants, 237-239.
Languedoc (les Etats de), 41,
44, 69, 96.
Laon (la ville de), 80, 81.
Lauraguais (Diane- Adélaïde de
Mailly, duchesse de), 86, 88,
90, 157.
Lawfeld (la bataille de), 114,
117, 199.
Le Bel (Dominique-Guillaume),
premier valet de chambre du
Roi, 63, 89, 94.
Le Dran (M.), 114.
Leraoine, huissier du cabinet
du Roi, 162, 163.
Le Riche (le sieur), 178.
Leutrum (M. de), 217.
Livourne (le port de), 186.
Lorenzi (le chevalier), 128.
Lorraine (le prince Charles de),
80, 93.
Louis Xni, roi de France, 93.
Louis XIV, roi de France, 80,
142, 168-170.
Louis XV, roi de France. Son
mariage projeté avec l'infante
d'Espagne ; elle est renvoyée,
1, 13. L'Empereur le fait con-
sulter au sujet du mariage de
sa fille, 8. Fait nommer car-
dinal M. de Fleury, 9, 32.
Son mariage avec Marie Lec-
zinska, 34. Donne à Richelieu
la lieutenance générale de
Bretagne. 37. Sa liaison avec
^mes de Mailly, deVintimille
et de la Tournelle, 45 et suiv.
Il prend Richelieu comme
confident, 61-66. Il se débar-
rasse de M""* de Mailly, 67-
68. Négociation secrète avec
TABLE ALPHABETIQUE.
255
lé roi de Prusse. 71-77. Vo-
yage à Metz ; sa maladie ;
renvoi de M™« de Chàteau-
roux, 79 et suiv. Montre à
Richelieu des lettres de cel-
le-ci ; ses regrets de sa mort,
97-98. Assiste à la bataille
deFontenoy, 99-107. Mariage
du Dauphin avec la princesse
de Saxe. 113-115. Renvoie le
marquis d'Argenson, 114.
Commencement de sa liaison
avec M™« de Pomiiadour,
152-153. Nomme Richelieu
pour commander l'expédition
deMinorque, 123. Embarras-
sé avec lui a son retour, 133.
Consent à une faveur pour le
comte d'Argenson, puis le
disgracie, 144 et suiv. Donne
une pension à l'abbé de Ber-
nis. 153-154. Signe le traité
de Vienne, 156. Attentat de
Damiens. lf'.2. Veut révoquer
la nomination de l'abbé de
Bernis au cardinalat, 164-
165. Liaison avecM"^ du Bar-
ry, 172-173. Son grand fonds
de religion. 83.
Louis, dauphin de France, fils
de Louis XV. Voyez Dauphin.
Louis XVL roi de France, 171.
Louis (la fête de saint), 92.
Lowendal iM. de), 210, 223.
Luc lie comte duK 31.
Lucques (la ville de), 227.
Lyon (la ville de). 56, 138, 177,
179, 183.
M
Machault d'Arnouville (Jean-
Baptiste de). 144-145. Contrô-
leur général des finances,
198. 204. 209.
Maéstricht (la ville de), 117,
207, 210.
Mahon ila ville de). Voyez
Port-Mahon.
Maillebois (le maréchal de), 123.
Maillebois (Yves-Marie Desma-
retz, comte de), 130, 131,
146-147.
Mailly (Louise-Julie de Mailly-
Xesle, comtesse de), maîtres-
se du Roi, 44-51. 53, 59, 61,
66, 67. Son amitié pour Ri-
chelieu, 48. Son peu d'esprit,
46.
Mailly (la maison de), 51.
Maintenon (la marquise de),
168, 169.
Malbran de la Noue (le sieur),
115.
Marcadal(le village de), 128, 129.
Marie Lcczinska, reine deFran-
ce, 34. 51-53. 58, 59. 62.
Marie-Thérèse, archiduchesse
d'Autriche, puis impératrice
et reine de Hongrie. 2, 5. 6,
14. 20, 114,117, 189. 190,212,
215-217. 220.
Marseille (la ville du). 124-120,
135, 236.
Massa (le château de), 193.
Massiac (M. de). 134.
Maubuisson ou Godefroy (le P.
de), de l'Oratoire, 177.
Maupeou (le comte de), 120.
Maurepas (M. de), secrétaire
d'Etat. 52, 53. 59. 65,85, 91,
142, 143, 218, 230.
Maurepas (M™* de), 52.
Mazann |le cardinal), 223.
Mazarin (Françoise de Mailly,
marquise de la Vrillière,
puis duchesse dei, 39, 40, 51.
52, 58, 59.
Méditerranée (la mer), 123.
Mesnil ile marquis du), 150.
Metz (la ville dei, 81, 86, 87, 88.
Meuse (Henri-Louis de Choi-
seul, marquis de). 49, 54, 66,
67, 97.
Milan (le chancelier de), 156.
Milanais (le), 24.
Mina (M. de lai, 191, 200, 201,
203, 210, 211, 214, 217, 219-
221,
231
Minorque (lile de), Expédition
de 1756, 123-138.
Mirepoix (Gaston-Charles-Pier-
re de Levis, marquis, puis
maréchal de), 49, 123, 197,
203, 215, 238.
256
TABLE ALPHABÉTIQUE.
Modène (le duc de), 194, 210,
212.
Modène (M'i« de Valois, du-
chessedel.filleduRégent, 170.
Monconseil (Cécile-Thérèse
Rioult de Cursay, marquise
de), 141.
Monmartel (M. Paris de), 205,
208.
Monnaie de Paris (la), 177.
Montai (M. de), 120.
Montbazon (Louise-Gabrielle-
Julie de Rohan-Soubise, du-
chesse de), 72.
Monti (le marquis de), 120.
Montpellier (la ville de), 43,50,
56, .57.
Morville (M. de), secrétaire
d'Etat, 30.
Moya (M. de), 194, 21L
N
Nadasti (M. de), général impé-
rial, 120, 192.
Nantais (le pays). 37.
Nice (la ville et le comté de),
210.
Noailles (le maréchal de), 76,
79, 'j2, 94,103,107, 117,118,
202, 219.
Opéra (1'), à Paris, 89,
Orléans (le duc d'), régent, 143,
169.
Ostende (la compagnie de com-
merce d'), 3, 5, Ù.
Palais-Royal (le), 176.
Palatin (l'clocteur), 200.
Pallavicini (M. de), 209.
Pallu du Ruau (Bertrand-René) ,
158 159.
Paris (la ville de), 37, 43, 45.
48, 61. 68. 71.72, 81, 88,96.
97. 104, 111, 114, 132, 136,
137,152, 179-181.
Parme (Philippe, infant d'Es-
paene, duc de), 155.212,218-
ni.
— (Louise-Elisabeth de France,
duchesse de), dite l'Infante,
155-157, 163.
— (la ville et le duché de), 212.
Paulmy (Antoine-René de
Voyer, marquis de), 147.
Penthièvre (le duc de), 37, 38.
Pépingué (Edrae), libraire, 179.
Perne (la marquise de), 177.
Pérou (le), 2, 6.
Peyronie (M. de la), premier
médecin, 83, 85.
Philippe V, roi d'Espagne, 1,2,
13, 169.
Plaisance (la ville de) et le Plai-
santin, 212.
Polignac (le cardinal de), 9, 32.
Pompadour (M-^^ d'Etiolles,
marquise de), 119, 123. De-
vient maîtresse du Roi, 152-
153. Hostile au comte d'Ar-
genson, 133. Le fait chasser,
139 et suiv. Ses relations avec
l'abbé de Remis, 151 et suiv.
Lui obtient le chapeau de
cardinal, 1G4. Citée, 133,204,
227, 232.
Pontchartrain (Jérôme Phély-
peaux, comte de), 143, 169.
Port-Mahon (la ville de), 128,
132, 136, 137.
Portoliello (la ville de), 213.
Portofino (le bourg de), 186,
187.
Prague (la ville de), 230.
Protestants (les), 237-2.
Provence (la), 132, 133, 137,
138, 188.
Prye (Agnès Berthelot de Plé-
neuf, marquise de), 33-36.
Puyzieul.x (M. de), secrétaire
d'Etatdes Affaires étrangères,
114. 190, 194, 199, 206, 209,
217, 218, 220, 225-227, 229,
230, 235, 236.
R
Ratisbonne (la ville de), 114.
Rhin (le), 80, 92, 93.
Richelieu (le duc de), père du
maréchal, 168, 169.
— (Louis-François- Armand de
Vignerot du Plessis, duc de).
TABLE ALPHABETIQUE,
257
Elevé avec le comte d'Argen-
son, 133. Ses divers séjours
à la Bastille et leurs causes,
1 (38-170. Ses trois mariages,
170-172. Liaison prétendue
avec la duchesse de Bourgo-
gne. 170. Son duel avec Gacé
(1716), 169. Liaison avec M"«
de Valois, duchesse de Mo-
dène, 170. Ambassade à Vien-
ne (1725-1728), 1-36. Accusé
de sorcellerie à Vienne, 30-
31. Lettre à M"= de Prye, 33-
36. Il est question de l'en-
voyer ambassadeur en Espa-
gne (1727), 29. Fait chevalier
du Saint-Esprit (1728), 8.
Brouillé avec M'^"^ de Charo-
lais, 38. Son commandement
en Languedoc (1738), 37-42.
Tient les états de cette pro-
vince, 41, 44. 69, 96. Perd sa
seconde femme (1740), 43.
Lettres au comte de Chatte
(1740), 181-183. S'entremet
entre le Roi, M'^^ de Mailly
et M™= de laTournelle (1740-
1744), 43 et suiv. Son intimi-
té avec M"** de la Tournelle
et de Flavacourt, 51 . Confident
de la liaison de Louis XV et
de M°»« de la Tournelle, 61 et
suiv. Intrigue pour l'envoyer
en disgrâce en Languedoc
(1742), 49 et suiv. Ses rela-
tions avec le cardinal de Fleu-
ry, 53 et suiv. Mêlé à la négo-
ciation secrète avec la Prusse
(1744), 71 et suiv. Voyage à
Metz ; maladie du Roi ; dé-
part de M"''' de Châteauroux,
79 et suiv. Le Roi lui montre
des lettres de celle-ci, 97-98.
Au siège de Frihourg (1744),
94-96. Son rôle à Fontenoy
(1745). 99-109. Mission a
Dresde (1740), 113-115. En-
voyé pour commander à Gê-
nes ; séjour dans ce pays
(1747-1748), 117-121. Lettres
que lui écrit le comte d'Ar-
genson, 190-195. Lettres du
maréchal de Belle-Isie à lui
pendant son séjour à Gènes,
195-236. Fait maréchal de
France (1748), 119, 121, 226
et suiv. Expédition de Minor-
que (1756), 123-138. Malade
en 1756. 132. Revient à Paris;
embarras du Roi avec lui,
1.32-133. Obtient pour M. d'Ar-
genson une faveur du Roi,
142-145. Manière dont il ap-
prend la disgrâce de ce mi-
nistre, 145-147. D'abord mal
avecM™<=de Pompadour, 119,
143, 144. Commencement de
ses relations avec elle, 154.
Relations avec l'abbé, puis
cardinal de Bernis, 149 et
suiv. Contribue à le faire
nommerministre,en conseil-
lant à M. Rouillé de démis-
sionner. 158-159. Afl'aire de
Closter-Seven, 161 -167. Cause
de l'inimitié de l'abbé de Ber-
nis pour lui, 161-163. Lettre
que lui écrit le roi de Prusse
pour demanderla paix (1757),
165-166. Envoyé en Guyenne
(1763) ; instruction qui lui est
donnée relativement aux pro-
testants, 237-240. N'a pas
procuré M°»' du Barry à Louis
XV, 172-173. Son inimitié
pour Maurepas, 65. Amitié
pour le maréchal de Noailles,
1 18. Parenté avec M"* de Ro-
chechouart, 149. Relations
avec un alchimiste, 176, 179.
Richelieu (la duchesse de), née
de Noailles, 168-169, 170.
— (Elisabeth-Sophie de Lorrai-
ne-Guise, duchesse de), deu-
xième femme du précédent,
43, 170-171.
— (la duchesse de), née de La-
vaulx, 171-172.
— (M"« de), 228.
— (la terre de), 58.
Rinperda (le duc de), ambassa-
ûeur d Espagne à Vienne, 2,
3. 6, 14-16, 17, 18.
Roche- Ay mon (Charles- Antoi-
258
TABLE ALPHABÉTIQUE.
ne, cardinal de la), archevê-
que de Toulouse, 56, 57.
Rochechouart (Jean-Frangois-
Joseph de), évêque de Laon,
80.
— (M"» de), 149.
Rochefoucauld (Alexandre, duc
delà), 81, 82, 85, 91.
Rohan (le cardinal de), 209.
Rome (la ville de), 118, 225,
226.
Rosbach (la bataille de), 165.
Rottembourg (Conrad-Alexan-
dre, comtet, 71.
— (Frédéric-Rodolphe, comte
de), 71-75.
Rouen (la ville de), 179.
Rouillé (Antoine-Louis), secré-
taire d'Etat, 147, 158,159.
— (Marie- Anne Fallu, dame).
158 159
Roya'(la), rivière, 212, 214,225.
S
Saint-Florentin (M. de), minis-
tre, 39, 49, 50, 52, 145.
— (M"»» de), 39-41.
Saint-Honoré (la rue), à Paris,
177.
Saint-Hubert (le château de),
45, 48, 50,53,54.
Saint-Philippe (le fortl,àMinor-
que, 125, 126.
Saint-Pierre d'Arena (le fau-
bourg de), à Gènes, 185, 193.
Saint-Remy (l'abbé de), 169.
Saint-Saphorin (M. de), ambas-
sadeur d'Angleterre à Vienne,
4,8,24.
Saint-Séverin(M. de), 117, 200,
213-215, 218, 224-227, 229.
Saint-Sulpice (l'église),;! Paris.
181.
Sandwich (lord), 215.
Sardaigne (la), 194.
Sarzane (le bourgde), 193, 219,
227.
Saumurois (le gouvernement
de), 79.
Savone fia ville de), 202, 207,
212.
Saxe (le maréchal de), 80, 99,
100, 102, 104, 105, 107, 110,
207, 211, 224.
Schmettau (le maréchal), en-
voyé du roi de Prusse, 81, 82.
Ségent (le sieur), 205.
Siker (M.), maréchal de camp.
185
Silly (M. de), 30.
Sinzendorf (le comte de), 8.
Soissons (le congrèsde),8. 24,28.
Sotomayor (M. de), 223.
Soubise (le maréchal de), 88.
Spezzia (le port de la), 186, 187,
193.
Suisse (la), 179, 180.
Suze (M. de la), 108.
Tavannes (Nicolas-Charles de
Saulx-), archevêque de
Rouen, 59.
— (Marie-Anne-Ursulc Amelot
de Gournay, comtesse de), 59 .
Tencin (le cardinal de), 76, 197,
209, 210, 214. 217, 218, 221.
225-227, 233, 234.
— (M-"* de), 225, 230.
Thomond(le maréchal de), 239,
241.
Thuilerie (M. de la), 206.
Tingry (le prince de), 102.
Tonneins(la ville de), 241.
Toulon (la ville de), 125, 132,
134, 233.
Toulouse (la comtesse de), 37,
38, 40. 53.
— (la ville de), 56, 57.
Touraine (le régiment de), 107.
Tournay (la ville de). MO, 114.
Tournelle (la marquise de la).
duchesse de Ghâteauroux.
maîtresse du Roi, 51-53, 58-
69, 73-76, 79, 80, 84-90, 94,
96, 97.
Trémoïllp(Jean-Bretagne-Ghar-
les-Godefrov, duc de la), 142.
Trésor (l'abbaye du), 198.
Tuileries (le palais des), 154.
Vaisseaux (le régiment des),
106.
TABLE ALPHABETIQUE
259
Vallière (M. de), ingénieur,
125, 137.
Var (le), 215.
Vara(la), 194,195.
Varaggio (la ville de), 121, 192,
197.
Yauréal (l'abbé de). Voyez
Guérapin de Yauréal.
Vault (M. de), 207.
Venise (la ville de), 155, 15G,
157.
Ventadour (la duchesse de), 45.
Verney (M. Paris du), 209.
Versailles (le château de), 45.
47, 48, 49, 53, 58, 59, 61,66,
74, 123, 157, 173, 178.
Victor-Amédée, roi de Sardai-
gne, 24.
Vienne (la ville et la cour de),
2, 3, 7, 8, 12, 13, 14, 19, 20,
62,113, 114,183.
— (le traité de), 156. 157.
— en Dauphiné, 183.
Villeroy (le duc de), 62.
VintimiUe (Pauline-Félicité de
Mailly, marquise de), 44-48.
Voltaire, 109.
Voltri (le combat de), 120. 192.
208.
Vrillière (M. de la), secrétaire
d'Etat, 52.
Walle (M.), 200.
Worms (le traité de), 212.
Wurtemberg (le duc de), 200.
Ypres (la ville d'), 79, 114.
ERRATUM
Page 44, note 2, ligne 3 : au lieu de comte de Ghâteaupéage, lire
comte de Chatte, au Péage. Voyez p. 182 et note 2.
TABLE DES MATIERES
Avant-propos.
Intbodcction.
I. Soulavie et ses publications historiques i
II. Soulavie et les Mémoires du maréchal de Richelieu. liv
m. La « Vie privée du maréchal de Richelieu » lxxiii
IV. Les papiers du maréchal et le manuscrit des Mé-
moires authentiques lxxxii
Mémoires.
I. Le duc de Richelieu ambassadeur à Vienne (1725). . . 1
II. Commandement en Languedoc (1738) .37
m. Mesdames de Mailly, de Vintimille et de Château-
roux (1740-1744) 43
rV. Négociation secrète avec la Prusse (1744) 71
V. Le Roi à Metz ; sa maladie (1744) 79
VI. Bataille de Fontenoy (17i5) 99
VU. Mission à Dresde (1746-1747) 113
VIII. Commandement à Gènes (1748) 117
IX. Expédition de Minorque (1756) 123
X. Disgrâce du comte d'Argenson (1757) 139
XI. L'abbé de Bernis (1757) 149
XU. Closter-Seven (1757) 161
XIII. Note autographe biographique du maréchal 168
Appendices.
I. Le duc de Richelieu et l'alchimie 175
II. Deux lettres du duc de Richelieu 181
III. Le duc de Richelieu à Gènes 183
IV. Lettres du maréchal de Belle-Isle au duc de Richelieu. 195
V. Instruction relative aux protestants 237
VI. Lettre de Soulavie à Necker 247
Table alphabétique des noms propres 251
MAÇON, PROTAT FRÈRES, IMPRIMEURS.
P
Wr-'
■1
^
^^:
É:\5^K^Kjlt
m
■■^S
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